Résiliation pour non-paiement de loyer
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
11.12.2006
Résumé
Lorsque le bailleur souhaite obtenir le paiement du loyer par trimestre d’avance, il doit adresser au locataire une mise en demeure spécifique indiquant clairement le montant exigible à partir d’une date précise. L’indication qu’il «pourra» exiger le loyer payable trimestriellement à l’avance ne répond pas à cette exigence; il s’agit en effet d’une expression potestative qui n’est pas propre à définir clairement les obligations du locataire.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat de bail depuis le 21 mars 1980
portant sur la location d’un appartement de trois pièces à Genève. Le
montant du loyer et des charges a été fixé en dernier lieu à fr. 755.-
par mois.
Le 14 octobre 2005, la bailleresse a envoyé à la locataire
un relevé de compte indiquant que le loyer d’octobre n’était pas encore
payé, précisant ce qui suit : «La présente vaut mise en demeure écrite
du bailleur de régler sans faute à réception de ces lignes le loyer du
moins en cours. A défaut le bailleur pourra exiger que le loyer soit dès
le mois prochain payé trimestriellement à l’avance».
Par lettre
recommandée du 1er novembre 2005, la bailleresse a constaté qu’aucune
suite n’avait été donnée à son écrit du 14 octobre et a sommé la
locataire de régler les loyers d’octobre, novembre et décembre dans les
trente jours en fonction de l’art. 257 d CO, précisant que, si le
paiement n’était pas effectué, elle serait en droit de résilier le bail.
La
locataire a payé fr. 755.- le 2 novembre 2005, fr. 755.- le 7 novembre
2005, fr. 755.- le 16 décembre 2005 et fr. 795.- le 16 décembre 2005.
Estimant que les loyers n’avaient pas été payés dans le délai imparti,
la bailleresse a résilié le contrat le 14 décembre 2005 pour le 31
janvier 2006.
La locataire a contesté ce congé devant la Commission
de conciliation. En parallèle, la Commission de conciliation a été
saisie d’une requête d’expulsion déposée par la bailleresse. La
tentative de conciliation s’étant soldée par un échec, le Tribunal des
Baux et loyers a rejeté la demande d’expulsion de la bailleresse.
Celle-ci a interjeté appel de cette décision.
Considérations
3. S’agissant de la problématique du loyer payable par trimestre et
d’avance, le Tribunal fédéral (ATF 4C. 347/2004 du 4 novembre 2004) a
précisé qu’une telle prétention du bailleur, reposant sur une clause
contractuelle, n’avait pas à être tenue pour une prétention unilatérale
donnant lieu à la procédure prévue par l’art. 269d CO.
Quant à la
Chambre d’appel de céans, elle a déjà eu l’occasion de rappeler qu’une
telle prétention du bailleur ne devait pas créer d’incertitude chez le
locataire qui devait savoir quel était le montant du loyer futur
immédiatement exigible (ACJC/1274/1999 du 6 décembre 1999 ;
ACJC/762/2000 du 3 juillet 2000).
Ainsi, il appartient au bailleur,
au moment de la notification de cette mise en demeure spécifique,
d’indiquer clairement au locataire le montant exigible à partir d’une
date précise, le tout résultant des clauses du contrat, plus précisément
de l’art. 1 du contrat-cadre de bail à loyer romand, obligatoire depuis
le 1er décembre 2001.
3.1 En l’occurrence, la Chambre d’appel
constate que la bailleresse n’a pas clairement mis en demeure sa
locataire, puisque dans sa lettre du 14 octobre 2005, elle a simplement
spécifié qu’elle pourra exiger que le loyer et l’acompte de chauffage
soient dès le mois prochain payés trimestriellement à l’avance.
Il
s’agit-là d’une expression potestative, qui n’est pas propre à définir
clairement les obligations de la locataire, puisque la bailleresse
indique qu’elle pourra exiger, et non pas qu’elle exigera.
De sorte
que la lettre subséquente du 1er novembre 2005, exigeant le paiement par
trimestre d’avance, ne respecte pas les modalités prévues dans le
contrat-cadre obligatoire.
3.2 Il faut donc retenir que la
locataire n’a jamais été mise valablement en demeure de s’acquitter de
son loyer par trimestre et d’avance, ce qui scelle le sort de l’appel de
la bailleresse, sans avoir à rechercher à quelle date précise cette
lettre recommandée est parvenue à la locataire.
Voudrait-on admettre
que la mise en demeure puisse avoir un effet par le simple paiement
mensuel d’avance du loyer qu’il faudrait alors constater que le
locataire s’est acquitté de la totalité de l’arriéré dans le délai en
réglant 755 fr. le 2 novembre 2005 et encore 755 fr. le 7 novembre 2005.
Les conditions de la résiliation anticipée du bail selon l’art. 257 d CO n’étaient ainsi pas réunies.
4. A
titre surérogatoire, la Chambre d’appel considère encore, s’agissant du
congé, que l’art. 271 al. 1 CO s’applique également lorsque la
résiliation du bail a pour cause la demeure du locataire au sens de
l’art. 257d CO.
Le droit du bailleur de résilier le bail s’oppose
alors à celui du locataire d’être protégé contre une résiliation
abusive. Le juge ne peut annuler le congé litigieux que si celui-ci est
inadmissible au regard de la jurisprudence relative à l’abus de droit et
à la bonne foi ; il faut des circonstances particulières pour que le
congé soit annulé (ATF 120 II 31 consid. 4a p. 33). Tel sera le cas, par
exemple, lorsque le bailleur, lors de la fixation du délai
comminatoire, réclame au locataire une somme largement supérieure à
celle en souffrance, sans être certain du montant effectivement dû (ATF
120 II 31 consid. 4b p. 33/34). Le congé sera également tenu pour
contraire aux règles de la bonne foi si le montant impayé est
insignifiant (ATF 120 II 31 consid. 4b p. 33), si l’arriéré a été réglé
très peu de temps après l’expiration du délai alors que le locataire
s’était jusqu’ici toujours acquitté à temps du loyer ou si le bailleur
résilie le contrat longtemps après l’expiration du délai comminatoire
(LACHAT, Le bail à loyer, p. 213 ; WESSNER, L’obligation du locataire de
payer le loyer et les frais accessoires, in 9ème Séminaire sur le droit
du bail, Neuchâtel 1996, p.24).
En l’espèce, la locataire a accusé un retard dans ses paiements et entraîné la bailleresse dans des frais de rappels.
Ce
n’est pas à cause du prétendu défaut de paiement par trimestre d’avance
que le bail a été résilié, mais en réalité à cause du manque de
ponctualité dans le versement mensuel d’octobre de la locataire.
Dans
la mesure où la bailleresse veut être payée avec ponctualité et par
trimestre d’avance, mais qu’elle n’a pas respecté les modalités de mise
en demeure et l’échéance prévue par le contrat-cadre, il faut retenir
que la résiliation du bail est abusive, d’autant que lors de la
comparution personnelle des parties devant le Tribunal du 20 juin 2006,
la locataire était à jour dans le paiement de son loyer.
Décision
43/3 - Résiliation pour non-paiement de loyer