Annulabilité du congé du locataire en demeure pour abus de droit

base giuridica

Nome del giudice

Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève

Data

11.04.2005

Sommario

Le juge ne peut annuler le congé du locataire en demeure selon l’art. 257 d CO que si celui-ci est inadmissible au regard de la jurisprudence relative à l’abus de droit. Tel est le cas lorsque le bailleur a notifié au locataire qu’il devait payer le loyer par trimestre d’avance, tout en lui fournissant des bulletins de versement pré imprimés mensuels et que le loyer mensuel est payé régulièrement avec quelques jours de retard.

Esposizione dei fatti

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer débutant le 1er novembre 1997 portant sur un studio à G.
La bailleresse a adressé à la locataire une mise en demeure le 22 octobre 2003 afin qu'elle régularise ses arriérés de loyer et de charges. La locataire ne s'étant pas mise à jour dans le délai imparti, la bailleresse a exigé que le loyer et les frais accessoires soient dorénavant payés par trimestre et d'avance.
Par courrier du 5 janvier 2004, la bailleresse a mis en demeure la locataire de payer les loyers de janvier à mars 2004 dans les trente jours, sans quoi le bail serait résilié selon l'art. 257 d CO . La locataire a versé le loyer de janvier le 8 janvier 2004 et s'est acquitté des loyers suivants les 21 février et 5 mars 2004, sur des bulletins de versement préimprimés mentionnant le loyer mensuel de fr. 635.-.
Considérant que la somme due n'avait pas été intégralement réglée dans le délai im¬parti, la bailleresse a résilié le bail pour le 31 mars 2004.
Par requête déposée le 6 avril 2004 à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, la bailleresse a sollicité l'évacuation de la locataire. La conciliation ayant échoué, la cause a été portée devant le Tribunal des baux.
A l'audience du 5 octobre 2004, la bailleresse a précisé qu'au jour de l'audience le loyer était à jour. Elle a toutefois maintenu sa demande. Par jugement du 26 octobre 2004, le Tribunal a débouté la bailleresse de son action en évacuation ; la bailleresse a interjeté appel de ce jugement.

Considerazioni

4.1. A côté d'une liste d'exemples où une résiliation émanant du bailleur est annulable (art. 271 a al. 1 CO), la loi prévoit, de manière générale, que le congé, donné par l'une ou l'autre partie, est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO).
Selon la jurisprudence, la protection accordée par l'art. 271 al. 1 CO procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC), tant il est vrai qu'une distinction rigoureuse ne se justifie pas en cette matière (cf. ATF 120 II 31 consid. 4a, 105 consid. 3 p. 108).
Les cas typiques d'abus de droit (absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, utilisation d'une institution juridique contrairement à son but, disproportion grossière des intérêts en présence, exercice d'un droit sans ménagement, attitude contradictoire) justifient l'annulation du congé; à cet égard, il n'est toutefois pas nécessaire que l'attitude de l'auteur du congé puisse être qualifiée d'abus de droit « manifeste » au sens de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 120 II 105 consid. 3 p. 108). Ainsi, le congé doit être considéré comme abusif s'il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection (arrêt 4C.267/2002 du 18 novembre 2002, consid. 2.2; arrêt 4C.305/1995 du 15 février 1996, consid. 4a). Est abusif le congé purement chicanier dont le motif n'est manifestement qu'un prétexte (ATF 120 II 31 consid. 4a p. 32). En revanche, le congé donné par le bailleur en vue d'obtenir d'un nouveau locataire un loyer plus élevé, mais non abusif, ne saurait, en règle générale, constituer un abus de droit (ATF 120 II 105 consid. 3b).
L'art. 271 al. 1 CO s'applique également lorsque la résiliation du bail a pour cause la demeure du locataire au sens de l'art. 257d CO. Le droit du bailleur de résilier le bail s'oppose alors à celui du locataire d'être protégé contre une résiliation abusive. Le juge ne peut annuler le congé litigieux que si celui-ci est inadmissible au regard de la jurisprudence relative à l'abus de droit et à la bonne foi; il faut des circonstances particulières pour que le congé soit annulé (ATF 120 II 31 consid. 4a p. 33). Tel sera le cas, par exemple, lorsque le bailleur, lors de la fixation du délai comminatoire, réclame au locataire une somme largement supérieure à celle en souffrance, sans être certain du montant effectivement dû (ATF 120 II 31 consid. 4b p. 33/34). Le congé sera également tenu pour contraire aux règles de la bonne foi si le montant impayé est insignifiant (ATF 120 II 31 consid. 4b p. 33), si l'arriéré a été réglé très peu de temps après l'expiration du délai alors que le locataire s'était jusqu'ici toujours acquitté à temps du loyer ou si le bailleur résilie le contrat longtemps après l'expiration du délai comminatoire (LACHAT, Le bail à loyer, p. 213; WESSNER, L'obligation du locataire de payer le loyer et les frais accessoires, in 9ème Séminaire sur le droit du bail, Neuchâtel 1996, p. 24).

4.2 En l'espèce, la locataire a certes toujours accusé un léger retard dans ses paiements et entraîné la bailleresse dans des frais de rappels (couverts par la locataire). C'est pour cette raison d'ailleurs que des versements trimestriels ont été exigés. La Cour relève toutefois, au vu des pièces déposées par l'intimée, que cette dernière a continué à s'acquitter des loyers dus mensuellement après la notification des nouvelles exigences de l'appelante au moyen des bulletins de versement de la SI, qui faisaient toujours mention du loyer mensuel de 635.00, montant préimprimé sur lesdits bulletins. La procédure n'établit pas que la régie aurait remis à sa locataire de nouveaux bulletins de versement préimprimés mentionnant les sommes dues trimestriellement. En agissant ainsi, elle a laissé perdurer une confusion dans l'esprit d'une personne dont il n'est pas allégué qu'elle serait rompue aux affaires. Il était donc normal qu'elle continuât de s'acquitter des montants dus sur les seuls bulletins qui étaient en sa possession, mensuellement et non trimestriellement. Il sied de remarquer au surplus que l'intimée s'est rendue à la caisse de la régie le 8 janvier 2004 pour s'acquitter du loyer de janvier 2004 immédiatement après l'envoi de la mise en demeure du 5 janvier 2004, régularisant ainsi les paiements mensuels. A cette occasion, il n'est pas allégué que son attention aurait été attirée sur ses nouvelles obligations ou que des nouveaux bulletins de versement ad hoc lui auraient été remis.
Ces circonstances démontrent que l'appelante use en l'occurrence d'une procédure qu'elle n'a pas assumée intégralement, au détriment de l'intimée qui n'a jamais accusé plus de quelques jours de retard en plusieurs années de relations contractuelles. L'appelante n'invoquant pas d'autre argument pour solliciter son évacuation, il y a lieu de considérer celle-ci comme abusive. Le jugement querellé sera par conséquent confirmé, par substitution de motifs.

Decisione

40/4 - Annulabilité du congé du locataire en demeure pour abus de droit

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