Mesures d‘encouragement pour locaux d‘habitation
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
23.04.2001
Résumé
Les dispositions relatives à la contestation des loyers abusifs ne s‘appliquent pas aux locaux d‘habitations en faveur desquels des mesures d‘encouragement ont été prises par les pouvoirs publics et dont le loyer est soumis au contrôle d‘une autorité. Considérer le déclassement de zone comme une mesure d‘encouragement appelle une réponse nuancée suivant les circonstances, un changement de zone étant ou non susceptible d‘engendrer d‘importants avantages financiers.
Exposé des faits
Les appelants sont devenus locataires d‘un appartement à G. dans un
immeuble édifié dans le cadre de la loi générale sur les zones de
développement (LGZD). Par arrêté du 5 décembre 1994, le Conseil d‘Etat
avait fixé l‘état locatif que la bailleresse était autorisée à
appliquer. Le bail signé entre parties mentionne que l‘immeuble en
question est soumis à la loi générale sur les zones de développement et
les deux parties reconnaissent que le loyer est assujetti au contrôle de
l‘Office financier du logement.
Après une première demande
infructueuse du 23 décembre 1998, les locataires ont réitéré le 22
février 1999 leur prétention tendant à l‘octroi d‘une baisse de loyer de
15 % en raison de la baisse du taux hypothécaire de 5.5 % à 4.25 % et
de la baisse des charges d‘exploitation.
Une réponse négative ayant
été apportée à cette demande le 1er avril 1999, les locataires saisirent
la Commission de conciliation par requête du 20 avril 1999. Non
conciliée, la cause fut portée devant le Tribunal des baux et loyers
qui, par jugement du 12 septembre 2000, s‘est déclaré incompétent
ratione materiae. Les premiers juges ont considéré en effet que les
conditions posées par l‘art. 253b al. 3 étaient remplies, selon lesquels
les dispositions relatives à la contestation des loyers abusifs ne
s‘appliquent pas aux locaux d‘habitation en faveur desquels des mesures
d‘encouragement ont été prises par les pouvoirs publics et dont le loyer
est soumis au contrôle d‘une autorité.
Ces conditions étaient en
effet réunies: le jugement retient qu‘il n‘était pas contesté par les
parties que l‘immeuble était soumis à la LGZD, ayant obtenu une
augmentation du coefficient d‘occupation du sol par un changement
d‘affectation, et que le loyer était contrôlé par l‘Office cantonal du
logement.
Considérations
2. Aux termes de l‘art. 253b al. 3 CO, les dispositions relatives à la
contestation des loyers abusifs ne s‘appliquent pas aux locaux
d‘habitations en faveur desquels des mesures d‘encouragement ont été
prises par les pouvoirs publics et dont le loyer est soumis au contrôle
d‘une autorité (ATF 124 III 463 consid. 4a p. 465). Les deux conditions
dont dépend l‘application de cette disposition sont cumulatives (ATF du
13.3.1997 in SJ 1997 p. 495 = CdB 2/1997 p. 42 n. 2).
En l‘espèce, il
est constant que l‘immeuble en question a été édifié au bénéfice de la
LGZD et que ses loyers sont soumis au contrôle de l‘Etat pour une durée
de 10 ans dès 1995.
Sur le vu de l‘argumentation des appelants,
l‘unique problème à résoudre est celui de savoir si le jugement
entrepris consacre une violation de l‘art. 253b al. 3 CO en ce qu‘il a
admis que le déclassement de zones en vertu de la LGZD constituait une
mesure d‘encouragement, au sens de cette disposition.
a) Pour
qu‘une telle mesure d‘encouragement soit réalisée, il suffit que
l‘immeuble en question bénéficie d‘une aide quelconque de la
collectivité (ATF précité du 13.3.1997; Conod: L‘art. 253b al. 3 CO et
la protection des locataires contre les loyers abusifs dans les
logements subventionnés, in CdB 2/98 p. 33 ss, notamment p. 38 n. 4.1).
Les
mesures d‘encouragement peuvent en effet revêtir des formes diverses:
il peut s‘agir de paiements directs, notamment de subventions, ou
d‘avantages indirects sous la forme de cautionnements, d‘exonérations
fiscales, de prêts sans intérêts ou à taux privilégiés, de la mise à
disposition d‘un terrain à titre gratuit ou au moyen d‘un droit de
superficie avantageux (Lachat: Le bail à loyer, p. 81 n. 4.2.8; Higi:
Commentaire zurichois, n. 81 ad art. 253a-253b; Siegrist: Les loyers et
les frais accessoires des logements subventionnés, 10ème Séminaire sur
le droit du bail, Neuchâtel 1998, p. 10; SVIT-Kommentar, 2ème éd., n. 11
ad art. 253b; Conod: loc. cit).
A la suite de Lachat-Micheli (Le
nouveau droit du bail, p. 183 n. 1), Lachat est d‘avis qu‘une telle
mesure d‘encouragement peut consister en un déclassement de zones
(op.cit. p. 81 et 251) alors que pour Siegrist, la question de savoir si
le seul déclassement de zone peut être considéré comme une mesure
d‘encouragement n‘est pas définitivement tranchée et appelle
vraisemblablement une réponse nuancée suivant les circonstances, un
changement de zone étant ou non susceptible d‘engendrer d‘importants
avantages financiers (op. cit. p. 11).
b) En droit cantonal
genevois, les mesures d‘encouragement sont énumérées à l‘art. 1er al. 2
lit. b de la loi générale sur le logement et la protection des
locataires (LGL) qui cite le cautionnement simple d'emprunts
hypothécaires et l‘octroi d‘emprunts avec ou sans intérêts, de
subventions, d‘exonérations fiscales, la mise à disposition de terrains à
bâtir en droit de superficie, l‘aide à l‘équipement de terrains à
bâtir. Cette énumération n‘est cependant pas limitative et n‘exclut
aucunement le déclassement de zone.
Un tel déclassement s‘opère
essentiellement par l‘instauration de zones de développement. Celles-ci
sont définies à l‘art. 12 al. 4 LALAT; elles se superposent à des
parties déterminées de zones ordinaires et comportent des zones de
construction plus favorables que celles de ces dernières; elles sont
régies, selon leur affectation, par la loi générale du 29 juin 1957 sur
les zones de développement (LGZD), précédemment dénommée loi sur le
développement de l‘agglomération urbaine (LDAU), et par la loi générale
du 13 décembre 1984 sur les zones de développement industriel (LGZDI)
(RDAF 1991 p. 34 consid. 3c p. 37-38).
Sous le régime instauré par la
LGZD, la zone de développement a pour objectif essentiel de favoriser
la construction de logements répondant à un besoin d‘intérêt public et
d‘assurer l‘urbanisation de certaines portions du territoire cantonal.
Les instruments qu‘elle met en place visent plus particulièrement à
freiner la spéculation foncière usuellement engendrée par le transfert
de terrains en une zone à plus fort potentiel à bâtir, à diminuer les
coûts engendrés par la création de nouveaux équipements pour la
collectivité publique, et à imposer un urbanisme cohérent (Maunoir: Les
zones de développement en droit genevois, in RDAF 1998 I p. 266 ss, p.
267).
Le but poursuivi par le législateur était d‘obtenir qu‘une
partie de la plus-value consécutive au déclassement profite à la
collectivité sous la forme, notamment, de création de logements à des
conditions raisonnables (ATF Righi du 4.4.1973 in SJ 1974 p. 177 consid.
6 p. 197). La loi genevoise impose à un constructeur, en cas de
déclassement, des engagements qu‘il doit remplir vis-à-vis de l‘Etat.
Ces règles du droit cantonal, édictées dans un domaine différent de
celui qu‘a abordé le législateur fédéral, ne peuvent que renforcer la
protection des locataires voulue par le droit fédéral; elles ne sont en
contradiction avec aucune règle du droit fédéral (SJ 1974 p. 201).
Tous
les projets à réaliser selon les dispositions de la zone de
développement doivent ainsi respecter des conditions précises touchant
principalement les logements dont le nombre, le type et les loyers
doivent répondre aux besoins prépondérants de la population (Maunoir:
op.cit. p. 269 et 276). A cet effet, les loyers des bâtiments
d‘habitation locatifs sont soumis au contrôle de l‘Etat pendant une
durée de dix ans dès la date d‘entrée moyenne dans les logements selon
les modalités prévues par les art. 42 à 48 de la LGL (art. 5 al. 3
LGZD).
c) Compte tenu de ce qui précède, les appelants ne
sauraient être suivis lorsqu‘ils font valoir que le déclassement de zone
en vertu de la LGZD n‘est qu‘une intervention d‘aménagement du
territoire et ne constitue dès lors pas une mesure d‘encouragement, au
sens de l‘art. 253b al. 3 CO, car n‘étant pas une prestation onéreuse.
Leur
argumentation méconnaît en effet que la notion d‘"aide" de l‘Etat est
plus large que celle de "prestations"; elle ne se limite pas au seul
paiement de subventions ou de prestations, mais englobe toutes les
interventions possibles destinées à réaliser le but économique fixé de
mettre à disposition de la population des logements correspondant aux
besoins prépondérants de celle-ci (RDAF 1983 p. 163).
d) En
l‘espèce, l‘immeuble en question a été édifié au bénéfice de l'arrêté du
Conseil d‘Etat du 12 août 1992 autorisant l‘application des normes de
la 3ème zone aux bâtiments à construire et n‘aurait pu l‘être selon les
normes de la zone primaire dans lequel le chemin M.B. était englobé.
En
admettant que cette condition de l‘art. 253b al. 3 CO était ainsi
réalisée, le jugement attaqué ne consacre aucune violation de la loi.
Décision
35/2 - Mesures d‘encouragement pour locaux d‘habitation