Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève
10.02.2014
Dans un contrat de durée indéterminée, l’introduction d’une échéance finale, même soumise à l’avènement d’une condition suspensive résolutoire, consiste en une modification unilatérale du bail qui a strictement les mêmes effets qu’une résiliation de bail et empêcherait simultanément la locataire de la contester. Conformément à la doctrine, elle ne saurait être imposée unilatéralement à la locataire et ce d’autant moins que l’avis de modification fait expressément référence à une impossibilité pour cette dernière de solliciter une prolongation de bail.
Les parties sont liées par un bail à loyer du 26 février 1999 portant sur la
location d’un appartement de trois pièces à C. Le contrat a été conclu pour une
durée de six mois, renouvelable par la suite de six mois en six mois, faute de
préavis donné trois mois avant une échéance semestrielle.
Par courrier du 7
avril 2011, la régie en charge de la gestion de l’immeuble s’est adressée à la
locataire, faisant référence à un vaste projet de réhabilitation du quartier.
Dans ce cadre, la destruction de l’immeuble était envisagée.
Par courrier du
5 mai 2011, la régie indiquait que la société propriétaire avait décidé de ne
pas résilier le contrat de bail à loyer, mais de soumettre à la locataire un
avis de modification de bail précisant que celui-ci arriverait à terme dès
l’entrée en force de l’autorisation de construire. Par avis de majoration de
loyer ou d’autres modifications du bail du 19 mai 2011, une nouvelle échéance de
bail était proposée, à savoir: « le bail prendra automatiquement fin à la date
d’entrée en force de l’autorisation de construire relative à l’immeuble situé à
Carouge. Il est donc conclu pour une durée déterminée ». Il est encore précisé:
« il est rappelé au locataire qu’aucune prolongation n’est accordée lorsque le
congé est donné en prévision d’une transformation ou d’une démolition (art. 272a
al. 1 let. b CO) ».
Par requête adressée à la Commission de conciliation en
matière de baux et loyers le 16 juin 2011, la locataire a contesté l’avis de
modification du bail. La bailleresse a introduit une demande en validation de
modification unilatérale du contrat de bail le 14 février 2013 auprès du
Tribunal des baux et loyers.
Le Tribunal des baux a rendu un jugement le 26
juin 2013, constatant la nullité de l’avis de modification du bail à loyer. La
bailleresse a formé appel de ce jugement le 29 août 2013.
2.1 En cours de contrat, le bailleur peut décider de majorer le loyer pour le
prochain terme de résiliation. Selon l’art. 269d al. 1 et 2 CO, l’avis de
majoration du loyer, avec indication des motifs, doit parvenir au locataire dix
jours au moins avant le début du délai de résiliation et être effectué au moyen
d’une formule agréée par le canton; la majoration de loyer est nulle lorsqu’elle
n’est pas notifiée au moyen de la formule officielle, que les motifs ne sont pas
indiqués ou qu’elle est assortie d’une résiliation ou d’une menace de
résiliation. Ces règles s’appliquent dans la même mesure à la modification
unilatérale au détriment du locataire consistant par exemple à facturer
séparément les frais accessoires précédemment inclus dans le loyer (art. 269d
al. 3 CO).
L’art. 19 OBLF exige que la formule destinée à communiquer au
locataire la modification unilatérale du contrat contienne la désignation des
prétentions, la date de leur entrée en vigueur, les motifs précis justifiant ces
prétentions (al. 1 let. b), ainsi que les conditions légales dans lesquelles le
locataire peut contester le bien-fondé de la prétention, la liste des autorités
de conciliation existant dans le canton et leur compétence à raison du lieu (al.
1 let. c). La désignation des prétentions unilatérales du bailleur et les motifs
justifiant ces prétentions doivent figurer sur la formule officielle même et
être suffisamment précis pour permettre au locataire de saisir la portée et la
justification de la modification; la jurisprudence rendue en matière de
motivation des hausses de loyer s’applique intégralement (ATF 121 III
460).
Selon la jurisprudence, l’art. 269d CO prescrit une forme écrite
qualifiée qui s’étend à la motivation de la modification annoncée. Les
renseignements donnés par un autre moyen peuvent préciser ou servir à
l’interprétation des motifs mentionnés sur l’avis formel – ou sur l’annexe,
conformément à l’art. 19 al. 1bis OBLF–, mais non les étendre ni remplacer une
indication omise. Les motifs doivent être précis; ils doivent permettre au
locataire de saisir la portée et la justification de la modification de manière
à pouvoir apprécier en pleine connaissance de cause l’opportunité de la
contester ou non (ATF 121 III 6 consid. 3a et 460 consid. 4a/bb et cc; ATF 117
II 458 consid. 2a; arrêts du Tribunal fédéral 4A_136/2011 du 10 juin 2011;
4A_409/2009 du 1er février 2010 consid. 2.1).
La motivation telle
qu’indiquée dans la formule officielle constitue une manifestation de volonté du
bailleur (arrêt du Tribunal fédéral 4C.245/1999 du 3 janvier 2000 consid. 3a, in
MP 2000 p. 27; ATF 118 II 130 consid. 2b). Si le locataire et le bailleur ne
sont pas d’accord sur le sens ou la portée de cette communication, il faut
l’interpréter selon le principe de la confiance; sont prises en compte les
facultés de compréhension du locataire et toutes les circonstances du cas
particulier (ATF 121 III 460 consid. 4a/cc; arrêts du Tribunal fédéral
4A_136/2011 du 10 juin 2011 consid. 3.2.1; 4A_409/2009 précité, ibidem).
La
modification unilatérale qui ne comporte aucune motivation ou qui n’est pas
motivée de façon suffisamment précise est nulle (arrêts du Tribunal fédéral
4A_136/2011 du 10 juin 2011 consid. 3.2.1; 4C.330/2002 du 31 janvier 2003
consid. 3.1, in MRA 2003 p. 39; 4C.245/1999 du 23 août 1999 consid. 3a;
4C.137/1999 précité consid. 2d, concernant un cas de nullité partielle; ATF 121
III 6 et 460 consid. 4a/cc).
La notion de modification unilatérale du
contrat doit être comprise de manière large (ATF 125 III 231 consid. 3b; LACHAT,
Le bail à loyer, Lausanne 2008, ch. 3.6., p. 557). Il peut s’agir de
modifications unilatérales non appréciables en argent telles que: modification
du préavis de résiliation, de l’échéance du bail ou de la période de tacite
reconduction (LACHAT, op. cit., ch. 3.8, p. 558).
Ne constitue toutefois pas
une modification unilatérale du contrat au sens des articles 269d al. 3 et 270b
al. 2 CO la prétention du bailleur qui a des effets analogues à la résiliation
du bail. Dans ces cas, le bailleur n’a d’autre choix que de résilier le contrat
(LACHAT, op. cit., ch. 3.9., p. 559).
S’il estime qu’une modification
unilatérale du bail à son détriment est abusive, le locataire peut la contester
en justice (art. 270b CO).
Dans le cadre d’une telle contestation, le juge
devra apprécier la limite des prétentions que le bailleur peut imposer au
locataire en fonction du caractère impératif de la plupart des dispositions des
articles 253 ss CO, de l’interdiction de l’abus de droit et de la nécessité
d’éviter que la prétention équivaille dans ses effets à une résiliation (LACHAT,
op. cit., ch. 3.14., p. 561).
Les dispositions relatives à la contestation
du congé et la prolongation de bail sont pour l’essentiel impératives. Le
locataire ne peut pas renoncer aux droits que lui confèrent les articles 271 ss
CO, sauf si la loi le prévoit expressément (art. 273c CO).
La doctrine admet
que les parties puissent conclure expressément un bail de durée fixe, en
prévision de travaux de démolition ou de grande transformation nécessitant le
départ du locataire, de manière initiale ou qu’elles se mettent d’accord sur une
telle convention après qu’un précédent bail ait été résilié. Dans ce cas, il est
possible d’exclure toute prolongation de bail au sens de l’art. 272a al. 1 let.
d CO (MONTINI/MONTINI, in Droit du bail à loyer, Bâle 2010, éd. BOHNET/MONTINI,
n. 6, p. 1104 et n. 19, p. 1109).
2.2. Dans son appel, la bailleresse
soutient que l’avis de modification du bail contesté est valable à la forme et
au fond. Elle considère avoir dûment motivé l’avis et avoir suffisamment informé
la locataire du contexte dans lequel il était notifié. Elle conteste avoir
induit en erreur la locataire, avec la référence à l’article 272a al. 1 let. d
CO et au fait qu’elle ne serait en droit d’obtenir aucune prolongation, puisque
la modification de l’échéance était motivée par référence expresse à des travaux
de démolition et de reconstruction du groupe d’immeubles.
L’intimée soutient
quant à elle que la motivation de cette modification n’a pas été donnée
clairement, de sorte qu’elle a dû prendre des conclusions relatives à une
contestation de congé, lorsqu’elle a agi devant la Commission de conciliation en
matière de baux et loyers.
Les parties ont ainsi des opinions divergentes
quant au sens et à la portée à donner au contenu de l’avis de modification
unilatérale du bail contesté, ce qui mériterait une interprétation du texte de
cet avis.
En effet, la référence à l’impossibilité d’obtenir une
prolongation de bail, en application de l’art. 272a al. 1 let. d CO paraît
douteuse, dans la mesure où il ne s’agit pas de conclure de manière bilatérale
un contrat devant expressément prendre fin à une date prévisible, en raison
d’une transformation ou d’une démolition, mais de la manifestation de volonté de
la bailleresse de modifier le contrat qu’elle a elle-même admis être de nature
indéterminée, vu l’écoulement du temps. La compréhension de cette clause par la
locataire est contestable, quand bien même elle était avertie de l’existence
d’un projet immobilier dès la signature du contrat.
En outre, l’art. 272a
al. 1 let. d CO est prévu pour être appliqué lorsqu’un congé est donné.
Toutefois, la question de la validité à la forme de l’avis de modification
unilatérale du contrat de bail peut demeurer indécise, au vu des considérations
qui suivent.
L’appelante justifie la validité au fond de la modification par
le fait que le projet immobilier était connu de la locataire depuis la signature
du bail, conformément à l’art. 54 des clauses complémentaires. Ce projet étant
devenu concret et progressant, il se justifiait de préciser que l’échéance du
bail devait être portée à la date d’entrée en vigueur de l’autorisation de
construire devant être délivrée en 2014, voire au plus tard en 2015.
L’intimée considère que la modification voulue vise à transformer le bail de
durée indéterminée en contrat de durée déterminée, ce qui constituerait une
résiliation déguisée.
Force est de constater que visant à mettre un terme au
contrat, par l’introduction d’une échéance finale, même soumise à l’avènement
d’une condition suspensive résolutoire, la modification unilatérale considérée a
strictement les mêmes effets qu’une résiliation de bail et empêcherait
simultanément la locataire de la contester.
Conformément à la doctrine
précitée, elle ne saurait ainsi être imposée unilatéralement à la locataire et
ce d’autant moins que l’avis de modification fait expressément référence à une
impossibilité pour cette dernière de solliciter une prolongation de
bail.
L’argument de la bailleresse selon lequel la solution adoptée
consistant à modifier le contrat serait moins pénalisante pour la locataire que
la notification d’un congé paraît incompréhensible à ce sujet, puisqu’elle
souhaite simultanément lui interdire de bénéficier de son droit à une
prolongation.
Au vu des considérations qui précèdent, la modification
unilatérale du contrat de bail étant contraire au droit impératif, elle ne
saurait être validée, comme l’ont correctement retenu les premiers juges.
Le
jugement attaqué sera donc confirmé.