Transfert de bail

Base légale

Nom du tribunal

Cour de justice du canton de Genève, Chambre des baux et loyers

Date

16.01.2017

Résumé

Un prix de vente excessif, vu l'absence d'exploitation depuis plusieurs mois, peut être considéré comme un pas-de-porte, ce qui justifie le refus de l'accord au transfert. En outre, la solvabilité des repreneurs demeure incertaine, si bien qu'un prix de vente est propre à compromettre la réussite de la société, financièrement vulnérable parce qu'en cours de constitution. Ce risque est d'autant plus important que les repreneurs auraient d'emblée dû débourser un montant considérable pour reprendre le fonds de commerce de l'établissement.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer portant sur la location d'une arcade de 54 m2 sise rue Michel-Chauvet à Genève, destinée à l'usage d'un restaurant de cuisine traditionnelle française.
En 2015, une locataire de l'immeuble dont l'appartement se situe juste au-dessus de l'arcade s'est plainte à plusieurs reprises des locataires de l'établissement (diffusion de musique à un haut niveau sonore, odeurs de nourriture, etc.). En parallèle, cette locataire s'est plainte auprès de la bailleresse. Il s'en est suivi une résiliation de bail, contestée devant le Tribunal qui a déclaré inefficace le congé, jugement confirmé par arrêt de la Cour de justice du 18 mars 2013. En cours de procédure, le Service de l'environnement des entreprises a rendu une décision le 15 novembre ordonnant aux locataires de procéder à l'assainissement phonique de l'établissement.
Le 23 février 2012, toujours en cours de procédure de contestation de congé, les locataires ont proposé à la bailleresse le transfert du bail, en lui présentant trois candidats à une reprise éventuelle. Tous trois ont été refusés par la bailleresse. Les locataires ont décidé de leur plein gré de restituer les locaux au 30 juin 2014.
Par requête du 18 décembre 2014 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, puis portée devant le Tribunal des baux et loyers le 5 mars 2015, les locataires ont conclu à ce que le Tribunal constate l'illicéité du/des refus du transfert de bail, condamne la bailleresse à leur verser la somme de fr. 210'779.- avec intérêts à 5% dès le 1er août 2012.
Par jugement du 9 décembre 2015, le Tribunal des baux et loyers a débouté les locataires de leur demande en paiement. Ceux-ci ont interjeté appel du jugement en temps utile.

Considérations

2.1. Le locataire d'un local commercial peut transférer son bail à un tiers avec le consentement écrit du bailleur. Le bailleur ne peut refuser son consentement que pour de justes motifs (art. 263 al. 1 et 2 CO). Lorsque les conditions légales sont remplies, le bailleur ne peut pas s'opposer au transfert du bail commercial. L'article 263 CO instaure ainsi une obligation pour le bailleur de conclure un contrat avec le bénéficiaire du transfert (LACHAT, Le bail à loyer, p. 583). Cependant, toutes les circonstances objectives et subjectives qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'imposer au bailleur une relation contractuelle avec le bénéficiaire du transfert doivent être considérées comme de justes motifs : insolvabilité du bénéficiaire du transfert, prix de la remise de commerce exagéré et compromettant la solvabilité du bénéficiaire du transfert, incapacité professionnelle ou moralité douteuse du bénéficiaire, bail conclu intuitu personae, projet de modification importante de la destination des locaux. Ne constituent pas de justes motifs la proximité de l'échéance du bail ou le fait que celui-ci est en phase de prolongation judiciaire (LACHAT, n. 6, ad art. 263 CO).
La notion de justes motifs est plus large que celle des "inconvénients majeurs" permettant au bailleur de s'opposer à la sous-location (art. 262 al. 2 let. c CO) : les Chambres ont modifié le projet du Conseil fédéral, qui évoquait des "inconvénients considérables" (FF 1985 I p. 1425), pour rétablir le concept de "justes motifs" (BARBEY, Le transfert du bail commercial, SJ 1992 p. 33 ss, not. p. 52/53 n. 38; BO CE 1988 p. 158 cité par LACHAT, Le bail à loyer, 2008, ch. 23 n. 3.3.7, note 134). Le transfert de bail a en effet pour conséquence d'imposer au bailleur un partenaire contractuel qu'il n'a pas choisi alors même que le locataire cédant sera à terme (art. 263 al. 4 CO) libéré de ses obligations envers le bailleur (JACQUEMOUD-ROSSARI, Le transfert du bail commercial., 8ème séminaire Neuchâtel 1994, p. 12). Il y a de justes motifs dès qu'il y a un risque de détérioration de la situation du bailleur (LACHAT, op. cit., ch. 23 n. 3.3.7). Pour déterminer s'il y a justes motifs, il convient généralement de faire appel aux mêmes critères que ceux qui permettent de déterminer si un locataire de remplacement peut raisonnablement être refusé au sens de l'art. 264 CO.
Le bailleur peut notamment refuser son consentement lorsque le montant de la remise du commerce est exagéré et aurait pour conséquence de compromettre la solvabilité du bénéficiaire du transfert (ZMP 1998 n. 6, consid. 3.5.b et 7, et 7) ou si le transfert est lié à une opération de pas-de-porte abusive (WEBER, Commentaire bâlois, 4ème éd., 2007, n. 5 ad art. 263 CO).
Selon certains auteurs, le bailleur peut également refuser son consentement si le bail est proche de son terme (BARBEY, op. cit., p. 56) ou bien s'il a déjà été résilié et prolongé judiciairement (H1G1, Commentaire zurichois, n. 19 art. 263 CO; GIGER, Die Erstreckung des Mietverhältnisses, Zurich, 1995, p. 142-143).
Pour d'autres, le fait que le bail soit proche de son terme ou qu'il ait été résilié ne constitue pas de justes motifs au sens de l'art. 263 CO. Le bénéficiaire se trouve en effet dans la même situation que le transférant et doit donc libérer les locaux à la date résultant du congé ou de la prolongation judiciaire du bail (LACHAT, op. cit., p. 587; JACQUEMOUD-ROSSARI, Le transfert du bail commercial, in 8eme Séminaire sur le droit du bail, Neuchâtel 1994, p. 13-14).
La question se résout de cas en cas, au regard de l'ensemble des circonstances, les motifs peuvent porter, par exemple, sur la personne du reprenant, comme sa solvabilité ou celle du bailleur, mais également sur des éléments relatifs au bail lui-même et à son affectation. Ainsi, la notion de juste motifs recouvre aussi bien des motifs objectifs ayant trait au bail que des raisons liées aux personnes (Cpra Bail-BISE/PLANAS, art. 263 n. 45; ATF 119 II 36 consid. 3d).
Le bailleur peut ainsi refuser un transfert lorsque le candidat ne dispose pas des autorisations officielles nécessaires à l'activité commerciale déployée dans les locaux, lorsque le montant du loyer est trop élevé pour qu'il puisse raisonnablement l'honorer ou que son insolvabilité est prouvée, lorsque le candidat est de moralité douteuse, lorsqu'il entend déployer une activité illicite ou immorale dans les locaux ou n'entend pas utiliser les locaux conformément à l'affectation prévue dans le bail, etc. (BOHNET/MONTINI, Droit du bail à loyer, n. 44, 50 ss ad art. 263 CO; LACHAT, op. cit., p. 586-587). Le bailleur peut demander au transférant de lui fournir les renseignements lui permettant de se prononcer en toute connaissance de cause. Il peut notamment exiger la production du contrat de remise de commerce. A cet égard, le bailleur ne pourra toutefois refuser son consentement que lorsque le montant de la remise de commerce est exagéré et aurait pour conséquence de compromettre la solvabilité du tiers (LACHAT, op.cit., p. 585; BOHNET/MONTINI, op. cit., n. 38 et 51 ad art. 263).
La solvabilité du candidat de remplacement, au sens de l'art. 264 CO - respectivement au sens de l'art. 263 CO par analogie (arrêt du Tribunal fédéral 4C.246/2003 du 30 janvier 2004 consid. 4) - est une notion, juridique propre au contrat de bail, qui doit être déterminée en fonction des circonstances du cas d'espèce et ne peut reposer sur des principes rigides. Elle ne peut notamment être interprétée uniquement au regard du droit des poursuites (Cpra Bail-BISE/PLANAS, art. 264 n. 43). Dans ce contexte, toutes les autres sources de revenus du candidat doivent être prises en considération, ceci quelle que soit leur origine. La personne qui a fait l'objet d'actes de défaut de biens n'est par définition pas solvable. Quant aux mentions dans le registre des poursuites, elles peuvent constituer un indice d'insolvabilité mais ne permettent pas d'écarter d'emblée, sans examen approfondi, un candidat. Il sied enfin de souligner que la condition de solvabilité du locataire implique non seulement le paiement de l'intégralité du loyer convenu, mais également son versement au terme légal stipulé. Du point de vue du bailleur, la ponctualité dans le versement du loyer constitue en effet un élément capital pour le choix d'un locataire, à plus forte raison d'ailleurs lorsqu'il doit se laisser imposer, indirectement en tout cas, quelqu'un qu'il n'a pas choisi (Cpra Bail-BISE/PLANAS, art. 264 n. 49) (Cahiers du bail, n. 3, septembre 2015, pp. 79 et 80).
Si le bailleur ne donne pas de réponse ou si, sans juste motif, il refuse son consentement, il appartient au locataire de saisir le juge en se plaignant du caractère injustifié du refus et pour lui demander d'autoriser le transfert et, s'il subit un préjudice, de condamner le bailleur à des dommages-intérêts découlant du préjudice né de l'annulation ou de la résolution du contrat de remise de commerce (art. 97 ss CO, ATF 125 III 229; SJ 1992, p. 57-58).
Il incombe au bailleur de prouver l'existence d'un juste motif de refus (ACJC/557/2010 du 17 mai 2010).
2.2 En l'espèce, les parties ont défini de manière exhaustive les justes motifs qui peuvent être invoqués par le bailleur dans ce cadre, et l'absence de contrat de remise de commerce n'y figure pas.
En effet, le contrat de bail relatif à la location des bureaux signé entre les parties prévoit à son art. 4 al. 4 que "le bailleur ne peut s'opposer au transfert que pour de justes motifs au sens de l'art 263 CO. Constituent notamment des justes motifs les cas suivants :
a) le bénéficiaire du transfert exerce un genre d'activité différent de celui du transférant et susceptible d'engendrer des nuisances accrues ou de créer une situation de concurrence directe avec un autre locataire de l'immeuble;
b) le bénéficiaire du transfert ne possède pas les capacités morales ou professionnelles nécessaires ou suffisantes à l'exploitation prévue;
c) le bénéficiaire du transfert ne possède pas les capacités financières lui permettant d'assumer les obligations découlant du [contrat de bail]
d) le montant du transfert est abusif, notamment lorsqu'il est fixé en fonction de la capitalisation de la différence existant entre le loyer du transférant et le loyer du marché pour un objet similaire ou si l'équipement ou les installations reprises le sont à un montant injustifié".
2.3 Le bailleur doit motiver son refus de consentir au transfert de bail (LACHAT, Le bail à loyer, p. 587).
L'art. 263 al. 1, 2, 3 et 4 1ère phrase CO est de droit absolument impératif. En conséquence, une clause interdisant le transfert de bail ou le limitant au-delà des justes motifs est nulle (LACHAT, op. cit., p. 591).
En cas de transfert de bail valable, le, locataire reprenant prend la place du locataire précédent dans le rapport contractuel (ATF 139 III 353 consid. 2.1.1; WEBER, in Basler Kommentar, Obligationenrecht, vol. I, 5ème éd. 2011, n. 6 ad art. 263 CO; HIGI, Zürcher Kommentar, 4ème éd. 1994, n. 44 ad art. 263 CO; LACHAT, op. cit., p. 588 ch. 3.4.1).

2.4 …
La troisième demande de transfert de bail a été refusée pour quatre motifs.
En premier lieu, la bailleresse a invoqué le fait que les repreneurs voulaient étendre les heures d'ouverture à 23 heures, alors que le contrat prévoyait expressément une fermeture à 22 heures. Par avenant du 23 janvier 2014, les repreneurs se sont toutefois engagés à respecter les horaires d'ouverture prévus dans le bail, de sorte que ce motif tombe à faux.
En deuxième lieu, la bailleresse a relevé que la solvabilité des repreneurs était insuffisante, dans la mesure où leurs revenus ne se situaient pas à des niveaux tels qu'il soit exclu qu'ils puissent être déclarés insaisissables au terme d'une procédure de saisie et dans la mesure où la solvabilité de la société P_____ ne pouvait être appréciée puisqu'elle était encore en cours de constitution. Afin de garantir le paiement, les repreneurs ont proposé l'ajout d'un troisième repreneur, solidaire avec les deux autres acquéreurs et la société. La bailleresse a derechef refusé le transfert au motif que le troisième repreneur potentiel ne serait pas une garantie suffisante en raison de son revenu mensuel de 5'600 fr. Le loyer s'élève à 1'773 fr. charges comprises, ce qui représente près de 32 % du revenu de 5'600 fr., proposé à titre de garantie. Trois mois de retard de loyer auraient ainsi absorbé 100% du revenu mensuel du garant, ce qui ne permet effectivement pas de considérer qu'il présentait une surface financière permettant de garantir les obligations découlant du bail. La société P_____ étant en cours de constitution, sa solvabilité ne peut être ni correctement appréciée, ni estimée, et reste incertaine. Dès lors, avec ces repreneurs, la bailleresse ne disposait objectivement pas des mêmes garanties financières qu'elle avait avec les appelants. Par conséquent, elle a refusé le transfert du bail pour de justes motifs et n'a pas violé l'art. 263 CO.
Troisièmement, la bailleresse a également reproché aux locataires le fait que le montant qu'ils sollicitaient pour la remise de leur fonds de commerce était excessif et susceptible de compromettre la solvabilité des repreneurs. Par avenant du 23 janvier 2014, le prix de vente a toutefois été diminué de 180'000 fr. à 110'000 fr. Malgré tout, la bailleresse a réitéré son refus, au motif que même abaissé à 110'000 fr. le prix de vente demeurait excessif vu l'absence d'exploitation depuis plusieurs mois. En d'autres termes, la propriétaire a considéré que ce prix constituait en réalité un pas-de-porte, ce, qui justifiait le refus de l'accord au transfert. En outre, la solvabilité des repreneurs demeure incertaine, si bien qu'un montant de 110’000 fr. est propre à compromettre la réussite de la société P_____, financièrement vulnérable parce qu'en cours de constitution. Ce risque est d'autant plus important que les repreneurs auraient d'emblée dû débourser un montant considérable pour reprendre le fonds de commerce de l'établissement. Ainsi, le fait pour les repreneurs de devoir débourser une somme importante pour la remise du fonds de commerce, alors que la viabilité du commerce n'est en rien avérée puisqu'aucune activité n'était plus déployée depuis des mois, constitue un élément supplémentaire de nature à fragiliser la stabilité financière d'une société naissante. La bailleresse se trouvait dès lors en droit de refuser le transfert du bail.
Finalement, la bailleresse a invoqué le fait que les repreneurs projetaient d'ouvrir un restaurant italien, en contradiction absolue avec la destination des locaux prévue par le contrat de bail. A ce propos, la Cour de justice, dans son arrêt du 18 mars 2013 opposant les mêmes parties, a relevé que l'activité des locataires consistant à proposer un concept de bar à vins, axé sur des charcuteries et « tapas » accompagnant des vins, servis néanmoins à table, en plus des repas cuisinés à midi et le soir, n'était pas essentiellement différente d'une cuisine traditionnelle, et ne pouvait être assimilée à une entorse aux règles contractuelles, « ce d'autant moins que la bailleresse avait antérieurement toléré des précédents locataires une restauration italienne, puis une crêperie avec les mêmes clauses de bail ». Partant, il ne s'agissait pas là d'un motif valable pour refuser le transfert de bail.
Par conséquent et au vu de ce qui précède, c'est à juste titre que la bailleresse a refusé la troisième demande de reprise de commerce, au motif que la solvabilité des repreneurs était insuffisante. Ainsi, l'art. 263 CO n'a pas été violé.

Décision

58/4 - Transfert de bail

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