Nullité du congé pour non-paiement de loyer
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
10.02.2003
Résumé
L'art. 257d al. 1 CO est un cas particulier d'application de l'art. 107 CO, qui prescrit la fixation d'un délai convenable pour l'exécution du contrat par la partie en demeure, avant la résiliation dudit contrat. Le but du délai de 30 jours accordé au locataire consiste à lui permettre de réunir les fonds et verser le loyer dû pour éviter le congé dont il est menacé. Si le locataire fait valoir qu'en raison de l'extrême brièveté du délai, soit 5 jours, il renonce à tenter de réunir les fonds, on doit alors admettre la nullité du congé.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer entré en vigueur
le 1er juillet 1989 et portant sur la location d'un logement de 5 pièces
à G.
Le loyer de l'appartement n'a plus été payé depuis le 1er
février 2001. Par avis comminatoires adressés séparément à chaque époux
locataire, la bailleresse les a mis en demeure de lui verser la somme de
fr. 4'386.-, à titre d'arriéré de loyers et de charges du 1er février
au 30 avril 2001, et ce d'ici le 20 mai 2001, les informant de son
intention, à défaut de paiement intégral de la somme réclamée dans le
délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.
L'épouse
locataire semble avoir reçu l'avis comminatoire le 15 mai 2001
seulement. Son conseil en a informé la bailleresse rapidement, faisant
valoir, entre autres, que les délais légaux n'avaient pas été respectés.
Considérant
que la somme réclamée n'avait pas été intégralement réglée dans le
délai imparti, la bailleresse a résilié le bail pour le 31 juillet par
avis officiels adressés séparément à chacun des époux le 22 juin 2001.
L'épouse
locataire a contesté le congé. Après l'échec de la tentative de
conciliation du 5 novembre 2001, la cause a été portée devant le
Tribunal des baux et loyers. Le 19 avril 2002, le Tribunal a déclaré nul
l'avis de résiliation signifié le 22 juin 2001 aux époux locataires et
débouté la bailleresse de ses conclusions en évacuation. La bailleresse a
interjeté appel de ce jugement.
Considérations
3. Selon l'art. 257d CO, lorsque, après la réception de la chose, le
locataire a du retard pour s'acquitter d'un terme ou de frais
accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de
paiement et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il
résiliera le bail. Ce délai sera de trente jours au moins pour des baux
d'habitation et de locaux commerciaux (al. 1). Faute de paiement dans le
délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat;
les baux d'habitation et de locaux commerciaux peuvent être résiliés
moyennant un délai de congé minimum de trente jours pour la fin d'un
mois (al. 2).
En matière d'évacuation pour défaut de paiement du
loyer, le juge doit examiner si la créance invoquée par le bailleur
existe, si elle est exigible, si le délai imparti est conforme à l'art.
257d al. 1 CO, si l'avis comminatoire du bailleur était assorti d'une
menace de résiliation du bail en cas de non paiement dans le délai
imparti, si la somme réclamée n'a pas été payée, et si le congé
satisfait aux exigences de forme prévues aux art. 266 l et 266 n CO et
respecte le délai et le terme prescrit par l'art. 257d al. 2 CO.
3.1 Lorsque
le bailleur impartit au locataire un délai de paiement trop court, les
auteurs et les tribunaux hésitent. Certains considèrent que le délai
ainsi fixé est nul; le bailleur ne pourra résilier le bail que moyennant
la fixation d'un nouveau délai correct. D'autres auteurs estiment que
le délai trop court doit être prolongé; le bail ne peut pas être résilié
si le locataire s'est acquitté de son dû dans le délai légal (Lachat,
Le bail à loyer, 1997, p. 210). La question de la validité de ce congé
extraordinaire, en raison de la demeure du locataire, pour un terme
prématuré, n'a pas encore été tranchée par le Tribunal Fédéral.
3.2 L'art.
257d al. 1 CO est un cas particulier d'application de l'art. 107 CO,
qui prescrit la fixation d'un délai convenable pour l'exécution du
contrat par la partie en demeure, avant la résiliation dudit contrat
(Message, p. 1408-1409 ad 421.104).
Selon Lachat, il est donc
difficile d'admettre qu'un délai qui ne correspond pas à celui prescrit
par la loi soit "convenable", au sens de l'art. 107 CO (op. cit., p.
210; note 44).
Pierre Wessner estime que le conge donné au locataire
est nul, s'il ne respecte pas une condition de validité matérielle, par
exemple si le bailleur dénonce le contrat sans attendre l'expiration du
délai comminatoire. Il ne prétend pas que le congé donné suite à un avis
comminatoire prévoyant un délai trop court serait nul. Le locataire
n'est simplement pas lié par un délai qui ne respecterait pas le minimum
légal. Le délai trop court est prolongé (Séminaire sur le droit du
bail, Neuchâtel, 1996, No 77, p. 19, No 92 et 94, p. 23).
Selon Higi
(Zürcher Kommentar, 1994, No 54 ad art. 257d), une telle résiliation est
valable et déploie ses effets au prochain terme possible pour le congé
extraordinaire, en application analogique de l'art. 266a al. 2 CO. Cette
opinion a été suivie par la Cour de justice, dès lors que toutes les
conditions pour une résiliation extraordinaire sont remplies, le droit
du bailleur de résilier le bail est acquis. Il s'agit d'une résiliation
inconditionnelle et exprimant la volonté ferme du bailleur de mettre fin
au contrat (ACJ No 1074 du 11.9.1995, L. c/ X. S.A.).
Selon Corboz,
la nullité est réservée au cas où la loi le prévoit expressément et à
ceux où le régime de l'annulabilité ne pourrait fonctionner
correctement. Il songe aux hypothèses où celui qui donne le congé
procède de telle manière – en violation des règles applicables – que
l'on ne peut raisonnablement exiger du destinataire qu'il saisisse la
Commission de Conciliation dans les trente jours ou si la déclaration ne
pouvait pas être considérée comme un congé (Corboz, La nullité du congé
dans le nouveau droit du bail. Cahiers du bail No 2, juin 1994, p. 42
et ss). Tel n'est pas le cas dans cette cause, le congé ayant été
contesté dans le délai légal.
3.3 Le but du délai de 30 jours
accordé au locataire consiste à lui permettre de réunir les fonds et
verser le loyer dû, pour éviter le congé dont il est menacé. Si le
locataire fait valoir qu'en raison de l'extrême brièveté du délai, soit 5
jours, il renonce à tenter de réunir les fonds, on doit alors admettre
la nullité du congé.
Dans le cas d'espèce, il ressort de la procédure
que ni J. U. ni A. U., pour des raisons qu'ils exposent longuement,
n'auraient payé les loyers dus dans un délai de trente jours si ce délai
leur avait été imparti.
La Cour de justice retiendra donc que le
congé n'est pas nul en raison du non-respect du délai comminatoire.
Conformément à l'avis de la doctrine, ce délai doit être prolongé.
Décision
38/3 - Nullité du congé pour non-paiement de loyer