Paiement trimestriel du loyer

Base légale

Nom du tribunal

Chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève

Date

16.05.2011

Résumé

Le contrat-cadre romand de baux à loyer prévoit que le paiement trimestriel du loyer peut être exigé « dès le mois suivant l’échéance du délai fixé dans la mise en demeure ». Ce texte ne fait aucune mention d’un « trimestre civil » ou d’un « trimestre de bail », alors que ces notions se retrouvent dans la loi (p. ex. art. 266c et 266d CO) et que les associations professionnelles qui ont élaboré le contrat-cadre n’en ignoraient ni l’existence, ni la portée.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer portant sur la location d’un appartement de 3,5 pièces, du 1er juillet 2008 au 30 juin 2013, renouvelable ensuite tacitement d’année en année.
Par courriers recommandés du 13 janvier 2010, la bailleresse a observé que les locataires accusaient un retard de plus de dix jours dans le versement du loyer de janvier et elle les mit en demeure de s’acquitter de ce loyer dans un délai de dix jours. Elle les avertit qu’à défaut de paiement dans ce délai, la bailleresse se réservait le droit d’exiger que le loyer et les acomptes de chauffage soient payés trimestriellement. Elle ajouta que cette modification prendrait effet dès le mois suivant l’échéance du délai précité et sans autre rappel.
Par lettres recommandées du 12 mars 2010, la bailleresse invita les locataires à s’acquitter dans un délai de trente jours des loyers trimestriels échus le 1er mars, pour les mois de mars à mai 2010. A défaut de paiement dans ce délai, le bail serait résilié, ce qui fut fait par courriers recommandés du 26 avril 2010.
Par acte déposé le 25 juin 2010 auprès de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, la bailleresse a requis que les locataires soient condamnées à évacuer immédiatement l’appartement loué.
Après échec de la tentative de conciliation du 1er octobre 2010, la bailleresse a saisi le Tribunal des baux et loyers. Par jugement du 2 décembre 2010, le Tribunal des baux et loyers a dit que l’avis comminatoire était nul et que le congé notifié était nul et non avenu. La bailleresse a interjeté appel de ce jugement.

Considérations

4. Selon l’art. 257c CO, le locataire doit payer le loyer et, le cas échéant, les frais accessoires, à la fin de chaque mois, mais au plus tard à l’expiration du bail, sauf convention ou usage local contraires.
Cette disposition étant de caractère dispositif, les parties au contrat de bail peuvent ainsi régler différemment les modalités de paiement du loyer.
Toutefois, dans le canton de Genève notamment, comme dans les autres cantons ou régions dans lesquels le contrat-cadre de bail à loyer du 18 décembre 2000 a été déclaré de force obligatoire générale (jusqu’en 2014, cf. LACHAT, Le bail à loyer, 2008 p. 104 ch. 3.4.2.9), cette question échappe à la discrétion des parties. En effet, selon l’art. 5 al. 1 de la loi fédérale sur les contrats-cadres de baux à loyers du 23 juin 1995, les dispositions du contrat-cadre ayant force obligatoire générale sont de droit impératif dans leur champ d’application à raison du lieu et de la matière.
Or, selon l’art. 1 du contrat-cadre précité, déclaré de force obligatoire générale, le loyer, les acomptes de chauffage et de frais accessoires sont payables par mois d’avance au domicile du bailleur ou à son compte postal ou bancaire. Lorsque le locataire est en retard de plus de dix jours dans le paiement d’une mensualité et qu’il a fait l’objet d’une vaine mise en demeure écrite, le bailleur peut exiger que les loyers, acomptes de chauffage et de frais accessoires « soient acquittés trimestriellement à l’avance, dès le mois suivant l’échéance du délai fixé dans la mise en demeure ».
Cet article 1 du contrat cadre a été repris, mot pour mot, à l’art. 1 des conditions générales et règles et usages locatifs intégrés au bail liant les parties à la présente procédure.

4.1. Les locataires soutiennent que le paiement par trimestre d’avance visé par l’art. 1 du contrat-cadre, reproduit dans les conditions générales du bail, ferait référence aux notions de trimestres « civils » ou de « bail », l’exigibilité d’un tel paiement ne commençant qu’à ces échéances.
A l’appui de leur thèse, les locataires rappellent que le contrat-cadre est le résultat de négociations paritaires entre des associations de locataires et de bailleurs et qu’il serait contraire au but d’un tel contrat, fruit d’un compromis, de fournir au bailleur, par l’instauration unilatérale d’une clause de paiements par trimestre d’avance, une « arme » contre un locataire qui connaîtrait déjà des difficultés de paiement.
Les locataires se référent à LACHAT (op. cit., ch. 13.2.6 p. 311) qui mentionne qu’en matière de paiement de loyers, « de nombreux baux stipulent qu’en cas de retard le bailleur peut réclamer le loyer par trimestre de bail et d’avance » et en déduisent que cet auteur serait favorable à leur interprétation de l’art. 1 du contrat-cadre.

4.2. Un contrat-cadre de bail à loyer déclaré de force obligatoire générale présente une nature analogue à celle d’une convention collective de travail ayant fait l’objet d’une décision d’extension.
Il est admis que les dispositions normatives d’une telle convention doivent être interprétées selon les règles applicables à l’interprétation des lois (TF, JT 2001 I 381).
Selon la jurisprudence, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre ; il n’y a lieu de déroger au sens littéral d’un texte clair par voie d’interprétation que lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause. De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi. Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (ATF 131 V 431 consid. 6.1 ; 130 II 65 consid. 4.2 ; 130 V 49 consid. 3.2.1 ; 129 II 353 consid. 3.3). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; en particulier, il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 124 II 193 consid. 5a p. 199, 372 consid. 5 p. 376 ; 124 III 321 consid. 2 p. 324 et les arrêts cités).

4.3. En l’espèce, le texte litigieux, soit l’alinéa 2 de l’art. 1 du contrat-cadre, apparaît clair, en ce sens que le paiement trimestriel du loyer peut être exigé « dès le mois suivant l’échéance du délai fixé dans la mise en demeure ».
Ce texte ne fait aucune mention d’un « trimestre civil » ou d’un « trimestre de bail » alors que ces notions se retrouvent dans la loi (p.ex. pour la seconde ad art. 266c et 266d CO) et que les associations professionnelles qui ont élaboré le contrat-cadre n’en ignoraient ni l’existence, ni la portée.
Sur le plan sémantique, il ressort nettement que l’exigibilité du paiement trimestriel commence dès le mois suivant l’échéance du délai et non pas dès le début du trimestre civil ou de bail suivant l’échéance de ce délai.
Par ailleurs, comme les intimées l’admettent, le but de cette disposition vise à prémunir le bailleur d’une carence de paiement de son locataire, lorsque celui-ci présente des signes de fragilité financière, paie avec retard et se révèle dans l’incapacité de s’acquitter du loyer arriéré malgré la mise en demeure.
Ce n’est pas parce que cette clause du contrat-cadre s’avère favorable au bailleur qu’il faut pour autant l’interpréter, nonobstant son texte, dans un sens susceptible d’aider le locataire ; le fait que le contrat-cadre soit le résultat d’un compromis ne s’oppose pas à ce que certaines clauses favorisent l’une des parties, si d’autres rétablissent l’équilibre général de la convention.
Au demeurant, l’interprétation proposée par les intimées ne leur est favorable que dans le cas d’espèce, mais non pas systématiquement. En effet, en supposant que le règlement trimestriel du loyer ne soit exigible que par trimestre de bail, si le bailleur fait échoir son délai de mise en demeure le dernier mois du trimestre de bail, le locataire sera aussi obligé, dans ce cas, de s’acquitter d’emblée de trois mois de loyer sans bénéficier d’aucun moratoire auparavant. Il peut donc aussi être confronté, avec cette interprétation, aux mêmes difficultés financières que celles dénoncées par les intimées.
Enfin, l’on relèvera que LACHAT, cité par les intimées, ne se prononce pas, dans le passage cité, sur l’application spécifique de l’art. 1 al. 2 du contrat-cadre mais se borne à observer que des contrats prévoient une clause de paiement par trimestre de bail.
S’agissant plus spécialement de la disposition litigieuse, l’exemple fourni par LACHAT permet au contraire d’inférer que cet auteur ne souscrit pas à l’interprétation des intimées, puisqu’il indique, sans référence à la conclusion du bail, que pour une mise en demeure donnée en avril, le paiement trimestriel interviendra dès le 1er mai (op. cit., ch. 13.2.6 p. 311).

4.4. Dans le cas présent, la bailleresse a mis en œuvre, de manière régulière, l’art. 1 du contrat-cadre.
Tenues de payer leur loyer par mois d’avance, les intimées se trouvaient effectivement, le 13 janvier 2010, en retard de plus de dix jours dans le règlement de leur loyer de janvier. L’appelante était dès lors en droit de les mettre en demeure de payer ce loyer dans un délai, qu’elle a fixé à dix jours et qui est admissible (LACHAT, op. cit., ch. 13.2.6 p. 311, note 47).
Alors même qu’elle aurait pu, faute de paiement dudit loyer dans ce délai, exiger un paiement trimestriel dès le 1er février 2010, elle en a reporté les effets au 1er mars 2010, ce dont elle a avisé les locataires le 4 février 2010.
Il est sans importance que les locataires n’aient, le cas échéant, pas pris connaissance effective de ces courriers, envoyés à leur adresse par plis recommandés.
Selon la théorie de la réception applicable aux manifestations de volonté, cette manifestation est considérée comme parvenue au destinataire, dès le moment où elle entre dans sa sphère de puissance, par exemple dans sa boîte aux lettres ou dans sa case postale ; il est sans importance que le destinataire n’en ait pas connaissance effective (ENGEL, Traité des obligations en droit suisse, 1997, p. 132 et 133 et réf. citées ad. c., p. 133).
En matière d’avis comminatoire, le délai commence à courir le lendemain du jour où le locataire a reçu l’avis du bailleur ou, s’il ne retire pas l’envoi recommandé que celui-ci lui a expédié, le lendemain du 7ème jour de garde de cet envoi (LACHAT, op. cit., ch. 27.2.2 et réf. citées, notes 38 et 39).
Il s’ensuit que les intimées, valablement sommées du s’acquitter, dès le 1er mars 2010, de leur loyer par trimestre d’avance, auraient dû faire parvenir à l’appelante la somme de 3'996 fr. à cette date.
Or, elles n’ont versé que 1'332 fr. le 5 mars 2010, soit un loyer correspondant au mois de mars. Les locataires se trouvant dès lors en retard dans le paiement des loyers d’avril et mai, d’ores et déjà exigibles, la bailleresse leur a notifié des avis comminatoires le 12 mars 2010 afin qu’elles règlent, dans les 30 jours suivant la réception de ceux-ci, la somme de 2'664 fr., pour les mois d’avril et mai 2010, cela sous la menace de la résiliation de leur bail.
Ces avis, rédigés de manière conforme à l’art. 257d al. 1 CO, ont été notifiés aux locataires, qui ne contestent du reste pas leur mise en demeure.
Il est établi qu’elles n’ont cependant versé à la bailleresse dans ce délai comminatoire de 30 jours échéant au plus tard le 19 avril 2010, que la somme de 1'332 fr. versée le 8 avril 2010.
Dans ces circonstances, la bailleresse était dès lors fondée à résilier leur bail, en application de l’art. 257d al. 2 CO, moyennant un délai de congé minimum pour la fin d’un mois.
Les avis de résiliation, communiqués le 26 avril 2010 à chaque locataire, sur formule agréée par le canton, pour l’échéance du 31 mai 2010, respectaient ainsi toutes les conditions posées par la loi (art. 257d, 266l et 266n CO).
C’est par conséquent à tort, sous réserve du grief de l’abus de droit examiné infra, que les premiers juges ont constaté la nullité de la mise en demeure de janvier 2010, de l’avis comminatoire du 12 mars 2010, puis de la résiliation du bail du 26 avril 2010.

Décision

51/3 - Paiement trimestriel du loyer

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