Succession de baux de durée déterminée

Base légale

Nom du tribunal

Cour de justice du canton de Genève, Chambre des baux et loyers

Date

18.09.2017

Résumé

Le fardeau de la preuve d'une fraude à la loi commise par la conclusion de contrats en chaîne incombe au locataire. Il n'est pas contradictoire de retenir à la fois une intention des bailleresses de vendre leurs biens et le fait qu'elles avaient besoin du revenu de la location pour payer les charges de la copropriété et couvrir leurs frais de subsistance. La volonté de vendre un bien n'implique pas la renonciation à percevoir le produit de sa location avant cette vente.

Exposé des faits

Les parties sont liées depuis le 19 décembre 2011 par un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un studio et d'un appartement de 4 pièces situés au 4ème étage d'un immeuble sis à Chêne-Bougeries.
Le contrat, intitulé « bail à loyer 2 ans fixe/vente — location avec option vente » prévoit un bail à terme fixe de deux ans commençant le 19 décembre 2011 et se terminant le 18 décembre 2013.
Le 19 décembre 2013, un nouveau contrat de bail à loyer a été conclu entre les parties pour une durée fixe de trois mois, soit jusqu'au 19 mars 2014. Les bailleresses ont assuré un droit d'option d'achat pour les deux appartements au locataire ; aucun avis de fixation du loyer n'a été remis au locataire. Le 18 février 2014, les parties ont conclu un nouveau contrat de bail à loyer portant toujours sur les deux mêmes logements, pour une durée déterminée de cinq mois, soit jusqu'au 19 juin 2014. Les bailleresses assuraient toujours au locataire un droit d'option d'achat pour les deux appartements, ce dernier devant acheter lesdits appartements avant l'échéance du bail ; aucun avis de fixation de loyer n'a été remis au locataire.
Le 21 mars 2014, le locataire a formé par devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers une demande en constatation de la durée indéterminée du bail, ainsi qu'une demande subsidiaire de prolongation de bail et une demande en fixation de loyer. Non conciliées, les causes ont été portées devant le Tribunal des baux et loyers le 4 juin 2014.
Par jugement du 4 novembre 2016, le Tribunal des baux et loyers a notamment constaté que les parties avaient été liées par trois contrats de bail à loyer de durée déterminée. Le locataire a interjeté appel de cette décision en temps utile.

Considérations

5. L'appelant reproche au Tribunal de n'avoir pas qualifié la relation contractuelle qui le liait aux intimées de contrat à durée indéterminée.
5.1 Comme le contrat de travail, le bail à loyer peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. Il est de durée déterminée lorsqu'il doit prendre fin, sans congé, à l'expiration de la durée convenue (art. 255 al. 1 et 2 et art. 266 al. 1 CO); si un tel bail est reconduit tacitement, il devient un contrat de durée indéterminée (art. 266 al. 2 CO; ATF 139 III 145 consid. 4.2).
La loi ne contient aucune disposition interdisant de conclure successivement plusieurs baux à durée déterminée. A l'instar de l'art. 334 CO pour le contrat de travail, l'art. 266 al. 2 CO envisage expressément une reconduction tacite du bail à durée déterminée et présume que le nouveau contrat est de durée indéterminée; rien n'empêche toutefois les parties de convenir d'un nouveau contrat à terme. Cela étant, la conclusion successive de baux à durée déterminée peut aboutir globalement au même résultat qu'un contrat de durée indéterminée résiliable; il faut rechercher dans quelle mesure la première construction juridique est susceptible d'éluder des dispositions impératives protégeant le locataire (ATF 139 III 145 consid. 4.2.2).
La conclusion successive de baux à durée limitée peut permettre au bailleur d'échapper à des règles impératives conférant des droits au locataire, telles les règles contre les loyers abusifs, ou contre les congés abusifs. L'on en vient donc à la conclusion qu'il est sur le principe licite d'enchaîner des baux de durée déterminée, sous réserve d'une fraude à la loi. Commet une telle fraude le bailleur qui, en soi, a l'intention de s'engager pour une durée indéfinie, mais opte pour un système de baux à durée déterminée aux seules fins de mettre en échec des règles impératives. S'il est vrai que le système des contrats en chaîne est susceptible de procurer des avantages importants au bailleur, l'on ne saurait postuler l'illicéité de principe d'un tel procédé, alors que la loi ne l'interdit nullement. La partie qui entend faire appliquer la norme éludée - soit en l'occurrence le locataire - doit établir l'existence d'une fraude à la loi. Il n'est pas aisé de tracer la frontière entre le choix consensuel d'une construction juridique offerte par la loi et l'abus de cette liberté, constitutif d'une fraude à la loi. Répondre à cette question implique une appréciation au cas par cas, en fonction des circonstances d'espèce (ATF 139 III 145 consid. 4.2.4).
La loi ne requiert aucun motif particulier pour conclure un bail de durée déterminée et n'interdit pas d'enchaîner deux ou plusieurs baux de ce type. Il s'agit bien plutôt de rechercher si les faits recueillis conduisent à la conclusion que le bailleur a mis en place un système qui ne s'explique que par la volonté de contourner des règles impératives. Le fardeau de la preuve incombe au locataire; le bailleur n'a pas à établir un intérêt spécial à conclure des baux de durée déterminée (ATF 139 III 145 consid. 4.3.2).
5.2 En l'espèce, le Tribunal a retenu que les intimées souhaitaient vendre leurs biens et que les brèves prolongations successives du bail avaient été faites dans cette perspective. L'on ne discernait pas qu'elles eussent souhaité éluder des dispositions légales. D'ailleurs la volonté des parties de pérenniser leur relation contractuelle n'était pas établie.
L'appelant critique ce raisonnement. Selon lui, le fardeau de la preuve reposait sur les bailleresses à qui il incombait de démontrer la réalité des motifs justifiant une succession de baux de durée déterminée. En outre, se référant à l'avis d'un juge fédéral lors d'une délibération orale, il estime que laisser un bailleur conclure des baux en chaîne était de nature à mettre en péril la paix du logement. L'intention de vendre des bailleresses violait l'interdiction du congé-vente (art. 271a al. 1 let. c CO), car elles souhaitaient conserver la possibilité de vendre leurs biens en concluant des baux successifs de durée déterminée.
L'argumentation de l'appelant tombe à faux, dès lors que, selon la jurisprudence, le fardeau de la preuve d'une fraude à la loi commise par la conclusion de contrats en chaîne incombe au locataire. Il ne pouvait être exigé des bailleresses de fournir des preuves de l'absence d'intention de contourner les dispositions légales protégeant les locataires, ce qui reviendrait à introduire une présomption de fraude précisément rejetée par le Tribunal fédéral.
Il n'est de surcroît pas contradictoire de retenir à la fois une intention des bailleresses de vendre leurs biens et le fait qu'elles avaient besoin du revenu de la location pour payer les charges de la copropriété et couvrir leurs frais de subsistance. La volonté de vendre un bien n'implique pas la renonciation à percevoir le produit de sa location avant cette vente.
En outre, il ne saurait être question d'un congé-vente puisque le locataire n'a jamais été placé dans la position d'être menacé d'une résiliation du contrat s'il n'achetait pas. Au contraire, malgré l'absence d'offre d'achat, le bail a été reconduit à deux reprises. À ce titre, il n'est pas, par principe, abusif pour un bailleur qui a l'intention de céder son bien immobilier de choisir la conclusion d'un bail à durée déterminée afin de favoriser ce projet. Le locataire ne peut pas de bonne foi prétendre qu'il ignorait la situation, dès lors que le bail initial prévoyait expressément la possibilité d'une vente des biens immobiliers.
Le locataire ne se prévaut d'aucun autre élément concret permettant de considérer comme réunies les conditions d'une fraude à la loi, donc de la conclusion d'un contrat à durée indéterminée sous couvert de contrats successifs à durée déterminée, alors qu'il en supportait le fardeau de la preuve. La décision du Tribunal est dès lors conforme au droit, les contrats à durée déterminée conclus par les parties étant valables en tant que tels.
Les griefs de l'appelant sur ce point sont également infondés.

Décision

58/6 - Succession de baux de durée déterminée

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