Mise en demeure – paiement du loyer trimestriel

Base légale

Nom du tribunal

Arrêt de la chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève

Date

22.04.2013

Résumé

La mise en demeure de l'art. 1 al. 2 CCR est semblable à la protestation de l'art. 257f al. 3 CO. En effet, elle ne contient en général pas de menace de résiliation et ne vise à tout le moins pas directement une telle issue, mais bien plutôt un changement de la part du locataire sous forme de paiements plus réguliers. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la mise en demeure de l'art. 1 al. 2 CCR ne doit pas obligatoirement être adressée au conjoint du locataire pour être valable.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 5,5 pièces à C. A diverses reprises, en 2005, 2006, 2007 et 2008, la bailleresse a menacé les locataires d'introduire des poursuites pour des loyers impayés.
Par courrier recommandé du 15 avril 2009, la bailleresse, constatant l'absence du paiement du loyer de mars 2009 dans le délai imparti auparavant, a informé les locataires de ce que le paiement de la location était dû par versement trimestriel, payable d'avance à compter du 1er mai 2009.
Par avis comminatoires du 11 novembre 2010, la bailleresse a mis en demeure les locataires de lui régler l'arriéré du loyer. Elle a en outre informé les locataires de son intention, à défaut de paiement de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail.
Constatant que le loyer n'avait pas été intégralement réglé dans le délai imparti, la bailleresse a, par avis officiels du 27 décembre 2010, résilié le bail pour le 31 janvier 2011.
Par requêtes déposées les 4 et 28 janvier 2011 auprès de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, les locataires ont contesté cette résiliation. Par jugement du 26 avril 2012, le Tribunal a constaté la validité du congé du 27 décembre 2010. Par acte du 4 juin 2012, les locataires ont formé appel de ce jugement.

Considérations

2.1 Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que le paiement des loyers par trimestres avait été introduit par l’intimée valablement, conformément aux art. 1 al. 2 et 11.2 du contrat-cadre romand de baux à loyer du 12 décembre 2007 (ci-après : CCR), déclaré de force obligatoire dans le canton de Genève pour les habitations depuis le 1er juillet 2008 conformément à l’arrêté du Conseil fédéral du 25 juin 2008 relatif à la déclaration obligatoire générale du contrat cadre-romand de baux à loyer et à la dérogation aux dispositions impératives du droit du bail (ci-après : arrêté du Conseil fédéral). Selon lui, l’intimée n’avait pas l’obligation d’adresser à la locataire, épouse du locataire habitant avec lui l’appartement, la mise en demeure du 12 mars 2009 et le courrier du 15 avril 2009, relatifs au paiement trimestriel.
Les appelants font valoir que l’exigence de la notification de communications au conjoint prévue par l’art. 11.2 CCR vaut aussi pour les communications relatives au paiement trimestriel des loyers. D’après eux, faute d’avoir été notifiées à la locataire, les lettres de l’intimée des 12 mars et 15 avril 2009 n’ont pas valablement été notifiées, de sorte que l’intimée ne pouvait pas exiger que les locataires paient leurs loyers par trimestre et qu’ils n’étaient ainsi pas en retard dans leurs versements à la date de la mise en demeure du 11 novembre 2010, ni à celle de la résiliation du 27 décembre 2010.

2.2 A teneur de l’art. 1 CCR, qui déroge à l’art. 257c CO – lequel est de droit dispositif – et qui a été déclaré de force obligatoire générale, le loyer, les acomptes de chauffage et de frais accessoires sont payables par mois d’avance au domicile du bailleur ou à son compte postal ou bancaire (al. 1) ; lorsque le locataire est un retard de plus de dix jours dans le paiement d’une mensualité et qu’il a fait l’objet d’une vaine mise en demeure écrite, le bailleur peut exiger que les loyers, acomptes de chauffage et de frais accessoires soient acquittés trimestriellement à l’avance, dès le mois suivant l’échéance du délai fixé dans la mise en demeure (al. 2).
L’application de l’al. 2 de cette disposition paritaire a été admise par le Tribunal fédéral (arrêt 4C.347/2004 du 9 novembre 2004 consid. 3 ; ROSSINELLI, Les contrats-cadres de baux à loyers : force obligatoire et champ d’application, in 16e Séminaire sur le droit du bail [Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel], 2010, p. 161 ss, spéc. n. 65 ss).

2.3 L’article 11.2 al. 1 CCR, qui se réfère à l’art. 266n CO et qui a été déclaré de force obligatoire générale, dispose que le bailleur ne peut signifier valablement la résiliation ou d’autres communications aux locataires en relation avec la fin du bail que si elles sont adressées par écrit, sous deux plis séparés, à chacun des conjoints, la résiliation devant en outre être adressée sur formule officielle.
En vertu de l’art. 266n CO, le congé donné par le bailleur ainsi que la fixation d’un délai de paiement assorti d’une menace de résiliation (art. 257d CO) doivent être communiqués séparément au locataire et à son partenaire enregistré. Selon l’art. 266o CO, un congé qui ne satisfait pas à ces conditions est nul.
Conformément à l’art. 3 al. 3 let. a de la loi fédérale du 23 juin 1995 sur les contrats-cadres de baux à loyer et leur déclaration de force obligatoire générale (ci-après : LCBD – RS 221.213.15), le CCR ne peut pas déroger à l’art. 266n CO (cf. aussi ROSSINELLI, op. cit., n. 19). Cette disposition légale est de droit absolument impératif (BARRELET, in Droit du bail à loyer, Commentaire pratique, 2010, n. 2 ad art. 266n CO ; LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p. 633), ce qui signifie qu’il est exclu d’y déroger, en faveur du bailleur ou du locataire (IDEM, op. cit., p. 96). La systématique de l’art. 3 LCBD ne permet pas d’admettre une dérogation à cette règle légale absolument impérative en faveur du seul locataire et de son conjoint, qui « [leur offrirait] une protection pour le moins équivalente à celle du droit ordinaire contre les loyers abusifs, d’autres prétentions abusives et contre les résiliations] » (al. 1 let. b), puisque l’al. 3, vu l’emploi du terme « cependant », constitue une exception aux règles prévues aux al. 1 et 2. L’art. 11.2 al. 1 CCR ne saurait donc circonscrire ou compléter le champ d’application de l’art. 266n CO, mais ne peut que le préciser, ce tant dans l’intérêt du bailleur que du locataire (cf., par analogie, arrêt du Tribunal fédéral 4A_570/2008 du 19 mai 2009 consid. 3.3.3 ; ROSSINELLI, op. cit., n. 31 [p. 176], 46 ss et 77 ss ; SULLIGER/ANSERMET, Le contrat-cadre romand de baux à loyer et les dispositions paritaires romandes et règles et usages locatifs du canton de Vaud, in CdB 2002 p. 97 ss, spéc. p. 108 ch. 1.39).

2.4 A la connaissance de la Cour, aucune jurisprudence définitive n’a été rendue concernant une éventuelle obligation du bailleur de notifier séparément aux deux époux locataires ou au conjoint du locataire une mise en demeure avec menace d’un paiement trimestriel des loyers, ainsi que concernant la lettre instaurant ledit mode de paiement, selon le CCR.
Les conséquences de l’application de l’art. 1 al. 2 CCR ne sont pas de faible importance puisque, à condition de respecter la procédure en deux phases prévue par cette disposition paritaire, elles conduisent à rendre plus aisée la résiliation du bail d’un locataire en retard dans le paiement de son loyer ; en effet, si celui-ci éprouve déjà des difficultés à régler son loyer mensuellement, il est prévisible qu’il lui sera encore plus difficile, pour ne pas dire impossible, de le faire par trimestre d’avance (ROSSINELLI, op. cit., n. 70).
Cela étant, au regard de la portée restreinte de l’art. 11.2 al. 1 CCR par rapport à l’art. 266n CO, il apparaît à tout le moins exclu d’appliquer cette disposition paritaire à des actes ou communications adressés aux locataires que ne seraient pas en relation avec la fin du bail.
Il convient donc d’interpréter la notion d’actes ou communications adressés aux locataires en relation avec la fin du bail, en tenant compte des actes visés par l’art. 266n CO, à savoir le congé donné par le bailleur ainsi que la fixation d’un délai de paiement assorti d’une menace de résiliation (art. 257d CO).

2.5 Un contrat-cadre de bail à loyer déclaré de force obligatoire générale présente une nature analogue à celle d’une convention collective de travail ayant fait l’objet d’une décision d’extension (ACJC/597/2001 consid. 4.2). Il est admis que les dispositions normatives d’une telle convention collective doivent être interprétées selon les règles applicables à l’interprétation des lois (ATF 127 III 318 consid. 2 = JdT 2001 I 381). Or les art. 1 al. 2 et 11.2 al. 1 CCR peuvent être considérées comme des dispositions normatives, puisqu’ils prévoient des modalités applicables en principe à tous les cas.
Selon la jurisprudence, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Il n’y a lieu de déroger au sens littéral d’un texte clair par voie d’interprétation que lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause. De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi. Si le texte n’est pas absolument limpide, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales. Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; en particulier, il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 132 III 555 consid. 3.4.3.1).

2.6 L’énumération des actes du bailleur visés par l’art. 266n CO est exhaustive (BARRELET, op. cit., n. 2 ad art. 266n CO ; SVIT, Le droit suisse du bail à loyer, Commentaire, 2011, n. 20 ad art. 266l – 266o CO). Sont ainsi exclus du champ d’application de l’art. 266n CO les actes et communications du bailleur qui ne pourraient qu’indirectement conduire à la résiliation du contrat de bail (HIGI, Zürcher Kommentar, vol. V2b, Die Miete, Art. 266 – 268b CO, 1995, n. 33 ad art. 266m – 266n CO), notamment les augmentations de loyer, ainsi que la protestation fondée sur l’art. 257f al. 3 CO (BARRELET, op. cit., n. 2 ad art. 266n CO ; SVIT, op. cit., n. 20 ad art. 266l – 266o CO). S’agissant de cette protestation, celle-ci ne contient en effet en général pas de menace de résiliation, contrairement à la mise en demeure du locataire au sens de l’art. 257d al. 1 CO, et poursuit en premier lieu un autre but que cette dernière, à savoir un changement du locataire dans son attitude ou ses actes (ACJC/821/2004 consid. 3.1, rés. [en allemand] in MP 03/05 p. 170 ; SVIT, op. cit., n. 45 ad art. 257f CO ; HIGI, Zürcher Kommentar, vol. V2b, Die Miete, Art. 253 – 265 CO, 1994, n. 51 et 54 ad art. 257f CO).
La mise en demeure prévue par l’art. 1 al. 2 CCR est, mutatis mutandis, semblable à la protestation de l’art. 257f al. 3 CO. En effet, elle ne contient en général pas de menace résiliation et ne vise à tout le moins pas directement une telle issue, mais bien plutôt un changement de la part du locataire sous forme de paiements plus réguliers.

2.7 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la mise en demeure de l’art. 1 al. 2 CCR ne doit pas obligatoirement être adressée au conjoint du locataire pour être valable.
Elle doit en revanche être adressée à tous les locataires, sous peine de nullité, comme cela vaut pour la protestation de l’art. 257f al. 3 CO (concernant ladite protestation, ACJC/821/2004 consid. 3.1, rés. [en allemand] in MP 03/05 p. 170 ; SVIT, op. cit., n. 45 ad art. 257f CO), une seule lettre suffisant toutefois si elle mentionne tous les locataires (ibidem).

2.8 Il découle des principes sus-énoncés que, même si elle savait – à tout le moins depuis le 9 juin 2008 – que le locataire feu X était marié, l’intimée n’avait pas l’obligation d’adresser la mise en demeure du 12 mars 2009, ni le courrier du 15 avril 2009, à l’épouse de celui-ci, puisqu’elle n’était pas partie au contrat de bail.
Le premier grief des appelants doit donc être écarté.


Décision

54/5 - Mise en demeure – paiement du loyer trimestriel

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