Travaux de rénovation du propriétaire

Base légale

Nom du tribunal

Arrêt de la chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève

Date

18.06.2012

Résumé

Le propriétaire ne peut s’estimer légitimé à réduire ses obligations vis-à-vis de son locataire de par l’autorisation administrative d’entreprendre divers ouvrages; dite autorisation précise d’ailleurs que les droits des tiers sont réservés, notamment les droits découlant pour le locataire des bénéfices d’un contrat de bail en contrepartie d’un paiement du loyer convenu.

Exposé des faits

Parties sont liées par un contrat de bail à loyer portant sur la location d’une arcade destinée à l’exploitation d’un café-restaurant à Genève.
Le bail a été résilié le 23 août 2010 ; une procédure en contestation du congé est pendante devant le Tribunal des baux et loyers. Par décision du 9 août 2011, le Département des constructions a autorisé le propriétaire à agrandir le restaurant, visant une autorisation d’abattage d’arbres délivrée le même jour, les droits des tiers étant réservés. La bailleresse a fait poser des panneaux de sécurité contre les vitrages du restaurant, sauf sur la porte d’entrée, en raison des travaux d’abattage d’arbres qu’elle entreprenait à proximité.
Par requête de mesures provisionnelles du 9 janvier 2012, le locataire a requis le retrait immédiat des panneaux de bois dirigés contre le restaurant, exposant que l’exploitation du restaurant étant devenue impossible, le restaurant paraissant fermé et la lumière du jour n’y pénétrant plus.
Le Tribunal des baux et loyers a rendu le 17 janvier 2012 une ordonnance condamnant la bailleresse à retirer les panneaux entourant le restaurant. La bailleresse a interjeté appel contre dite ordonnance en temps utile.

Considérations

3. L’art. 261 al. 1 CPC pose le principe que le Tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu’une prétention dont il est titulaire remplit les conditions suivantes :
a) elle est l’objet d’une atteinte ou risque de l’être ;
b) cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable.
Le Tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment les mesures suivantes :
- une interdiction,
- l’ordre de cessation d’un état de fait illicite
(art. 262 let. a et b CPC).
En l’espèce, le locataire a requis la condamnation de la bailleresse à faire procéder au retrait immédiat des panneaux de bois qu’elle a érigés contre l’établissement public LF, sous menace des peines de l’art. 292 CPS ou, en cas de carence de la bailleresse, à ce qu’il soit lui-même autorisé à enlever les panneaux ou à mandater une entreprise à cet effet.
Les photographies versées à la procédure démontrent nettement que les panneaux placés par la bailleresse occultent complètement les vitrages de l’établissement public, hormis la porte d’entrée. Il est donc indubitable que le requérant est l’objet d’une atteinte dûment avérée, car l’établissement public qu’il loue est privé des importants jours dont il disposait.
La seconde condition, nécessaire à l’admission de la mesure provisionnelle, réside dans le fait que l’atteinte risque de causer un préjudice difficilement réparable. Selon une partie de la doctrine, le risque de préjudice difficilement réparable suppose l’urgence (François BOHNET, Code de procédure civile commenté, Bâle 2011, no 12, p. 1020). En dépit de la contestation de la bailleresse, il ne fait aucun doute qu’un établissement public ne peut fonctionner normalement avec des fenêtres obturées par des planches et la difficulté extrême d’une exploitation dans de telles conditions s’avère incontestable ; on imagine mal que la clientèle s’accommode et soit encline à fréquenter un établissement public, dépourvu de jour ; les dénégations de la bailleresse à cet égard ne sont pas fondées.
Dans le cas d’espèce, il faut encore rappeler que cette dernière ne respecte pas les principes posés à l’art. 260 CO qui n’autorise le bailleur à rénover ou modifier la chose louée que si les travaux peuvent raisonnablement être imposés au locataire et que le bail n’a pas été résilié. Il est évident que cette première condition n’est pas respectée, alors qu’il est permis d’apprécier que l’occultation de toutes les baies vitrées de l’établissement public, à l’exception de la porte d’entrée, ne peut raisonnablement être imposée au locataire, en ce sens que la violation de cette obligation légale à charge du bailleur entraîne un dommage dans le patrimoine du cocontractant, soit l’obligation de continuer à payer le loyer, alors que la chose louée subit une diminution de jouissance considérable, soit contraindre le locataire à ouvrir une procédure en consignation des loyers, de même que le préjudice économique qui découle d’une exploitation extrêmement réduite des locaux loués. Il est en effet indubitable que l’installation des panneaux de bois contre les vitrages du restaurant donne immanquablement l’impression aux passants que les locaux sont hors de fonctionnement.
L’appelante ne peut s’estimer légitimée à réduire ses obligations de bailleresse vis-à-vis de son locataire de par l’autorisation administrative d’entreprendre divers ouvrages, dont l’agrandissement du restaurant ; cette autorisation précise que les droits des tiers sont réservés, en l’occurrence les droits découlant pour l’intimé des bénéfices du contrat de bail en contrepartie d’un paiement du loyer contractuellement convenu. Aucun élément du dossier ne justifie que l’intimé soit réduit dans la jouissance de la chose louée et la bailleresse ne saurait l’en empêcher par l’installation des panneaux litigieux.

4. Au surplus, il incombe à cette dernière de faire en sorte que les travaux qu’elle a décidé d’entreprendre ne soient pas source de dangers pour les voisins immédiats, à l’instar de ses locataires, pour lesquels elle doit respecter notamment les principes posés à l’art. 260 CO dont le second alinéa prescrit, en matière de rénovation ou de modification de la chose louée, que le bailleur doit tenir compte des intérêts du locataire.
Quant aux dommages dont la bailleresse fait état consécutivement à l’enlèvement des panneaux de sécurité, il est patent qu’elle en est le seul auteur et responsable, ayant ignoré qu’elle doit tenir compte des intérêts de son locataire, conformément aux engagements du contrat de bail. Ses conclusions, tendant à ce qu’il soit fait interdiction de porter atteinte à sa propriété par l’enlèvement desdits panneaux, sont extérieures à la demande en mesures provisionnelles querellée ; elles seront donc rejetées, d’autant qu’elles n’ont pas été soumises aux premiers juges.

Décision

53/1 - Travaux de rénovation du propriétaire

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