Défaut de la chose louée – réduction de loyer

base giuridica

Nome del giudice

Chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève

Data

06.02.2006

Sommario

Lorsque l’amoindrissement de l’usage de la chose louée a sa source dans le voisinage, notamment dans les immissions provenant de celui-ci, le juge doit déterminer dans quelle mesure le preneur peut, raisonnablement et d’un point de vue objectif, s’attendre à user de la chose louée, respectivement à ne pas subir de nuisances. Seules les immissions excédant cette mesure constituent un défaut de la chose louée qui justifie une diminution de loyer au sens de l’art. 259d CO. Dans de tels cas, les principes posés dans le cadre des art. 679 et 684 CC, relatifs au droit de voisinage, peuvent également être appliqués par analogie.

Esposizione dei fatti

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer portant sur un appartement de quatre pièces sis à P.
En été 1999, la locataire s’est plainte auprès de la bailleresse du chantier qui avait commencé sur la parcelle voisine ; elle a notamment signalé le bruit et la poussière provoqués par le passage des camions qui accédaient puis repartaient du chantier.
La bailleresse ayant refusé d’entrer en matière sur une compensation financière, plusieurs locataires de l’immeuble ont déposé devant la juridiction des baux et loyers une demande en réduction de loyer, fondée sur l’art. 259d CO, concluant à une diminution de celui-ci de 40% à partir du 1er juillet 1999.
Après avoir notamment procédé à des enquêtes, le Tribunal des baux et loyers a rendu, le 04 avril 2005, un jugement accordant à la locataire une réduction de son loyer de 10% du 1er septembre 1999 au 15 août 2001. La locataire a formé appel de ce jugement, concluant à une réduction de loyer de 40%.

Considerazioni

[…]
3.1 Les immissions provenant d’un chantier voisin (bruit, poussière, secousses) peuvent constituer un défaut justifiant une réduction de loyer. Peu importe qu’elles échappent ou non à la sphère d’influence du bailleur (arrêt du Tribunal fédéral du 29 mai 1997 rendu dans la cause 4C. 527/1996, publié in SJ 1997 p. 661; arrêt du Tribunal fédéral du 24 septembre 1985 rendu dans la cause C. 144/1985, publié in SJ 1986 p. 195; plus récemment WEBER, Commentaire bâlois, n. 1 ad art. 259d CO).
La réduction de loyer que peut exiger le locataire en application de l’art. 259d CO doit être proportionnelle au défaut et se détermine par rapport à la valeur de l’objet sans défaut. Elle vise à rétablir l’équilibre des prestations entre les parties (cf. ATF 126 III 388 consid. 11c p. 394). En principe, il convient de procéder selon la méthode dite relative ou proportionnelle, telle qu’elle est pratiquée dans le contrat de vente: la valeur objective de la chose avec défaut est comparée à sa valeur objective sans défaut, le loyer étant ensuite réduit dans la même proportion. Cependant, le calcul proportionnel n’est pas toujours aisé, notamment lorsque le défaut est de moyenne importance. Il est alors admis qu’une appréciation en équité, par référence à l’expérience générale de la vie, au bon sens et à la casuistique, n’est pas contraire au droit fédéral (arrêt publié in SJ 1997 p. 661, consid. 4a p. 665 s. déjà cité, et les références; plus récemment arrêt du Tribunal fédéral du 28 octobre 2003 rendu dans la cause 4C.97/2003 consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral du 24 octobre 2005 rendu dans la cause 4C.219/2005, consid. 2.3).
Lorsque l’amoindrissement de l’usage de la chose louée a sa source dans le voisinage, notamment dans des immissions provenant de celui-ci, le juge doit déterminer dans quelle mesure le preneur peut, raisonnablement et d’un point de vue objectif, s’attendre à user de la chose louée, respectivement à ne pas subir de nuisances. Seules les immissions excédant cette mesure constituent un défaut de la chose louée qui justifie une diminution de loyer au sens de l’art. 259d CO. Selon la jurisprudence topique du Tribunal fédéral, dans de tels cas, les principes posés dans le cadre des art. 679 et 684 CC, relatifs au droit de voisinage, peuvent également être appliqués par analogie; une réduction de loyer exige ainsi que les nuisances excèdent, par leur nature, leur intensité et leur durée, ce qui peut être admis normalement dans l’utilisation d’un bien-fonds conformément aux règles générales du droit de voisinage, et cela même si les travaux entrepris sont parfaitement conformes à la loi (arrêt du Tribunal fédéral du 16 août 2005 rendu dans la cause 5C.117/2005, consid. 2.3). Dans le même sens, la jurisprudence cantonale considère que le preneur peut et doit compter, selon le cours ordinaire des choses, avec possibilité de certaines entraves inhérentes à l’usage de la chose et ne justifiant pas une adaptation de loyer. En revanche, si l’entrave est plus importante et sort du cadre des prévisions, elle peut donner lieu à une réduction de loyer (SJ 1985, p. 575; ACJ n  187 du 4.2.1997 C. c/ S.A. X.; CdB 02/2003, p. 54).

3.2 En l’espèce, les premiers juges ont retenu que la construction du complexe immobilier voisin du bâtiment avait débuté en août 1999, pour prendre fin en septembre 2001, avec les nuisances « usuelles » que cause ce genre de chantier (bruit, poussière, trépidations). Ils ont qualifié le chantier « de grande ampleur, entraînant davantage de désagréments qu’un chantier de moyenne importance ». S’agissant d’apprécier la quotité de la réduction de loyer, le Tribunal a relevé que la bailleresse avait pris plusieurs mesures visant à limiter le plus possible les nuisances inhérentes aux travaux; elle a ainsi renoncé à installer une centrale à béton sur place, installé le long du chantier une palissade en bois offrant une meilleure isolation phonique et ordonné le respect des horaires du chantier. Observant d’une part que la jurisprudence avait admis des réductions comprises entre 10% et 25% pour un chantier voisin pendant deux ans, et d’autre part que l’intensité des désagréments avait varié au cours de l’avancement des travaux, il a arrêté le taux de réduction à 10%, pour toute la durée du chantier. Sur ce dernier point, il a toutefois fixé la prise d’effet de la réduction au 1er septembre 1999, dans la mesure où c’est par lettre du 26 août 1999 qu’une locataire de l’immeuble s’est plainte pour la première fois des nuisances du chantier.  
Il faut tout d’abord constater, au vu de ces éléments, que la partie locataire reproche à tort aux premiers juges d’avoir fixé la quotité de la réduction uniquement en fonction des mesures de prévention prises par la bailleresse, et non sur la base de l’ampleur des nuisances réellement subies. Il ressort en effet de l’ensemble du jugement attaqué que le Tribunal a tenu compte de l’effort consenti en vue de diminuer les désagréments comme d’un élément parmi d’autres, et non comme un critère exclusif de fixation du taux de réduction du loyer. Un tel raisonnement n’est à l’évidence pas erroné, ne serait-ce que parce que les mesures prises par la Commune ont, au moins en partie, effectivement permis de restreindre les atteintes polluantes ou sonores.

3.3 En ce qui concerne la quotité de la réduction du loyer allouée, il paraît à première vue paradoxal, pour le Tribunal, que qualifier le chantier en cause « de grande ampleur », entraînant « davantage de désagréments » qu’un chantier « de moyenne importance » (jugement, p. 5), pour finalement arrêter la réduction consentie à 10%, soit le bas de la fourchette citée par le Tribunal.  
A cet égard, il y a lieu d’observer que le Tribunal fédéral, dans un arrêt du 2 décembre 2004, n’a pas réprouvé un arrêt cantonal accordant une réduction de loyer moyenne de 37%, calculée sur une période de vingt-sept mois, destinée à compenser les nuisances engendrées par deux chantiers situés dans le voisinage des locaux loués (ATF np, 4C.377/2004). Les juges fédéraux avaient admis que les immissions de bruit et les secousses massives subies par un cabinet d’ophtalmologie avaient engendré une « forte diminution de l’usage » (consid. 3.3), justifiant, par période, une diminution de loyer jusqu’à 45%, voire 80%. Le Tribunal fédéral a tenu compte, dans ce cadre, des particularités de l’activité professionnelle pour laquelle les locaux avaient été loués, observant que l’ophtalmologue doit faire montre de concentration et de précision, et qu’il emploie des instruments délicats, dont l’utilisation peut être fortement perturbée par la poussière ou les trépidations.  
Dans un autre arrêt, le Tribunal fédéral a tenu pour correcte une réduction de 25%, sur toute la durée du chantier, justifiée par des travaux réalisés dans le même bâtiment, mais dans les étages, qu’un tea-room situé au rez-de-chaussée. Il a observé que la quotité de cette réduction pouvait être arrêtée en équité, pour tenir compte aussi bien des périodes de nuisances modérées, sans grande incidence sur la jouissance des locaux loués, que des épisodes plus aigus, mais brefs – in casu, réfection du trottoir et sciage de fers à béton devant l’entrée de l’établissement (ATF np, 4C.185/2003, consid. 3.2.).  
Les juges fédéraux on également reconnu, dans une cause plus ancienne (arrêt du 29 mai 1997, publié in SJ 1997 p. 661 ss.), que l’état de saleté de la cour intérieure et du hall d’entrée de l’immeuble constituait un défaut affectant l’environnement immédiat des locaux loués, pouvant entraîner une réduction de loyer de 15%.

4.1 En l’espèce, l’immeuble est situé à environ 30 mètres de la façade de la construction la plus proche. Les autres bâtiments de l’ensemble en construction sont plus éloignés, à environ 60 mètres, et davantage. Les plans produits démontrent par ailleurs que le logement habité par la partie appelante est situé à l’écart des principaux axes routiers, et en particulier de la route de S., de sorte que l’on peut admettre qu’il connaît, en temps normal, une meilleure tranquillité qu’un bâtiment situé en zone urbaine.  
Selon les explications de l’architecte responsable de la direction des travaux (témoin n 10), le chantier de l’ensemble constructif s’est déroulé en deux parties, de façon décalée. Les terrassements ont ainsi commencé vers juillet-août 1999 (voir également témoin n 15) jusqu’à fin octobre 1999, pour une première partie du chantier, puis se sont poursuivis sur la seconde partie entre mi-janvier 2000 et mi-février 2000. Le gros œuvre – comprenant la phase de bétonnage – s’est déroulé de la même façon, soit une phase s’étendant d’octobre 1999 à mars 2000, et une seconde phase de février 2000 à août 2000. Il a ensuite été procédé de manière identique pour le solde des travaux (second œuvre, aménagements extérieurs), étant précisé que les bâtiments les plus proches de l’immeuble faisaient partie de la seconde phase du chantier. Ce témoin a représenté sur un plan le cheminement d’accès et de sortie des camions, entre le bâtiment D3 et l’immeuble habité par la partie appelante. Selon le témoin n12, il pouvait passer à cet endroit jusqu’à vingt-cinq camions, selon les jours.  
Pendant les terrassements, plusieurs camions se présentaient sur le chantier avant même l’ouverture de celui-ci (7 h. en été et 8 h en hiver), en s’encolonnant sur le chemin de V. (cf. notamment, témoins n 6, n 12 et n 15). Durant la période de bétonnage, il a été imposé de faire amener le béton par camions-toupies, afin d’éviter les nuisances liées au fonctionnement, sur place, d’une centrale à béton. Compte tenu de l’ampleur du chantier, il a dû être fait appel à un grand nombre de véhicules transporteurs de béton (témoins n 10 et 11). Ces camions malaxeurs ne devaient cependant pas attendre, en file, sur le chemin de V. (témoin n 12). Les aménagements extérieurs ont également donné lieu à des nuisances sonores, au moment du sciage et de la pose des pavés, ce travail ayant duré environ un mois, pendant l’été 2001 (témoins ns 14 et 15).  
S’agissant des nuisances ressenties par les locataires de l’immeuble, les témoins entendus par le Tribunal ont fait état des « bruits incessants » et de « la poussière » provenant du chantier, au point que les portes du balcon restaient fermées (témoin n 4). Il n’était pas possible d’avoir une conversation normale avec les fenêtres ouvertes (témoin n 5). Les espaces extérieurs, comme le jardin (témoin n5) ou les balcons (témoin n 6), étaient difficilement utilisables durant la journée. Les projecteurs d’éclairage sont parfois restés allumés pendant la nuit (témoin n 6).

4.2 Compte tenu de ces éléments, il faut admettre que les premiers juges ont à juste titre fixé un taux de réduction valable pour toute la période du chantier. Même si certaines phases ont pu être plus incommodantes que d’autres, les nuisances ont été en grande partie dues aux allées et venues des camions, qui passaient à peu de distance de l’immeuble (vraisemblablement, à environ 20-25 mètres de la façade). Il en est à l’évidence résulté du bruit, de la poussière et des trépidations, subis de façon plus intensive par les habitants du bâtiment le plus proche, dont fait partie l’appelante, mais dont l’ampleur est demeurée relativement constante, en dépit de certaines variations d’intensité dans le chantier lui-même.      
Dans la mesure où, à l’ordinaire, l’environnement de l’immeuble objet du bail est relativement calme, à l’écart des principaux axes routiers, il convient d’admettre que l’entrave subie dans l’utilisation normale des logements a été d’une certaine ampleur. La bailleresse fait, sur ce point, fausse route en invoquant un arrêt de la Cour de céans selon lequel la construction d’un nouveau bâtiment sur une parcelle voisine ne justifiait pas, en milieu urbain et en l’absence de circonstances particulières, de réduction de loyer. Dans l’arrêt cité (publié in CdB 2/03 p. 54 ss.), la Cour avait considéré que le chantier litigieux, conduit « en milieu urbain », avait été « ordinaire », n’engendrant pas de « nuisances spéciales », hormis des « entraves mineures inhérentes à la vie quotidienne » en ville (cf. CdB 2/03 p. 57, en bas). Il s’agissait donc d’un contexte sensiblement différent de celui d’espèce, qui concerne un chantier de « grande ampleur » entraînant des nuisances supérieures à la moyenne, comme l’ont relevé les premiers juges (cf. consid. 3c ci-dessus).  
En comparaison des arrêts cités plus haut, la réduction consentie par les premiers juges paraît ainsi insuffisante, dès lors notamment qu’elle se situe en bas de la fourchette usuellement admise dans des cas similaires. Un taux de réduction supérieur à 25% semble en revanche excessif, puisque les inconvénients subis par la partie appelante sont, objectivement, moins importants que ceux ressentis par le locataire de locaux situés dans un immeuble faisant lui-même l’objet de travaux ou dont les locaux loués seraient devenus en partie inaccessibles ou inutilisables. En outre, la situation est ici différente du cas du cabinet d’ophtalmologie, pour lequel la poussière et les trépidations constituent une entrave majeure à l’usage convenu. Il convient également de tenir compte du fait que les nuisances ont été quelque peu réduites grâce aux mesures mises en place par la bailleresse. Tout bien considéré, il convient d’arrêter, en équité, ce taux à 15%, sur l’ensemble de la durée du chantier, étant rappelé qu’il ne peut s’agir ici que d’une moyenne, les périodes objectivement plus pénibles étant compensées par des phases plus calmes.

Decisione

41/2 - Défaut de la chose louée – réduction de loyer

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