Arrêt de la chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève
22.04.2013
La mise en demeure de l'art. 1 al. 2 CCR est semblable à la protestation de l'art. 257f al. 3 CO. En effet, elle ne contient en général pas de menace de résiliation et ne vise à tout le moins pas directement une telle issue, mais bien plutôt un changement de la part du locataire sous forme de paiements plus réguliers. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la mise en demeure de l'art. 1 al. 2 CCR ne doit pas obligatoirement être adressée au conjoint du locataire pour être valable.
2.1 Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que le paiement
des loyers par trimestres avait été introduit par l’intimée valablement,
conformément aux art. 1 al. 2 et 11.2 du contrat-cadre romand de baux à
loyer du 12 décembre 2007 (ci-après : CCR), déclaré de force
obligatoire dans le canton de Genève pour les habitations depuis le 1er
juillet 2008 conformément à l’arrêté du Conseil fédéral du 25 juin 2008
relatif à la déclaration obligatoire générale du contrat cadre-romand de
baux à loyer et à la dérogation aux dispositions impératives du droit
du bail (ci-après : arrêté du Conseil fédéral). Selon lui, l’intimée
n’avait pas l’obligation d’adresser à la locataire, épouse du locataire
habitant avec lui l’appartement, la mise en demeure du 12 mars 2009 et
le courrier du 15 avril 2009, relatifs au paiement trimestriel.
Les
appelants font valoir que l’exigence de la notification de
communications au conjoint prévue par l’art. 11.2 CCR vaut aussi pour
les communications relatives au paiement trimestriel des loyers. D’après
eux, faute d’avoir été notifiées à la locataire, les lettres de
l’intimée des 12 mars et 15 avril 2009 n’ont pas valablement été
notifiées, de sorte que l’intimée ne pouvait pas exiger que les
locataires paient leurs loyers par trimestre et qu’ils n’étaient ainsi
pas en retard dans leurs versements à la date de la mise en demeure du
11 novembre 2010, ni à celle de la résiliation du 27 décembre 2010.
2.2 A teneur de l’art. 1 CCR, qui déroge à l’art. 257c CO – lequel
est de droit dispositif – et qui a été déclaré de force obligatoire
générale, le loyer, les acomptes de chauffage et de frais accessoires
sont payables par mois d’avance au domicile du bailleur ou à son compte
postal ou bancaire (al. 1) ; lorsque le locataire est un retard de plus
de dix jours dans le paiement d’une mensualité et qu’il a fait l’objet
d’une vaine mise en demeure écrite, le bailleur peut exiger que les
loyers, acomptes de chauffage et de frais accessoires soient acquittés
trimestriellement à l’avance, dès le mois suivant l’échéance du délai
fixé dans la mise en demeure (al. 2).
L’application de l’al. 2 de
cette disposition paritaire a été admise par le Tribunal fédéral (arrêt
4C.347/2004 du 9 novembre 2004 consid. 3 ; ROSSINELLI, Les
contrats-cadres de baux à loyers : force obligatoire et champ
d’application, in 16e Séminaire sur le droit du bail [Faculté de droit
de l’Université de Neuchâtel], 2010, p. 161 ss, spéc. n. 65 ss).
2.3 L’article 11.2 al. 1 CCR, qui se réfère à l’art. 266n CO et qui a
été déclaré de force obligatoire générale, dispose que le bailleur ne
peut signifier valablement la résiliation ou d’autres communications aux
locataires en relation avec la fin du bail que si elles sont adressées
par écrit, sous deux plis séparés, à chacun des conjoints, la
résiliation devant en outre être adressée sur formule officielle.
En
vertu de l’art. 266n CO, le congé donné par le bailleur ainsi que la
fixation d’un délai de paiement assorti d’une menace de résiliation
(art. 257d CO) doivent être communiqués séparément au locataire et à son
partenaire enregistré. Selon l’art. 266o CO, un congé qui ne satisfait
pas à ces conditions est nul.
Conformément à l’art. 3 al. 3 let. a de
la loi fédérale du 23 juin 1995 sur les contrats-cadres de baux à loyer
et leur déclaration de force obligatoire générale (ci-après : LCBD – RS
221.213.15), le CCR ne peut pas déroger à l’art. 266n CO (cf. aussi
ROSSINELLI, op. cit., n. 19). Cette disposition légale est de droit
absolument impératif (BARRELET, in Droit du bail à loyer, Commentaire
pratique, 2010, n. 2 ad art. 266n CO ; LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p.
633), ce qui signifie qu’il est exclu d’y déroger, en faveur du
bailleur ou du locataire (IDEM, op. cit., p. 96). La systématique de
l’art. 3 LCBD ne permet pas d’admettre une dérogation à cette règle
légale absolument impérative en faveur du seul locataire et de son
conjoint, qui « [leur offrirait] une protection pour le moins
équivalente à celle du droit ordinaire contre les loyers abusifs,
d’autres prétentions abusives et contre les résiliations] » (al. 1 let.
b), puisque l’al. 3, vu l’emploi du terme « cependant », constitue une
exception aux règles prévues aux al. 1 et 2. L’art. 11.2 al. 1 CCR ne
saurait donc circonscrire ou compléter le champ d’application de l’art.
266n CO, mais ne peut que le préciser, ce tant dans l’intérêt du
bailleur que du locataire (cf., par analogie, arrêt du Tribunal fédéral
4A_570/2008 du 19 mai 2009 consid. 3.3.3 ; ROSSINELLI, op. cit., n. 31
[p. 176], 46 ss et 77 ss ; SULLIGER/ANSERMET, Le contrat-cadre romand de
baux à loyer et les dispositions paritaires romandes et règles et
usages locatifs du canton de Vaud, in CdB 2002 p. 97 ss, spéc. p. 108
ch. 1.39).
2.4 A la connaissance de la Cour, aucune jurisprudence définitive n’a
été rendue concernant une éventuelle obligation du bailleur de notifier
séparément aux deux époux locataires ou au conjoint du locataire une
mise en demeure avec menace d’un paiement trimestriel des loyers, ainsi
que concernant la lettre instaurant ledit mode de paiement, selon le
CCR.
Les conséquences de l’application de l’art. 1 al. 2 CCR ne sont
pas de faible importance puisque, à condition de respecter la procédure
en deux phases prévue par cette disposition paritaire, elles conduisent à
rendre plus aisée la résiliation du bail d’un locataire en retard dans
le paiement de son loyer ; en effet, si celui-ci éprouve déjà des
difficultés à régler son loyer mensuellement, il est prévisible qu’il
lui sera encore plus difficile, pour ne pas dire impossible, de le faire
par trimestre d’avance (ROSSINELLI, op. cit., n. 70).
Cela étant, au
regard de la portée restreinte de l’art. 11.2 al. 1 CCR par rapport à
l’art. 266n CO, il apparaît à tout le moins exclu d’appliquer cette
disposition paritaire à des actes ou communications adressés aux
locataires que ne seraient pas en relation avec la fin du bail.
Il
convient donc d’interpréter la notion d’actes ou communications adressés
aux locataires en relation avec la fin du bail, en tenant compte des
actes visés par l’art. 266n CO, à savoir le congé donné par le bailleur
ainsi que la fixation d’un délai de paiement assorti d’une menace de
résiliation (art. 257d CO).
2.5 Un contrat-cadre de bail à loyer déclaré de force obligatoire
générale présente une nature analogue à celle d’une convention
collective de travail ayant fait l’objet d’une décision d’extension
(ACJC/597/2001 consid. 4.2). Il est admis que les dispositions
normatives d’une telle convention collective doivent être interprétées
selon les règles applicables à l’interprétation des lois (ATF 127 III
318 consid. 2 = JdT 2001 I 381). Or les art. 1 al. 2 et 11.2 al. 1 CCR
peuvent être considérées comme des dispositions normatives, puisqu’ils
prévoient des modalités applicables en principe à tous les cas.
Selon
la jurisprudence, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre
(interprétation littérale). Il n’y a lieu de déroger au sens littéral
d’un texte clair par voie d’interprétation que lorsque des raisons
objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens
véritable de la disposition en cause. De tels motifs peuvent découler
des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi
que de la systématique de la loi. Si le texte n’est pas absolument
limpide, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il
convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la
dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux
préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs
sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d’autres
dispositions légales. Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode
d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour
rechercher le sens véritable de la norme ; en particulier, il ne se
fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans
ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 132 III 555 consid.
3.4.3.1).
2.6 L’énumération des actes du bailleur visés par l’art. 266n CO est
exhaustive (BARRELET, op. cit., n. 2 ad art. 266n CO ; SVIT, Le droit
suisse du bail à loyer, Commentaire, 2011, n. 20 ad art. 266l – 266o
CO). Sont ainsi exclus du champ d’application de l’art. 266n CO les
actes et communications du bailleur qui ne pourraient qu’indirectement
conduire à la résiliation du contrat de bail (HIGI, Zürcher Kommentar,
vol. V2b, Die Miete, Art. 266 – 268b CO, 1995, n. 33 ad art. 266m – 266n
CO), notamment les augmentations de loyer, ainsi que la protestation
fondée sur l’art. 257f al. 3 CO (BARRELET, op. cit., n. 2 ad art. 266n
CO ; SVIT, op. cit., n. 20 ad art. 266l – 266o CO). S’agissant de cette
protestation, celle-ci ne contient en effet en général pas de menace de
résiliation, contrairement à la mise en demeure du locataire au sens de
l’art. 257d al. 1 CO, et poursuit en premier lieu un autre but que cette
dernière, à savoir un changement du locataire dans son attitude ou ses
actes (ACJC/821/2004 consid. 3.1, rés. [en allemand] in MP 03/05 p. 170 ;
SVIT, op. cit., n. 45 ad art. 257f CO ; HIGI, Zürcher Kommentar, vol.
V2b, Die Miete, Art. 253 – 265 CO, 1994, n. 51 et 54 ad art. 257f CO).
La
mise en demeure prévue par l’art. 1 al. 2 CCR est, mutatis mutandis,
semblable à la protestation de l’art. 257f al. 3 CO. En effet, elle ne
contient en général pas de menace résiliation et ne vise à tout le moins
pas directement une telle issue, mais bien plutôt un changement de la
part du locataire sous forme de paiements plus réguliers.
2.7 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la mise en
demeure de l’art. 1 al. 2 CCR ne doit pas obligatoirement être adressée
au conjoint du locataire pour être valable.
Elle doit en revanche
être adressée à tous les locataires, sous peine de nullité, comme cela
vaut pour la protestation de l’art. 257f al. 3 CO (concernant ladite
protestation, ACJC/821/2004 consid. 3.1, rés. [en allemand] in MP 03/05
p. 170 ; SVIT, op. cit., n. 45 ad art. 257f CO), une seule lettre
suffisant toutefois si elle mentionne tous les locataires (ibidem).
2.8 Il découle des principes sus-énoncés que, même si elle savait – à
tout le moins depuis le 9 juin 2008 – que le locataire feu X était
marié, l’intimée n’avait pas l’obligation d’adresser la mise en demeure
du 12 mars 2009, ni le courrier du 15 avril 2009, à l’épouse de
celui-ci, puisqu’elle n’était pas partie au contrat de bail.
Le premier grief des appelants doit donc être écarté.