Sous-location

Base légale

Nom du tribunal

Cour de justice du canton de Genève, Chambre des baux et loyers

Date

16.04.2018

Résumé

Une locataire, qui utilise depuis neuf ans un logement considéré comme pied-à-terre à raison d’une occupation de six à huit jours par mois et dont elle n’assume qu’une faible partie des coûts, abuse de son droit de sous-louer, pour conserver la mainmise sur un logement à un prix raisonnable en prévision d’un retour à Genève qui reste aléatoire.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail du 5 avril 2000 portant sur la location d’un appartement de 4,5 pièces sis au 3ème étage d’un immeuble sis au Petit-Sacconnex.
Le 5 janvier 2009, la locataire a conclu un contrat de durée indéterminée avec une entreprise sise à Zurich. Le 10 janvier 2009, la locataire a sous-loué une chambre meublée de son appartement avec accès aux parties communes.
Par avis du 12 octobre 2011, le bailleur a signifié à la locataire une résiliation ordinaire du bail pour le 31 mai 2012, au motif que la sous-location des locaux était intervenue sans autorisation du bailleur et que la locataire n’avait jamais eu l’intention de revenir vivre et travailler à Genève. Le congé a été annulé par arrêt du Tribunal fédéral du 9 septembre 2015.
Le 3 mars 2015, la locataire a sollicité le consentement du bailleur pour une nouvelle sous-location partielle. Le 18 mars 2015, le bailleur a refusé son consentement au motif que la locataire avait perdu toute idée de reprendre un jour l’usage des locaux.
Par avis officiel du 22 octobre 2015, le bailleur a résilié le bail avec effet immédiat pour le 30 novembre 2015, en application de l’art. 257f al. 3 CO.
Le congé a été contesté par la locataire auprès de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers le 23 novembre 2015. La tentative de conciliation ayant échoué, la locataire a saisi le Tribunal des baux et loyers le 25 février 2016.
Par jugement du 20 février 2017, le Tribunal a déclaré inefficace le congé notifié le 22 octobre 2015 pour le 30 novembre 2015. Le bailleur a interjeté appel de ce jugement en temps utile.

Considérations

4. L’appelant fait grief aux premiers juges d’avoir procédé à une appréciation arbitraire des faits ; les juges auraient dû constater que la locataire avait perdu toute intention de réintégrer le logement dans un avenir prévisible, commettant ainsi un abus de droit en persistant à sous-louer son logement, ce que corroborait la conclusion d’un nouveau bail de sous-location dès le 15 mars 2017. En outre, les conditions de la sous-location étaient abusives dès lors que le montant de la sous-location représentait 75 % du loyer principal pour une seule chambre meublée.

4.1 Lorsque le maintien d’un bail d’habitation est devenu insupportable pour le bailleur parce que le locataire, nonobstant une protestation écrite, persiste à enfreindre son devoir de diligence, le bailleur peut résilier le contrat moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d’un mois (cf. art. 257f al. 3 CO). Une sous-location sans le consentement du bailleur peut justifier une résiliation anticipée selon cette disposition. Encore faut-il que le bailleur ait été en droit de refuser son consentement (cf. art. 262 al. 2 CO ; ATF 134 III 300 consid. 3.1 p. 302 s.) ou que le locataire abuse de son droit à la sous-location (arrêt du Tribunal fédéral 4A_209/2014 du 16 décembre 2014, consid. 4.1).

4.2 Selon la jurisprudence, lorsque la résiliation est donnée par le bailleur en relation avec la sous-location de la chose louée, à laquelle le locataire peut prétendre aux conditions de l’art. 262 CO (cf. art. 271a al. 1 let. a CO ; ATF 138 III 59 consid. 2.2.1 p. 62 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_290/2015 précité consid. 4.2), il faut distinguer selon que la sous-location est totale ou seulement partielle (arrêt du Tribunal fédéral 4A_290/2015 déjà cité consid. 4.3 et 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_227/2017 du 5 septembre 2017, consid. 4.2).

4.3 En cas de sous-location partielle, il faut distinguer, d’une part, selon que le locataire principal utilise encore les locaux ou ne les utilise plus et, d’autre part, selon que le bailleur avait donné ou non son consentement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_290/2015 précité consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_227/2017 précité consid. 4.2.2).
Si le locataire continue à utiliser les locaux, mais n’avait pas obtenu le consentement du bailleur à la sous-location, il convient de raisonner comme en cas de sous-location totale (arrêt du Tribunal fédéral 4A_227/2017 précité consid. 4.2.2.1 in fine).

4.4 En cas de sous-location totale et si le bailleur n’a pas donné son consentement à la sous-location, il peut valablement résilier le bail s’il était en droit de refuser son consentement, de même qu’en cas d’abus de droit du locataire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_290/2015 précité consid. 4.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_227/2017 précité consid. 4.2.1.1).
Les cas dans lesquels le bailleur peut refuser son consentement, énumérés de manière exhaustive à l’art. 262 al. 2 CO, sont les suivants : lorsque le locataire refuse de lui communiquer les conditions de la sous-location (a), lorsque les conditions de la sous-location, comparées à celle du contrat de bail, sont abusives (b), et lorsque la sous-location présente pour le bailleur des inconvénients majeurs (c).
A ces cas s’ajoute l’interdiction générale de l’abus de droit au sens de l’art. 2 al. 2 CC : en effet, lorsque le locataire abuse de son droit à la sous-location, il ne saurait être protégé et il faut raisonner comme si son droit n’existait pas (ATF 134 III 446 consid. 2.4. p. 450 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_367/2010 du 4 octobre 2010 consid. 2.1). Selon la jurisprudence, la sous-location est en principe conçue pour le cas où le locataire n’a temporairement plus l’usage de la chose louée – par exemple en raison d’un stage professionnel ou d’études dans un autre lieu – ; il le remet alors provisoirement à un tiers pour se décharger, d’un point de vue économique, du fardeau du loyer le temps de son absence (ATF 138 III 59 consid. 2.2.1 p. 62 s.).
Il y a abus de droit si le locataire a perdu toute idée de reprendre dans un avenir prévisible l’usage de la chose louée et qu’il a procédé en réalité à une substitution de locataires, ce qui est un but étranger à l’institution même de la sous-location (ATF 138 III 59 consid. 2.2.1 p. 63 ; 134 III 446 consid. 2.4. p. 450). Certes, un locataire qui quitte un logement peut penser avoir un jour un intérêt à revenir dans les locaux qu’il abandonne. Surtout en période de pénurie de logements, il peut avoir un intérêt à garder un certain droit sur les locaux. Toutefois, on ne saurait admettre que la sous-location soit dénaturée et conduise à éluder les conditions d’un transfert du bail. Le juge doit donc se montrer relativement strict dans l’examen de l’intention, qui doit résulter d’un besoin légitime et clairement perceptible (arrêt du Tribunal fédéral 4A_367/2010 du 4 octobre 2010 consid. 2.1 in fine, in CdB 2011 p. 15), du locataire de réintégrer les locaux loués. La vague possibilité de réintégrer peut-être un jour soi-même l’objet loué ne suffit pas à justifier une sous-location (ATF 138 III 59 consid. 2.2.1 p. 63).

4.5 Dans une décision récente, le Tribunal fédéral a retenu qu’il ne suffisait pas d’établir une quelconque utilisation de la chose louée par le locataire pour en déduire de facto qu’il avait le droit de la sous-louer partiellement ; l’hypothèse de l’abus de droit pouvait être retenue même lorsqu’il utilisait encore partiellement les locaux ; le juge devait donc examiner toutes les circonstances du cas concret pour déterminer si le locataire commettait ou non un abus de droit en se prévalant du droit à la sous-location (arrêt du Tribunal fédéral 4A_290/2015 consid. 4.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_556/2015 du 3 mai 2016 consid. 3.3).
Le Tribunal fédéral a retenu que le locataire, parti vivre en Espagne après sa retraite une année avant le congé, mais qui souhaitait revenir à Genève d’ici à quelques années et qui occupait le logement quatre à six semaines par année, abusait de son droit de sous-louer le logement ; un usage aussi sporadique de l’appartement comme pied-à-terre avec une participation infime au coût du loyer – en l’occurrence Fr. 81.- sur Fr. 831.- de loyer charges comprises – ne pouvait fonder un droit à la sous-location ; le locataire qui utilisait quatre à six semaines par an l’appartement loué dont le coût était essentiellement supporté par une tierce personne, alors que sa fille disposait d’un pied-à-terre dans la même ville, abusait de son droit à la sous-location pour conserver la mainmise sur un appartement au loyer manifestement avantageux, en prévision d’un retour très aléatoire en Suisse (arrêt précité 4A_556/2015 du
3 mai 2016 consid. 3.5).

4.6 Le bailleur qui notifie un congé fondé sur l’art. 257f al. 3 CO doit prouver les faits qui en sont la condition. Lorsque, comme en l’espèce, le bailleur soutient que le locataire a procédé à une sous-location abusive, consistant en réalité à une substitution de locataire, il lui incombe, conformément à l’art. 8 CC, d’apporter la preuve des faits permettant de parvenir à cette conviction (arrêt du Tribunal fédéral 4A_367/2010 du 4 octobre 2010 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_209/2014 du 16 décembre 2014, consid. 4.1).

4.7.1 En l’espèce, il est établi que la sous-location l’a été sans autorisation du bailleur, qui a refusé d’y consentir le 18 mars 2015.
Cette sous-location doit en outre être qualifiée de partielle, dès lors que le contrat de sous-location prévoit expressément que la sous-locataire ne bénéficiait de la jouissance que d’une seule chambre, qui était privative, et de la jouissance des espaces communs tels que la salle-de-bains, la cuisine et le salon. L’audition de la sous-locataire, a mis en lumière que l’intimée se rendait dans le logement à raison de deux fois par mois, y restait entre trois et quatre jours, soit un total de six à huit jours par mois et y occupait la deuxième chambre du logement dont elle avait conservé l’usage exclusif et qu’elle partageait, depuis le début de l’année 2016, avec son fils H.
Son occupation effective du logement résulte en outre du témoignage de la sous-locataire qui a expliqué que l’intimée s’y rendait deux week-ends par mois environ, davantage depuis l’arrivée de son fils soit jusqu’à quatre jours et qu’elle partageait sa chambre avec son fils ; il lui arrivait d’occuper également la chambre de l’intimée lors de son absence ; la proportion de 75 % qu’elle réglait à titre de sous-loyer s’expliquait par le fait qu’elle était plus souvent présente dans le logement et qu’elle disposait de l’usage des meubles, propriété de l’intimée. Ces éléments suffisaient à eux-seuls pour fonder l’existence d’une sous-location partielle du logement par l’intimée.
Enfin, les premiers juges ont expliqué de manière convaincante que l’intimée utilisait de manière effective le logement malgré le transfert de son domicile à Zurich depuis l’année 2009, ceci tant pour des raisons professionnelles – son emploi la contraignait à se rendre à Genève ou en Suisse romande une fois par semaine – que personnelles – elle se rendait en effet plus fréquemment à Ge-nève pour que son fils puisse y rencontrer sa famille.
C’est à juste titre que le Tribunal a également estimé probants les titres versés à la procédure, notamment les courriels échangés avec la sous-locataire attestant que les frais de téléphone étaient partagés selon les conversations de chacune, tout comme le partage du loyer à raison de 75 % à charge de la sous-locataire et 25 % à charge de l’intimée, preuves d’un usage, certes partiel, mais effectif du logement, contrairement à l’avis de l’appelant qui soutient que la sous-location du logement était totale et que l’intimée n’y habitait plus.
Partant, les premiers juges sont justement arrivés au constat que la sous-location était partielle, qu’elle avait été effectuée sans l’autorisation du bailleur et que l’intimée utilisait encore l’appartement.

4.7.2 Reste dès lors à examiner si l’appelant était rétrospectivement autorisé à refuser son consentement à cette sous-location ou encore si la sous-location partielle était constitutive d’un cas d’abus de droit.
Sur ce point, les premiers juges ne pouvaient considérer, sans examen plus approfondi, que la sous-location ne pouvait être considérée comme abusive du simple fait que celle-ci n’était que partielle et aussi longtemps que l’intimée continuait à habiter l’appartement régulièrement.
En effet, ce raisonnement se heurte à la récente jurisprudence du Tribunal fédéral qui a expressément admis que l’abus de droit pouvait être retenu également dans l’hypothèse d’une sous-location partielle.
Le présent cas s’en rapproche en ce sens que l’intimée s’est installée à Zurich depuis le mois de janvier 2009 suite à sa prise d’emploi au sein du siège zurichois de D ; elle a déplacé officiellement son domicile légal dans cette ville et y a acquis le logement dans lequel elle réside aujourd’hui. Selon l’expérience générale de la vie, le locataire qui acquiert un logement et s’y établit à l’intention de créer ainsi une situation durable (cf. ATF 4A_367/2010 du 4 octobre 2010, consid. 2.3). Cette installation durable à Zurich se confirme également, depuis l’accueil à l’adoption de son fils H en début d’année 2016, par son placement en crèche à Zurich à raison de 4 jours par semaine. Il en résulte que l’occupation du logement considéré, à raison de six à huit jours par mois, reste celle d’un pied-à-terre, et répond certes à un besoin professionnel de l’intimée, mais qui demeure limité, à raison d’un déplacement par semaine à Genève ou en Suisse romande aux dires de sa supérieure hiérarchique. L’intimée se rend donc essentiellement à Genève pour y visiter ses proches et sa famille. La part de loyer acquittée par l’intimée reste faible, à raison de 25 % du montant du loyer principal, preuve d’une occupation effective de faible ampleur.
Le cas se distingue en revanche de l’arrêt du 3 mai 2016 par l’éloignement géographique ; la perspective d’une réintégration du logement est plus marquée lorsque l’on est établi à Zurich plutôt que dans un pays étranger plus éloigné ; la fréquence de l’occupation du logement sous-loué par l’intimée n’est pas sporadique, mais reste marginale ; enfin, la participation au paiement du loyer ne peut être qualifiée d’infime, mais reste faible.
Dans le présent cas, le transfert de domicile de l’intimée à Zurich est durable, tout comme son engagement au siège zurichois de D, qui remontent à 9 ans. La volonté de l’intimée de rendre la sous-location pérenne résulte de la conclusion successive de trois contrats de sous-location, sans discontinuer depuis le mois de janvier 2009, et pour la dernière fois au mois de mars 2017, chacun des contrats étant conclu pour des durées indéterminées. Le caractère provisoire de la sous-location, même partielle, du logement, ne saurait être retenu lorsque cette dernière s’étend sur une période de 9 ans comme en l’espèce. Au cas contraire, cela reviendrait à considérer que la sous-location peut se prolonger ad aeternam, finalité prohibée par la jurisprudence et qui viderait de sa substance le droit de sous-louer. En effet, avec la construction mise en place, les sous-locataires de l’intimée se retrouvent bel et bien dans la position d’un locataire principal, qui a une jouissance quasi-totale de l’appartement et en assume économiquement la très grande majorité des coûts.
A cela s’ajoute que les perspectives d’une réintégration du logement considéré ne peuvent être déduites de la simple déclaration de l’intimée de vouloir revenir travailler à Genève au sein de l’antenne genevoise de D. En effet, sa supérieure hiérarchique n’a pas été en mesure de confirmer un déplacement du lieu de travail de l’intimée à Genève dès lors qu’aucune décision n’avait encore été prise en raison de changements en été 2017 au niveau du leadership de D. Une intensification de la présence de l’intimée à Genève et, partant, dans l’occupation du logement considéré, n’est qu’hypothétique et n’est pas déterminable dans le temps. En l’absence de tout changement effectif dans la situation professionnelle et personnelle de l’intimée, son intention de réintégrer le logement demeure vague et ne se fonde pas sur un besoin légitime et clairement perceptible, mais sur un événement futur incertain, qui potentiellement ne pourrait également jamais survenir.
En conclusion, l’intimée, qui utilise depuis 9 ans le logement considéré comme pied-à-terre à raison d’une occupation de six à huit jours par mois et dont elle n’assume qu’une faible partie des coûts, abuse donc de son droit de sous-louer, pour conserver la mainmise sur un logement à un prix raisonnable en prévision d’un retour à Genève qui reste aléatoire.
L’appelant était donc en droit de refuser son consentement à la sous-location, si bien que le congé anticipé, fondé sur l’art. 257f al. 3 CO, doit être déclaré efficace.
Au vu du motif du congé, une prolongation de bail n’entre pas en ligne de compte (cf. art. 272a let. b CO).

4.7.3 La question du caractère abusif du montant de la sous-location n’a pas lieu d’être tranchée dès lors que l’existence d’un abus de droit de l’intimée en se prévalant du droit de sous-louer suffit à rendre efficace le congé notifié en application de l’art. 257f al. 3 CO, une vaine mise en demeure de mettre un terme à la sous-location et de réintégrer le logement ayant été adressée à l’intimée le 23 septembre 2015.
Le chiffre 1 du dispositif du jugement entrepris sera donc annulé et le congé anticipé, notifié le 22 octobre 2015 pour le 30 novembre 2015, déclaré efficace.

Décision

59/4 - Sous-location

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