Ile Cour d’appel civil de Fribourg
31.08.2011
Le fait qu’un candidat locataire ne soit pas objectivement solvable ne signifie toutefois pas encore que le refus du bailleur soit justifié. Lorsque le bailleur propose au candidat locataire refusé un autre appartement, la doctrine considère qu’un tel comportement, qualifié par certains de « détournement de candidat » représente un refus injustifié, qui doit être imputé au bailleur et qui libère donc valablement le locataire. Tel est également le cas lorsque la décision du bailleur est tardive.
2b
Au sens de l’art. 264 al. 1 CO, lorsque le locataire restitue
la chose sans observer le délai ou terme de congé, il n’est libéré de
ses obligations envers le bailleur que s’il lui présente un nouveau
locataire qui soit solvable et que le bailleur ne puisse raisonnablement
refuser ; le nouveau locataire doit en outre être disposé à reprendre
le bail aux mêmes conditions. Cette institution instaure ainsi « un mode
particulier de fin prématurée du contrat, découlant de l’obligation
générale du créancier (le bailleur) de réduire son dommage » (CR CO
I-LACHAT, no 1 ad art. 264). Le nouveau locataire doit remplir trois
exigences, pour que l’ancien locataire puisse valablement être libéré de
ses obligations et restituer la chose avant le terme contractuel ou
légal. Le candidat doit en premier lieu être objectivement acceptable.
Cette notion se confond avec celle de justes motifs, que pourrait
opposer le bailleur à l’arrivée du nouveau locataire (ATF 119 II 36
consid. 3d, CR CO I-LACHAT, no 4 ad art. 264). Le candidat doit ensuite
être disposé à reprendre le contrat de bail aux mêmes conditions (CR CO
I-LACHAT, no 6 ad art. 264) et finalement ne pas être insolvable (CR CO
I-LACHAT, no 5 ad art. 264).
Cette dernière condition s’apprécie de
cas en cas, mais la jurisprudence fédérale a posé quelques règles et
limites en la matière. Ainsi, la situation économique sur le marché du
logement est telle que de nombreuses personnes, notamment les jeunes
couples, de toute origine sociale doivent consacrer le tiers ou plus de
leurs revenus au paiement du loyer et des charges, sans que l’on puisse
douter pour autant de leur solvabilité (ATF 119 II 36 consid. 3d). Le
critère essentiel est que le candidat soit « en mesure de payer
ponctuellement le loyer et les frais accessoires, ainsi que
d’éventuelles majorations découlant d’une clause d’indexation ou
d’échelonnement » (D. LACHAT, Le bail à loyer, Lausanne 2008, p. 613).
Il est par ailleurs « erroné de vouloir attacher une importance
démesurée à la seule proportion existant entre le montant du loyer et
les revenus du locataire de remplacement » (BISE/PLANAS in Commentaire
pratique, Droit du bail à loyer, Bâle 2010, no 45 ad art. 264). D’une
manière générale, les critères à prendre en compte pour pouvoir établir
le caractère solvable du locataire entrant doivent inclure la totalité
des sources de revenu (cas échéant les revenus cumulés s’il y a
plusieurs signataires du bail), la situation financière en matière de
poursuites (un acte de défauts de biens démontre par essence
l’insolvabilité de la personne concernée ; les poursuites en sont un
indice), la ponctualité dans le versement intégral du loyer
(BISE/PLANAS, op. cit., no 47 à 50 ad art. 264), ainsi que « l’origine
des revenus, la nature de l’activité professionnelle déployée par le
candidat, l’apport financier du conjoint, d’un concubin ou d’un autre
cotitulaire du bail, ainsi que d’éventuelles garanties offertes par des
tiers » (F. CHAIX, L’article 264 CO : A la recherche du locataire de
remplacement in SJ 1999 II 49, p. 59 s.). A titre d’exemples, un
candidat qui s’engage à payer un loyer sensiblement plus bas que celui
dont s’acquittait l’ancien locataire (ATF 117 II 56/JdT 1992 I 317), de
même que le candidat qui a demandé sa mise en faillite et qui est au
chômage (arrêt du TF du 22 mai 2001 4C.15/2001) ont été considérés comme
étant insolvables. Le bailleur pouvait ainsi dans ces cas refuser
valablement le nouveau locataire, l’ancien locataire restant débiteur du
loyer jusqu’à l’échéance du terme. Au contraire, un couple qui doit
consacrer un tiers de son revenu au paiement du loyer, même si le couple
n’était pas encore marié et qu’il était possible que la femme arrête de
travailler, a été considéré comme étant solvable (ATF 119 II 36).
Bien
que le locataire ne soit pas tenu de respecter un quelconque délai pour
restituer la chose louée de manière anticipée, « [i]l doit toutefois
donner au bailleur le temps d’examiner la candidature proposée, en
particulier de s’assurer la solvabilité du candidat » (D. LACHAT, Le
bail à loyer, Lausanne 2008, p. 611). Un délai de 10 à 20 jours,
davantage pour les locaux commerciaux ou pour les personnes qui ne sont
pas des professionnels de la branche, peut être considéré comme
suffisant. Dans ce délai, le bailleur est tenu de donner au locataire
qui présente un candidat sa réponse quant à l’acceptation ou non de ce
dernier, cas échéant les motifs qui l’ont amené à le refuser (F. CHAIX,
op. cit., p. 70 s., CR CO I-LACHAT, no 7 ad art. 264, D. LACHAT, op.
cit., p. 611 s.).
L’art. 264 CO « n’impose aucune
Kontrahierungszwang. Le bailleur est libre de refuser le candidat.
Toutefois, si celui-ci est objectivement acceptable, solvable et disposé
à conclure aux mêmes conditions (preuves à la charge du locataire, art.
8 CC), le sortant est libéré de ses obligations, dès le jour où le
candidat était prêt à reprendre le bail, pour autant qu’à cette date la
chose ait été effectivement restituée. Sont notamment assimilés à un
refus injustifié libérant le sortant : l’absence de réponse du bailleur à
la candidature proposée, un refus non motivé, ainsi que le «
détournement de candidat » (le bailleur lui propose d’autre locaux) »
(CR CO I-LACHAT, no 9 et 10 ad art. 264).
2c
En l’espèce, les locataires ont clairement signifié au bailleur
leur volonté de remettre la chose louée (pièce 8 du bordereau de
demande, lettre du 31 août 2009). Ils ont en outre respecté le délai de
préavis d’un mois pour le quinze ou la fin d’un mois (art. 9 du
contrat-cadre romand, applicable en l’espèce en vertu du ch. 3 de ses
dispositions générales).
La candidature de X. a été déposée le 16
septembre 2009, pour le 1er octobre 2009. Les locataires ont dû
repousser la remise de l’objet loué et ont trouvé un arrangement avec
leur nouveau bailleur pour que leur prochain bail débute un mois plus
tard que prévu, soit le 1er novembre 2009. Cela a été dû au fait que le
bailleur ne leur fournissait aucune réponse quant à l’acceptation ou non
de la candidature de X.
Dans un premier temps, il sied de constater
que la solvabilité de la candidate ne peut en l’espèce être retenue. En
effet, X. réalise un salaire mensuel brut de 3'400 francs, soit 2'556
fr. 35 net, et perçoit au surplus, selon jugement étranger, 300 euros
par mois à titre de pension alimentaire. Bien qu’il n’ait pas été prouvé
en première instance que ce montant soit effectivement perçu, et même
en le retenant pour les besoins du présent calcul, in n’en demeure pas
moins que l’insolvabilité de la candidate peut être établie. En se
fondant sur des revenus globaux d’un total approximatif de 2'900 francs
nets par mois, la candidate aurait dû s’acquitter d’un loyer d’un
montant de 1'505 francs, charges comprises. Cela représente un taux
d’effort arrondi de 52% (rapport qu’il faut calculer en se fondant sur
les revenus nets, et non bruts ; cf. notamment ATF 119 II 36 consid.
3d), soit plus de la moitié de ses revenus cumulés. Quand bien même X.
avait obtenu une garantie de la part de son employeur, un tel ratio est
trop élevé pour que la solvabilité de la candidate puisse être établie,
ce d’autant plus qu’elle a à charge trois enfants, dont il n’est pas
allégué qu’ils contribuent financièrement au ménage (TERRAPON, in 12e
Séminaire sur le droit du bail 2002, La restitution des locaux loués et
l’offre d’un locataire de remplacement, p. 13, estime à ce propos qu’un
rapport de 50% permet à lui seul de fournir l’indication selon laquelle
un candidat ne remplit pas la condition de solvabilité). La situation
financière de la candidate n’était ainsi pas de la même nature que celle
des anciens locataires, à savoir celle d’un couple sans enfants qui
devait s’acquitter d’un loyer moins élevé, et le raisonnement des
premiers juges n’est ainsi pas critiquable, ceux-ci arrivant quoi qu’il
en soit au même résultat d’insolvabilité de la candidate.
Le fait
que cette candidate ne soit pas objectivement solvable ne signifie
toutefois pas encore que le refus du bailleur soit justifié. En effet,
dans le cas d’espèce, deux éléments doivent être imputés au bailleur,
avec pour conséquence de libérer les locataires sortants de leurs
obligations de règlement du loyer dès le 30 septembre 2009.
Premièrement,
malgré le refus du bailleur, respectivement de sa représentante,
d’accepter X. comme nouvelle locataire, la Cour de céans constate qu’un
autre appartement a été proposé par le bailleur à la candidate. Certes,
celui-ci est plus petit (3 pièces au lieu de 4 pièces) et son loyer
diffère quelque peu (il est inférieur de 319 francs). La doctrine
considère qu’un tel comportement du bailleur, qualifié par certains de «
détournement de candidat » (CR CO I-LACHAT, no 9 et 10 ad art. 264),
représente un refus injustifié, qui doit être imputé au bailleur et qui
libère donc valablement les locataires (F. CHAIX, op. cit., p. 70, CR CO
I-LACHAT, no 9 et 10 ad art. 264, TERRAPON, op. cit. p. 19, LACHAT in
Cahiers du bail 1998, La restitution anticipée de la chose louée (art.
264 CO) : Questions choisies, p. 144). Le montant du loyer du logement
proposé n’est pas pris en considération par la doctrine, de sorte qu’il
suffit qu’un bailleur propose un autre logement au candidat présenté par
les locataires sortants, pour que l’on puisse retenir un refus
injustifié. La question de savoir si le critère du loyer doit être pris
en considération peut cependant rester en l’espèce indécise. En effet,
même si une différence de 319 francs entre les deux appartements existe,
il n’en demeure pas moins que l’insolvabilité de X., au sens de l’art.
264 CO, est établie. Malgré la baisse du loyer (de 1'505 francs à 1'186
francs), le taux d’effort représente toujours un pourcentage élevé, soit
approximativement 41%. Le recourant ne peut ainsi pas refuser
valablement la reprise de l’appartement des intimés de la part de X.,
en arguant de son insolvabilité, alors qu’il lui propose un autre
appartement, pour lequel elle est également insolvable, même dans une
mesure moindre. A cela s’ajoute le fait que les conditions de location
on été les mêmes pour les deux appartements, soit que l’employeur de la
candidate devait se porter garant. On ne voit dès lors pas en quoi le
fait pour l’employeur de se porter garant n’était pas suffisant pour le
premier appartement de 4 pièces, mais le deviendrait à lui seul pour
l’appartement de 3 pièces. Pour ce premier motif déjà le recours doit
être rejeté, les deux raisonnements des premiers juges étant
indépendants (sur la notion : ATF 133 IV 119 consid. 6.3.).
Deuxièmement,
le bailleur a reçu la candidature de X. le 16 septembre 2009 ; il
avait d’ailleurs d’ores et déjà été averti oralement de cette éventuelle
candidature le 14 septembre 2009 (pièce 114 du bordereau de réponse ;
lettre du 14 septembre 2009). Même à admettre que la décision du
bailleur prenne plus de temps du fait de l’octroi ou non du consentement
du service du logement à l’égard de la candidate, il n’en demeure pas
moins qu’il a rendu sa décision de manière tardive. Il a d’une part
fourni au service du logement (compétent en matière de subventions) un
dossier en partie incomplet (lettre du 22 novembre 2010 du service du
logement adressée au Président du Tribunal des baux de la Glâne). Il a
ainsi dû compléter le dossier, afin de permettre au service de pouvoir
statuer et rendre sa décision : cela a eu pour conséquence de rallonger
de manière indue la procédure. D’autre part, la décision du service
était connue du bailleur en date du 7 octobre 2009 déjà (même lettre du
22 novembre 2010). Il s’est ainsi écoulé 15 jours entre le moment où le
bailleur avait connaissance du montant des subventions et sa
communication de refus aux locataires. Un tel délai est à lui seul déjà
excessif. Le bailleur connaissait en effet déjà la situation financière
de la candidate depuis le 16 septembre 2009. Il connaissait également la
situation des locataires sortants : ceux-ci avaient d’ores et déjà
trouvé un nouvel appartement et il était ainsi urgent pour eux d’être
fixés sur la reprise de leur appartement. De l’avis de la Cour et au vu
des circonstances du cas d’espèce, la date du 16 septembre 2009 déjà
marque le point de départ du délai de réflexion du bailleur,
l’insolvabilité de la candidate étant manifeste. Au surplus, ce n’est
que suite à l’un des nombreux appels des locataires que le bailleur a
finalement daigné leur communiquer sa décision de refus le 22 octobre
2009. Celui-ci est ainsi tardif, puisqu’il représente 36 jours depuis la
connaissance des données financières de la candidate, ainsi que 15
jours depuis la connaissance des données du service du logement. Il est
ainsi injustifié et pour ce motif également le recours doit être rejeté.
L’argumentation
du recourant n’y change rien, lorsqu’il affirme que la régie n’a pas
fait preuve d’un manque de diligence dans le traitement du dossier de
relocation. Certes, si un locataire avait été trouvé, il n’y aurait eu
aucun dommage, et aucun litige ne serait survenu. Toutefois, le reproche
imputable au bailleur réside non dans le traitement du dossier dans son
ensemble, mais bien du traitement du dossier de la candidate proposée
par les locataires sortants. C’est ce manque de diligence qui lui est
imputable et c’est en raison de ce retard que le bailleur n’a pas fourni
au locataire un refus justifié.
2d
Partant et bien que la solvabilité de X. soit déniée, les
griefs du recourant doivent être rejetés, son refus de la candidature
proposée étant injustifié.