Bail à ferme agricole – résiliation annulable – abus de droit

base giuridica

Nome del giudice

Cour d’appel civile du Tribunal du canton de Neuchâtel (CACIV.2020.9/lbb)

Data

05.12.2020

Sommario

L’article 2 alinéa 2 CC (abus de droit) est englobé dans l’application de l’article 271 CO (résiliation annulable). Par contre, dès le moment où l’article 271 CO ne s’applique plus, ce qui est le cas en l’espèce car l’article 271 CO est une norme de protection en matière de baux commerciaux qui ne s’applique pas à un contrat de bail à ferme agricole, il n’y a pas de raison pour que l’application de l’article 2 alinéa 2 CC soit écartée. Au contraire, il s’agit du dernier filet de sécurité légal permettant à celui qui a été victime d’une injustice manifeste de ne pas en subir les conséquences.

Esposizione dei fatti

Les parties sont liées par un contrat de bail à ferme agricole depuis l’automne 2007 pour l’exploitation d’une parcelle sise à Auvernier.
Par la suite, les bailleresses ont envisagé de vendre la parcelle à l’exploitant. Elles ont cependant décidé de céder cette parcelle à un tiers. La commission foncière agricole a autorisé ce tiers à acquérir ladite parcelle. L’exploitant ne s’est pas opposé à cette décision mais a déclaré qu’il entendait exercer son droit de préemption légal. Les bailleresses ont alors résilié le bail à ferme. Le 8 janvier 2018, l’exploitant a déposé une requête auprès du Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers qui portait notamment la conclusion suivante : déclarer nulle la résiliation du contrat de bail à ferme agricole du 19 novembre 2015 pour le terme d’automne 2022, subsidiairement accorder une prolongation de bail de six ans.
Le 11 décembre 2019, le Tribunal civil a rendu un jugement constatant la nullité de la résiliation du contrat de bail à ferme agricole. A l’appui de son dispositif, le Tribunal civil a exposé que l’art. 271 CO « annulabilité de congé » n’était pas applicable aux contrats de bail à ferme agricole. Cependant, il y avait une place pour l’application autonome de l’art. 2 al. 2 CC « abus de droit ».
Le 27 janvier 2020, les bailleresses ont fait appel de ce jugement, considérant que la question de savoir si l’art. 2 al. 2 CC peut faire échec à la volonté du législateur de ne pas faire de la motivation une condition de validité du congé – qui serait nul puisque l’annulabilité n’existe pas dans la LBFA – doit être résolue par la négative.

Considerazioni

2. L’hoirie considère tout d’abord que le Tribunal civil a violé le droit en retenant que l’article 2 al. 2 CC permettait d’appliquer, de manière autonome, les motifs de l’article 271 CO à un contrat de bail à ferme agricole. Selon l’hoirie, si le congé respecte les conditions de validité légales, seule une prolongation de bail peut éventuellement entrer en ligne de compte. Les motifs de la résiliation n’ont jamais à être examinés sauf pour en tenir compte dans le cadre d’une prolongation de bail.

a) En vertu de l’article 2 CC, « [c]hacun est tenu d’exercer ses droits et d’exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi » (al. 1). L’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé par la loi (al. 2).
La loi ne définit pas la notion d’abus de droit, mais se contente d’en énoncer la sanction, qui intervient par le refus de la protection légale. Selon le Tribunal fédéral, « la règle prohibant l’abus de droit permet au juge de corriger les effets de la loi dans certains cas où l’exercice d’un droit allégué créerait une injustice manifeste » (ATF 135 III 163, cons. 3.3.1). Toujours d’après le Tribunal fédéral, « ce que l’article 2 CC exprime, c’est un principe de portée tout à fait générale, un guide pour l’application de la loi, une limite à l’exercice de n’importe quel droit ; c’est donc une règle fondamentale issue de considérations d’ordre éthique et qui s’ajoute aux règles relatives aux différents rapports de droit particuliers pour les compléter et contribuer à leur application » (ATF 83 II 345, cons. 2, traduit au JT 1958 I 194). Les cas typiques d’abus de droit revêtent les formes suivantes : l’absence d’intérêt à l’exercice d’un droit, l’utilisation d’une institution juridique contrairement à son but, la disproportion grossière des intérêts en présence et le résultat manifestement contraire à l’équité, l’exercice d’un droit sans ménagement, l’attitude contradictoire (venire contra factum proprium). L’interdiction de l’abus de droit est valable pour l’ensemble de l’ordre juridique et les règles de la bonne foi limitent l’exercice de tous les droits. Les normes relatives à l’interdiction de l’abus de droit ont une importance telle qu’elles font partie de l’ordre public suisse positif (Saviaux, Baux de courte durée et contestation du loyer initial in : PJA 2010 p. 289 ss, titre n° 5, let. a et les nombreuses références citées). Le Tribunal fédéral opère une approche casuistique en rappelant que l’article 2 CC « ne vise pas à écarter d’une manière toute générale, pour certaines catégories de cas, l’application des règles du droit civil, mais permet au juge de tenir compte de particularités propres au cas d’espèce, lorsque, en raison des circonstances de l’espèce, l’application normale de la loi ne se concilie exceptionnellement pas avec les règles de la bonne foi » (Mihaela Amoos, La théorie de l’abus de droit en relation avec les droits absolus, thèse Lausanne, 2002, p. 44 et 211, cité par Saviaux, op. cit., p. 295) et que le juge, en matière d’abus de droit, « n’applique pas des règles rigides. Il statue en tenant compte de toutes les circonstances du cas particulier » (ATF 115 III 331, cons. 5a, traduit au JT 1991 I 150). Sous réserve de l’abus de droit (art. 2 al. 2 CC), la résiliation du bail à ferme agricole (art. 16 de la loi fédérale du 4 octobre 1985 sur le bail à ferme agricole) est entièrement libre (Benno Studer et al., Das Landwirtschaftliche Pachrecht, 2e éd., 2007, n° 375, p. 109). On soulignera que selon la lettre même de l’article 2 al. 2 CC, pour ne pas être protégé par la loi, l’abus de droit doit être manifeste (cf. aussi arrêt du TF du 29.08.2019 [4A_396/2018] cons. 4.2.2).

b) Conformément à ce qui précède, on doit retenir que l’abus de droit est un principe juridique de portée générale, trouvant application dans toutes les causes à juger. Il est vrai que le cas qui nous occupe est singulier en ce sens que l’article 271 CO – qui ne s’applique pas au bail à ferme agricole selon la volonté du législateur – se confond pour ainsi dire avec l’article 2 al. 2 CC, à tel point que le Tribunal fédéral a jugé qu’en matière d’annulabilité du congé, il n’y avait pas de place pour une application autonome de l’article 2 al. 2 CC (ATF 133 III 175). Ce raisonnement est cependant cohérent puisque l’application de l’article 271 CO est moins restrictive que celle de l’article 2 al. 2 CC. En effet, l’article 271 CO trouve application même si l’attitude de la partie donnant congé à l’autre ne constitue pas un abus de droit « manifeste » au sens de l’article 2 al. 2 CC (ATF 136 III 190 cons. 2). L’article 2 al. 2 CC est ainsi englobé dans l’application de l’article 271 CO. Par contre, dès le moment où l’article 271 CO ne s’applique plus, ce qui est le cas en l’espèce, puisque nous avons affaire à un bail à ferme agricole et que la LBFA ne contient pas de disposition analogue, il n’y a pas de raison que l’application de l’article 2 al. 2 CC soit écartée. Au contraire, il s’agit du dernier « filet de sécurité » légal permettant à celui qui a été victime d’une injustice manifeste de ne pas en subir les conséquences. Le grief des appelantes doit dès lors être rejeté.

Decisione

61/8 - Bail à ferme agricole – résiliation annulable – abus de droit

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