Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
14.03.2005
Si l’avis de hausse de loyer doit être motivé et le locataire en mesure d’obtenir, dès la procédure de conciliation, les éléments sur lesquels le bailleur fonde ses prétentions, cette règle ne dispense pas le juge d’exiger du bailleur qu’il complète ses allégués si ceux-ci se révèlent insuffisants. Retenir le contraire aurait pour conséquence de vider la maxime inquisitoire sociale de sa substance dans toute procédure en validation de hausse.
2. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir violé l'art. 274d al. 3 CO. Elle fait valoir que les premiers juges auraient dû lui permettre de compléter ses allégués, ce d'autant plus qu'elle affirmait être en mesure de produire des exemples de loyers comparatifs en suffisance, mais que la réunion des documents nécessitait un délai supplémentaire pour ce faire.
2.1 Les litiges en matière de droit du bail sont jugés selon la
maxime inquisitoire sociale prescrite par l'article 274d al. 3 CO.
La
maxime inquisitoire a été adoptée pour tenir compte du nombre important
de cas dans lesquels les plaideurs sans connaissances juridiques
comparaissent en personne. Ce principe ne doit toutefois pas être
compris comme un commode oreiller de paresse autorisant les parties à
rejeter sur les épaules du juge l'ensemble des devoirs procéduraux leur
incombant (ACJC/878/2003).
En application de la maxime inquisitoire,
le juge doit interroger les parties et les informer de leurs devoirs de
collaboration et de production des preuves, enfin s'assurer que les
allégations et offres de preuves sont complètes, s'il a des motifs
objectifs d'éprouver des doutes sur ce point. Son obligation ne va
toutefois pas au-delà de l'invitation faite aux parties de mentionner
les preuves et de les présenter (ATF 125 III 231).
La maxime
inquisitoire ne dispense pas les parties du fardeau de l'allégation des
faits pertinents à la solution du litige : le Tribunal des baux et
loyers n'a pas l'obligation d'établir d'office des faits qui n'ont pas
été articulés avec précision par celui qui entend les invoquer et auquel
il ne saurait se substituer pour formuler son argumentation et la
justifier (ACJC/284/2000); le juge doit en revanche interpeller la
partie à laquelle incombe le fardeau de l'allégation en l'invitant à
compléter ses allégués insuffisants ou imprécis
(BERTOSSA/GAILLARD/GUYET/-SCHMIDT, Commentaire de la loi de procédure
civile genevoise, no 2 ad art. 435). En revanche, lorsque les allégués
et moyens des parties sont suffisamment intelligibles, le Tribunal est
tenu d'instruire et de faire administrer des preuves sur tous les
éléments pertinents. S'il ne le fait pas, il viole le droit à la preuve
(ATF 114 II 289).
L'assignation, acte essentiel de la procédure, a
pour objet la présentation des allégués : à sa lecture, tant le juge que
la partie citée doivent en effet saisir les circonstances de fait sur
lesquelles la partie demanderesse fonde ses prétentions. En matière de
baux et loyers, le législateur a toutefois prévu la forme simplifiée de
la requête, qui se distingue de l'assignation par de moindres exigences
d'ordre formel et consiste en un acte écrit contenant les éléments
nécessaires pour déterminer au moins l'identité des parties, l'objet du
litige et les conclusions (BERTOSSA/GAILLARD/ GUYET/ SCHMIDT, op. cit.
no 7 ad 5 LPC et 3 ad art. 427 LPC).
La Chambre d'appel de céans a
ainsi déjà récemment jugé (cf. en particulier ACJ/1289/2004 et autres
rendus le même jour) qu'un bailleur qui produisait un nombre insuffisant
d'exemples comparatifs devait être invité à compléter ses allégués,
mais qu'il ne pouvait exiger de pouvoir formuler une seconde offre de
preuves, lorsque la première - suffisante en soi - était accompagnée de
pièces jugées non probantes (ACJ/1144/2003). L'ATF publié in SJ 2001 p.
278, sur lequel s'appuie le jugement attaqué, concerne d'ailleurs
précisément une procédure lors de laquelle le bailleur avait fait état
d'exemples comparatifs en nombre suffisant, lesquels avaient toutefois
été écartés, mais ne traite pas du droit (éventuel) d'un plaideur à être
autorisé, en début de procédure, à compléter les allégués jugés
insuffisants d'une requête introductive d'instance.
2.2 In casu, la bailleresse, qui plaidait sans être assistée d'un
mandataire rompu aux problèmes de bail à loyer, a présenté une requête
de hausse de loyer, fondée sur les loyers comparatifs du quartier, en
indiquant qu'elle s'appuyait sur des exemples de loyers comparatifs en
suffisance. Un délai lui était toutefois nécessaire, pour réunir les
documents justificatifs nécessaires. Lors de la comparution personnelle
des parties ordonnée d'entrée de cause, elle a réitéré sa demande de
délai et déclaré devoir collecter les documents pour pouvoir les
produire.
Au vu de l'insuffisance des allégués de la bailleresse
contenus dans la requête introductive d'instance, la maxime inquisitoire
rappelée ci-dessus imposait aux premiers juges soit de lui impartir un
délai pour les compléter et produire ses pièces justificatives, soit de
la convoquer à l'audience de comparution personnelle en spécifiant
expressément sur la convocation qu'elle était invitée, à cette occasion,
à compléter ses allégués et à déposer tous documents dont elle
entendait faire état; cette seconde solution aurait en particulier eu
l'avantage de ne pas rallonger la procédure, qui en la matière doit
revêtir un caractère simple et rapide, et qui peut se dérouler pour
l'essentiel oralement sans contrevenir au droit fédéral.
2.3 L'intimé soutient par ailleurs à tort que la bailleresse devait
en tout état être en mesure de fournir au locataire, dès la notification
de la demande de hausse, les exemples comparatifs suffisants pour
justifier la hausse de loyer requise.
Ainsi que la Chambre d'appel
l'a déjà récemment retenu (ACJ/1289/2004 et autres rendus ce même jour),
si l'avis de hausse doit être motivé et le locataire doit être en
mesure d'obtenir, dès la procédure de conciliation, les éléments sur
lesquels le bailleur fonde ses prétentions (art. 269d al. 1 et 2 CO et
19 al. 1 litt. a ch. 4 OBLF), cette règle ne dispense pas le juge
d'exiger du bailleur qu'il complète ses allégués si ceux-ci se révèlent
insuffisants. Retenir le contraire aurait pour conséquence de vider la
maxime inquisitoire sociale de sa substance dans toute procédure en
validation de hausse.
Enfin, rien ne laisse supposer que l'on soit in
casu dans le cadre d'une hausse de loyer « prospective », comme le
retiennent les premiers juges. La bailleresse allègue en effet dans sa
requête introductive que la hausse résulte d'une enquête préalable, et
sollicite un délai pour produire les documents en justifiant.
2.4 Le grief tiré de la violation de l'art. 274d al. 3 CO est dès lors fondé.