Résiliation anticipée

Base légale

Nom du tribunal

Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève

Date

20.04.2009

Résumé

La rapidité avec laquelle les voisins et la bailleresse ont réagi et la gravité de la sanction que représente la résiliation du bail pour une famille comprenant trois enfants et ne jouissant que de revenus modestes font apparaître une résiliation comme disproportionnée, alors que d’autres mesures moins incisives auraient pu être mises en œuvre, comme une seconde mise en demeure ou une démarche personnel d’un employé de la gérance auprès des locataires. Sur le plan formel, la loi n’exige pas de semblables précautions. Toutefois, aussi bien les règles de l’équité (art. 4 CC) que la bonne foi (art 271 CO) imposent aux parties d’agir de manière loyale et non abusive.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer, daté du 1er juillet 2005, portant sur la location d’un appartement de 4 pièces. Les locataires ont emménagé dans le logement avec trois de leurs enfants, âgés de 20, 18 et 16 ans.
Le 5 janvier 2006, la bailleresse a reçu une lettre de doléances concernant les locataires et leurs enfants. Donnant suite à ce courrier, la bailleresse adressa, le 11 janvier 2006, aux locataires un courrier recommandé les informant qu’elle avait reçu une plainte de certains locataires concernant les « nuisances sonores » qui provenaient de leur appartement. Elle invita les locataires à mettre fin sans tarder à leurs agissements et à respecter, à l’avenir, la tranquillité et le repos des autres locataires de l’immeuble. A défaut, ajoutait la bailleresse, elle se verrait dans l’obligation de prendre à leur égard les mesures qui s’imposent, pouvant aller jusqu’à la résiliation du bail.
Le 15 mars 2006, certains locataires avisèrent la bailleresse qu’ils n’avaient remarqué aucune amélioration de la part de leurs voisins. La bailleresse demanda aux signataires qu’ils précisent la nature des nuisances subies. Ceux-ci firent état de « discussions assourdissantes », du volume excessif des appareils, de claquements de la porte d’entrée et de fréquents déplacements de meubles. Par plis recommandés du 24 mai 2006, la bailleresse déclara résilier le bail des locataires en application de l’art. 257 f al. 3 CO pour le 31 juillet 2006.
Par requête déposée le 8 juin à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, les locataires ont contesté ce congé. Par jugement du 21 mai 2008, le Tribunal des baux a constaté l’inefficacité du congé du 24 mai 2006 pour le 31 juillet 2006. La bailleresse a interjeté appel de ce jugement.

Considérations

3. L’appelante, qui a fondé la résiliation du bail sur l’art. 257f al. 3 CO, fait grief aux premiers juges d’avoir estimé que les conditions justifiant une telle résiliation n’étaient pas réalisées en l’espèce.

3.1 Il ressort de l’art. 257f al. 1 et 2 CO que les locataires sont tenus d’user de la chose avec le soin nécessaire et d’avoir pour les personnes habitant la maison et les voisins les égards qui leur son dus. L’art. 257 f al. 3 CO sanctionne le non-respect de ce devoir.
Ainsi, lorsque le maintien du bail est devenu insupportable pour le bailleur ou les personnes habitant la maison parce que le locataire, nonobstant une protestation écrite du bailleur, persiste à enfreindre son devoir de diligence ou à manquer d’égards envers les voisins, le bailleur peut résilier le contrat, pour les baux d’habitation, moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d’un mois.
Au nombre des égards dus aux voisins selon l’art. 257f al. 2 CO figure le droit de ceux-ci à la tranquillité. Les locataires doivent s’abstenir de tout bruit excessif. Une certaine marge de tolérance s’impose cependant. Elle dépend notamment de l’environnement (quartier bruyant ou non), de la destination des locaux (à usage d’une famille nombreuse par exemple), de la qualité de la construction et de l’insonorisation ou des dispositions particulières du contrat.
La mesure de cette tolérance s’apprécie en équité et selon les règles sur les droits de voisinage (art. 648 CC), les normes professionnelles et les dispositions du droit administratif relatives à la tranquillité publique et à la protection de l’environnement (LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p. 78, p. 79, n.2.1.3.11).
La violation du devoir de diligence doit aussi revêtir un certain degré de gravité puisqu’elle n’autorise la résiliation anticipée du bail que si elle engendre une situation « insupportable » pour le bailleur ou les occupants de l’immeuble.
Une contravention mineure au règlement de la maison ou le non-respect d’une disposition très secondaire du contrat ne suffit pas. La résiliation doit respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité. Elle n’interviendra que si l’on ne peut raisonnablement pas exiger du bailleur qu’il laisse encore le locataire disposer des locaux ou des autres locataires qu’ils tolèrent plus longtemps la présence du perturbateur.
Le degré de tolérance, qui conduira à admettre ou écarter la résiliation, sera fonction des circonstances objectives et subjectives, propres au locataire incriminé, au bailleur, et aux autres habitants de l’immeuble. Il dépend aussi de la durée des perturbations reprochées au locataire, de la fréquence de leur répétition, de la destination des locaux loués, de leur localisation, de leur isolation phonique et des efforts, accomplis ou non, par le perturbateur (LACHAT, op. cit., p. 679, n.27.3.1.9 et réf. cit.).
Un congé anticipé est justifié même en cas de mauvaise isolation phonique de l’immeuble, lorsque le locataire cause des bruits nocturnes insupportables (par exemple, bruit de pas avec des chaussures à talons ou des semelles dures, de vaisselles, d’aspirateur ou le déplacement de meubles ; LACHAT, op. cit., p. 681 n. 27.3.1.10 ad n. 128 ; SJ 1999 I 25).
Le locataire perturbateur répond non seulement de ses propres actes, mais également des actes des personnes avec lesquelles il vit (art. 333 CC; LACHAT, op. cit., p. 79 n. 2.1.3.12).
En matière de rapport de voisinage (art. 684 CC), il a été jugé que pour statuer sur l’existence d’un excès, le juge doit se placer à un point de vue subjectif et tenir compte des impressions d’un homme normal, faisant abstraction des doléances d’un hypersensible et de l’absence de réaction d’un être dépourvu de toute sensibilité.
Par ailleurs, des inconvénients qui, pris isolément, peuvent être tenus pour supportables, peuvent, considérés dans leur ensemble, être excessifs. Dans son examen, le juge doit comparer les intérêts en présence, ceux du propriétaire qui est accusé d’abuser de son droit et ceux des voisins qui se plaignent d’un excès (JT 1962 I 541; ATF 49 II 416; consid. 4c; 132 III 49, consid. 2.1; STEINAUER, Les droits réels, 2002, tome II n. 1812 p. 183).
3.2 Dans le cas présent, l’appartement loué aux intéressés se trouve dans un immeuble locatif de plusieurs étages comprenant au moins 16 logements et deux locaux associatifs. Le bâtiment est localisé dans un quartier urbain. L’environnement général est ainsi, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, relativement bruyant.
L’appelante, qui s’est notamment donné pour mission de mettre des logements sociaux à disposition de ses habitants, a loué l’appartement aux intimés, de condition modeste, qui y ont emménagé avec trois enfants adolescents, alors qu’il était précédemment occupé par une personne âgée.
Le simple fait qu’un nombre accru de personnes, dont des adolescents par nature vifs et insouciants, ait pris possession des lieux a créé, par contraste, pour le voisinage immédiat, une augmentation des bruits (va et vient, discussions, utilisation des sanitaires, etc.).
Les voisins les plus touchés, mais aussi les plus sensibles à cet accroissement de bruit ambiant, furent les époux X. et Y., en raison d’une part de la localisation de leurs logements respectifs, en-dessous et en-dessus de celui des intimés et, d’autre part, de leur rythme de vie personnel. En effet, compte tenu de leurs horaires de travail irréguliers, les premiers souhaitaient pouvoir dormir la journée ou tôt dans la soirée; ils étaient ainsi particulièrement affectés et réceptifs aux bruits diurnes de la vie quotidienne. Fatigués, ils avaient besoin de calme et ressentaient tout bruit comme un désagrément, ce qui, sur le plan subjectif, était parfaitement légitime.
La seconde locataire, retraitée, demeurait chez elle l’essentiel de la journée, sans créer elle-même de bruits qui auraient atténué la perception de celui d’autrui. Elle se trouvait donc, elle aussi, particulièrement exposée au bruit.
Ces témoins ont certes mis en exergue quelques épisodes précis de bruits excessifs, tels le volume exagéré de la musique (le fait des adolescents) à une reprise en journée, mais interrompue après intervention de Y. et encore en plusieurs occasions, de jour ou le soir, sans que les doléances du couple X. ne soient cette fois prises en compte; ils eurent aussi à se plaindre des bruits de discussions, de claquements de portes ou déplacements de meubles (ces derniers remarqués seulement par Y.).
L’intensité, la fréquence, la durée et les heures de ces bruits divers n’ont fait l’objet d’aucune précision.
Les autres locataires, qui ont déposé, n’ont pas été incommodés par les intimés, ou seulement très ponctuellement (témoin Z. à une occasion) alors que deux d’entre eux avaient une cloison commune avec les intimés et qu’un troisième se trouvait sur le même palier; ils ont relevé que des bruits dérangeants survenaient dans l’immeuble, qu’il s’agisse de musique, d’éclats de voix, de claquements de portes, de clous enfoncés ou encore de meubles déplacés, mais qu’ils provenaient de divers appartements, de locaux communs et qu’il n’était pas possible d’en attribuer la source aux intimés.
L’un des signataires de la pétition de janvier 2006 a même précisé qu’il n’avait signé que pour soutenir ses voisins, lui-même n’étant pas dérangé.
Les locataires Y., V. et X., présents dans l’immeuble depuis de nombreuses années, ont exposé n’avoir jamais eu à se plaindre du bruit avant l’arrivée des intimés, ce que d’autres témoins ont contesté, faisant état de plaintes antérieures.
Il sied d’observer aussi que les intimés ne sont pas les seuls à avoir emménagé dans cet immeuble en 2005. En effet, rien que parmi les locataires cités comme témoins, trois déjà s’y étaient installés en 2005 également.
C’est dire que les changements et nuisances ressentis par les anciens locataires ne peuvent pas être attribués nécessairement aux intimés, d’autres habitants de l’immeuble pouvant être à leur origine, sans mentionner encore les intrus, ni résidents ni invités, s’introduisant dans les parties communes de l’immeuble.
Il apparaît ainsi que les seuls voisins qui se soient plaints réellement du bruit excessif – selon leur appréciation – provenant du logement des intimés sont les époux X. et, dans une mesure moindre, Y. Pour les raisons exposées, ces personnes ont réagi de manière plus sensible que ne l’aurait fait un locataire moyen. Il convient par conséquent d’apprécier avec une certaine retenue leurs doléances, ce d’autant plus qu’elles étaient accompagnées à l’origine de propos moralisateurs sur les étrangers incapables de s’intégrer dans leur pays d’accueil, propos laissant paraître une certaine prévention à l’égard de ces derniers.
Sur le plan objectif, les nuisances signalées ne paraissent pas en elles- mêmes constituer des excès, les locataires étant en droit de converser à haute voix, d’écouter de la musique, de passer l’aspirateur, de déplacer des meubles et de laisser – occasionnellement – claquer une porte.
L’excès ne prend corps qu’en raison de l’intensité, de la durée, de la fréquence de ces bruits et des heures auxquelles ils surviennent. Or, à cet égard, les enquêtes n’ont pas permis d’établir que les quelques épisodes dénoncés aient atteint le stade de gravité nécessaire pour que l’on puisse affirmer que le maintien du bail ait été insupportable pour le bailleur ou les habitants de l’immeuble, lesquels ont du reste cessé de se plaindre des intimés. Les deux ou trois écarts pouvant être tenus pour démontrés sont à cet égard insuffisants.
Ce seul constat suffit pour déclarer inefficace la résiliation litigieuse, comme les premiers juges l’avaient à juste titre relevé.
Le jugement entrepris doit être ainsi confirmé.

4.1 A titre subsidiaire, il convient encore de se pencher sur la régularité de la procédure de résiliation du bail telle que l’appelante l’a appliquée.
En effet, la rapidité avec laquelle les voisins, d’une part, la bailleresse, d’autre part, ont réagi et la gravité de la sanction que représente la résiliation du bail pour une famille comprenant trois enfants et ne jouissant que de revenus modestes, font apparaître cette résiliation comme disproportionnée, alors que d’autres mesures moins incisives auraient pu être mises en œuvre, comme une seconde mise en demeure ou une démarche personnelle d’un employé de la gérance auprès des locataires.
Certes, sur le plan formel, la loi n’exige pas de semblables précautions et atermoiements.
Toutefois, aussi bien les règles de l’équité (art. 4 CC) que de la bonne foi (art. 271 CO) imposent aux parties à une relation contractuelle d’agir de manière loyale et non abusive.
Le congé et ainsi annulable lorsqu’il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO).

Décision

46/3 - Résiliation anticipée

Retour