Chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève
14.11.2011
Des contrats de sous-locations non exécutés par le locataire ne sont pas de nature à nuire à la réputation de la bailleresse, ni à celle de l’ensemble des locataires de l’immeuble. Dans ces circonstances, il ne saurait être question d’un préjudice grave au sens de l’art. 257 f al. 4 CO et justifiant un congé immédiat.
5.1 Aux termes de l’art. 257f CO, le locataire est tenu d’user de la chose avec le soin nécessaire (al. 1) ; s’il s’agit d’un immeuble, il est tenu d’avoir pour les personnes habitant la maison et les voisins les égards qui leur sont dus (al. 2) ; lorsque le maintien du bail est devenu insupportable pour le bailleur ou les personnes habitant la maison parce que le locataire, nonobstant une protestation écrite du bailleur persiste à enfreindre son devoir de diligence ou à manquer d’égards envers les voisins, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat ; les baux d’habitations et de locaux commerciaux peuvent être résiliés moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d’un mois (al. 3) ; les baux d’habitations et de locaux commerciaux peuvent toutefois être résiliés avec effet immédiat, si le locataire cause volontairement un préjudice grave à la chose (al. 4).
5.2 D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, une sous-location
sans le consentement du bailleur – notamment lorsque le locataire
s’abstient de demander l’autorisation de sous-louer – peut justifier une
résiliation anticipée du bail selon l’art. 257f al. 3 CO. Le seul fait
de ne pas requérir le consentement du bailleur ne suffit toutefois pas à
justifier un congé anticipé, sans avertissement préalable.
Pour
respecter la condition de la protestation prescrite à l’art. 257f al. 3
CO, le bailleur qui apprend que l’objet remis à bail est sous-loué sans
son consentement doit inviter le locataire, par écrit, à se conformer
aux exigences légales, en l’enjoignant à mettre un terme à la
sous-location ou en protestant contre l’absence de demande
d’autorisation. Si le bailleur choisit la première injonction, le
preneur a tout de même la possibilité de requérir le consentement de son
cocontractant, qui peut être donné après coup. Si le locataire ne
réagit pas à l’avertissement écrit du bailleur, un congé anticipé sera
fondé, en tout cas, lorsqu’un examen rétrospectif des faits permet de
conclure que le bailleur aurait disposé d’un motif valable au sens de
l’art. 262 al. 2 CO pour s’opposer à la sous-location. Dans ce cas,
l’exigence du caractère insupportable du maintien du contrat pour le
bailleur posée à l’art. 257f al. 3 CO n’a pas de portée indépendante
(ATF 134 III 446 consid. 2.2 ; ATF 134 III 300 consid. 3.1 et 3.2).
Dans
le cas présent, on ne voit pas pour quels motifs les lettres adressées
le 17 décembre 2007 par l’appelante à l’intimé et à sa curatrice ne
constitueraient pas une protestation au sens de l’art. 257f al. 3 CO. Le
courrier adressé à la curatrice doit être considéré comme ayant été
envoyé à une personne représentant valablement l’intimé quant aux
questions du bail et de sa résiliation (cf. DESCHENAUX/STEINAUER,
Personnes physiques et tutelle, 2001, n. 1137 s. ; STETTLER,
Représentation et protection de l’adulte, 1997, n. 285 ss). Ces lettres
ont été notifiées à l’intimé en temps utile après la prise de
connaissance de la bailleresse des agissements du locataire (cf.
Commentaire SVIT, n. 43 ad art. 257f CO, p. 158 ; LACHAT, Le bail à
loyer, 2008, ch. 3.1.7 p. 677), à savoir des sous-locations qu’il avait
conclues, soit seulement quatre jours après le courrier de X.
Contrairement à ce qu’a considéré le Tribunal, une protestation ne doit
pas obligatoirement fixer un délai, contenir une mise en demeure ou
menacer d’une résiliation, même si cela est souhaitable pour la clarté
de la protestation (Commentaire SVIT, n. 44 s. ad art. 257f CO, p. 158
s. ; LACHAT, Le bail à loyer, ch. 3.1.7 p. 677 s. ; dans ce sens
également ATF 134 III 446 consid. 2.2 ; ATF 134 III 300 consid. 3.1 et
3.2).
5.3 Comme l’ont retenu les premiers juges, il n’est pas établi que
l’appartement litigieux ait été effectivement sous-loué par l’intimé.
Certes, celui-ci s’est engagé à céder l’usage de son logement à ses
cocontractants (cf. art. 253 et 262 CO ; BISE/PLANAS, in Droit du bail à
loyer, Commentaire pratique, 2012, n. 14 ss ad art. 262 CO), mais ces
derniers n’ont jamais pu concrètement y habiter. On voit mal dans ces
conditions en quoi l’appelante pouvait – et devait – au préalable donner
son accord, s’agissant de contrats de sous-location que l’intimé
n’entendait pas exécuter. Si les tromperies commises par celui-ci sont
indubitablement graves et pénalement punissables, il n’en demeure pas
moins qu’elles n’ont, en regard des circonstances particulières du cas,
lésé ni la bailleresse, ni les personnes habitant l’immeuble (cf. art.
257f al. 3 in initio CO ; cf. aussi HIGI, Zürcher Kommentar, volume V
2b, Die Miete, 1994, n. 61 in fine ad art. 257f CO), mais seulement des
tiers. Les agissements de l’intimé ne pouvaient pas non plus fonder des
prétentions de tiers à l’encontre de la bailleresse (cf. HIGI, op. cit.,
n. 60 ad art. 257f CO), cette dernière n’étant nullement impliquée dans
la conclusion des contrats de sous-location. L’appartement et le bail
en question n’ont enfin, dans ce cas particulier, pas subi de
changements ou de perte de valeur en raison de ces comportements, mais
n’ont constitué que les objets d’engagements à dessein non tenus, le
logement étant en tout état de cause occupé par l’épouse de l’intimé et
leur enfant mineur.
Contrairement à ce que soutient l’appelante et
compte tenu de toutes les circonstances du cas, les contrats de
sous-locations non exécutés par l’intimé n’étaient pas de nature à nuire
à sa réputation, ni à celle de l’ensemble des locataires de l’immeuble,
tant il devait apparaître aux cocontractants de l’intimé comme à tous
tiers que la bailleresse et les occupants de l’immeuble n’étaient pas
impliqués dans les tromperies commises par l’intimé.
5.4 Au vu de ce qui précède, il ne saurait être question d’un
préjudice grave causé volontairement à la chose par le locataire au sens
de l’art 257f al. 4 CO et justifiant un congé immédiat ; l’appelante ne
le prétend du reste pas.
Toutefois, dans la mesure où l’appartement
dont elle est propriétaire servait à des infractions qui l’obligeaient
le cas échéant à répondre oralement ou par écrit aux cocontractants
lésés, comme elle l’a fait à l’intention de X. On ne saurait dénier à la
bailleresse le droit d’entreprendre ce qui était en son pouvoir pour
faire cesser les agissements répréhensibles de l’intimé, ces actes étant
de nature à la gêner et à entraver la confiance qu’elle pouvait avoir
en lui.
5.5 L’absence de sous-location effective exclut l’application de la
jurisprudence citée plus haut (ATF 134 III 446 consid. 2.2 ; ATF 134 III
300 consid. 3.1 et 3.2) selon laquelle un congé anticipé est fondé,
sans examen du caractère insupportable de la continuation du bail, en
tout cas lorsqu’un examen rétrospectif des faits permet de conclure que
le bailleur aurait disposé d’un motif valable au sens de l’art. 262 al. 2
CO pour s’opposer à la sous-location. La condition du caractère
insupportable du maintien du bail demeure donc en tout état de cause une
condition de l’efficacité de la résiliation litigieuse.
Le caractère
insupportable ou non de la poursuite du bail ne se détermine pas selon
des critères abstraits, mais en application des règles de l’équité (art.
4 CC), en tenant compte de toutes les circonstances concrètes du cas,
telles que les conditions particulières du contrat de bail, de
l’immeuble ou du voisinage, ainsi que d’éventuelles prétentions de tiers
à l’égard du bailleur en raison de dérangements subis (arrêt précité
4C.118/2001 consid. la, DB 2003 n. 8 p. 14 ; arrêt du Tribunal fédéral
4C.324/2002 du 3 mars 2003 consid. 3.3.1, DB 2004 n. 22 p. 41 ; HIGI,
op.cit., n. 59 ss ; WESSNER, in Droit du bail, Commentaire pratique,
2010, n. 38 ad art. 257f CO).
En l’espèce, comme exposé plus haut et
en regard des circonstances particulières du cas, le seul inconvénient
concret et établi que l’appelante a eu à subir du fait des
sous-locations illicites conclues par l’intimé consiste dans les
quelques réponses qu’elle a eu à donner à des cocontractants lésés par
le locataire. Aucun inconvénient ou dérangement concret subi par les
voisins et les autres occupants de l’immeuble n’est allégué ou établi.
Pour le reste, l’intimé est absent la majeure partie du temps de
l’immeuble et est pris en charge par des services psychosociaux et sa
curatrice. De plus, les agissements illicites établis ont été commis par
celui-ci à fin 2007 et au printemps 2009, et ont donc été isolés dans
le temps. Le maintien du bail devrait apparaître d’autant moins
insupportable qu’au moment de la résiliation du bail et au vu de la
situation, on ne pouvait raisonnablement attendre des réitérations
d’infractions de la part du locataire, les procédures pénales en cours
ainsi que les efforts vraisemblables des services psycho-sociaux et de
sa curatrice devant être de nature à le dissuader de commettre à nouveau
des tromperies. Rien ne ressort enfin du dossier quant à d’éventuels
dérangements qui auraient été occasionnés par l’épouse de l’intimé et
leur fils.
Le maintien du bail n’apparaissait dès lors pas
insupportable au sens de l’art. 257f al. 3 CO, pour l’appelante et les
habitants de l’immeuble, à l’époque de la résiliation.
L’appelante
n’invoque pas l’application à titre subsidiaire de l’art. 266g CO, dont
les conditions ne sauraient en tout état de cause, pour les mêmes
motifs, être remplies.
5.6 Le congé donné par la bailleresse ne respecte donc pas l’une des conditions de l’art. 257f al. 3 CO.
Il
s’ensuit qu’il est inefficace (cf. WESSNER, op. cit., n. 47 ad art.
257f CO ; cf. aussi arrêt précité 4C.118/2001 consid. 1b, DB 2003 n. 8
p.14).