Arrêt de la chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève
18.06.2012
Le propriétaire ne peut s’estimer légitimé à réduire ses obligations vis-à-vis de son locataire de par l’autorisation administrative d’entreprendre divers ouvrages; dite autorisation précise d’ailleurs que les droits des tiers sont réservés, notamment les droits découlant pour le locataire des bénéfices d’un contrat de bail en contrepartie d’un paiement du loyer convenu.
3. L’art. 261 al. 1 CPC pose le principe que le Tribunal ordonne les
mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend
vraisemblable qu’une prétention dont il est titulaire remplit les
conditions suivantes :
a) elle est l’objet d’une atteinte ou risque de l’être ;
b) cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable.
Le
Tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou
à faire cesser le préjudice, notamment les mesures suivantes :
- une interdiction,
- l’ordre de cessation d’un état de fait illicite
(art. 262 let. a et b CPC).
En
l’espèce, le locataire a requis la condamnation de la bailleresse à
faire procéder au retrait immédiat des panneaux de bois qu’elle a érigés
contre l’établissement public LF, sous menace des peines de l’art. 292
CPS ou, en cas de carence de la bailleresse, à ce qu’il soit lui-même
autorisé à enlever les panneaux ou à mandater une entreprise à cet
effet.
Les photographies versées à la procédure démontrent nettement
que les panneaux placés par la bailleresse occultent complètement les
vitrages de l’établissement public, hormis la porte d’entrée. Il est
donc indubitable que le requérant est l’objet d’une atteinte dûment
avérée, car l’établissement public qu’il loue est privé des importants
jours dont il disposait.
La seconde condition, nécessaire à
l’admission de la mesure provisionnelle, réside dans le fait que
l’atteinte risque de causer un préjudice difficilement réparable. Selon
une partie de la doctrine, le risque de préjudice difficilement
réparable suppose l’urgence (François BOHNET, Code de procédure civile
commenté, Bâle 2011, no 12, p. 1020). En dépit de la contestation de la
bailleresse, il ne fait aucun doute qu’un établissement public ne peut
fonctionner normalement avec des fenêtres obturées par des planches et
la difficulté extrême d’une exploitation dans de telles conditions
s’avère incontestable ; on imagine mal que la clientèle s’accommode et
soit encline à fréquenter un établissement public, dépourvu de jour ;
les dénégations de la bailleresse à cet égard ne sont pas fondées.
Dans
le cas d’espèce, il faut encore rappeler que cette dernière ne respecte
pas les principes posés à l’art. 260 CO qui n’autorise le bailleur à
rénover ou modifier la chose louée que si les travaux peuvent
raisonnablement être imposés au locataire et que le bail n’a pas été
résilié. Il est évident que cette première condition n’est pas
respectée, alors qu’il est permis d’apprécier que l’occultation de
toutes les baies vitrées de l’établissement public, à l’exception de la
porte d’entrée, ne peut raisonnablement être imposée au locataire, en ce
sens que la violation de cette obligation légale à charge du bailleur
entraîne un dommage dans le patrimoine du cocontractant, soit
l’obligation de continuer à payer le loyer, alors que la chose louée
subit une diminution de jouissance considérable, soit contraindre le
locataire à ouvrir une procédure en consignation des loyers, de même que
le préjudice économique qui découle d’une exploitation extrêmement
réduite des locaux loués. Il est en effet indubitable que l’installation
des panneaux de bois contre les vitrages du restaurant donne
immanquablement l’impression aux passants que les locaux sont hors de
fonctionnement.
L’appelante ne peut s’estimer légitimée à réduire ses
obligations de bailleresse vis-à-vis de son locataire de par
l’autorisation administrative d’entreprendre divers ouvrages, dont
l’agrandissement du restaurant ; cette autorisation précise que les
droits des tiers sont réservés, en l’occurrence les droits découlant
pour l’intimé des bénéfices du contrat de bail en contrepartie d’un
paiement du loyer contractuellement convenu. Aucun élément du dossier ne
justifie que l’intimé soit réduit dans la jouissance de la chose louée
et la bailleresse ne saurait l’en empêcher par l’installation des
panneaux litigieux.
4. Au surplus, il incombe à cette dernière de faire en sorte que les
travaux qu’elle a décidé d’entreprendre ne soient pas source de dangers
pour les voisins immédiats, à l’instar de ses locataires, pour lesquels
elle doit respecter notamment les principes posés à l’art. 260 CO dont
le second alinéa prescrit, en matière de rénovation ou de modification
de la chose louée, que le bailleur doit tenir compte des intérêts du
locataire.
Quant aux dommages dont la bailleresse fait état
consécutivement à l’enlèvement des panneaux de sécurité, il est patent
qu’elle en est le seul auteur et responsable, ayant ignoré qu’elle doit
tenir compte des intérêts de son locataire, conformément aux engagements
du contrat de bail. Ses conclusions, tendant à ce qu’il soit fait
interdiction de porter atteinte à sa propriété par l’enlèvement desdits
panneaux, sont extérieures à la demande en mesures provisionnelles
querellée ; elles seront donc rejetées, d’autant qu’elles n’ont pas été
soumises aux premiers juges.