Sous-location du bail et résiliation

Base légale

Nom du tribunal

Cour de justice du canton de Genève, Chambre des baux et loyers [C/21024/2015]

Date

04.02.2016

Résumé

La clause d’interdiction de sous-location contenue dans les conditions générales du contrat de bail et celle figurant dans le Règlement d’exécution de la loi genevoise générale sur le logement et la protection des locataires sont contraires au droit fédéral, plus particulièrement à l’art. 262 CO, s’agissant d’une disposition semi-impérative, tel que l’a retenu le Tribunal fédéral dans sa jurisprudence.

Exposé des faits

Depuis le 1er juillet 2003, la locataire loue un appartement de deux pièces au 4ème étage d’un immeuble sis à Onex. Cet immeuble est classé dans la catégorie 1 (HBM) et soumis à la Loi genevoise générale sur le logement et la protection des locataires (LGL – RS GE I 4 05), ainsi qu’à son Règlement (Règlement d’exécution de la loi générale sur le logement et la protection des locataires RGL – RS GE I 4 05.01).
Le contrat de bail à loyer prévoit que « toute sous-location quelconque, complète ou partielle, même à titre temporaire, est interdite et entraîne, sur réquisition du service compétent, la résiliation du bail. »
La locataire a résidé du 10 novembre 2014 au 9 mai 2015 aux Etats-Unis et a sous-loué l’appartement ; les sous-locataires ont signé un bail de durée indéterminée depuis le 1er avril 2015. Le 13 octobre 2015, la locataire sous-bailleresse a fait appel à un serrurier, a fait changer les serrures du logement et a réintégré ce dernier, débarrassant les affaires des occupants et les mettant à la cave.
Le même jour, les sous-locataires ont saisi le Tribunal des baux et loyers d’une requête de mesures provisionnelles concluant à la restitution de la possession de l’appartement litigieux. Par ordonnance du 2 novembre 2015, le Tribunal a rejeté la requête des sous-locataires. En substance, les premiers juges ont retenu que les sous-locataires avaient rendu vraisemblable qu’ils étaient liés par un contrat de sous-location à la sous-bailleresse. Toutefois, dès lors que l’immeuble abritant le logement étant soumis au régime HBM et à la loi genevoise sur le logement, ainsi qu’à son Règlement d’exécution et que la sous-location était interdite par l’art. 5 al. 3 RGL, les sous-locataires ne disposaient d’aucun droit matériel les autorisant à occuper l’appartement en cause. Les sous-locataires ont formé en temps utile appel de ce jugement.

Considérations

3.2 Le contrat par lequel une personne (le bailleur) s’oblige à céder à une autre (le locataire) l’usage d’une chose pour une certaine durée, à charge pour celle-ci de lui verser une rémunération (loyer) est un contrat de bail à loyer au sens des art. 253 ss CO. Il peut porter notamment sur une chose immobilière affectée à un usage de local commercial.
Le bail se conclut par l’échange de manifestations de volonté réciproques et concordantes portant sur tous les éléments essentiels du contrat (art. 1 CO). Il n’est pas soumis à une forme spéciale. Les rapports entre bailleur et locataire sont régis en premier lieu par leur contrat (clauses particulières et/ou conditions générales) ; à défaut, ils sont régis par les règles légales (dispositives). La liberté contractuelle des parties en matière de bail (d’habitations et de locaux commerciaux) est toutefois limitée par des dispositions légales impératives – auxquelles il n’est absolument pas possible de déroger – ou relativement impératives – auxquelles il n’est pas possible de déroger au détriment du locataire (LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p. 95 ss [ci-après: Le bail]).
Ainsi, l’art. 262 CO, relatif à la sous-location, est de droit relativement impératif (ATF 134 III 300 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_75/2015 du 9 juin 2015 consid. 3.1.1; LACHAT, in Commentaire romand, Code des obligations l, 2e éd. 2012, no 9 ad art. 262 CO [ci-après: CoRo]). Le bailleur ne peut refuser son consentement à la sous-location si les conditions de l’art. 262 al. 2 CO sont remplies. La clause d’un contrat de bail interdisant la sous-location est donc nulle (arrêt du Tribunal fédéral 4A_75/2015 du 9 juin 2015 consid. 3.1.1; LACHAT, Le bail, p. 582).
Le bail de sous-location est passé entre le locataire et le sous-locataire. Il se superpose au contrat de bail principal (LACHAT, CoRo, n. 1 ad art. 262 CO). Indépendante de celui-ci, la sous-location est un contrat de bail à part entière, distinct du bail principal, soumis en principe aux règles des art. 253 ss CO (arrêt du Tribunal fédéral 4A_37/2013 du 28 juin 2013 consid. 2.1.2; WEBER, Basler Kommentar, Obligationenrecht, vol. l, 5e éd. 2011, n. 9 ad art. 262 CO; HIGI, Zürcher Kommentar, 1994, n. 9 ad art. 262 CO; LACHAT, Le bail, p. 566 ch. 2.1; COMMENTAIRE SVIT, Le droit suisse du bail à loyer, adaptation française de BURKHALTER/MARTINEZ-FAVRE, 2011, n. 37 ad art. 262 CO; LACHAT, CoRo, n. 6 ad art. 262 CO).
S’il est vrai que la sous-location constitue un bail en soi distinct du bail principal, il n’en est pas totalement indépendant. Dans un contrat de bail, le bailleur s’engage à céder l’usage de la chose (art. 253 CO), ce qui suppose qu’il soit lui-même titulaire de ce droit d’usage. Dans le cas d’une sous-location, il est évident que le sous-bailleur ne peut pas transférer plus de droits qu’il n’en a lui-même. Si le bail principal s’éteint, le sous-bailleur se trouve dans l’impossibilité de fournir sa prestation au sous-locataire. Dès lors que le droit d’usage ne lui est plus valablement cédé (personne ne peut céder plus de droits qu’il n’en possède), le sous-locataire doit restituer la chose. Il pourrait, sinon, faire l’objet d’une demande d’expulsion (COMMENTAIRE SVIT, op. cit., n. 7 ad art. 273b CO; LACHAT, Le bail, p. 580). L’art. 273b al. 1 CO précise d’ailleurs que la sous-location ne peut pas être prolongée au-delà du bail principal. Si le sous-locataire doit ainsi restituer la chose avant l’expiration du contrat de sous-location, il peut, le cas échéant, demander des dommages-intérêts au sous-bailleur pour inexécution partielle du contrat (art. 97 CO) (arrêt du Tribunal fédéral 4A_37/2013 du 28 juin 2013 consid. 2.1.2; HIGI, op. cit., n. 19 et 27 ad art. 262 CO COMMENTAIRE SVIT, op. cit., n. 7 in fine ad art. 273b CO; LACHAT, Le bail, p. 578 ch. 2.3.9).

3.3 En vertu du contrat de bail, le locataire se voit octroyer un droit d’utilisation de la chose et le bailleur perd celui-ci. Le locataire devient possesseur de la chose louée et il peut prévaloir des droits attachés à la possession. Il peut ainsi, notamment, agir en cessation du trouble de la possession (art. 926-929 CC), y compris à l’encontre du (sous-)bailleur (LACHAT, Le bail n. 1.3.1 p. 74 et n. 1.3.2 p. 75).
Par la réintégrande, prévue par l’art. 927 al. 1 CC, le demandeur qui a perdu la possession de la chose peut en obtenir la restitution de celui qui l’a usurpée illicitement. Il lui suffit de prouver qu’il était possesseur de la chose et qu’il a perdu cette possession à la suite d’un acte d’usurpation illicite. L’art. 927 al. 2 CC apporte toutefois une exception à ce principe pour le cas où le défendeur établit aussitôt un droit – réel ou contractuel (ATF 40 II 559 consid. 3, p. 564 ss) – préférable qui l’autoriserait à reprendre la chose au demandeur (ATF 113 II 243 consid. 1b i. f.). Cette disposition vise, dans un souci d’économie de procédure, à ne pas donner gain de cause au demandeur à la réintégrande qui aurait certainement tort dans un procès au pétitoire.
L’existence d’un bail, d’un bail tacite, d’une sous-location, la validité de la résiliation du bail et la conclusion d’un nouveau contrat de bail sont des questions qui touchent au droit sur la chose. Elles ne jouent aucun rôle dans le procès sur le possessoire, sous réserve de l’exception prévue par l’art. 927 al. 2 CC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_98/2010 du 7 mai 2010 consid. 4.1.2). Selon la jurisprudence, celui qui est au bénéfice d’un contrat de bail peut, en tant que possesseur des lieux loués, repousser par la force les actes d’usurpation émanant de celui qui se croirait au bénéfice d’un droit (ATF 40 II 329 consid. 3).

3.4 Selon l’art. 30 al. 1 de la Loi générale sur le logement et la protection des locataires (LGL – RS GE l 4 05), les logements visés à l’article 16, catégories 1 et 2 LGL (déterminant les catégories d’immeubles), sont destinés aux personnes dont le revenu, à la conclusion du bail, n’excède pas le barème d’entrée et dont le revenu, en cours de bail, n’excède pas le barème de sortie. Dans les immeubles de catégorie 4, les 60% au moins des logements sont destinés, lors de la première location, à des locataires pouvant bénéficier d’une subvention personnalisée au sens de l’article 30A; en cas de relocation, la priorité doit être donnée à un locataire respectant les conditions fixées à l’article 30A, si les 60% au moins des logements ne sont plus occupés par des locataires bénéficiant d’une subvention personnalisée.
Toute sous-location quelconque, complète ou partielle, est interdite et entraîne la résiliation du bail, conformément à l’article 31B de la loi (art. 5 al. 3 du Règlement d’exécution de la loi générale sur le logement et la protection des locataires RGL – RS GE l 4 05.01).

3.5 Il convient en l’espèce d’examiner, sous l’angle de la vraisemblance, si les appelants sont titulaires d’un contrat de sous-bail avec l’intimée et, dans l’affirmative, si celle-ci peut faire valoir un droit préférable sur les locaux jusqu’ici occupés par les appelants qui l’autoriserait à en reprendre possession, ou si les appelants sont au bénéfice d’un droit leur garantissant l’usage des locaux.

3.5.1 En l’occurrence, à l’instar du Tribunal, la Cour retient que les appelants ont rendu vraisemblable être liés à l’intimée par un contrat de sous-location, portant sur l’appartement en cause, au sens des art. 253ss CO. Il ressort en effet tant des dépositions des appelants, des titres versés à la procédure concernant notamment le paiement mensuel d’un loyer de 1'300 fr., que du témoignage recueilli, que l’intimée leur a remis l’usage du logement pour une certaine durée contre paiement d’un loyer.

3.5.2 A teneur de la jurisprudence rappelée ci-avant, les appelants ont ainsi, en principe, un droit d’utilisation de la chose louée et l’intimée a perdu celui-ci. Les appelants ont aussi rendu vraisemblable qu’ils étaient possesseurs des locaux, jusqu’à ce qu’ils perdent cette maîtrise, à la suite du changement de serrures opéré par l’intimée, soit un acte d’usurpation illicite.
Pour sa part, l’intimée n’a pas rendu vraisemblable qu’elle pouvait invoquer un droit préférable sur les locaux loués aux appelants, pour lesquels ces derniers peuvent se prévaloir d’un contrat de (sous-)bail. La prétention des appelants à ce que la jouissance des locaux qu’ils occupaient leur soit restituée a dès lors été rendue plausible.
Contrairement à ce qu’a retenu le Tribunal, le fait que l’appartement se situe dans un immeuble HBM, qui est dès lors soumis à la LGL et à l’art. 5 al. 3 RGL ne fait pas obstacle au droit matériel dont se prévalent les appelants. En effet, tant la clause d’interdiction de sous-location contenue dans les conditions générales du contrat de bail principal, que celle figurant dans le RGL sont contraires au droit fédéral, plus particulièrement à l’art. 262 CO, s’agissant d’une disposition semi-impérative, tel que l’a retenu le Tribunal fédéral dans sa jurisprudence citée ci-avant (consid. 3.2). L’interdiction de principe de la sous-location contrevient ainsi au droit fédéral.
Ainsi, les appelants ont rendu vraisemblable le droit matériel qu’ils invoquent et que le procès au fond a des chances de succès.
Il ne résulte par ailleurs pas de la procédure que l’intimée aurait résilié le contrat de sous-location.
Les appelants ont pour le surplus rendu vraisemblable que l’atteinte qu’ils subissent risque de leur causer un préjudice difficilement réparable, dès lors qu’ils ne peuvent pas attendre le prononcé d’une décision au fond, ainsi que l’urgence de la situation. Par conséquent, la Cour annulera la décision attaquée et cela fait, fera droit à la demande et l’intimée sera condamnée à restituer aux appelants la possession exclusive de l’appartement de 2 pièces au 4ème étage de l’immeuble sis à Onex.

Décision

57/4 - Sous-location du bail et résiliation

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