Libération de la qualité de colocataire
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
05.04.2004
Résumé
Le bailleur ne peut s'opposer au transfert des actions d'une société anonyme; en revanche, il peut refuser qu'un ancien actionnaire perde sa qualité de colocataire dès lors que cela aurait représenté un risque concernant le paiement du loyer. Or, tant l'article 264 que l'article 263 CO prévoient que le bailleur doit être informé et donner son accord.
Exposé des faits
En 1995, par contrat de bail à loyer, une société immobilière a donné en
location à une société anonyme formée de trois actionnaires et un
particulier, également actionnaire de la société précitée, des locaux
commerciaux destinés à l'exploitation d'un club privé comprenant bar,
cabaret et dancing. En 2001, la société anonyme a changé de mains. Le
contrat de cession d'actions stipule en outre que les trois anciens
actionnaires ont également cédé le droit au bail de l'établissement
susmentionné. Le propriétaire n'a pas été informé de cette cession.
Le
27 février 2002, la propriétaire a signifié aux deux locataires une
résiliation de bail pour le 31 août 2002, ou pour tout autre échéance
utile. Par requête du 28 mars 2002, la société anonyme locataire a saisi
la Commission de conciliation en matière de baux et loyers en
contestation de congé et en prolongation de bail.
Le 13 mars 2002, la
Commission de conciliation a débouté la société anonyme locataire des
fins de sa requête, au motif qu'elle n'avait pas la légitimation active.
Par
jugement du 21 mars 2003, le Tribunal des baux et loyers a estimé que
M.X., locataire, n'avait jamais demandé à la propriétaire à être libéré
de ses droits et obligations découlant du bail et que la bailleresse
n'avait de ce fait jamais donné non plus son accord. En conséquence, le
fait que le locataire n'avait plus aucun lien juridique avec la société
anonyme locataire ne pouvait être opposé à la propriétaire. Ayant agi
seule, la nouvelle société anonyme n'avait pas la légitimation active.
Le tribunal des baux l'a donc déboutée. La société anonyme a appelé de
ce jugement.
Considérations
4. Le bail du 1er septembre 1995 a été conclu entre la SI, d'une part,
et l'appelante et M.X., d'autre part. Ce dernier était donc cotitulaire
du bail.
4.1 La consorité nécessaire n'est pas une simple
jonction de demandes, mais bien un procès relatif à un droit, et un
seul, dont plusieurs personnes sont ensemble, soit le "titulaire", soit
le "sujet passif". La qualité pour agir ou pour défendre leur appartient
en commun. Un seul consort ne posséderait pas à lui seul cette qualité,
de même qu'un seul des cotitulaires d'un droit ne pourrait en disposer
matériellement seul: pas plus que ce cotitulaire ne peut céder seul le
droit à un tiers, il ne peut le faire valoir seul en justice (Habscheid,
Droit judiciaire privé suisse, p. 180 ch. 2).
Il y a contrat commun
lorsque plusieurs personnes, formant ensemble une partie, passent un
contrat avec une ou plusieurs autres personnes (von Tuhr/Escher,
Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, p. 294; Schmid,
Der gemeinsame Mietvertrag, in RSJ 87/1991, p. 349 ; Engel, Traité des
obligations en droit suisse, p. 124). Un bail est commun lorsqu'une
pluralité de bailleurs, respectivement une pluralité de locataires, l'on
conclu (Higi, n. 98 et 103 ad. remarques préalables aux articles
253-274g CO). Le contrat commun comprend une relation contractuelle
externe à laquelle s'ajoute une relation interne qui régit les rapports
juridiques existant entre la pluralité de personnes formant une partie
au contrat; ces personnes constituent entre elles une communauté
(Schmid, op.cit., p. 349; Higi, op. cit. no 105 à 107 ad remarques
préalables aux articles 253–254g CO; ATF du 20 juin 1994 paru in SJ 1995
p. 541).
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a observé que les
droits formateurs (résolutoires) liés au rapport d'obligation, à
l'instar de la résiliation d'un bail, doivent être exercés en commun par
toutes les personnes qui constituent une seule et même partie ou contre
elles toutes, car le rapport juridique créé par le bail ne peut être
annulé qu'une seule fois et pour tous les cocontractants. Un contrat de
bail commun est un rapport juridique uniforme qui n'existe que comme un
tout et pour tous les participants. Un congé partiel ne peut pas y
mettre fin. Il est, en conséquence, inadmissible de rendre sur sa
validité ou son annulation un jugement qui n'aurait force qu'entre
certains intéressés, car le rapport qui existe entre ceux-ci ne peut pas
être détaché et jugé séparément du rapport indivisible dans son
ensemble (cf. idem cons. 5b). En conséquence, en raison de
l'indivisibilité du congé en cas de bail commun, toutes les personnes
parties au contrat doivent être assignées en justice (ATF 112 II 310
cons. 2).
4.2 En l'espèce, le bail a été résilié par l'intimée
par avis officiel du 27 février 2002 adressé tant à l'appelante qu'à
M.X. Dans la mesure où seule la première a contesté ledit congé auprès
de la Commission de conciliation, puis, par la suite, devant le Tribunal
de baux, il y a lieu d'examiner si M.X. devait encore être considéré
comme colocataire ou non. Si tel devait être le cas, celui-ci aurait dû,
conformément à la jurisprudence citée ci-dessus, également saisir les
tribunaux.
5. L'appelante allègue que M.X. ne serait plus
colocataire: ayant vendu l'intégralité de ses actions à un tierce
personne au mois de mars 2001, il n'aurait plus aucun rapport juridique
avec l'appelante et ne serait plus tenu par l'obligation contractuelle
découlant du bail dès lors que celle-ci aurait été cédée également avec
le transfert des actions.
5.1 Ce raisonnement ne saurait
toutefois être suivi. Selon la doctrine, si un colocataire désire se
libérer d'un bail commun, alors que les autres colocataires veulent le
maintenir, on peut se demander s'il y a lieu d'appliquer les
dispositions générales sur la cession des créances et la reprise de
dettes (art. 164 ss CO), les articles 263 et 264 CO sur le transfert du
bail à un tiers et la restitution anticipée de la chose, ou encore les
dispositions sur la fin de la société simple (art. 545 ss CO) (Micheli,
Les colocataires dans le bail commun, 8ème séminaire du droit du bail,
Neuchâtel 1994, p. 14).
Selon cet auteur, si le bailleur manifeste
son opposition au départ d'un colocataire, par exemple parce qu'il
craint que le ou les colocataires restants ne soient pas à même de
respecter le contrat de bail, notamment de payer le loyer, la solution
la plus simple consistera à appliquer par analogie l'article 264 CO sur
la restitution anticipée de la chose: le colocataire sortant sera ainsi
libéré de ses obligations par le bailleur si le ou les colocataires
restants sont disposés à reprendre le bail aux mêmes conditions et
qu'ils peuvent être considérés comme des locataires solvables et que le
bailleur ne puisse raisonnablement refuser (Micheli, op. cit., p.
14-15).
Concernant le transfert de bail fondé sur l'art. 263 CO, si
le bailleur ne peut pas s'opposer à un transfert des actions d'une
société locataire dès lors que la personne juridique du locataire ne
change pas mais que seule change l'identité des actionnaires, il n'en
demeure pas moins que ce dernier doit être informé de ce changement
(Lachat, Le bail à loyer, Lausanne 1997 p. 378).
5.2 En l'espèce,
ce n'est pas le transfert des actions de M.X. qui est remis en cause
mais la libération de celui-ci de sa qualité de colocataire. La question
ne relève donc pas seulement de l'art. 263 CO mais également de l'art.
264 CO.
Ainsi, si la bailleresse ne pouvait s'opposer au transfert
des actions, elle aurait pu en revanche refuser que M.X. perde sa
qualité de colocataire dès lors que cela aurait représenté un risque
concernant le paiement du loyer. En tout état, l'appelante n'a pas
allégué, ni de ce fait prouvé, ne serait ce qu'avoir informé la
bailleresse de ce que M.X. ne souhaitait plus être considéré comme
colocataire du bail. Or, tant l'article 264 que l'article 263 CO
prévoient que le bailleur doit être informé et donner son accord.
En
conséquence, aucune demande n'ayant été formulée auprès de la
bailleresse, et cette dernière n'ayant pu de ce fait donner son
approbation à la sortie de M.X., il y a lieu de considérer que celui-ci
est demeuré colocataire solidaire aux côtés de l'appelante.
Décision
39/3 - Libération de la qualité de colocataire