Transaction judiciaire

Base légale

Nom du tribunal

Tribunal des baux du canton de Vaud

Date

10.04.2019

Résumé

La locataire prétend à tort qu’elle pouvait se départir de la convention en raison de l’inexécution par la partie adverse d’une partie de ses obligations. Or, l’exécution forcée éventuelle d’une transaction judiciaire doit s’effectuer comme celle d’un jugement, que ce soit dans le cadre de la LP ou selon les articles 335 ss CPC.

Exposé des faits

Les parties sont liées depuis le 1er novembre 2002 par un contrat de bail à loyer portant sur la location d’un appartement de 4 pièces d’un immeuble sis à St- Sulpice.
Un litige a opposé les parties en 2015 qui a donné lieu à une transaction passée devant le Tribunal des baux lors de l’audience du 1er octobre 2015, dans laquelle le bailleur s’engageait à effectuer certains travaux (clause II) et la locataire s’engageait notamment à renoncer à toute demande de baisse de loyer en raison de l’évolution du taux hypothécaire jusqu’à ce que le TIH soit une fois remonté au taux de 3.75 % (clause V). Depuis 2009, le taux d’intérêt hypothécaire est en constante baisse. Le 30 mai 2018, la locataire a sollicité une baisse du loyer de son appartement. Le 20 juin 2018, le bailleur a refusé ladite demande en invoquant la transaction passée le 1er octobre 2015.
La locataire a saisi l’autorité de conciliation du district de l’Ouest lausannois le 6 juillet 2018 par une requête intitulée « requête en baisse de loyer ». Elle exposait que le refus du bailleur fondé sur la clause V de la transaction du 1er octobre 2015 n’avait pas lieu d’être dès lors qu’il n’avait pas respecté la clause II de dite transaction, le libellé des deux engagements devant être considéré « comme gommé conventionnellement par les faits ».
Par jugement du 10 avril 2019, le Tribunal des baux a rejeté la demande de la locataire.

Considérations

I. a) La transaction judiciaire a les effets d’une décision entrée en force (art. 241 al. 2 CPC [Code de procédure civile du 19 décembre 2008 ; RS 272]). Il s’agit d’un acte consensuel par lequel les parties mettent fin à leur litige ou à une incertitude au sujet de leur relation juridique moyennant des concessions réciproques. Elle est passée par les parties en cours de procès, soit directement devant le juge, soit hors de sa présence, mais pour lui être remise. Elle doit être signée par les parties et consignée au procès-verbal (Hohl, Procédure civile, tome I, 2e éd., Berne 2016, nn. 2386 et 2387). La transaction judiciaire a à la fois le caractère d’un acte de procédure, qui entraîne la fin du procès et jouit de la force jugée, et celui d’un acte contractuel. Elle peut porter sur les conclusions des parties au procès, mais aussi sur des questions qui ne sont pas comprises dans celles-ci (Tappy, in Commentaire romand : Code de procédure civile, 2e éd., Bâle 2019 [ci-après : CR-CPC], nn. 18 et 18a ad art. 241 CPC ; TF 4A_288/2014 du 6 août 2014 consid. 4.2.1).

b) L’accord conclu par les parties le 1er octobre 2015 constitue bien une transaction judiciaire. Il comporte des concessions réciproques. En effet, la locataire a en particulier renoncé à certains travaux et à une réduction de loyer découlant de la garantie des défauts de même qu’à une baisse de loyer jusqu’à ce que le TIH remonte au moins une fois jusqu’à 3.75 %. De son côté, le bailleur s’est engagé à faire certains des travaux demandés et a renoncé à mettre fin à la relation contractuelle en retirant le congé donné le 15 juillet 2015 pour le 31 août suivant. L’accord a en outre été signé par les parties, qui étaient toutes deux assistées de mandataires professionnels, et il a été intégré au procès-verbal de l’audience.

II. a) Le chiffre V de la transaction précitée prévoit un renoncement de la demanderesse à solliciter une baisse de loyer en raison de l’évolution du TIH jusqu’à ce que celui-ci soit une fois remonté à 3.75 %. La demanderesse a cependant plaidé que cette clause était nulle ou devrait être annulée dès lors qu’elle consacrerait la violation de règles absolument impératives protégeant le locataire contre les loyers abusifs. Se prévalant en particulier de l’art. 270a CO, elle prétend qu’elle ne pouvait pas renoncer valablement, en signant la transaction en question, à toute future demande de baisse de loyer tant que le TIH serait inférieur ou égal à 3.75 %.

b) aa) La conclusion I de la demande du 6 décembre 2018 est une conclusion en constatation. En tant que telle, elle paraît irrecevable dans la mesure où l’action en constatation de droit à un caractère subsidiaire par rapport à l’action condamnatoire (art. 88 CPC ; Hohl, op. cit. n. 250 et les réf. citées). En effet, la question de la nullité de la clause V de la transaction du 1er octobre 2015 n’est qu’un préalable aux conclusions III et IV de la demande tendant à l’octroi d’une baisse de loyer et au remboursement de parts de loyers versées en trop.

bb) Il s’avère au surplus, comme l’a déjà jugé le tribunal de céans dans des cas similaires (TBx du 19 juin 2018 XA18.014401 et TBx du 14 janvier 2015 XA13.045990), que la validité d’une transaction judiciaire ne peut être contestée que par la voie de la révision de l’art. 328 al. 1 let. c CPC (ATF 139 III 133 consid 1.3 et les réf. citées, JT 2014 II 268). Jouissant de l’autorité et de la force de chose jugée, elle ne peut plus être remise en cause comme le serait un contrat de droit privé (Gillard, La transaction judiciaire en procédure civile, thèse Lausanne 2003, p. 186).
Selon la disposition légale précitée, une partie peut demander la révision de la décision entrée en force au tribunal qui a statué en dernière instance, lorsqu’elle fait valoir que la transaction judiciaire n’est pas valable. Il faut comprendre par là une invalidité au sens du droit privé, telle qu’une incapacité de discernement, un dissentiment patent ou latent, un vice de la volonté, dol, erreur, crainte fondée, pu une lésion, voire une immoralité cachée ou encore un engagement excessif (Schweizer, CR-CPC, n. 37 ad art. 328 CPC).
Le délai pour demander la révision étant de 90 jours à compter de celui où le motif de révision est découvert (art. 329 al 1 CPG), l’invalidation d’une transaction judiciaire n’est donc pas soumise au délai plus long d’une année de l’art. 31 CO (Schmidlin, in Commentaire Romand, Code des obligations I, 2e éd., Bâle 2012, n. 92 ad art. 23, 24 CO).
Lorsque la transaction a été, passée devant le Tribunal des baux, c’est ce dernier qui doit être saisi directement, à l’exclusion de la Commission de conciliation. De plus, la demande de révision ne peut tendre qu’à l’annulation de l’entier de la transaction, sauf si l’on devait admettre à titre exceptionnel que la transaction aurait été tout de même conclue sans la clause prétendument viciée. Le tribunal saisi de la demande de révision tranche ensuite en deux étapes. Il se prononce d’abord sur l’admission de la requête et, s’il l’accepte, annule la transaction, ce qui a pour conséquence que le tribunal est à nouveau saisi de l’entier du litige initial sur lequel une nouvelle décision doit être rendue (art. 333 CPC ; Morand, La transaction, Berne 2016, n. 601 ; Colombini, Code de procédure civile, Lausanne 2018, ad art. 333 CPC p. 1083).
Or, en l’espèce, on ne saurait considérer que l’action intentée par la demanderesse tend à la révision de la transaction judiciaire du 1er octobre 2015 au vu des conclusions de la demande qui, outre la diminution du loyer, ne visent qu’une seule des neuf clauses de la transaction, les termes de révision et de motif de révision n’étant au demeurant aucunement évoqués. D’ailleurs, avant que le litige n’aboutisse devant le tribunal de céans sur la base de l’autorisation de procéder du 6 novembre 2018, c’est par une « Requête en baisse de loyer » pour la prochaine échéance que la demanderesse a saisi l’autorité de conciliation après avoir suivi les formalités prescrites par l’art. 270a CO. Au surplus, on ne voit pas qu’une partie qui a bénéficié de l’assistance d’un mandataire professionnel dans le cadre d’un procès qui s’est terminé par une transaction judiciaire âprement négociée puisse se prévaloir près de trois ans plus tard de la nullité d’un engagement au motif que celui- ci violerait des dispositions impératives du droit du bail.

c) Cela étant, la conclusion I de la demande tendant au constat de la nullité de la clause V de la transaction doit être rejetée dans la mesure où elle est recevable. Quant à la conclusion II tendant à l’annulation de cette clause, elle doit être rejetée dès lors que la demanderesse ne dispose d’aucun fondement juridique lui permettant de la soumettre au juge en dehors d’une procédure en révision.

d) Cela a pour conséquence que les conclusions III et IV de la demanderesse sont irrecevables. En effet, le tribunal n’entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l’action, soit notamment que le litige ne fasse pas l’objet d’une décision entrée en force (art. 59 al. 1 et 2 let. e CPC) Or, la transaction du 1er octobre 2015 sortit les effets d’une, décision entrée en force qui s’imposent tant aux parties qu’au tribunal de céans. Il y a ainsi autorité de la chose jugée conformément à la disposition précitée, qui fait obstacle en l’état à toute demande de baisse de loyer en raison de la baisse du taux hypothécaire de référence, dès lors que celui-ci n’est pas remonté une fois jusqu’à 3.75 % depuis la conclusion de la transaction.

e) L’argumentation développée à l’encontre de ces considérations par la demanderesse, selon laquelle son engagement de ne pas demander de baisse de loyer était caduc puisque le bailleur n’avait pour sa part pas respecté la clause II de, la/transaction, ne peut pas être suivie. La demanderesse fonde sa thèse sur les art. 107 et suivants CO, en faisant valoir qu’elle s’était départie de la convention en raison de l’inexécution par la partie adverse d’une partie de ses obligations. Il se trouve cependant que l’exécution forcée éventuelle d’une transaction judiciaire doit, selon la jurisprudence récente, s’effectuer comme celle d’un jugement, que ce soit dans le cadre de la LP lorsque l’obligation porte sur le versement d’une somme d’argent et la fourniture de sûretés ou selon les art. 335 ss CPC pour les autres obligations, les règles contractuelles sur l’éventuelle mauvaise exécution du contrat par l’une des parties n’étant pas applicables (TF 5D_124/2015 du 18 mai 2016 consid. 2.3.2 ; 5A_77/2012 du 14 mars 2012 consid. 4.2.3).


Décision

60/10 - Transaction judiciaire

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