Résiliation pour non-paiement de loyer – imputation de paiement

Base légale

Nom du tribunal

Cour de justice du canton de Genève, Chambre des baux et loyers, [C/12626/2014]

Date

07.03.2016

Résumé

En application de l’art. 86 al. 1 CO, il y a lieu de considérer que les cinq paiements intervenus trois jours avant l’échéance de la mise en demeure visaient à régler les loyers arriérés, quand bien même le débiteur n’aurait fait aucune déclaration à ce propos. En effet, en acquittant au centime près le montant réclamé dans la mise en demeure, juste avant l’échéance de cette dernière, l’imputation faite par le débiteur résulte des circonstances et était indéniablement reconnaissable pour le créancier.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de sous-location de bail depuis le 1er octobre 2005 portant sur une surface commerciale de 80 m2 sises à Genève.
Par avis comminatoire du 2 avril 2014, réceptionné le 9 avril 2014, la locataire principale a mis en demeure le sous-locataire de lui régler, dans les trente jours, le montant de fr. 8'674.50 à titre d’arriéré de loyer pour les mois de décembre 2013 à avril 2014 et l’a informé de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l’art. 257d CO.

Par courrier du 2 mai 2014, le sous-locataire a contesté le montant réclamé, l’arriéré s’élevant, selon lui, à fr. 8'444.70, compte tenu de la modification du loyer à compter du 1er janvier 2014.
Par courrier du 13 mai 2014, le Conseil de la locataire principale a confirmé le montant de l’arriéré articulé par le sous-locataire et le fait que sa mandante avait bien reçu la somme totale de fr. 8'444.70 le 9 mai 2014, montant qu’elle avait affecté à concurrence de fr. 1'553.20 au loyer de mai 2014, le solde venant en imputation de l’arriéré. Considérant que ce dernier n’avait pas été intégralement résorbé dans le délai comminatoire, la locataire principale a, par avis du 26 mai 2014, résilié le bail pour le 31 juillet 2014.
Le congé a été contesté par le sous-locataire le 24 juin 2014 devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers. Par jugement du 18 juin 2015, le Tribunal des baux et loyers a condamné le sous-locataire à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens les locaux commerciaux sous-loués. Les premiers juges ont retenus notamment que l’un des cinq paiements effectués devait être affecté au paiement du loyer courant, faute au sous-locataire d’avoir déclaré quelle dette il entendait acquitter. Le sous-locataire a formé appel de ce jugement en temps utile.

Considérations

3.1 En vertu de l’art. 257d CO, lorsque, après la réception de la chose, le locataire a du retard pour s’acquitter d’un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier qu’à défaut de paiement dans ce délai il résiliera le bail (al. 1, 1ère phrase). Ce délai doit être, pour les baux d’habitations ou de locaux commerciaux, de 30 jours au moins (al. 1, 2ème phrase In fine). Faute de paiement dans le délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d’habitations et de locaux commerciaux peuvent être résiliés moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d’un mois (al. 2).
Si les conditions prévues par l’art. 257d CO ne sont pas réunies, le congé donné en application de cette disposition est inefficace (ATF 121 III 156 consid. 3c).
L’art. 257c CO prévoit que le locataire doit payer le loyer et, le cas échéant, les frais accessoires, à la fin de chaque mois, mais au plus tard à l’expiration du bail, sauf convention ou usage local contraires.
S’agissant des locaux commerciaux, il n’existe aucun usage à Genève, de sorte qu’à défaut d’accord entre les parties, c’est la norme précitée qui s’applique (BOHNET/MONTINI, Droit du bail à loyer, Bâle, 2010, n. 25 ad art. 257c CO; LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p. 310-311).
Conformément à l’art. 86 al. 1 CO, le débiteur qui a plusieurs dettes à payer au même créancier a le droit de déclarer, lors du paiement, laquelle il entend acquitter. Le second alinéa du même article prévoit que faute de déclaration de sa part, le paiement est imputé sur la dette que le créancier désigne dans la quittance, si le débiteur ne s’y oppose immédiatement.
L’art. 87 CO règle au surplus les cas dans lesquels aucune déclaration n’est intervenue, en déterminant l’ordre d’imputation d’un paiement qui ne suffit pas à couvrir les diverses dettes qu’un débiteur doit payer à un même créancier. C’est ainsi que le paiement s’impute sur la dette exigible et, si plusieurs le sont, sur celle qui a donné lieu aux premières poursuites contre le débiteur, subsidiairement sur la dette échue la première (al. 1); si plusieurs dettes sont échues en même temps, l’imputation se fait proportionnellement (al. 2), tandis que si aucune des dettes n’est échue, l’imputation se fait sur celle qui présente le moins de garanties pour le créancier (al. 3).
La déclaration visée par l’art. 86 al. 1 CO interviendra normalement lors du paiement, mais peut aussi intervenir avant celui-ci (arrêt du Tribunal fédéral 4A_68/2014 du 16 juin 2014 consid. 4.3; ATF 37 II 393 consid. 2; LOERTSCHER, Commentaire romand, n. 5 ad art. 86 CO). L’imputation faite par le débiteur peut aussi résulter des circonstances, par exemple de la concordance entre le montant du paiement et celui de l’une des dettes, mais doit cependant être reconnaissable par le créancier (ATF 26 II 412 consid 4; LOERTSCHER, op. cit., n. 5 ad art. 86 CO).

3.2 En l’espèce, les termes contractuels de paiement du sous-loyer ne résultant pas du dossier, se pose en premier lieu la question de savoir si le loyer du mois d’avril 2014 était exigible au moment de la mise en demeure reçue le 9 avril 2014 et si, au moment des cinq paiements effectués par l’appelant, soit le 6 mai 2014, le loyer du mois de mai était déjà échu. De prime abord, l’art. 257c CO devrait trouver application. Cependant, les parties n’ont manifestement pas été interpelées par les premiers juges sur cette question et on peut également se demander si le fait que le sous-locataire n’ait à aucun moment soutenu, notamment à réception de la mise en demeure, que le loyer d’avril 2014 n’était pas exigible, ne tend pas à démontrer qu’il existe un accord entre les parties prévoyant le paiement du loyer par mois d’avance.
Cette question peut toutefois demeurer ouverte, tant il est vrai que les congés doivent de toute manière être déclarés inefficaces, comme on le verra ci-après.

3.3 En application de l’art. 86 al. 1 CO, il y a lieu de considérer que les cinq paiements intervenus le 6 mai 2014, soit trois jours avant l’échéance de la mise en demeure, visaient à régler les loyers arriérés, quand bien même le débiteur n’aurait fait aucune déclaration à ce propos. En effet, en acquittant au centime près le montant réclamé dans la mise en demeure, juste avant l’échéance de cette dernière, l’imputation faite par le débiteur résulte des circonstances et était indéniablement reconnaissable pour le créancier.
Cela étant, le sous-locataire avait annoncé à l’avance, soit par courrier de son conseil envoyé quatre jours plus tôt, son intention de régler, d’ici au 9 mai 2014, la totalité du montant réclamé dans l’avis comminatoire, de sorte que le débiteur a quoi qu’il en soit procédé à la déclaration visée à l’art. 86 al. 1 CO. Une déclaration au sens de cette disposition peut en effet également intervenir en avance.
Enfin, il résulte du dossier que les cinq paiements étaient tous accompagnés d’un « message » (terme utilisé par la banque), indiquant quelle dette était acquittée. Se pose la question de savoir si ce « message » est effectivement parvenu dans la sphère d’influence du créancier, dans la mesure où il incombe au débiteur que sa déclaration soit effectivement reçue par le créancier, pour valoir déclaration au sens de l’art. 86 al. 1 CO.
Le fait que la banque intitule cette information « message » permet d’en déduire que l’information en question parvient effectivement dans la sphère d’influence du créancier. Dans la mesure où l’intimée s’est contentée de produire un récapitulatif de sa banque, sur lequel elle n’a précisément pas sélectionné l’option « Afficher les détails de l’écriture », il convient de retenir qu’elle échoué à apporter la contre-preuve de ce fait, étant relevé qu’il n’appartenait pas au Tribunal d’interpeller la locataire principale pour la rendre attentive à l’insuffisance de sa contre-preuve. En effet, sous l’ancien droit comme sous le CPC, la maxime inquisitoire sociale, qui impose au juge un devoir d’interpellation accru, s’applique avec retenue s’agissant d’une partie représentée par un avocat (art. 274d al. 3a CO et art. 247 al. 2 let. a CPC; arrêts du Tribunal fédéral 4A_491/2014 du 30 mars 2015 consid. 2.6.1; 4A_519/2010 du 11 novembre 2010 consid. 2.2; 4A_211/2015 du 8 décembre 2015 consid. 3.3). Or, la locataire principale était non seulement assistée d’un avocat, mais son attention avait en outre expressément été attirée par l’appelant sur l’insuffisance de sa contre-preuve, puisque l’appelant avait sollicité, lors de l’audience du 22 avril 2015, la production des avis de crédit de décembre 2013 à juin 2014, affirmant que les « messages » apparaissaient bien sur ceux-ci.
Au vu de ce qui précède, les cinq paiements effectués le 6 mai 2014 ont éteint les dettes de loyers de l’appelant pour les mois de décembre 2013 à avril 2014, soit ceux visés dans l’avis comminatoire.
Enfin, le courrier du conseil de l’appelant, daté du 27 mai 2014, ne saurait remettre en question ce constat, tant il est vrai qu’il ne faisait que prendre « bonne note » du fait que la locataire principale avait affecté une part du versement au loyer dû pour le mois courant, sans indiquer qu’elle acceptait cette attribution. Il ne saurait dès lors être considéré que les parties se sont entendues sur une modification de la déclaration d’imputation. Il apparaît d’ailleurs vraisemblable qu’il s’agit plutôt d’un malentendu, le conseil de l’appelant ayant vraisemblable cru, lorsqu’il a adressé ce courrier, que la somme que sa partie adverse disait attribuer au loyer de mai 2014 consistait en un solde excédentaire par rapport au montant de la mise en demeure comme il l’a ensuite laissé entendre dans son courrier du lendemain, dans lequel il contestait cette attribution.
Au vu de ce qui précède, l’entier de l’arriéré ayant été réglé dans le délai comminatoire, les congés sont inefficaces.
Le jugement entrepris sera ainsi annulé.

Décision

57/2 - Résiliation pour non-paiement de loyer – imputation de paiement

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