Résiliation anticipée

base giuridica

Nome del giudice

Arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre des baux et loyers (ACJC/720/2020)

Data

29.05.2020

Sommario

Une agression avec coups et blessures, menace à l’arme blanche et insultes à caractère raciste constitue une violation du devoir de diligence du locataire. Mais, avant ces événements, le locataire et son épouse n’ont jamais fait l’objet de plaintes de la part de leurs voisins en plus de 40 ans d’occupation de leur appartement. Dans ces conditions, il appartenait à la bailleresse de prendre contact avec ces locataires de longue date pour leur permettre de présenter leur version des faits. Rien ne dit que la notification d’une mise en demeure, avec menace d’expulsion, n’aurait pas suffi dans le cas d’espèce.

Esposizione dei fatti

Les parties sont liées par un contrat de bail du 16 janvier 1976 portant sur la location d’un appartement de 5 pièces au rez-de-chaussée d’un immeuble sis à C. (GE).
Le […] une altercation est survenue entre le locataire et sa voisine de palier au sujet de l’occupation d’une place de parking. Le même jour, la voisine s’est rendue à la consultation d’urgence d’une clinique, se plaignant d’avoir reçu un coup à la joue droite de la part de son voisin.
La voisine a déposé plainte pénale contre le locataire le […] pour coup et blessure, insultes et propos racistes, ainsi que menace avec une arme blanche. Le […] le Ministère public a rendu une ordonnance pénale déclarant le locataire coupable de lésions corporelles simples, d’injures et de menaces. Il l’a condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à fr. 30.- le jour-amende, avec sursis durant trois ans. Le locataire a formé opposition de cette ordonnance pénale.
La voisine a averti la bailleresse des événements du […]. Par avis officiels du 19 juin 2017, la bailleresse a résilié les baux de l’appartement et de la place de parking avec effet immédiat, sur la base de l’art. 257f al. 4 CO.
Par pli recommandé du 21 juin 2017, les locataires ont indiqué à la bailleresse qu’ils n’acceptaient pas la décision de résilier leurs baux avec effet immédiat, alors que la bailleresse avait pris parti pour leur voisine sans les entendre.
Le 26 juin 2017, les locataires ont contesté les congés extraordinaires auprès de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers.
Par jugement du 10 avril 2019, le Tribunal des baux et loyers a déclaré efficaces les congés notifiés aux locataires. Les locataires ont formé appel de ce jugement en temps utile.

Considerazioni

3. Le deuxième grief des appelants porte sur l’application de l’art. 257f al. 4 CO. Ils contestent l’existence de faits suffisamment graves pour justifier un congé extraordinaire au sens de cette disposition.

3.1 Selon l’art. 257f al. 2 CO, le locataire est tenu d’avoir pour les personnes habitant la maison et les voisins les égards qui leur sont dus. S’il persiste à manquer d’égards envers les voisins, nonobstant une protestation écrite du bailleur, à tel point que le maintien du bail devient insupportable pour ce dernier ou les personnes habitant la maison, l’art. 257f al. 3 CO autorise le bailleur à résilier le contrat moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d’un mois. La violation du devoir de diligence prescrit par l’art. 257f al. 2 CO peut consister, notamment, dans le non-respect du repos nocturne, qui porte atteinte à la tranquillité des autres locataires. Les manques d’égards envers les voisins doivent revêtir un certain degré de gravité. Comme la résiliation doit respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité, il faut, en outre, que le maintien du bail soit insupportable pour le bailleur ou pour les personnes habitant la maison. Cette question doit être résolue à la lumière de toutes les circonstances de l’espèce, antérieures à la résiliation du bail (ATF 136 III 65 consid.2.5). Le congé donné pour une violation du devoir de diligence qui ne rend pas la poursuite du bail intolérable est un congé inefficace (arrêts du Tribunal fédéral 4C.273/2005 du 22 novembre 2005 consid. 2.1 ; 4C.118/2001 du 8 août 2001, consid. 1b/bb/bbb et l’auteur cité).
La résiliation « exceptionnellement extraordinaire » visée à l’art. 257f al. 4 CO (sans délai, sans protestation préalable, sans preuve que la poursuite du bail devient insupportable, effet immédiat) peut être signifiée par le bailleur s’il observe que le locataire - ou l’un de ses auxiliaires - provoque intentionnellement, ou par dol éventuel, un préjudice grave à la chose. Ainsi en est-il d’un acte volontaire d’incendie ou de sabotage des locaux loués à titre d’habitation ou commercial. La faute du locataire, ou celle d’une personne dont il répond, doit être intentionnelle ; elle sera le plus souvent, sinon toujours, la cause d’une infraction pénale. Ainsi en est-il également, par une interprétation extensive systématique de la règle par la doctrine, d’une atteinte délibérée aux droits de la personnalité de voisins ou à leurs biens. En toute hypothèse, il doit s’agir d’une violation qualifiée du contrat (Wessner, dans Droit du bail à loyer, Commentaire pratique, Bohnet/Montini, 2ème éd. 2017, n. 40 et 41 ad art. 257f CO, et auteurs cités).

3.2 A teneur de la jurisprudence du Tribunal fédéral rappelée plus haut, il convient de tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce pour examiner l’efficacité de la résiliation extraordinaire notifiée en application de l'article 257f al. 3 CO, soit après qu’une vaine mise en demeure a été notifiée au locataire. Ces conditions doivent a fortiori être prises en considération dans le cadre de la notification d’un congé extraordinaire immédiat, qui met un terme au contrat sans que le locataire ait eu l’occasion de se mettre - ou se remettre -, en conformité avec ce qui est attendu de lui.
En outre, le texte clair de l’art. 257f al. 4 CO mentionne que le locataire doit avoir causé volontairement un préjudice « à la chose ». L’interprétation extensive faite par la doctrine quant à la possibilité de tenir compte également d’une atteinte aux droits de la personnalité des voisins doit ainsi être suivie avec retenue.

3.3 En l’espèce, il est établi qu’en raison d’une dispute ayant pour objet l’utilisation d’une place de parking, le locataire a crié sur sa voisine, l’a insultée, l’a frappée au visage et a sorti un couteau suisse de sa poche, dans l’intention de lui faire peur. Tous ces actes ont été exécutés en connaissance de cause et alors que le locataire n’était pas démuni de sa capacité de discernement.
On ne saurait qualifier lesdits actes autrement que par une violation du devoir de diligence, d’une gravité certaine, commise par le locataire.
Cela étant, avant ces événements, ce dernier et son épouse n’ont jamais fait l’objet de plainte de la part de leurs voisins, en plus de 40 ans d’occupation de leur appartement. Dix voisins, y compris les concierges de l’immeuble depuis 35 ans, ont écrit à la régie pour en témoigner, de même que pour manifester leur étonnement quant aux conséquences de la querelle les ayant opposés à la voisine.
Dans ces conditions, il appartenait à la bailleresse de prendre contact avec ces locataires de longue date pour leur permettre de lui présenter leur version des faits.
Certes la bailleresse a fait état de la gravité du comportement du locataire, mais compte tenu du fait qu’il s’agissait du premier incident le mettant en cause, rien ne dit que la notification d’une mise en demeure, avec menace de résiliation, n’eût pas suffit dans le cas d’espèce.
Enfin, le locataire n’a pas causé de préjudice à la chose elle-même.
Au vu de ce qui précède, les circonstances du cas d’espèce ne justifient pas la notification d’un congé immédiat sur la base de l’art. 257f al. 4 CO.
Le jugement entrepris sera par conséquent réformé sur ce point et les congés notifiés le 19 juin 2017 seront déclarés inefficaces.

Decisione

61/2 - Résiliation anticipée

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