Mesures provisionnelles – rénovation d’ascenseur
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève
Date
06.09.2010
Résumé
Le caractère exceptionnel des mesures provisionnelles exige qu’elles ne puissent être admises que si toute autre mesure ou action judiciaire se révèle inefficace à sauvegarder les intérêts du requérant. Telle est la situation en cas de travaux entrepris sur un ascenseur pour exiger une modification de l’installation de façon à être utilisable par une personne en chaise roulante.
Exposé des faits
Les parties sont liées depuis le mois de janvier 1996 par un contrat de
bail à loyer portant sur un appartement de 3 pièces au 2ème étage. Le
locataire est paraplégique depuis plus de 20 ans ; il est dépendant de
l’ascenseur de l’immeuble pour accéder à son appartement.
Par
décision du 28 avril 2009, le Département des constructions et des
technologies de l’information a délivré au bailleur une autorisation
portant sur la transformation d’un ascenseur électrique.
Par courrier
du 18 novembre 2009, la régie a informé l’ensemble des locataires que
les travaux de modernisation de l’ascenseur seraient effectués du 18
janvier au 19 février 2010 impliquant, pendant toute leur durée, une
mise hors service de l’installation.
Le 27 novembre 2009, le
locataire paraplégique a expliqué au représentant de la régie sa manière
d’utiliser l’ascenseur actuel ; il lui a été répondu que ce système ne
serait plus possible par la suite, mais que la régie ferait le
nécessaire pour qu’il soit en mesure de continuer à utiliser
l’ascenseur.
Depuis le début des travaux, le locataire paraplégique a
trouvé une solution de relogement provisoire. Le 1er mars 2010, le
locataire a constaté que l’ascenseur fonctionnait à nouveau, mais qu’il
ne pouvait plus l’utiliser, compte tenu de la nouvelle configuration
technique de l’installation.
Le 1er avril 2010, le locataire a déposé
une requête en mesures provisionnelles urgentes, par laquelle il a
conclu à ce qu’il soit ordonné au bailleur d’entreprendre dans les
quinze jours les travaux nécessaires pour lui permettre à nouveau
d’utiliser l’ascenseur de son immeuble. Par ordonnance de mesures
provisionnelles du 16 avril 2010, le Tribunal des baux et loyers a
ordonné au bailleur de prendre les mesures nécessaires afin de permettre
au locataire paraplégique d’utiliser l’ascenseur de l’immeuble. Le
bailleur a formé appel contre cette ordonnance.
Considérations
3.
3.1 Des mesures provisionnelles urgentes ne peuvent être prises
que s’il y a urgence, soit s’il n’existe pas d’autres possibilités en
vue de sauvegarder les droits d’une partie dont les intérêts seraient
mis en péril par l’absence de mesures provisoires (SJ 1985, p. 480 et SJ
1986, p. 367). L’institution a notamment pour but de prévenir le risque
que les droits allégués au fond ne puissent plus être reconnus en
raison de la lenteur de la procédure, en sauvegardant sur le champ
l’existence ou l’objet du droit (PELET, Mesures provisionnelles, droit
fédéral ou cantonal, 1987 p. 7 ; SJ 1980 p. 345-346).
L’octroi de
mesures provisionnelles est soumis à quatre conditions cumulatives : le
requérant doit rendre vraisemblables les faits qu’il allègue pour
déduire le droit auquel il prétend. Il doit ensuite établir l’apparence
du droit invoqué (SJ 1977, p. 60 et ss ; SJ 1965, p. 575 ; SJ 1962, p.
10). Il doit en outre rendre vraisemblable que, sans la mesure de
protection utilisée, l’atteinte pourrait causer un préjudice
difficilement réparable (SJ 1977, p. 588). Il doit enfin faire
apparaître que les mesures sollicitées sont urgentes (SJ 1986, p. 156 ;
SJ 1977, p. 588).
En matière de mesures provisionnelles, la vraisemblance est suffisante (AFT 107 Ia 282).
L’urgence
visée ne consiste pas nécessairement en une immédiateté temporelle.
Elle résulte plus sûrement de la considération que seules des mesures
provisionnelles peuvent prévenir le dommage menaçant ou, en d’autres
termes que, sans ordonnance de mesures provisionnelles, le requérant
risquerait de subir un dommage difficile à réparer au point que
l’efficacité du jugement rendu à l’issue de la procédure ordinaire
serait compromise. Le fait que le requérant ait tardé à agir n’est pas
déterminant (SJ 1986 p. 366-367 ; SJ 1988 p. 32 ; SJ 1991 p. 116-117).
L’urgence ne s’examine pas tant au regard du comportement antérieur des
parties mais plutôt à celui des initiatives qu’elles peuvent prendre à
l’avenir. Dès lors, même si le requérant a laissé s’écouler du temps
depuis la connaissance des faits et s’il a subi un dommage, il demeure
fondé à obtenir des mesures provisionnelles aussi longtemps que le
préjudice persiste et que le dommage supplémentaire, difficile à
réparer, ne peut être prévenu que par des mesures provisionnelles
(BERTOSSA / GAILLARD / GUYET / SCHMIDT, Commentaire de la loi de
procédure civile genevoise, ad art. 320, n. 14).
Le caractère
exceptionnel des mesures provisionnelles exige qu’elles ne puissent être
admises que si toute autre mesure ou action judiciaire se révèle
inefficace à sauvegarder les intérêts du requérant. La mesure à ordonner
doit être adaptée aux circonstances de l’espèce et ne pas aller au-delà
de ce qu’exige le but poursuivi. Lorsque plusieurs mesures sont
envisageables, le juge portera son choix sur celles qui sont le moins
incisives, tout en préservant au mieux les intérêts des parties
(BERTOSSA/GAILLARD/GUYET/SCHMIDT, op. cit., ad art. 320, n. 15).
3.2
En l’espèce, les premiers juges se sont fondés sur la loi fédérale sur
l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (RS
151.3, LHand) pour retenir que les travaux entrepris au début 2010 sur
l’ascenseur visé ici constituaient une rénovation au sens de cette loi,
ce qui ouvrait la possibilité, pour le requérant, d’exiger une
modification de l’installation de façon à être utilisable par une
personne en chaise roulante. Sous l’angle de la proportionnalité, le
Tribunal a considéré que les coûts présumés des travaux d’adaptation,
par 7'313 fr. 55, selon le devis établi à la demande de l’appelant,
n’étaient pas excessifs.
Cette motivation est convaincante. La
situation créée par la modernisation de l’installation ici en cause
paraît en effet constitutive, de prime abord, d’une inégalité frappant
une personne handicapée, au sens de l’art. 2 al. 3 LHand, puisque
l’accès au logement loué par l’intimé est devenu impossible ou très
difficile pour l’intéressé, en raison des travaux entrepris en début
2010.
La LHand offre à toute personne subissant une inégalité au sens
de cette même loi la possibilité de saisir l’autorité judiciaire civile
d’une demande tendant à l’élimination de ladite inégalité, « en cas de
construction ou de rénovation d’une construction ou d’une installation »
(art. 7 al. 1 let. b LHand). L’appelant soutient que l’intervention
effectuée en l’espèce sur l’ascenseur ne consisterait qu’en une simple «
mise en conformité » et non en des travaux plus importants. Or,
l’autorisation délivrée le 28 avril 2009 par le Département des
constructions et des technologies de l’information (DCTI) produite par
l’appelant indique dans la rubrique « description de l’objet » : «
transformation d’un ascenseur électrique ». De plus, la lettre
circulaire adressée à tous les habitants de l’immeuble communique la
décision du propriétaire de « moderniser » cette installation,
impliquant sa mise hors service pendant une période d’environ un mois,
ce qui suppose des travaux d’une certaine ampleur. Au vu de ces
éléments, les travaux réalisés peuvent, au moins sous l’angle de la
vraisemblance, être qualifiés de transformation ou de rénovation, de
sorte que l’art. 7 al. 1 let. b LHand paraît a priori applicable, comme
l’ont retenu les premiers juges.
A réception de la lettre
d’information de la régie du 18 novembre 2009, l’intimé a rapidement
réagi en obtenant un rendez-vous avec un représentant de la régie,
quelques jours plus tard. Les parties s’accordent sur le fait que
celui-ci a indiqué à l’intimé que les manipulations tendant à permettre
le fonctionnement de l’ascenseur en maintenant les portes ouvertes ne
seraient plus possible une fois les travaux effectués. Elles divergent
sur l’éventuelle promesse de la régie relative à la mise en place d’un
système de clé permettant à l’intimé d’utiliser l’installation avec les
portes intérieures ouvertes. A ce stade, et étant rappelé que la Cour
doit statuer sous l’angle de la vraisemblance, il paraît en tout cas peu
probable que le représentant de la régie ait pu affirmer, de façon
ferme et irrévocable, que l’ascenseur ne serait définitivement plus
utilisable par l’intimé, car ce dernier aurait vraisemblablement réagi,
d’une façon ou d’une autre. Cela se déduit également du courrier de la
régie du 3 décembre 2009 qui n’évoque l’indisponibilité de
l’installation que pour la période d’un mois, correspondant à la durée
des travaux eux-mêmes, ce qui suppose que l’ascenseur devait être à
nouveau utilisable par l’intimé après leur réalisation.
Dans ces
conditions, ce n’est vraisemblablement qu’après la fin desdits travaux,
après la mi-février 2010, que l’intimé s’est aperçu que l’ascenseur
avait été modernisé sans tenir compte de son handicap. Or, il est
intervenu dès le 11 février 2010 auprès de la régie afin de rappeler sa
situation et la nécessité que ladite installation soit à nouveau
utilisable par une personne se déplaçant en fauteuil roulant, dès la fin
des transformations. L’intimé a ensuite réagi par courriers du 1er mars
2010, par une intervention auprès de l’administration, puis par le
dépôt d’une requête en exécution de travaux, notamment, en date du 30
mars 2010.
Rien n’indique, dans la LHand, que l’intimé aurait dû
agir avec une plus grande rapidité, l’appelant ne citant d’ailleurs
aucune disposition spécifique à ce sujet. Comme déjà vu plus haut, la
condition de l’urgence incluse dans la notion de mesures provisionnelles
n’implique pas nécessairement une réaction immédiate du requérant. Il
convient plutôt de tenir compte du préjudice subi par ce dernier et du
risque que ce dommage persiste et augmente durant la procédure
ordinaire, en l’absence de mesures provisionnelles. A cet égard, il
apparaît que l’intimé n’a plus pu accéder à son logement depuis le début
des transformations de l’ascenseur, en date du 18 janvier 2010, et que,
si l’installation n’est pas adaptée au handicap de l’intimé, il ne
pourra plus faire usage de l’objet du bail jusqu’à ce qu’un jugement
soit rendu à l’issue d’une procédure ordinaire.
L’intimé expose avoir
trouvé un logement provisoire chez une connaissance, avec la contrainte
de devoir gravir une dizaine de marches à l’entrée de l’immeuble. Il
affirme ne pas pouvoir franchir cette volée d’escaliers sans l’aide d’un
tiers, ce qui paraît vraisemblable au vu des photographies produites.
De plus, l’appartement en cause ne dispose pas d’une salle de bains
adaptée à sa situation. Le maintien de cette solution d’hébergement
précaire, même si elle peut vraisemblablement se poursuivre quelques
jours ou semaines, doit être mis en balance avec l’hypothèse dans
laquelle l’intimé devrait attendre l’issue de la procédure au fond, sans
pouvoir accéder à son logement. Or, la pratique démontre que, dès
l’instant où des enquêtes sont ouvertes – comme cela devrait
probablement être le cas en l’espèce compte tenu des divergences entre
les parties -, la procédure s’étend en règle générale sur plusieurs
mois, parfois sur plus d’une année. On voit donc que l’intimé se trouve
concrètement dans une situation où, faute de mesures provisionnelles, il
verrait son dommage régulièrement augmenter au fur et à mesure de
l’avancement de la procédure, puisqu’il se trouverait dans
l’impossibilité d’utiliser le logement loué. L’appelant se limite
d’ailleurs à refuser d’exécuter toute forme de travaux, sans proposer
aucune mesure concrète susceptible de résoudre la situation et de
diminuer, voire supprimer, le préjudice subi par l’intimé, par exemple
en lui offrant un logement de remplacement, accessible aux personnes en
fauteuil roulant. Le fait que l’intéressé travaille à temps partiel à
Neuchâtel, où il passerait trois nuits par semaine, ne vient pas
modifier les considérations qui précèdent.
L’appelant se base ensuite
sur un coût des travaux dépassant 15'000 fr. pour affirmer que le
principe de la proportionnalité ne serait pas respecté. Il résulte
cependant des pièces déposées en première instance que le bailleur a
lui-même indiqué à l’intimé, par courrier du 10 mars 2010, que les coûts
d’adaptation de l’ascenseur s’élèveraient à 7'313 fr. 55. Il existe
donc une solution au problème posé, à un prix nettement inférieur à
celui articulé en appel par la partie bailleresse. En tout état de
cause, l’appelant n’allègue pas, devant la Cour, que ce montant de 7'313
fr. 55, sur lequel est fondée l’ordonnance du Tribunal des baux et
loyers, serait excessif, de sorte que l’appel est également mal fondé
sur ce point.
Décision
49/10 - Mesures provisionnelles – rénovation d’ascenseur