Majoration des frais accessoires

Base légale

Nom du tribunal

Chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève

Date

16.05.2011

Résumé

La loi ne prévoit pas, et il serait déraisonnable de l’imposer par voie jurisprudentielle, qu’au stade de la notification, le bailleur doive documenter les frais, en annexant les contrats conclus. Il est suffisant que certains frais soient regroupés dans une même sous-rubrique, sans connaître leur détail. Le locataire connaît ainsi le montant global de chacune des sous-rubriques et peut donc apprécier leur impact financier, c’est en définitive le coût global qui importe pour celui qui doit payer.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer du 15 avril 1996 portant sur la location d’un appartement de 6 pièces.
Par avis officiel du 5 octobre 2009, la bailleresse a informé les locataires de sa décision de baisser le loyer annuel à fr. 25'488.– dès le 1er mai 2010, de laisser les charges inchangées à fr. 1'440.– par an et d’introduire un acompte des frais accessoires de fr. 3'228.–.
L’avis est motivé par l’introduction du système des coûts effectifs avec paiement d’acompte pour la perception des frais accessoires précédemment compris dans le loyer, lesdits frais étant détaillés. La bailleresse a également énuméré les « postes exclusifs » des frais accessoires. Un tableau récapitulant le montant des frais accessoires concernés au cours des quatre derniers exercices étaient joint à la lettre.
Par requête du 2 novembre, les locataires ont contesté cette modification de leur bail. L’affaire a été déclarée non con conciliée lors de l’audience de la Commission de conciliation du 16 mars 2010.
Par acte du 12 avril 2010, la bailleresse a saisi le Tribunal des baux et loyers d’une demande en validation de modification du bail. Par jugement du 15 septembre 2010, le Tribunal des baux et loyers a constaté la nullité de l’avis officiel de modification de bail et débouté les parties de toutes autres conclusions. La bailleresse a interjeté appel de ce jugement en temps utile.

Considérations

2.1. Les frais accessoires ne sont à la charge du locataire que si cela a été convenu spécialement (art. 257a al. 2 CO ; CdB 1/09, p. 22). La loi exige donc que les parties en soient convenues d’une manière suffisamment précise, en détaillant les postes effectifs (ATF 121 III 460 consid. 2a/aa et les auteurs cités ; CdB 2/08, p. 61). En concluant le contrat, le locataire doit comprendre facilement quels sont les postes qui lui seront facturés en plus du loyer (arrêt 4 P.323/2006 du 21 mars 2007 consid. 2.1 ; LACHAT, Droit du bail, Lausanne, 2008, p. 334). Le renvoi à une annexe standardisée du contrat, comme les « dispositions générales pour baux d’habitation », ne suffit pas pour admettre que les parties ont passé une convention spéciale sur le paiement des frais accessoires. En effet, on ne peut exiger du locataire qu’il se fasse une idée des frais accessoires qu’il aura à payer par une consultation attentive des conditions annexées au contrat. Il a bien plutôt droit à ne se voir facturer que les frais accessoires clairement et précisément décrits dans le contrat (arrêt 4C.24/2002 du 29 avril 2002 consid. 2.4.2, in Mietrechtspraxis [mp] 2002 p. 163 ss). Les frais énumérés dans des conditions générales peuvent toutefois, selon les circonstances, être facturés au locataire, dans la mesure où ils peuvent être considérés comme une concrétisation des frais accessoires déjà attribués au locataire dans le contrat (arrêt 4C.250/2006 du 3 octobre 2006 consid. 1.1 ; ATF 135 III 591 consid. 4.3.1).
Les frais accessoires sont à la charge du preneur en vertu du bail, seuls les frais effectifs peuvent être demandés. Le bailleur ne peut réaliser aucun profit sur les frais accessoires (ATF 107 II 264 consid. 2a).
Par ailleurs, si le bailleur perçoit les frais accessoires de manière forfaitaire, il doit se fonder sur une moyenne calculée sur une période de trois ans (art. 4 al. 2 OBLF). Le décompte de frais accessoires doit ansi comporter :
- la liste chiffrée des frais accessoires mis en compte (chauffage, eau chaude, taxe d’épuration, frais de concierge, etc.) ;
- le total de ces frais accessoires ;
- la clé de répartition des frais accessoires entre les locataires ;
- le montant dû par le locataire pour la période concernée ;
- le montant des acomptes payés en cours de l’exercice ;
- le solde dû par le locataire ou le trop perçu que le bailleur doit rembourser (LACHAT, op. cit. p. 340).
Si le décompte des frais de chauffage et d’eau chaude ne comporte pas suffisamment de détails, le bailleur doit indiquer que le locataire peut les exiger (art. 8 al. 1 OBLF). Le locataire a ainsi le droit de prendre connaissance des pièces justificatives qui fondent une prétention du bailleur relative aux frais accessoires (art. 257b al. 2CO).
Il résulte de ce qui précède que le bailleur doit prouver le montant des frais qu’il réclame et les locataires doivent bénéficier des éventuels escomptes, prix de gros et ristournes consentis par les fournisseurs (LACHAT, op. cit. p. 338).
2.2 Le bailleur peut en tout temps majorer le loyer pour le prochain terme de résiliation. L’avis de majoration du loyer, avec indication des motifs, doit parvenir au locataire dix jours au moins avant le début du délai de résiliation et être effectué au moyen d’une formule agréée par le canton (art. 269d al. 1 CO). La disposition précitée est aussi applicable lorsque le bailleur envisage d’apporter unilatéralement au contrat d’autres modifications au détriment du locataire, par exemple en diminuant ses prestations ou en introduisant de nouveaux frais accessoires (art. 269d al.3 CO). Pour les baux d’habitation et de locaux commerciaux, les frais accessoires ne peuvent être modifiés en cours de bail qu’aux conditions des art. 269d al. 3 et 270b al. 2 CO, relatifs aux modifications unilatérales du contrat. L’introduction de nouveaux frais accessoires obéit aux mêmes règles (LACHAT, op. cit., p. 336-337).
Les clauses contractuelles relatives aux frais accessoires, ayant pour objet de spécifier les dépenses imputables au locataire et les montants que celui-ci doit verser périodiquement à titre de forfait ou d’acomptes, sont modifiables à l’initiative du bailleur ou du locataire selon les art. 269d, 270a et 270b CO qui visent au premier chef l’augmentation ou la diminution du loyer (ATF 4D_45/2010 du 31 mai 2010, consid. 3).
A peine de nullité, le bailleur doit désigner précisément sur la formule officielle les frais accessoires qu’il entend mettre désormais à la charge du locataire, la date de leur entrée en vigueur et les motifs précis les justifiant (art. 19 al. 1 let. b OBLF).
Le motif de la modification peut figurer dans un courrier d’accompagnement, auquel cas l’avis officiel doit expressément s’y référer (art. 19 al. 1bis OBLF).
La formule officielle ou la lettre d’accompagnement à laquelle elle renvoie doit énumérer les nouveaux frais accessoires, et préciser pour chacun d’entre eux les motifs de la prétention et les provisions correspondantes (art. 19 al. 1 let. a chiffre 4 OBLF).
L’utilisation d’une formule créée par le bailleur et dont le contenu satisfait aux exigences de l’art. 19 OBLF n’est admissible que si elle a été homologuée par l’autorité cantonale compétente (ATF 121 III 214 JT 1996 I 38).
Les motifs de l’avis de majoration doivent être précis et permettre au locataire de saisir la portée et la justification de la majoration de manière à pouvoir apprécier en pleine connaissance de cause l’opportunité ou non de la contester (ATF 121 III 6). Le sens des motifs figurant dans l’avis s’interprète à la lumière du principe de la confiance, en d’autres termes la volonté du bailleur telle que peut la comprendre le locataire destinataire de bonne foi (ATF 118 II 130 consid. 2b). Les conditions de forme particulièrement rigoureuses qui sont imposées au bailleur mettent le locataire en mesure de contester le loyer qui lui est annoncé et d’invoquer les règles édictées contre les loyers abusifs (TERCIER/FAVRE, Les contrats spéciaux, 4e éd., 2009, n. 2637). Ces conditions de forme sont donc indissociables du système de protection contre les loyers abusifs (ATF 4A_177/2010 du 14 juin 2010, consid. 3).
La motivation indiquée dans l’avis de majoration constitue une manifestation de volonté du bailleur, soit un acte juridique unilatéral qui se manifeste sous la forme d’un droit formateur (GAUCH/SCHLUEP, Schweizerisches Obligationenrecht, vol. I, 5e éd., p. 24 ss n. 151 ss). La détermination de son sens et de sa portée s’effectue conformément aux principes généraux en matière d’interprétation des manifestations de volonté (KRAMER, Commentaire bernois, n. 50 ad art. 18 CO), ce qui vaut également pour l’exigence de clarté. Si les parties ne sont pas d’accord sur le sens à donner aux motifs figurant dans l’avis formel de majoration, il y a lieu d’interpréter ceux-ci selon le principe de la confiance. On examinera d’après les facultés de compréhension du locataire et au vu de toutes les circonstances du cas particulier si les motifs donnés sont suffisamment clairs et précis pour que l’intéressé puisse décider en toute connaissance de cause s’il veut s’opposer ou non aux nouvelles clauses contractuelles (ATF 121 III, 6 consid. 3 c). Lorsque le contenu des motifs n’est pas suffisamment clair et précis, renvoyant par exemple à des facteurs de hausse incompatibles entre eux, il est nul (ATF 121 III 6).
Le droit du bail est un domaine juridique empreint de formalisme, dans lequel il convient de se montrer strict en matière de respect des prescriptions de forme. Il ne faut en principe pas admettre d’exceptions aux règles édictées dans l’intérêt du locataire (ATF 121 III 6 consid. 3a).

2.3 En l’occurrence, l’appelante reproche aux premiers juges d’avoir fait preuve de formalisme excessif et d’avoir procédé à une interprétation arbitraire de la communication adressée aux locataires le 5 octobre 2009, violant ainsi les art. 269d CO et 19 OBLF, ainsi que les articles 29 et 9 de la Constitution fédérale.
La lettre d’accompagnement et son annexe, auxquelles renvoie l’avis officiel, détaillent les modifications souhaitées et exposent leurs effets sur le plan financier. La lettre d’accompagnement énumère et détaille l’ensemble des frais concernés et le tableau annexé permet de comprendre leur importance économique.
Certes, les justificatifs des frais ne sont pas produits, mais la loi ne prévoit pas, et il serait déraisonnable de l’imposer par voie jurisprudentielle, qu’au stade de la notification, le bailleur doive documenter les frais, en annexant les contrats conclus. Par ailleurs, certains frais, les abonnements en particulier, sont regroupés dans une même sous-rubrique, de sorte que le locataire ignore le montant exact de chacun des frais composant globalement une sous-rubrique. Il connait toutefois le montant global de chacune des sous-rubriques et peut donc apprécier leur impact financier, car c’est en définitive le coût global qui importe pour celui qui doit payer.
Pris ensemble, l’avis et la lettre d’accompagnement, ainsi que son annexe, dressent donc un tableau compréhensible et complet du motif, de la nature et de l’importance financière des changements voulus, même s’ils ne fournissent pas le détail du coût de chacun des contrats d’abonnement conclus.
Le fait que le coût soit communiqué par exercice, sur 4 exercices, puis en moyenne constitue également un élément important, puisqu’il permet d’apprécier la stabilité, respectivement la volatilité des coûts.
La Cour considère par conséquent que les locataires étaient en mesure de comprendre tant le principe et la justification de la modification souhaitée, que ses incidences sur le plan financier, et qu’ils pouvaient donc apprécier en pleine connaissance de cause l’opportunité ou non de la contester.
Par conséquent, la validité de l’avis officiel de modification notifié le 5 octobre 2009 doit être reconnue sur le plan formel.


Décision

52/5 - Majoration des frais accessoires

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