Résiliation de bail pour justes motifs
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
09.10.2006
Résumé
L’opposition systématique des locataires aux travaux projetés par les bailleurs ne peut constituer un juste motif au sens de l’art. 266 g CO, dans la mesure où les propriétaires ont à plusieurs reprises outrepassé le cadre des autorisations de construire délivrées.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer de 1962 portant
sur la location d’un appartement de quatre pièces avec jardin à Genève.
Par
décision du 19 octobre 2000, le département cantonal compétent a
délivré une autorisation de construire portant sur l’aménagement des
combles, la réfection de l’enveloppe et l’assainissement des
installations techniques de l’immeuble. Les nouveaux propriétaires ont
entrepris, en mai 2002, des travaux consistant notamment en
l’installation d’une gaine technique entre le 1er étage et le sous-sol
de l’immeuble. Les locataires se sont opposés à ces travaux, en
empêchant les ouvriers d’entrer dans leur appartement.
La police des
constructions est intervenue auprès des propriétaires pour leur
indiquer que ces travaux n’étaient pas compris dans l’autorisation de
construire délivrée en octobre 2000. Le 12 juin 2003, le département
cantonal compétent a délivré l’autorisation complémentaire portant sur
diverses modifications ; cette autorisation a fait l’objet d’un recours
de la part des locataires.
Le 24 juin 2003, les propriétaires ont
résilié le bail des locataires. Ces derniers ont contesté ce congé
devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers puis
auprès du Tribunal des baux et loyers. Par jugement du 30 novembre
2005, le Tribunal a jugé inefficace le congé. En bref, les juges ont
considéré que l’on ne pouvait reprocher aux locataires de s’être opposés
aux travaux que leurs bailleurs voulaient entreprendre dans leur
appartement sans y avoir été autorisés par l’autorité administrative
compétente.
Considérations
2. Les bailleurs reprochent au Tribunal des baux et loyers d’avoir fait
une mauvaise application de l’art. 266g CO. Ils soutiennent que les
locataires s’étaient engagés, en juin 2002, à accepter le passage d’une
gaine technique à travers leur appartement. En refusant ces mêmes
travaux en juin 2003, juste après la délivrance de l’autorisation
complémentaire par le département, les locataires seraient revenus sur
leur engagement, de manière inadmissible. La poursuite du contrat était
donc devenue intolérable, ce qui justifierait une résiliation pour
justes motifs.
En vertu de l’art. 266g al. 1 CO, une partie peut
résilier le bail à n’importe quel moment, en observant le délai de congé
légal, si l’exécution du contrat lui devient intolérable pour de justes
motifs. Ne peuvent constituer de justes motifs au sens de cette
disposition que des circonstances d’une gravité exceptionnelle, qui
n’étaient pas connues ni prévisibles lors de la conclusion du contrat et
qui ne résultent pas d’une faute de la partie qui s’en prévaut. Ces
circonstances doivent être si graves qu’elles rendent la poursuite du
bail jusqu’à son terme objectivement intolérable. La perception
subjective du caractère intolérable de la poursuite du bail par la
partie qui résilie n’est pas pertinente (ATF 122 III 262 consid. 2a/aa
p. 265 ss et les références; arrêt 4C.375/2000 du 31 août 2001, consid.
3a, reproduit in Pra 90/2001, n. 177, p. 1073). Le juge apprécie s’il
existe des justes motifs en appliquant les règles du droit et de
l’équité (art. 4 CC). A cet égard, il prendra en considération tous les
éléments du cas particulier, qu’il pondérera avec le principe de la
sécurité du droit et avec l’intérêt de l’autre partie au maintien du
contrat (arrêt précité du 31 août 2001 et les références).
Le
Tribunal des baux et loyers a considéré en l’espèce que l’opposition
systématique des locataires aux travaux projetés par les bailleurs ne
pouvait constituer un juste motif au sens de l’art. 266g CO, compte tenu
des circonstances particulières de la cause. A ce sujet, les juges ont
relevé que les propriétaires avaient à plusieurs reprises outrepassé le
cadre des autorisations de construire délivrées, au point que
l’administration compétente a dû leur notifier trois arrêts de chantier,
et qu’à deux reprises elle les a sanctionnés d’une forte amende. Dans
un tel contexte, on ne saurait reprocher aux locataires d’avoir fait
usage des voies de droit que l’ordre juridique leur accorde, dans le but
de s’assurer que les travaux entrepris dans l’immeuble concerné étaient
conformes à la réglementation applicable.
Ce raisonnement est
pertinent. Dans leur appel, les bailleurs passent sous silence les
nombreuses interventions de l’autorité administrative à leur encontre,
en raison de travaux entrepris sans autorisation, ou excédant les
autorisations délivrées. A cet égard, le procès-verbal de l’audition de
X., responsable du service juridique du Département, est éloquent. Cette
représentante de l’autorité administrative indique que trois arrêts de
chantier on été prononcés concernant cet immeuble, en raison de la
non-conformité des travaux en cours avec les autorisations délivrées. Le
premier ordre a été signifié en mars 2001, le second en février 2002 et
le troisième le 21 juin 2002. Les intéressés n’ayant pas respecté les
injonctions du département, plusieurs amendes ont été prononcées contre
eux, pour un montant total de 120'000 fr.
Dans un tel contexte, il
est compréhensible que les locataires d’un immeuble faisant l’objet
d’infractions répétées aux dispositions de police des constructions
aient conçu des doutes sur la réelle volonté des propriétaires de
respecter le droit. Ainsi, lorsque des ouvriers ont exigé, en mai 2002
puis en juin 2003, de pénétrer dans le logement objet du bail pour y
effectuer des modifications relativement importantes, il n’y avait rien
d’abusif à leur en refuser l’accès, au moins en attendant de vérifier
auprès de l’autorité compétente si lesdits travaux étaient bel et bien
été autorisés, et les dispositions en vigueur correctement appliquées.
Or,
lorsque les bailleurs ont signifié le congé querellé, l’autorisation
complémentaire de construire n’était délivrée que depuis quelques jours,
n’ayant fait l’objet d’une publication dans la Feuille d’avis
officielle que le 18 juin 2003. Cette décision pouvait encore faire
l’objet d’un recours et n’était, par conséquent, pas encore définitive.
Il es vrai que les locataires s’étaient engagés à laisser les travaux
s’effectuer s’ils étaient «déclarés conformes par le Département», ce
qui aurait pu être compris comme une renonciation à former recours
contre une éventuelle décision positive de l’administration compétente.
Un tel engagement serait toutefois, selon toute vraisemblance, excessif
(art. 20 CO et 27 CC), dans la mesure où il est pris à un moment où le
contenu précis de ladite autorisation ne peut pas être connu. Quoi qu’il
en soit, les locataires n’ont nullement pris cet engagement, leurs
déclarations de juillet 2002 pouvant également être interprétées en ce
sens qu’ils se soumettront aux rocades prévues dès que la licéité des
travaux aura été vérifiée. Dans ces conditions, et comme le relèvent les
premiers juges, on ne saurait reprocher aux locataires d’avoir fait
usage d’une voie de recours mise à leur disposition, étant observé que
le recours déposé ne peut être qualifié de téméraire, puisqu’il a été
admis, en première instance, par la Commission de recours.
Il découle
de ce qui précède que les conditions posées par l’art. 266g CO pour
fonder un congé pour justes motifs ne sont pas réalisées, en ce sens
notamment que le comportement incriminé ne saurait être qualifié de
grave, au point de rendre la poursuite du contrat intolérable. Au
contraire, le comportement des propriétaires de l’immeuble,
particulièrement peu respectueux des règles administratives, a
manifestement contribué à susciter des craintes du côté des locataires,
s’agissant de la régularité des travaux à entreprendre dans leur
logement. Il faut également considérer que les blocages visés par la
partie bailleresse résultent d’une faute de sa part. Les premiers juges
ont donc à juste titre retenu l’inefficacité du congé litigieux.
Décision
43/5 - Résiliation de bail pour justes motifs