Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève
20.04.2009
La rapidité avec laquelle les voisins et la bailleresse ont réagi et la gravité de la sanction que représente la résiliation du bail pour une famille comprenant trois enfants et ne jouissant que de revenus modestes font apparaître une résiliation comme disproportionnée, alors que d’autres mesures moins incisives auraient pu être mises en œuvre, comme une seconde mise en demeure ou une démarche personnel d’un employé de la gérance auprès des locataires. Sur le plan formel, la loi n’exige pas de semblables précautions. Toutefois, aussi bien les règles de l’équité (art. 4 CC) que la bonne foi (art 271 CO) imposent aux parties d’agir de manière loyale et non abusive.
3. L’appelante, qui a fondé la résiliation du bail sur l’art. 257f al. 3 CO, fait grief aux premiers juges d’avoir estimé que les conditions justifiant une telle résiliation n’étaient pas réalisées en l’espèce.
3.1 Il ressort de l’art. 257f al. 1 et 2 CO que les locataires sont
tenus d’user de la chose avec le soin nécessaire et d’avoir pour les
personnes habitant la maison et les voisins les égards qui leur son dus.
L’art. 257 f al. 3 CO sanctionne le non-respect de ce devoir.
Ainsi,
lorsque le maintien du bail est devenu insupportable pour le bailleur
ou les personnes habitant la maison parce que le locataire, nonobstant
une protestation écrite du bailleur, persiste à enfreindre son devoir de
diligence ou à manquer d’égards envers les voisins, le bailleur peut
résilier le contrat, pour les baux d’habitation, moyennant un délai de
congé minimum de 30 jours pour la fin d’un mois.
Au nombre des égards
dus aux voisins selon l’art. 257f al. 2 CO figure le droit de ceux-ci à
la tranquillité. Les locataires doivent s’abstenir de tout bruit
excessif. Une certaine marge de tolérance s’impose cependant. Elle
dépend notamment de l’environnement (quartier bruyant ou non), de la
destination des locaux (à usage d’une famille nombreuse par exemple), de
la qualité de la construction et de l’insonorisation ou des
dispositions particulières du contrat.
La mesure de cette tolérance
s’apprécie en équité et selon les règles sur les droits de voisinage
(art. 648 CC), les normes professionnelles et les dispositions du droit
administratif relatives à la tranquillité publique et à la protection de
l’environnement (LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p. 78, p. 79,
n.2.1.3.11).
La violation du devoir de diligence doit aussi revêtir
un certain degré de gravité puisqu’elle n’autorise la résiliation
anticipée du bail que si elle engendre une situation « insupportable »
pour le bailleur ou les occupants de l’immeuble.
Une contravention
mineure au règlement de la maison ou le non-respect d’une disposition
très secondaire du contrat ne suffit pas. La résiliation doit respecter
les principes de proportionnalité et de subsidiarité. Elle
n’interviendra que si l’on ne peut raisonnablement pas exiger du
bailleur qu’il laisse encore le locataire disposer des locaux ou des
autres locataires qu’ils tolèrent plus longtemps la présence du
perturbateur.
Le degré de tolérance, qui conduira à admettre ou
écarter la résiliation, sera fonction des circonstances objectives et
subjectives, propres au locataire incriminé, au bailleur, et aux autres
habitants de l’immeuble. Il dépend aussi de la durée des perturbations
reprochées au locataire, de la fréquence de leur répétition, de la
destination des locaux loués, de leur localisation, de leur isolation
phonique et des efforts, accomplis ou non, par le perturbateur (LACHAT,
op. cit., p. 679, n.27.3.1.9 et réf. cit.).
Un congé anticipé est
justifié même en cas de mauvaise isolation phonique de l’immeuble,
lorsque le locataire cause des bruits nocturnes insupportables (par
exemple, bruit de pas avec des chaussures à talons ou des semelles
dures, de vaisselles, d’aspirateur ou le déplacement de meubles ;
LACHAT, op. cit., p. 681 n. 27.3.1.10 ad n. 128 ; SJ 1999 I 25).
Le
locataire perturbateur répond non seulement de ses propres actes, mais
également des actes des personnes avec lesquelles il vit (art. 333 CC;
LACHAT, op. cit., p. 79 n. 2.1.3.12).
En matière de rapport de
voisinage (art. 684 CC), il a été jugé que pour statuer sur l’existence
d’un excès, le juge doit se placer à un point de vue subjectif et tenir
compte des impressions d’un homme normal, faisant abstraction des
doléances d’un hypersensible et de l’absence de réaction d’un être
dépourvu de toute sensibilité.
Par ailleurs, des inconvénients qui,
pris isolément, peuvent être tenus pour supportables, peuvent,
considérés dans leur ensemble, être excessifs. Dans son examen, le juge
doit comparer les intérêts en présence, ceux du propriétaire qui est
accusé d’abuser de son droit et ceux des voisins qui se plaignent d’un
excès (JT 1962 I 541; ATF 49 II 416; consid. 4c; 132 III 49, consid.
2.1; STEINAUER, Les droits réels, 2002, tome II n. 1812 p. 183).
3.2
Dans le cas présent, l’appartement loué aux intéressés se trouve dans un
immeuble locatif de plusieurs étages comprenant au moins 16 logements
et deux locaux associatifs. Le bâtiment est localisé dans un quartier
urbain. L’environnement général est ainsi, tant à l’extérieur qu’à
l’intérieur, relativement bruyant.
L’appelante, qui s’est notamment
donné pour mission de mettre des logements sociaux à disposition de ses
habitants, a loué l’appartement aux intimés, de condition modeste, qui y
ont emménagé avec trois enfants adolescents, alors qu’il était
précédemment occupé par une personne âgée.
Le simple fait qu’un
nombre accru de personnes, dont des adolescents par nature vifs et
insouciants, ait pris possession des lieux a créé, par contraste, pour
le voisinage immédiat, une augmentation des bruits (va et vient,
discussions, utilisation des sanitaires, etc.).
Les voisins les plus
touchés, mais aussi les plus sensibles à cet accroissement de bruit
ambiant, furent les époux X. et Y., en raison d’une part de la
localisation de leurs logements respectifs, en-dessous et en-dessus de
celui des intimés et, d’autre part, de leur rythme de vie personnel. En
effet, compte tenu de leurs horaires de travail irréguliers, les
premiers souhaitaient pouvoir dormir la journée ou tôt dans la soirée;
ils étaient ainsi particulièrement affectés et réceptifs aux bruits
diurnes de la vie quotidienne. Fatigués, ils avaient besoin de calme et
ressentaient tout bruit comme un désagrément, ce qui, sur le plan
subjectif, était parfaitement légitime.
La seconde locataire,
retraitée, demeurait chez elle l’essentiel de la journée, sans créer
elle-même de bruits qui auraient atténué la perception de celui
d’autrui. Elle se trouvait donc, elle aussi, particulièrement exposée au
bruit.
Ces témoins ont certes mis en exergue quelques épisodes
précis de bruits excessifs, tels le volume exagéré de la musique (le
fait des adolescents) à une reprise en journée, mais interrompue après
intervention de Y. et encore en plusieurs occasions, de jour ou le soir,
sans que les doléances du couple X. ne soient cette fois prises en
compte; ils eurent aussi à se plaindre des bruits de discussions, de
claquements de portes ou déplacements de meubles (ces derniers remarqués
seulement par Y.).
L’intensité, la fréquence, la durée et les heures de ces bruits divers n’ont fait l’objet d’aucune précision.
Les
autres locataires, qui ont déposé, n’ont pas été incommodés par les
intimés, ou seulement très ponctuellement (témoin Z. à une occasion)
alors que deux d’entre eux avaient une cloison commune avec les intimés
et qu’un troisième se trouvait sur le même palier; ils ont relevé que
des bruits dérangeants survenaient dans l’immeuble, qu’il s’agisse de
musique, d’éclats de voix, de claquements de portes, de clous enfoncés
ou encore de meubles déplacés, mais qu’ils provenaient de divers
appartements, de locaux communs et qu’il n’était pas possible d’en
attribuer la source aux intimés.
L’un des signataires de la pétition
de janvier 2006 a même précisé qu’il n’avait signé que pour soutenir ses
voisins, lui-même n’étant pas dérangé.
Les locataires Y., V. et X.,
présents dans l’immeuble depuis de nombreuses années, ont exposé n’avoir
jamais eu à se plaindre du bruit avant l’arrivée des intimés, ce que
d’autres témoins ont contesté, faisant état de plaintes antérieures.
Il
sied d’observer aussi que les intimés ne sont pas les seuls à avoir
emménagé dans cet immeuble en 2005. En effet, rien que parmi les
locataires cités comme témoins, trois déjà s’y étaient installés en 2005
également.
C’est dire que les changements et nuisances ressentis par
les anciens locataires ne peuvent pas être attribués nécessairement aux
intimés, d’autres habitants de l’immeuble pouvant être à leur origine,
sans mentionner encore les intrus, ni résidents ni invités,
s’introduisant dans les parties communes de l’immeuble.
Il apparaît
ainsi que les seuls voisins qui se soient plaints réellement du bruit
excessif – selon leur appréciation – provenant du logement des intimés
sont les époux X. et, dans une mesure moindre, Y. Pour les raisons
exposées, ces personnes ont réagi de manière plus sensible que ne
l’aurait fait un locataire moyen. Il convient par conséquent d’apprécier
avec une certaine retenue leurs doléances, ce d’autant plus qu’elles
étaient accompagnées à l’origine de propos moralisateurs sur les
étrangers incapables de s’intégrer dans leur pays d’accueil, propos
laissant paraître une certaine prévention à l’égard de ces derniers.
Sur
le plan objectif, les nuisances signalées ne paraissent pas en elles-
mêmes constituer des excès, les locataires étant en droit de converser à
haute voix, d’écouter de la musique, de passer l’aspirateur, de
déplacer des meubles et de laisser – occasionnellement – claquer une
porte.
L’excès ne prend corps qu’en raison de l’intensité, de la
durée, de la fréquence de ces bruits et des heures auxquelles ils
surviennent. Or, à cet égard, les enquêtes n’ont pas permis d’établir
que les quelques épisodes dénoncés aient atteint le stade de gravité
nécessaire pour que l’on puisse affirmer que le maintien du bail ait été
insupportable pour le bailleur ou les habitants de l’immeuble, lesquels
ont du reste cessé de se plaindre des intimés. Les deux ou trois écarts
pouvant être tenus pour démontrés sont à cet égard insuffisants.
Ce
seul constat suffit pour déclarer inefficace la résiliation litigieuse,
comme les premiers juges l’avaient à juste titre relevé.
Le jugement entrepris doit être ainsi confirmé.
4.1 A titre subsidiaire, il convient encore de se pencher sur la
régularité de la procédure de résiliation du bail telle que l’appelante
l’a appliquée.
En effet, la rapidité avec laquelle les voisins, d’une
part, la bailleresse, d’autre part, ont réagi et la gravité de la
sanction que représente la résiliation du bail pour une famille
comprenant trois enfants et ne jouissant que de revenus modestes, font
apparaître cette résiliation comme disproportionnée, alors que d’autres
mesures moins incisives auraient pu être mises en œuvre, comme une
seconde mise en demeure ou une démarche personnelle d’un employé de la
gérance auprès des locataires.
Certes, sur le plan formel, la loi n’exige pas de semblables précautions et atermoiements.
Toutefois,
aussi bien les règles de l’équité (art. 4 CC) que de la bonne foi (art.
271 CO) imposent aux parties à une relation contractuelle d’agir de
manière loyale et non abusive.
Le congé et ainsi annulable lorsqu’il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO).