Résiliation anticipée du bail pour violation d’obligations contractuelles

Base légale

Nom du tribunal

Chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève

Date

11.06.2007

Résumé

La violation contractuelle consistant à changer de brasseur ne revêt pas le degré de gravité suffisant et n’est pas d’une ampleur ou d’une telle intensité qu’elle rendrait le maintien du contrat de gérance insupportable pour le bailleur, ce d’autant plus que celui-ci a été tenu informé de ces tractations.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de gérance libre portant sur l’exploitation d’une arcade d’environ 44m2 située à G., avec l’arrière du magasin et un WC. Les locaux étaient destinés à l’exploitation d’un bar.
Le contrat a été conclu pour une durée de 3 ans , du 1er juillet 2002 au 30 juin 2005, renouvelable d’année en année et moyennant un préavis de six mois pour la fin d’un mois. Les parties ont prévu une clause de résiliation anticipée avec effet immédiat, pour de justes motifs, dans l’hypothèse où l’exploitant procèderait à une gestion n’entrant pas dans le cadre des activités de la branche, n’observerait pas les prescriptions légales etc. Le loyer et la redevance de la gérance ont été fixés à fr. 2'500.- par mois.
L’exploitant a manifesté le souhait de changer de fournisseur de bière. Le fournisseur actuel a informé le bailleur qu’en cas de rupture prématurée du contrat, il ferait valoir des dommages-intérêts.
Par avis du 22 septembre 2005, le bailleur a déclaré résilier le contrat de gérance libre pour le 31 octobre 2005. Le congé était motivé par la violation des art. 285 et 289 a CO.
Le 24 octobre 2005, l’exploitant a saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers d’une requête en contestation de la validité du congé et en prolongation de bail. La tentative de conciliation s’est soldée par un échec.
Le tribunal des baux et loyers a rendu un jugement le 16 novembre 2006, déclarant inefficace le congé notifié le 22 septembre 2005. Le bailleur a fait appel de ce jugement.

Considérations

2.1 A teneur de l'art. 275 CO, le bail à ferme est un contrat par lequel\n le bailleur s'oblige à céder au fermier, moyennant un fermage, l'usage \nd'un bien ou d'un droit productif et à lui en laisser percevoir les \nfruits ou les produits.
Les parties sont liées par un contrat de \ngérance libre, soit un contrat de bail à ferme non agricole au sens des \nart. 275 et ss CO. Les dispositions sur le bail à loyer s'appliquent par\n analogie en cas de congé (art. 300 al. 1 CO).
2.2 Selon l'art. 283 \nal. 1 CO, le fermier doit exploiter la chose affermée avec le soin \nnécessaire, conformément à l'usage auquel elle est destinée. Le fermier \ndoit donc utiliser la chose conformément au but pour lequel elle a été \naffermée selon le contrat ou pour lequel elle était utilisée au moment \nde la cession. Il doit observer les règles professionnelles pertinentes,\n ainsi que les méthodes et les procédés reconnus (RONCORONI, Bail à \nferme IV 2. Obligations du fermier, FJS 835, p. 2).
A teneur de \nl'art. 289 a al. 1 let. a CO, le fermier ne peut apporter au mode \nd'exploitation de la chose un changement essentiel dont les effets \ns'étendraient au-delà de la durée du bail, sans le consentement écrit du\n bailleur. Si le bailleur n'a pas donné son consentement écrit à un \nchangement et que le fermier n'a pas remis la chose en état dans un \ndélai convenable, le bailleur peut résilier le contrat avec effet \nimmédiat ou, si le bail porte sur des habitations ou des locaux \ncommerciaux, moyennant un délai de congé minimum de trente jours pour la\n fin d'un mois (art. 289 a al. 3 CO).
La doctrine cite comme exemple \nde changements essentiels au mode d'exploitation l'installation d'une \nsalle de billard ou un salon de jeu dans un local exploité comme une \nsalle de réunion d'une association (RONCORONI, Commentaire romand, No 2 \nad art. 289a, p. 1495).
Aux termes de l'art. 285 CO, lorsque le \nmaintien du bail est devenu insupportable pour le bailleur ou les \npersonnes habitant la maison parce que le fermier, nonobstant une \nprotestation écrite du bailleur, persiste à enfreindre son devoir de \ndiligence, à manquer d'égard envers les voisins ou à négliger son devoir\n d'entretien, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat. \nCette disposition est analogue à la réglementation en matière de baux et\n loyers et renvoie à l'art. 257 f al. 3 et 4 CO, ainsi qu'à la doctrine \net à la jurisprudence y relatives (LACHAT, Commentaire romand, No 1 ad. \nart. 285, p. 1488).
Le Tribunal fédéral réserve la résiliation \nanticipée de l'art. 257 f al. 3 CO aux violations du contrat en rapport \navec l'usage de la chose louée et non pas à n'importe quelle violation \ncontractuelle (LACHAT, op. cit., No 4 ad art. 257 f, p. 1338).
La \nrésiliation anticipée du bail en vertu de l'art. 257 f al. 3 CO \nprésuppose l'envoi d'une protestation écrite du bailleur. Cette \nprotestation a pour but de faire cesser une violation en cours et d'en \nempêcher une nouvelle; elle indiquera précisément l'obligation violée \npar le locataire car celui-ci doit savoir ce qui lui est reproché afin \nde modifier son comportement ou prendre les mesures qui s'imposent \n(USPI, Commentaire du bail à loyer, Genève 1992, No 42 et 45 ad art. 257\n f). La résiliation présuppose en outre que cette protestation soit \nsuivie d'une nouvelle violation (USPI, op. cit. No 42 ad art. 257 f; \nLACHAT, op. cit., p. 430) et que le maintien du contrat soit \ninsupportable pour le bailleur ou les autres habitants de l'immeuble \n(Message du Conseil fédéral du 27 mars 1985, FF 1985 I 1369 et ss, No \n421-104, p. 1410; LACHAT, op. cit., p. 432; ACJ No 206 du 20.9.93, P. c/\n S.).
La violation incriminée doit être telle que l'on ne puisse \nraisonnablement exiger du bailleur qu'il laisse le locataire disposer \ndes locaux, ce qui suppose de respecter les principes de \nproportionnalité et de subsidiarité (ATF n.p. 4C. 118/2001, cons. 1b et \nACJ No 119 du 14.2.2005, S.I. X. c/ W., K. et K.).
Les juges fédéraux\n ont ainsi estimé excessif de résilier le bail d'une famille hébergeant \nun petit chien, en dépit de la clause expresse du contrat interdisant la\n présence d'animaux dans l'immeuble (arrêt du TF 4C.226/2000).
A \nteneur de la jurisprudence, l'art. 257 f al. 3 CO régit également le cas\n où le locataire use de la chose en violation des stipulations du \ncontrat. Le bailleur doit en effet pouvoir imposer le respect de la \nclause d'affectation des locaux, même si la violation du contrat \nn'entraîne pas une situation insupportable (ATF 132 III 109 = SJ 2006 I \np. 209 et CdB 2/06, p. 55).
Le manquement reproché doit revêtir un \ncertain caractère de gravité. La doctrine cite comme exemple des \ndommages sérieux aux locaux résultant d'une négligence grave, un \nchangement illicite d'affectation des locaux, des bruits nocturnes \nrépétés, etc. (LACHAT, op. cit., No 10 ad art. 257 f, p. 1339). Une \ncontravention mineure aux règlements de la maison ou le non-respect \nd'une disposition très secondaire du contrat ne suffisent en revanche \npas à justifier une résiliation immédiate du bail (LACHAT, op. cit., p. \n431).
La violation du devoir de diligence prescrit par l'art. 257 f \nCO peut consister, notamment, dans le changement d'affectation des \nlocaux ou des modalités d'usage (WESSNER, Le devoir de diligence du \nlocataire dans les baux d'habitation et de locaux commerciaux, in 14ème \nséminaire sur le droit du bail, Neuchâtel, 2006, p. 13-14).
L'art. 257 f CO est un cas d'application des art. 107 à 109 CO.
2.3 En\n l'espèce, l'appelant, après avoir mis en demeure l'intimé de procéder \nau démontage des installations de la maison X. et à la remise en place \ndes enseignes extérieures, des bandeaux métalliques et de la colonne de \nsoutirage de la société Y., a résilié, par avis du 22 septembre 2005, le\n contrat de gérance pour le 31 octobre 2005, pour violation des \nobligations contractuelles, en application des art. 285 et 289 a CO.
L'appelant a respecté les exigences de forme prévues à l'art. 285 CO.
Le\n contrat de gérance libre conclu entre les parties prévoit expressément \nque les contrats établis avec les fournisseurs doivent être respectés \npar l'intimé jusqu'à leur échéance. Un changement de fournisseur à \nladite échéance nécessite le consentement de l'appelant.
La Cour \nretient que l'intimé a procédé au changement du contrat de livraison de \nboissons et a fait procéder au remplacement des installations y \nrelatives, de sorte qu'il a contrevenu aux dispositions contractuelles \nconcernant le respect des contrats de livraison en vigueur.
Toutefois,\n il convient de retenir que l'appelant a été tenu informé des \ntractations entre l'intimé et la société concurrente et qu'il a \négalement admis avoir participé à l'une des discussions. De plus, la \nviolation contractuelle par l'intimé ne revêt pas de degré de gravité \nsuffisant et n'est pas d'une telle ampleur ou d'une telle intensité \nqu'elle rendrait le maintien du contrat de gérance insupportable pour \nl'appelant.
La Cour souligne également que les parties ont prévu, à \nl'art. 3 du contrat de gérance libre, les motifs revêtant selon eux un \ncaractère de gravité, justifiant une résiliation du bail par l'appelant \npour justes motifs, soit une gestion inadaptée, l'inobservation des \nprescriptions légales, la sous-location des installations ou la cession \nde droits et obligations du contrat, l'atteinte aux bonnes moeurs, à \nl'ordre et à la réputation de l'établissement, ainsi que le retard du \npaiement du loyer de l'intimé.
Le changement de brasseur ne peut en conséquence pas être qualifié d'intolérable pour l'appelant.
En\n conséquence, la violation par l'intimé de ses obligations ne revêt pas \nde degré de gravité suffisant au regard de la loi et ne rend pas la \ncontinuation du bail insupportable.
C'est dès lors à juste titre que \nle Tribunal des baux et loyers a retenu que les conditions de l'art. 285\n CO n'étaient pas réalisées, a constaté l'inefficacité de la résiliation\n de bail anticipée et, en conséquence, a rejeté les conclusions en \névacuation prises par l'appelant.
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