Chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève
16.05.2011
Le contrat-cadre romand de baux à loyer prévoit que le paiement trimestriel du loyer peut être exigé « dès le mois suivant l’échéance du délai fixé dans la mise en demeure ». Ce texte ne fait aucune mention d’un « trimestre civil » ou d’un « trimestre de bail », alors que ces notions se retrouvent dans la loi (p. ex. art. 266c et 266d CO) et que les associations professionnelles qui ont élaboré le contrat-cadre n’en ignoraient ni l’existence, ni la portée.
4. Selon l’art. 257c CO, le locataire doit payer le loyer et, le cas
échéant, les frais accessoires, à la fin de chaque mois, mais au plus
tard à l’expiration du bail, sauf convention ou usage local contraires.
Cette
disposition étant de caractère dispositif, les parties au contrat de
bail peuvent ainsi régler différemment les modalités de paiement du
loyer.
Toutefois, dans le canton de Genève notamment, comme dans les
autres cantons ou régions dans lesquels le contrat-cadre de bail à loyer
du 18 décembre 2000 a été déclaré de force obligatoire générale
(jusqu’en 2014, cf. LACHAT, Le bail à loyer, 2008 p. 104 ch. 3.4.2.9),
cette question échappe à la discrétion des parties. En effet, selon
l’art. 5 al. 1 de la loi fédérale sur les contrats-cadres de baux à
loyers du 23 juin 1995, les dispositions du contrat-cadre ayant force
obligatoire générale sont de droit impératif dans leur champ
d’application à raison du lieu et de la matière.
Or, selon l’art. 1
du contrat-cadre précité, déclaré de force obligatoire générale, le
loyer, les acomptes de chauffage et de frais accessoires sont payables
par mois d’avance au domicile du bailleur ou à son compte postal ou
bancaire. Lorsque le locataire est en retard de plus de dix jours dans
le paiement d’une mensualité et qu’il a fait l’objet d’une vaine mise en
demeure écrite, le bailleur peut exiger que les loyers, acomptes de
chauffage et de frais accessoires « soient acquittés trimestriellement à
l’avance, dès le mois suivant l’échéance du délai fixé dans la mise en
demeure ».
Cet article 1 du contrat cadre a été repris, mot pour mot,
à l’art. 1 des conditions générales et règles et usages locatifs
intégrés au bail liant les parties à la présente procédure.
4.1. Les locataires soutiennent que le paiement par trimestre
d’avance visé par l’art. 1 du contrat-cadre, reproduit dans les
conditions générales du bail, ferait référence aux notions de trimestres
« civils » ou de « bail », l’exigibilité d’un tel paiement ne
commençant qu’à ces échéances.
A l’appui de leur thèse, les
locataires rappellent que le contrat-cadre est le résultat de
négociations paritaires entre des associations de locataires et de
bailleurs et qu’il serait contraire au but d’un tel contrat, fruit d’un
compromis, de fournir au bailleur, par l’instauration unilatérale d’une
clause de paiements par trimestre d’avance, une « arme » contre un
locataire qui connaîtrait déjà des difficultés de paiement.
Les
locataires se référent à LACHAT (op. cit., ch. 13.2.6 p. 311) qui
mentionne qu’en matière de paiement de loyers, « de nombreux baux
stipulent qu’en cas de retard le bailleur peut réclamer le loyer par
trimestre de bail et d’avance » et en déduisent que cet auteur serait
favorable à leur interprétation de l’art. 1 du contrat-cadre.
4.2. Un contrat-cadre de bail à loyer déclaré de force obligatoire
générale présente une nature analogue à celle d’une convention
collective de travail ayant fait l’objet d’une décision d’extension.
Il
est admis que les dispositions normatives d’une telle convention
doivent être interprétées selon les règles applicables à
l’interprétation des lois (TF, JT 2001 I 381).
Selon la
jurisprudence, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre ; il
n’y a lieu de déroger au sens littéral d’un texte clair par voie
d’interprétation que lorsque des raisons objectives permettent de penser
que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en
cause. De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but
et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi.
Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de
celui-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la
véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à
considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la
règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose
ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (ATF 131 V
431 consid. 6.1 ; 130 II 65 consid. 4.2 ; 130 V 49 consid. 3.2.1 ; 129
II 353 consid. 3.3). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode
d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour
rechercher le sens véritable de la norme ; en particulier, il ne se
fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans
ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 124 II 193 consid. 5a
p. 199, 372 consid. 5 p. 376 ; 124 III 321 consid. 2 p. 324 et les
arrêts cités).
4.3. En l’espèce, le texte litigieux, soit l’alinéa 2 de l’art. 1 du
contrat-cadre, apparaît clair, en ce sens que le paiement trimestriel du
loyer peut être exigé « dès le mois suivant l’échéance du délai fixé
dans la mise en demeure ».
Ce texte ne fait aucune mention d’un «
trimestre civil » ou d’un « trimestre de bail » alors que ces notions se
retrouvent dans la loi (p.ex. pour la seconde ad art. 266c et 266d CO)
et que les associations professionnelles qui ont élaboré le
contrat-cadre n’en ignoraient ni l’existence, ni la portée.
Sur le
plan sémantique, il ressort nettement que l’exigibilité du paiement
trimestriel commence dès le mois suivant l’échéance du délai et non pas
dès le début du trimestre civil ou de bail suivant l’échéance de ce
délai.
Par ailleurs, comme les intimées l’admettent, le but de cette
disposition vise à prémunir le bailleur d’une carence de paiement de son
locataire, lorsque celui-ci présente des signes de fragilité
financière, paie avec retard et se révèle dans l’incapacité de
s’acquitter du loyer arriéré malgré la mise en demeure.
Ce n’est pas
parce que cette clause du contrat-cadre s’avère favorable au bailleur
qu’il faut pour autant l’interpréter, nonobstant son texte, dans un sens
susceptible d’aider le locataire ; le fait que le contrat-cadre soit le
résultat d’un compromis ne s’oppose pas à ce que certaines clauses
favorisent l’une des parties, si d’autres rétablissent l’équilibre
général de la convention.
Au demeurant, l’interprétation proposée par
les intimées ne leur est favorable que dans le cas d’espèce, mais non
pas systématiquement. En effet, en supposant que le règlement
trimestriel du loyer ne soit exigible que par trimestre de bail, si le
bailleur fait échoir son délai de mise en demeure le dernier mois du
trimestre de bail, le locataire sera aussi obligé, dans ce cas, de
s’acquitter d’emblée de trois mois de loyer sans bénéficier d’aucun
moratoire auparavant. Il peut donc aussi être confronté, avec cette
interprétation, aux mêmes difficultés financières que celles dénoncées
par les intimées.
Enfin, l’on relèvera que LACHAT, cité par les
intimées, ne se prononce pas, dans le passage cité, sur l’application
spécifique de l’art. 1 al. 2 du contrat-cadre mais se borne à observer
que des contrats prévoient une clause de paiement par trimestre de bail.
S’agissant plus spécialement de la disposition litigieuse,
l’exemple fourni par LACHAT permet au contraire d’inférer que cet auteur
ne souscrit pas à l’interprétation des intimées, puisqu’il indique,
sans référence à la conclusion du bail, que pour une mise en demeure
donnée en avril, le paiement trimestriel interviendra dès le 1er mai
(op. cit., ch. 13.2.6 p. 311).
4.4. Dans le cas présent, la bailleresse a mis en œuvre, de manière régulière, l’art. 1 du contrat-cadre.
Tenues
de payer leur loyer par mois d’avance, les intimées se trouvaient
effectivement, le 13 janvier 2010, en retard de plus de dix jours dans
le règlement de leur loyer de janvier. L’appelante était dès lors en
droit de les mettre en demeure de payer ce loyer dans un délai, qu’elle a
fixé à dix jours et qui est admissible (LACHAT, op. cit., ch. 13.2.6 p.
311, note 47).
Alors même qu’elle aurait pu, faute de paiement dudit
loyer dans ce délai, exiger un paiement trimestriel dès le 1er février
2010, elle en a reporté les effets au 1er mars 2010, ce dont elle a
avisé les locataires le 4 février 2010.
Il est sans importance que
les locataires n’aient, le cas échéant, pas pris connaissance effective
de ces courriers, envoyés à leur adresse par plis recommandés.
Selon
la théorie de la réception applicable aux manifestations de volonté,
cette manifestation est considérée comme parvenue au destinataire, dès
le moment où elle entre dans sa sphère de puissance, par exemple dans sa
boîte aux lettres ou dans sa case postale ; il est sans importance que
le destinataire n’en ait pas connaissance effective (ENGEL, Traité des
obligations en droit suisse, 1997, p. 132 et 133 et réf. citées ad. c.,
p. 133).
En matière d’avis comminatoire, le délai commence à courir
le lendemain du jour où le locataire a reçu l’avis du bailleur ou, s’il
ne retire pas l’envoi recommandé que celui-ci lui a expédié, le
lendemain du 7ème jour de garde de cet envoi (LACHAT, op. cit., ch.
27.2.2 et réf. citées, notes 38 et 39).
Il s’ensuit que les intimées,
valablement sommées du s’acquitter, dès le 1er mars 2010, de leur loyer
par trimestre d’avance, auraient dû faire parvenir à l’appelante la
somme de 3'996 fr. à cette date.
Or, elles n’ont versé que 1'332 fr.
le 5 mars 2010, soit un loyer correspondant au mois de mars. Les
locataires se trouvant dès lors en retard dans le paiement des loyers
d’avril et mai, d’ores et déjà exigibles, la bailleresse leur a notifié
des avis comminatoires le 12 mars 2010 afin qu’elles règlent, dans les
30 jours suivant la réception de ceux-ci, la somme de 2'664 fr., pour
les mois d’avril et mai 2010, cela sous la menace de la résiliation de
leur bail.
Ces avis, rédigés de manière conforme à l’art. 257d al. 1
CO, ont été notifiés aux locataires, qui ne contestent du reste pas
leur mise en demeure.
Il est établi qu’elles n’ont cependant versé à
la bailleresse dans ce délai comminatoire de 30 jours échéant au plus
tard le 19 avril 2010, que la somme de 1'332 fr. versée le 8 avril 2010.
Dans
ces circonstances, la bailleresse était dès lors fondée à résilier leur
bail, en application de l’art. 257d al. 2 CO, moyennant un délai de
congé minimum pour la fin d’un mois.
Les avis de résiliation,
communiqués le 26 avril 2010 à chaque locataire, sur formule agréée par
le canton, pour l’échéance du 31 mai 2010, respectaient ainsi toutes les
conditions posées par la loi (art. 257d, 266l et 266n CO).
C’est par
conséquent à tort, sous réserve du grief de l’abus de droit examiné
infra, que les premiers juges ont constaté la nullité de la mise en
demeure de janvier 2010, de l’avis comminatoire du 12 mars 2010, puis de
la résiliation du bail du 26 avril 2010.