Procédure d’expulsion – logement familial

base giuridica

Nome del giudice

Cour de Justice de Genève, Chambre des baux et loyers (ACJC/1096/2022)

Data

29.08.2022

Sommario

Il n’est pas déterminant de savoir si l’intimée était au courant ou non du jugement rendu sur mesures protectrices de l’union conjugale attribuant le logement familial à l’épouse avant d’agir en évacua­tion contre l’appelant, dans la mesure où elle devait aussi agir contre l’épouse de l’appelant. En effet, malgré l’attribution de l’appartement à l’épouse, aucun élément ne permet de retenir que le logement avait perdu son caractère familial, de sorte que cette dernière devait être attraite à la procédure d’évacuation.

Esposizione dei fatti

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer du 6 mai 2004 portant sur la location d’un appartement de onze pièces au 2ème étage d’un immeuble situé à Genève. Le locataire a occupé le logement avec son épouse, avec laquelle il était marié depuis 1996, et leurs deux filles.
Par jugement du 30 mars 2012 sur mesures protectrices de l’union conjugale, le Tribunal de première instance a autorisé les époux à vivre séparément et a attribué à l’épouse la jouissance exclusive du domicile conjugal. Par avis officiel du 24 juillet 2017 notifié aux deux locataires séparément, la bailleresse a résilié le bail pour le 31 août 2017, en raison du défaut de paiement du loyer, après leur avoir notifié des avis comminatoires le 12 juin 2017.
Le 19 septembre 2017, la bailleresse a déposé une requête en évacuation par la voie de la procédure sommaire à l’encontre du locataire, exclusivement. Par jugement du 2 novembre 2017, le Tribunal des baux et loyers a condamné le locataire, ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec lui, à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens l’appartement.
Le 14 novembre 2017, la bailleresse a intenté une procédure en évacuation par la voie de la procédure sommaire à l’encontre de l’épouse du locataire. Le 3 janvier 2018, un état des lieux de sortie s’est déroulé entre l’épouse du locataire et la bailleresse.
La bailleresse a fait notifier plusieurs commandements de payer le 7 décembre 2017 au locataire à titre d’indemnités pour occupation illicite. Le 31 août 2018, la bailleresse a saisi le Tribunal des baux et loyers d’une requête en cas clair concluant à ce que le locataire lui verse la somme de fr. 119 013,50. Par jugement du 31 octobre 2018, le Tribunal des baux et loyers a déclaré irrecevable la requête de la bailleresse.
La bailleresse a porté la cause devant le Tribunal des baux et loyers le 3 octobre 2019, suite à une procédure de conciliation non conciliée. Par jugement du 7 septembre 2021, le Tribunal a notamment débouté la bailleresse de ses conclusions contre l’épouse du locataire. Le locataire a formé appel de ce jugement en temps utile.

Considerazioni

3. L’appelant fait grief au Tribunal de l’avoir condamné à verser les indemnités pour occupation illicite du 1er septembre 2017 au 28 février 2018. Il ne conteste pas sa condamnation à verser à l’intimée les loyers du 1er juillet au 31 août 2017, sous déduction d’un acompte de 2204 fr. 50. L’appelant soutient qu’au moment de la résiliation du bail intervenue le 31 août 2017, il n’était plus en possession du logement depuis de nombreuses années, ce dernier ayant été attribué à X. sur mesures protectrices de l’union conjugale. N’étant pas garant du comportement de son ex-femme, il ne pouvait être condamné pour une faute qu’il n’avait pas commise. En outre, en ne dirigeant pas sa première requête d’évacuation à l’encontre d’X., l’intimée avait commis une erreur qui avait entraîné son dommage. En tout état, les locaux avaient été restitués à la suite de l’état des lieux de sortie du 3 janvier 2018, en sorte qu’il ne pouvait être condamné à verser les indemnités pour occupation illicite jusqu’à la fin du mois de février 2018.

3.1 Aux termes de l’art. 267 al. 1 CO, à la fin du bail, le locataire doit restituer la chose dans l’état qui résulte d’un usage conforme au contrat. Le locataire qui se maintient dans les locaux après l’expiration de son bail commet une faute contractuelle au sens des art. 97ss CO et est redevable de dommages- intérêts au bailleur (indemnités pour occupation illicite des locaux) qui correspondent, en règle générale, au montant du loyer (Lachat / Rubli, Le bail à loyer, Lausanne, 2019, p. 1053).
Le locataire pourra se libérer de son obligation de payer des dommages-intérêts s’il démontre que le retard dans la restitution des locaux n’est pas dû à sa faute (art. 103 al. 2 CO). La doctrine cite à ce titre le cas du locataire qui ne peut par exemple pas déménager en raison de son hospitalisation (Lachat / Rubli, op. cit., p. 1054 et les références citées; CPra Bail, 2ème édition, 2017, Aubert, n. 13 ad art. 267 CO).
Le locataire répond également du fait de ses auxiliaires au sens de l’art. 101 CO. Le conjoint du locataire est considéré comme son auxiliaire (Aubert, op. cit., n. 15 ad art. 267 CO).
La Cour de céans a par ailleurs retenu que, même lorsque le locataire titulaire du bail est séparé de son conjoint suite à un jugement rendu sur mesures protectrices de l’union conjugale, il lui revenait à lui, en premier lieu, de s’exécuter volontairement, à savoir évacuer l’appartement après la fin du contrat de bail, même s’il n’occupait pas lui-même le logement. Si l’ancien locataire voulait éviter de devoir s’acquitter d’indemnités pour occupation illicite des locaux, il devait prendre des mesures pour restituer sans délai l’appartement après l’expiration du bail (ACJC/138/2018 du 5 février 2018 consid. 3.2).
En l’espèce, le fait que le logement litigieux a été attribué à X. sur mesures protectrices de l’union conjugale ne permet pas à l’appelant de soutenir qu’il n’est pas redevable des indemnités pour occupation illicite des locaux après la résiliation du bail, son cas n’étant pas assimilable à celui du locataire qui a par exemple été empêché de procéder à la remise des lieux en raison d’une hospitalisation. Malgré la séparation d’avec son épouse et l’attribution du logement en sa faveur, cette dernière continuait à être son auxiliaire, à tout le moins tant que le divorce n’avait pas été prononcé, ce qui ne ressort pas des faits de la cause. Sur le principe, l’appelant restait donc redevable des indemnités pour occupation illicite des locaux jusqu’à la restitution de ceux-ci.

3.2 Selon l’art. 44 al. 1 CO applicable par renvoi de l’art. 99 al. 3 CO à la responsabilité contractuelle, le juge peut réduire les dommages-intérêts, ou même n’en point allouer, lorsque la partie lésée a consenti à la lésion ou lorsque des faits dont elle est responsable ont contribué à créer le dommage, à l’augmenter, ou qu’ils ont aggravé la situation du débiteur.
Il y a faute concomitante lorsque le lésé omet prendre les mesures raisonnables aptes à contrecarrer la survenance ou l’aggravation du dommage (Werro / Perritaz, Commentaire romand, Code des obligations, 3ème édition, 2021, n. 12 ad art. 44 CO).
Comme elle peut contribuer à la survenance du dommage, la faute concomitante peut contribuer à l’augmentation de celui-ci. Dans ce cas aussi, elle peut entraîner une réduction de l’indemnité. Cette réduction découle de l’obligation de la victime de contenir son dommage. Lorsqu’elle omet de le faire ou qu’elle prend des mesures inappropriées, la victime doit personnellement supporter l’augmentation de son dommage. Le devoir de diminuer le dommage ne s’impose pas de manière illimitée au lésé. Celui-ci est tenu de prendre uniquement les mesures raisonnables commandées par les circonstances (Werro / Perritaz, op. cit., n. 25 et 30 ad art. 44 CO).
Ainsi, la règle de l’art. 44 al. 1 CO concrétise le principe du ménagement dans l’exercice d’un droit, en l’occurrence le droit du lésé d’exiger réparation; conformément à un principe général du droit de la responsabilité civile, le lésé doit supporter lui-même le dommage dans la mesure où son étendue lui est personnellement imputable. Il en résulte que la réparation due par l’autre partie ne s’étend qu’au dommage moins important qui subsisterait si le lésé avait satisfait à son devoir de diminuer le dommage effectif (arrêt du Tribunal fédéral 4A_546/2009 du 1er février 2010 consid. 6.2).
Lorsque le bail porte sur le logement de la famille, le bailleur doit intenter la procédure d’expulsion également contre le conjoint du locataire, s’il veut obtenir le départ des deux époux (Lachat / Rubli, op. cit., p. 1051; SJ 2000 I 6).
Tant que dure l’union conjugale, le logement du couple conserve, en règle générale, la qualité de logement familial. Ainsi en est-il pendant la procédure de divorce ou de séparation de corps, ou lorsqu’il y a séparation de fait ou suspension judiciaire de la vie commune, notamment en vertu de mesures protectrices de l’union conjugale. Dans ces hypothèses, lorsque le juge en attribue provisoirement la jouissance à l’un des époux, le logement conserve son caractère familial. Toutefois, selon les circonstances, le logement peut perdre son caractère familial avant la dissolution définitive du mariage. Tel est le cas lorsque les deux époux ont renoncé ensemble à le considérer comme tel, le quittent ou ont décidé de son attribution définitive à l’un d’entre eux. Il en va de même lorsque l’époux non titulaire du bail libère définitivement et volontairement le logement, voire se désintéresse du congé y relatif. En revanche, le départ de l’époux titulaire du bail n’est pas déterminant, la loi ayant précisément pour but de protéger dans cette hypothèse le conjoint non locataire (Lachat, op. cit., p. 139 - 140).
En l’occurrence, suite à la résiliation du bail intervenue pour le 31 août 2017, l’intimée a déposé une requête en évacuation à l’encontre de l’appelant exclusivement, le 19 septembre 2017, sans attraire son épouse. L’intimée n’a agi contre cette dernière que le 14 novembre 2017, après notification du jugement du Tribunal du 2 novembre 2017 prononçant l’évacuation de l’appelant mais précisant toutefois que la décision n’était pas opposable à son épouse.
Il n’est pas déterminant de savoir si l’intimée était au courant ou non de la séparation des époux et du jugement rendu sur mesures protectrices de l’union conjugale attribuant le logement familial à X. avant d’agir en évacuation contre l’appelant, dans la mesure où, dans les deux cas, elle devait aussi agir contre son épouse. En effet, malgré l’attribution de l’appartement à X., aucun élément ne permet de retenir que le logement avait perdu son caractère familial, en sorte que cette dernière devait être attraite à la procédure d’évacuation. Il en serait allé de même si le couple faisait toujours ménage commun, ce que l’intimée, représentée par une régie, ne pouvait ignorer.
Par conséquent, la Cour retiendra que l’intimée a contribué à l’aggravation de son dommage, en ne prenant pas toutes les mesures appropriées pour récupérer rapidement son bien.
Si l’intimée n’avait pas commis l’erreur de n’agir en évacuation qu’à l’encontre de l’appelant, mais avait également attrait X., elle aurait bénéficié d’un titre d’évacuation contre les deux époux dès la notification du jugement du 2 novembre 2017, et aurait donc pu récupérer l’appartement à tout le moins en décembre 2017, le temps pour elle de solliciter le concours de la force publique à cet effet.
Dès le 15 décembre 2017, l’intimée est donc responsable de l’augmentation de son dommage en sorte qu’elle ne saurait se prévaloir de dommages-intérêts à charge de l’appelant.
Partant, le jugement querellé sera modifié en ce sens que l’appelant est condamné à verser les dommages-intérêts en faveur de l’intimée jusqu’au 15 décembre 2017 uniquement, soit la somme de 84 286 fr., avec intérêts à 5 % dès le 15 septembre 2017, à savoir 31 382 fr. pour les loyers et charges du 1er juillet au 31 août 2017, 54 918 fr. 50 pour les indemnités pour occupation illicite du 1er septembre au 15 décembre 2017 et 190 fr. de frais de rappel, sous déduction d’un acompte de 2204 fr. 50.

3.3 Subsidiairement, la Cour relève encore que la critique de l’appelant concernant sa condamnation à verser les indemnités pour occupation illicite jusqu’à la fin du mois de février 2018, alors que les locaux avaient été restitués à la suite de l’état des lieux de sortie du 3 janvier 2018, est bien fondée.
La restitution des locaux au sens de l’art. 267 al. 1 CO se fait par remise de la chose même ou des moyens qui le font passer dans la puissance du bailleur; ainsi, lorsque le bail porte sur des locaux, le locataire doit remettre tous les jeux de clés servant à y accéder, y compris les éventuels doubles qu’il a fait faire. Quelques objets laissés dans un local peuvent tout au plus engager la responsabilité contractuelle du locataire pour d’éventuels frais d’enlèvement, mais ne sauraient empêcher la restitution des locaux au bailleur qui a recouvré la maîtrise exclusive de la chose louée par la remise des clés (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2013 du 7 janvier 2014 consid. 1 et 2.2.2).
En l’espèce, il ressort du procès-verbal d’état des lieux de sortie que les clés permettant d’accéder au logement ont été restituées et qu’il manquait tout au plus des clés de la boîte-aux-lettres, ce que confirme la lettre de la régie du 9 janvier 2018. Les objets dont l’intimée sollicitait la dépose n’ont pas empêché celle-ci de retrouver la maîtrise exclusive de l’appartement, ce qu’elle a par ailleurs implicitement admis en retirant la requête d’évacuation contre X. entre le 3 et le 5 janvier 2018.
L’appelant ne saurait donc en tout état être condamné au paiement des indemnités pour occupation illicite après le 3 janvier 2018.

3.4 A teneur de l’art. 79 LP, le créancier à la poursuite duquel il est fait opposition agit par la voie de la procédure civile ou administrative pour faire reconnaître son droit. Il ne peut requérir la continuation de la poursuite qu’en se fondant sur une décision exécutoire qui écarte expressément l’opposition.
Cette disposition autorise le juge civil ordinaire à lever l’opposition, de façon à ce qu’il ne soit pas nécessaire de recourir encore à la procédure de mainlevée (ATF 134 III 115 consid. 3.2).
L’identité entre la prétention déduite en poursuite et la créance qui fait l’objet du jugement doit être vérifiée (S­chmidt, Commentaire romand, Poursuite et faillite, 2005, n. 25 ad art. 79 LP), comme, plus généralement, pour toute demande de mainlevée (ATF 139 III 444 consid. 4.1.1).
En l’espèce, il n’y a pas identité totale entre la prétention pour laquelle l’intimée a requis la mainlevée et les montants que l’appelant est condamné à payer, la première portant sur les indemnités pour occupation illicite du 1er décembre 2017 au 28 février 2018 et les seconds sur les loyers et indemnités antérieurs du 1er juillet au 15 décembre 2017.
Partant, le chiffre 3 du dispositif du jugement sera modifié en ce sens que l’opposition formée au commandement de payer, poursuite N° [...] sera levée à concurrence de 7845 fr. 50, plus intérêts à 5 % dès le 1er janvier 2018, plus 80 fr. de frais de rappel, sans déduction d’un acompte de 2204 fr. 50.

Decisione

62/6 - Procédure d’expulsion – logement familial

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