Résiliation abusive
Base légale
Nom du tribunal
Chambre des Recours du canton de Vaud
Date
20.11.2008
Résumé
Même si du point de vue du droit successoral, les héritiers acquièrent de plein droit l’universalité de la succession, il leur incombe d’informer le bailleur du décès du locataire, particulièrement dans le cas où ils souhaitent occuper les locaux vacants. Le non-respect de cette incombance par les locataires suffit pour admettre que le bailleur n’a pas eu un comportement abusif en résiliant le bail.
Exposé des faits
La bailleresse a conclu un contrat de bail à loyer le 24 avril 1978 pour
un appartement de trois pièces et demie avec un couple; un autre
contrat a été conclu pour une place de parc. L’époux est décédé le 18
novembre 1996, si bien que son épouse est devenue titulaire du bail.
Le
28 mars 2007, la bailleresse s’est adressée à la justice de paix pour
obtenir le nom des héritiers de la locataire, précisant qu’elle venait
d’en apprendre le décès. Elle a ainsi appris que la locataire était
décédée le 11 janvier 2004 et avait laissé pour héritiers ses deux fils.
Sur
formules officielles de notification de résiliation de bail adressée le
16 juillet 2007, la demanderesse a résilié les contrats de bail à loyer
dès le 1er avril 2008 pour l’appartement et dès le 1er janvier 2008
pour la place de parc. Dans la lettre d’accompagnement du même jour, la
demanderesse a considéré que l’occupation des lieux par les nouveaux
locataires dès le 1er avril 2004 était illégale, en précisant qu’un des
fils de l’ancienne locataire ne vivait pas avec sa mère à l’époque du
décès et que l’autre avais son domicile à l’étranger.
Par lettre
recommandée du 3 août 2007, les locataires ont saisi la commission de
conciliation en matière de baux à loyer. Par jugement du 25 mars 2008,
le Tribunal des baux a déclaré valables les résiliations de bail. Par
acte du 11 août 2008, les locataires ont recouru contre ce jugement.
Considérations
Concernant tout d’abord la prétendue variation des motifs invoqués par
l’intimée pour fonder les résiliations litigieuses, on relèvera que dans
sa lettre du 16 juillet 2007, la régie représentant la bailleresse,
tout en admettant que selon la loi le bail passe aux héritiers en cas de
décès du locataire, s’est référée à « l’occupation illégale » de
l’appartement par l’intimé du fait qu’il n’était pas domicilié,
antérieurement au décès de sa mère, dans le logement dont elle était
locataire, qu’il avait pris possession de celui-ci deux mois après le
décès de sa mère à l’insu de la bailleresse, tandis que l’autre héritier
concerné, était domicilié à l’étranger. Dans sa requête au Tribunal des
baux du 14 décembre 2007, l’intimée a explicité le sens de cette
résiliation en relevant un certain nombre d’éléments (continuation du
versement des loyers au moyen des bulletins de versement estampillés au
nom de la locataire défunte, déménagement dans l’appartement deux mois
après le décès de cette dernière, absence d’information au sujet dudit
décès à la bailleresse qui ne l’a appris fortuitement que trois ans plus
tard…) qui font apparaître à ses yeux le comportement de l’intimé et de
son épouse dans cette affaire comme contraire à la bonne foi. Enfin, à
l’audience de jugement, l’intimée a encore précisé le motif du congé en
ce sens que celui-ci a été donné en raison d’une absence de rapports de
confiance entre les parties engendrée par le fait que, d’une part, les
défendeurs ne l’ont pas informée du décès de la locataire et que,
d’autre part, ces héritiers ont pris possession de l’appartement sans le
lui avoir dit ni en avoir requis l’autorisation.
On ne saurait
considérer que l’intimée a modifié les motifs du congé donnés
initialement. Elle a bien plus explicité et précisé ceux-ci en cours de
procédure, ainsi que la jurisprudence et la doctrine susmentionnées lui
en reconnaissent le droit. Elle n’a en particulier pas donné un nouveau
motif différent de celui qui figurait dans la résiliation initiale.
L’absence de relations de confiance invoquée à l’audience découle en
effet des mêmes éléments que ceux déjà mentionnés dans la lettre de la
régie du 16 juillet 2007 puis dans la requête au Tribunal des baux.
L’intimée entend démontrer par là qu’elle n’est plus partie prenante à
un nouveau contrat avec les défendeurs, ce qui est son droit le plus
strict en vertu des règles sur l’autonomie de la volonté. A cet égard,
le grief soulevé par les recourants au sujet de la connaissance qu’avait
le concierge de leur occupation depuis leur emménagement dans
l’appartement litigieux n’est pas pertinent. D’abord, ce dernier n’a
assisté ni au décès de la locataire, ni à l’arrivée dans les locaux de
son fils accompagné de sa femme, puisqu’il n’a pris ses fonctions que
postérieurement. De toute manière, il n’incombe pas à un concierge
d’enquêter sur l’identité des locataires et leur droit d’occuper un
appartement au regard du bail qui les régit. Quant à la prétendue
communication qu’auraient faite les recourants à la régie quelques jours
après le décès, elle n’a pas été prouvée. On doit dès lors admettre
comme constant le fait que la bailleresse n’a pas été tenue au courant
du décès de la locataire et du changement d’occupants qui s’en est suivi
et qu’elle a bien plutôt découvert cette circonstance d’une manière
fortuite à la suite de l’envoi d’une télécopie le 27 février 2007 par
laquelle le recourant indiquait les coordonnées bancaires de son épouse
pour la ristourne de frais de chauffage. Or, même si, du point de vue du
droit successoral, les héritiers acquièrent de plein droit
l’universalité de la succession (cf. art. 560 CC), il leur incombe
d’informer le bailleur du décès du locataire (cf. Guinand, Décès du
bailleur, décès du locataire, quelles conséquences? in 7ème Séminaire
sur le droit du bail, NE 1992, spéc. p. 14), particulièrement dans le
cas où, comme en l’espèce, l’un des héritiers souhaite occuper les
locaux laissés vacants et reprendre à son compte le bail auquel était
partie le défunt. Le non-respect de cette incombance par le locataire,
qui n’est pas purement formelle, puisqu’elle déploie des effets
(Guinand, loc. cit.), suffit pour admettre que le bailleur n’a pas eu un
comportement abusif en résiliant le bail. Au demeurant, la personne du
locataire n’est pas indifférente pour le bailleur, sous l’angle
notamment de sa solvabilité et de sa réputation. On relèvera du reste
que, au décès de son mari, la locataire avait passé avec le propriétaire
un avenant au bail prévoyant qu’elle devenait seule titulaire du bail.
En
soi, le motif tiré de la violation des règles de la bonne foi par les
défendeurs n’a donc rien d’abusif et l’intérêt de la bailleresse à
résilier le bail apparaît digne de protection.
Décision
46/9 - Résiliation abusive