Résiliation ordinaire et extraordinaire du bail

base giuridica

Nome del giudice

Cour de justice du canton de Genève, Chambre des baux et loyers [ACJC/37/2016]

Data

18.01.2016

Sommario

Le bailleur est en droit, même pendant la période de protection du locataire, de signifier le congé pour l’échéance, tout en invoquant des circonstances exceptionnelles. Il ne suffit donc pas de constater que la partie bailleresse a notifié une résiliation ordinaire pour en conclure que celle-ci doit être annulée (art. 271a al. 1 let d CO) ; il y a plutôt lieu d’examiner si les conditions de validité du congé extraordinaire (art. 266g CO) sont réunies.

Esposizione dei fatti

Les locataires X et Y sont liées aux bailleurs A et B par un contrat de bail du 14 décembre 2009 portant sur la location d’un appartement de trois pièces au 4ème étage d’un immeuble sis à Genève.
Le 18 novembre 2011, certains locataires de l’immeuble se sont adressés aux bailleurs pour faire état d’un comportement inapproprié du locataire X. Le 24 novembre, une mise en demeure a été adressée par courrier recommandé aux locataires X et Y.
Par avis du 15 décembre 2011, les bailleurs ont résilié le contrat pour le 31 janvier 2012. Fondé sur l’article 257f CO, le congé a été motivé par le « comportement inacceptable et les nuisances sonores occasionnées » par le locataire X.
Le congé a été contesté en temps utile auprès de la juridiction des baux et loyers. Par jugement du 8 septembre 2014, le Tribunal a rejeté la requête des bailleurs, qui ont formé appel de cette décision par acte du 15 octobre 2014.
Le 7 octobre 2014, les bailleurs ont notifié aux locataires X et Y de nouveaux congés pour l’échéance contractuelle du 31 janvier 2015 en indiquant : « Les propriétaires vous signifient le non-renouvellement du bail pour le cas où la procédure en cours n’aboutirait pas à la validation du congé précédemment donné ».
Les locataires X et Y ont contesté ces congés le 16 octobre 2014, puis ont porté l’affaire devant le Tribunal des baux et loyers concluant à l’annulation des congés puisque donnés durant une procédure judiciaire au sens de l’art. 271a al. 1 let. d CO.
Par jugement du 13 mars 2015, le Tribunal des baux et loyers a annulé les congés notifiés aux locataires le 7 octobre 2014 pour le 31 janvier 2015. Les bailleurs ont formé appel de ce jugement en temps utile.

Considerazioni

3.1 Les appelants reprochent au Tribunal une mauvaise application de l’art 271a al. 3 let. e CO. Selon eux, lorsqu’un locataire manque d’égards envers ses voisins, le bailleur disposerait d’un juste motif, au sens de l’art. 266g CO, pour résilier le bail y compris pendant la période de protection prévue. Dans cette situation, les appelants considèrent que le bailleur aurait le choix de notifier un congé extraordinaire ou un congé ordinaire, pour l’échéance contractuelle. En l’occurrence, ils ont jugé opportun de donner le congé pour l’échéance du bail.

3.2 L’art 271a al. 1 let. d CO prévoit que le congé est annulable lorsqu’il est donné par le bailleur, notamment pendant une procédure de conciliation ou une procédure judiciaire, ou s’il est notifié dans un délai de trois ans à compter de la fin de ces dernières, à teneur de l’art. 271a al. 1 let. e CO. La protection contre les congés connaît des restrictions en ce sens que, selon l’art. 271a al. 3 CO, les lettres d) et e) du premier alinéa ne sont pas applicables lorsqu’un congé est donné pour l’un des six motifs exhaustivement énumérés sous lettres a) à f), notamment pour de justes motifs au sens de l’art. 266g CO. Cette liste est exhaustive (ATF 131 III 33 consid. 3.4 p. 37). Dès lors que le locataire défend ses intérêts de bonne foi, sans recourir à un procédé déloyal (art. 2 al. 2 CC), le bailleur qui a donné congé en temps prohibé ne peut pas échapper à l’annulation de la résiliation par des arguments qui se situeraient en dehors de la liste figurant à l’art. 271a al. 3 CO (arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2010 du janvier 2011 consid. 2.2).
L’art. 271a al. 3 let. e CO prévoit que la règle sur la protection du locataire pendant une procédure judiciaire n’est pas applicable si le congé est donné pour de justes motifs au sens de l’art. 266g CO.
Selon l’art. 266g al. 1 CO, chacune des parties peut résilier le bail à n’importe quel moment en observant le délai de congé légal si, pour de justes motifs, l’exécution du contrat lui devient intolérable. Les justes motifs visés par l’art. 266g CO peuvent être définis comme les circonstances qui étaient inconnues et imprévisibles lors de la conclusion du bail, qui ne sont pas imputables à faute à la partie qui s’en prévaut et qui rendent intolérable l’exécution du contrat jusqu’à son terme ordinaire. Le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour établir l’existence d’un juste motif. On prendra notamment en compte l’intérêt de chaque partie, celui de l’auteur du congé, et celui du destinataire du congé au regard de la fidélité contractuelle (BOHNET/MONTINI, Droit du bail à loyer, Commentaire pratique, Bâle 2010, n. 16 et 17 ad art. 266g CO). Le motif du congé doit exister au jour de la résiliation. Le bien-fondé de la résiliation doit en effet être apprécié au moment où son auteur manifeste sa volonté de mettre un terme au contrat (BOHNET/MONTINI, op. cit., n. 31 ad art. 271 CO).
D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, dans l’hypothèse où le bailleur entend invoquer l’exception prévue par l’art. 271a al. 3 let. e CO, il est indispensable que le destinataire de la manifestation de volonté puisse comprendre qu’il ne s’agit pas d’une résiliation ordinaire, mais que le résiliant veut mettre fin au contrat pour de justes motifs (ATF 92 II 184 consid. 4a p. 186; arrêt du Tribunal fédéral 4C.202/1994 du 3 octobre 1995 consid. 2b/aa); l’allégation ultérieure de justes motifs dans la procédure ne peut pas valider une résiliation pour justes motifs qui n’a pas été donnée (arrêt du Tribunal fédéral 4C.202/1994 déjà cité consid. 2b/bb).
Les congés visés par l’art. 271a al. 3 CO sont généralement donnés de manière anticipée, mais peuvent aussi l’être pour l’échéance. Si le bailleur donne le congé ordinaire, les conditions des art. 257d al. 2, 257f al. 3 et 4, 266j ou 266h CO doivent être réunies (LACHAT, Le bail à loyer, Lausanne 2008, p. 747). Dans ce cas de figure, le bailleur doit prouver que les conditions de validité du congé extraordinaire sont remplies (BOHNET/MONTINI, op. cit., n. 66 ad art. 271a CO).

3.3 En l’espèce, les appelants invoquent expressément l’exception tirée de l’art. 271a al. 3 let. e CO, à savoir du congé donné pour de justes motifs au sens de l’art. 266g CO. Toutefois, le congé du 7 octobre 2014 a été notifié sans aucune référence à cette dernière disposition. De plus, les formules officielles adressées aux intimés respectent le terme contractuel, de telle sorte que les destinataires de ces documents ne pouvaient que penser de bonne foi qu’il s’agissait d’un congé ordinaire. Dans leurs écritures de première instance, de même qu’à l’audience du 9 mars 2015, les appelants ont d’ailleurs confirmé que leur volonté avait été de notifier un congé ordinaire.
Les premiers juges ont considéré que l’exception prévue par l’art. 271a al. 3 let. c ou e CO n’entrait pas en considération, dès lors que les congés litigieux étaient des congés ordinaires. Il résulte toutefois du libellé de l’art. 271a al. 3 CO, ainsi que de la doctrine citée plus haut, que le bailleur est en droit, même pendant la période de protection du locataire, de signifier le congé pour l’échéance, tout en invoquant des circonstances exceptionnelles. Il ne suffit donc pas de constater que la partie bailleresse a notifié une résiliation ordinaire pour en conclure que celle-ci doit nécessairement être annulée, compte tenu de la protection accordée par l’art. 271a al. 1 let. d CO. Il y a plutôt lieu d’examiner si les conditions de validité du congé extraordinaire, à savoir celles visées par l’art. 266g CO, étaient remplies en l’espèce à la date à laquelle le congé du 7 octobre 2014 a été notifié. Les appelants ayant mentionné, dans la formule officielle de résiliation, le comportement inacceptable de l’un des intimés "à l’égard des autres locataires et de la régie", les intimés pouvaient, sauf circonstances particulières, en déduire que le congé était fondé sur une allégation de justes motifs. Dans un tel contexte, le Tribunal aurait dû examiner si ce grief remplissait les exigences de l’art. 266g CO, à la date pertinente.

Decisione

57/9 - Résiliation ordinaire et extraordinaire du bail

Ritorno