Invocation tardive de défauts - comportement contraire à la bonne foi

Base légale

Nom du tribunal

Cour de justice du canton de Genève, Chambre des baux et loyers

Date

11.09.2017

Résumé

L’invocation par le locataire de prétendus défauts, existant depuis la conclusion du contrat, mais renouvelée cinq ans plus tard pour tenter de faire obstacle à l’entrée en vigueur d’une hausse de loyer convenue à la conclusion du contrat dénote un comportement contraire à la bonne foi. Les dispositions en matière de défaut de la chose louée ont en effet pour vocation de protéger le locataire en cas d’objet devenu défectueux en cours de bail ; elles ne sauraient être utilisées par le locataire pour faire échec aux effets d’un échelon convenu en bonne et due forme et non remis en cause par une contestation de loyer initial.

Exposé des faits

Les parties sont liées depuis le 4 juin 2009 par un contrat de bail à loyer portant sur la location d’un appartement de 5 pièces au rez-de-chaussée d’un immeuble sis à Genève. Le bail est d’une durée déterminée de six ans, soit du 1er mai 2009 jusqu’au 30 avril 2015. Le loyer a été fixé au montant annuel de Fr. 16 815.-, du 1er mai 2009 au 30 avril 2014, puis était porté dès le 1er mai 2014 jusqu’au terme du 30 avril 2015, à Fr. 39 204.- par an.
Le 11 février 2014, le locataire s’est vu notifier un avis de confirmation d’échelon, faisant passer le loyer annuel à Fr. 39 204.- dès le 1er mai 2014. Le 20 mars 2014, le locataire a informé la régie qu’il s’opposait à cette hausse, en raison notamment de nombreux et importants défauts de l’appartement, faisant apparaître le nouveau loyer comme abusif. Une liste de défauts et retouches comprenant 77 points, établie par le locataire, a été jointe au courrier. Elle porte la mention : « 21 mai 2009 / révisée le 1er, le 23 juin 2009 et le 9 février 2010. Etat actuel au 12 mars 2014 (en rouge). Selon le locataire, le principal défaut consiste en d’intenses nuisances phoniques.
Le 30 avril 2014, le locataire a écrit à la bailleresse que le logement souffrait également d’un manque important d’isolation thermique avec un chauffage insuffisant en hiver, ainsi qu’un défaut d’étanchéité des fenêtres, et d’autres problèmes structurels de l’immeuble.
Suite à l’échec de la tentative de conciliation du 12 décembre 2014, le locataire a saisi le Tribunal des baux et loyers le 27 janvier 2015 d’une requête, concluant notamment à une baisse de loyer de 50 % dès le 20 mars 2014. Par jugement du 26 mai 2016, le Tribunal des baux et loyers a débouté le locataire de sa demande. Ce dernier a interjeté appel de ce jugement en temps utile.

Considérations

3.1.1 Le bailleur est tenu de délivrer la chose dans un état approprié à l’usage pour lequel elle a été louée, et de l’entretenir en cet état (art. 256 al. 1 CO). En vertu de l’art. 259a CO, lorsqu’apparaissent des défauts de la chose louée qui ne sont pas imputables au locataire et auxquels il n’est pas tenu de remédier à ses frais ou lorsque le locataire est empêché d’user de la chose conformément au contrat, il peut exiger du bailleur la remise en état de la chose (let. a), une réduction proportionnelle du loyer (let. b), des dommages-intérêts (let. c) et la prise en charge du procès contre un tiers (let. d). Le locataire assume le fardeau de la preuve en vertu de l’article 8 CC (Aubert, in
Bohnet/Carron/Montini, Droit du bail à loyer et à ferme, Bâle, 2017, n. 14 ad art. 259a CO ; Lachat, Le bail à loyer, Lausanne, 2008, p. 248). A l’exception de la demande de dommages-intérêts, les droits du locataire en raison d’un défaut de la chose louée ne présupposent pas une faute du bailleur (Aubert, op. cit., n. 13 ad art. 259a CO ; Lachat, op. cit., p. 249).

3.1.2 Le législateur ne définit pas la notion de défaut, qui relève du droit fédéral. Celle-ci doit être reliée à l’obligation de délivrer la chose louée dans un état approprié à l’usage auquel elle est destinée (art. 256 al. 1 CO). En d’autres termes, il y a défaut lorsque l’état de la chose diverge de ce qu’il devrait être selon l’art. 256 CO, c’est-à-dire lorsque la chose ne présente pas une qualité que le bailleur avait promise, ou sur laquelle le locataire pouvait légitimement compter en se référant à l’état approprié à l’usage convenu (ATF 135 III 345 consid. 3.2 ; Montini/Bouverat, in
Bohnet/Carron/Montini, Droit du bail à loyer et à ferme, Bâle, 2017, n. 1 ad art. 256 CO ; Lachat, op. cit., p. 216).
L’usage dont il est question peut avoir été convenu soit expressément, soit tacitement, ainsi par une utilisation adoptée pendant longtemps par le locataire sans opposition du bailleur (ATF 136 III 186 consid. ·3 .1.1 ; Higi, Commentaire zurichois, 4ème éd. 1996, n° 7 ad art. 253a-253b CO ; Weber, in Commentaire bâlois, Obligationenrecht, vol. I, 4ème éd. 2007, N. 3 ad art. 256 CO). Même si elles ne font pas l’objet d’un accord exprès, certaines propriétés doivent être considérées comme convenues entre les parties parce qu’objectivement et typiquement nécessaires vu le caractère de la chose louée ; ainsi, les locaux d’habitation doivent offrir une protection suffisante contre les éléments de la nature (vent, pluie, etc.) et être suffisamment chauffés (en dessous de 18 °C, la jurisprudence considère que des locaux d’habitation sont défectueux (Montini/Bouverat, op.cit., n. 20 ad art. 256 CO).
Selon l’opinion d’une partie de la doctrine, le locataire ne saurait, en ne réagissant pas rapidement après l’état dès lieux d’entrée, renoncer à un standard minimum ; seraient réservés les cas dans lesquels la réaction serait si tardive qu’elle constituerait un abus de droit (Lachat, op. cit., p. 219). Pour d’autres auteurs, celui qui a vu une chose qu’il a ensuite décidé de prendre à bail ne peut que difficilement prétendre à l’existence d’un accord tacite portant sur un état différent de celui qu’il a lui-même pu constater. Toutefois, une pratique qui a duré un certain temps constitue en principe un accord tacite (Montini/Bouverat, op.cit.,
n. 24 et 25 ad art. 256 CO et références citées ; Weber, op. cit., n. 3 ad art. 256 CO).

3.1.3 L’avis immédiat de défaut n’est pas une condition sine qua non de l’action en garantie des défauts de la chose louée (arrêt du Tribunal fédéral 4C.387/2004 du 17 mars 2005 consid. 2.3) En revanche, dans certains cas, l’absence d’avis peut être interprétée comme une absence de défaut.
La Cour a déjà admis, dans le cas de températures élevées en été dans une mezzanine aménagée dans des locaux commerciaux, que le locataire s’était accommodé des températures régnant dans les locaux et que l’absence de toute réaction du locataire pendant les deux premières années d’exploitation, démontrait que les locaux, tels qu’ils avaient été remis à leur prise de possession,correspondaient à l’usage convenu entre les parties ; l’invocation par le locataire d’un prétendu défaut, existant depuis la conclusion· du bail, mais exprimé pour la première fois après deux ans d’occupation, en réaction à une demande de règlement d’arriérés de loyers de la bailleresse, dénotait un comportement contraire à la bonne foi et constitutif d’un abus de droit. (ACJC/982/2010 du 6 septembre 2010 consid. 3.3).

3.1.4 A défaut d’usage convenu, l’usage habituel est déterminant (arrêt du Tribunal fédéral 4A_582/2012 du 28 juin 2013 consid. 3.2 et les références citées). Le défaut de la chose louée est une notion relative. Son existence dépendra des circonstances du cas particulier. Il convient de prendre en compte notamment la destination de l’objet loué, l’âge et le type de la construction, le montant du loyer, l’évolution des moeurs et de la technique (Wessner, Le bail à loyer et les nuisances causées par des tiers en droit privé, 12ème Séminaire sur le droit du bail, p. 23-24 ; Lachat, op. cit., p. 219 ; Higi, op. cit., n. 28 ad art. 258 CO).
D’autres facteurs tels que les normes usuelles de qualité (y compris les normes techniques du droit de la construction) – étant précisé que les normes SIA ne sont pas d’application immédiate dans les rapports de bail, les règles de droit public ainsi que les usages courants doivent être pris en considération, de même que le critère du mode d’utilisation habituel des choses du même genre, à l’époque de la conclusion du contrat (Lachat, op. cit., p. 217-218, note N. 13 et références citées). Le lieu de situation de l’immeuble détermine dans une large mesure le calme auquel peut s’attendre le locataire et le caractère évitable ou non et/ou la prévisibilité d’éventuelles nuisances (Montini/Bouverat, op. cit., n. 3 ad art. 256 CO ; Lachat, op. cit., p. 217 ss).
Le locataire doit compter, selon le cours ordinaire des choses, avec la possibilité de certaines entraves mineures inhérentes à l’usage de la chose qui ne constituent pas un défaut. En revanche, si l’entrave est plus importante et sort du cadre raisonnable des prévisions, elle devient un défaut (SJ 1985 p. 575).

3.2 En l’espèce, l’appelant soutient avoir réclamé, dès le mois de juin 2009, à l’ancien bailleur la réparation de défauts et avoir renouvelé sa demande de suppression des défauts le 20 mars 2014 auprès du nouveau bailleur. Il ne pouvait lui être reproché de s’être accommodé de l’état du logement.
En premier lieu, il convient de relever que les courriers de l’appelant adressés à la précédente régie, datés des 10, 19 et 23 juin 2009, font expressément référence à des travaux de finitions et de retouches, en particulier le rétablissement de la ligne téléphonique et de l’accès à la boîte-aux-lettres en vue d’assurer la distribution du courrier par la Poste. La liste des retouches, mentionnées dans ces courriers, n’a pas été produite si bien que leur nature exacte ne peut être déterminée. La procédure n’a pas permis d’établir que la liste produite par l’appelant était jointe à chacun de ces trois courriers, ni l’année précise – parmi cinq dates distinctes – à laquelle chacun des 77 points y ont été portés. Il n’est, en outre, fait aucune mention, dans les trois courriers, des défauts principaux allégués dans la lettre du 20 mars 2014 et les courriers subséquents, soit notamment le défaut d’isolation thermique et sonore des fenêtres, l’insuffisance du chauffage, les fissures sur les galandages et les carreaux et les sanitaires endommagés, qui seuls sont évoqués dans le cadre du litige. Ainsi, l’appelant ne peut soutenir, faute d’avoir apporté la preuve des faits qu’il allègue, que les courriers des
10, 19 et 23 juin 2009 valaient avis des défauts pour les 77 points portés sur ladite liste. Tout au plus valaient-ils avis des défauts pour le rétablissement de la ligne téléphonique et de l’accès à la boîte-aux-lettres, points qui ont été réglés à teneur de la liste précitée à une date toutefois indéterminée.
Contrairement à ce que soutient l’appelant, aucun titre, ni aucun témoignage ne permet d’établir qu’il aurait protesté et sollicité la réparation de défauts affectant le logement entre la fin juin 2009, date du dernier courrier de l’appelant, et le mois de mars 2014. L’absence de toute réaction permet de retenir soit que les finitions et retouches réclamées dans ses courriers avaient été exécutées entre temps, soit que l’appelant s’est accommodé de la situation.
Les enquêtes n’ont pas non plus établi que le standard minimum auquel pouvait objectivement prétendre l’appelant, en terme d’isolation thermique et phonique des fenêtres du logement, n’avait pas été assuré à la remise des locaux. Aucun relevé n’a été effectué attestant d’une température insuffisante. Quant à la suppression des fenêtres extérieures, dont le maintien semble avoir été exigé dans l’autorisation de construire délivrée en vue de réhabiliter le bâtiment, elle ne suffit pas à retenir que l’objet remis à bail serait défectueux. En effet, l’appelant a admis que les vitrages ont été remplacés par des doubles-vitrages isolant thermiquement, mais non acoustiquement. Sur ce dernier point, l’appelant n’a produit aucune expertise d’un acousticien, ni le moindre relevé du niveau sonore constaté dans le logement. Les témoins entendus n’ont pas été en mesure d’apporter un éclairage suffisamment précis sur ce point, le témoin G. ayant relaté avoir moins souffert du défaut d’isolation phonique mais entendre les bruits provenant du voisinage ou de l’extérieur. Ces considérations d’ordre général et émises par le témoin G. pour son propre logement ne permettent pas de considérer que la situation dans le logement de l’appelant était nécessairement identique. Les déclarations de ce seul témoin ne suffisent en tous les cas pas pour admettre l’existence d’un défaut au niveau de l’isolation thermique et sonore des fenêtres. Comme l’ont justement relevé les premiers juges, l’immeuble se situe sur un carrefour à fort trafic routier, excluant que l’appelant puisse s’attendre à l’absence de bruit provenant de l’extérieur.
Les constatations des témoins I. et H. – effectuées respectivement en 2008 et 2005 lors de la phase de préparation et d’exécution des travaux de réhabilitation de l’immeuble à propos d’un risque d’effondrement de ce dernier ou un manque de sécurité du chantier – ne permettent pas de conclure, de manière abstraite et sans connaissance des mesures prises ultérieurement pour y remédier lors des travaux, à l’existence d’un défaut au niveau de l’affaissement des planchers, qui ne résulte d’ailleurs pas des photographies versées au dossier. S’agissant plus particulièrement de l’état du logement de l’appelant, le témoin H. n’a pas observé de fissures dues à d’éventuelles déformations dans la structure en bois et le témoin I. n’a pas fait d’observations particulières.
Les fissures dans les galandages ainsi que l’unique inondation subie en août 2009 dont semble se plaindre l’appelant ne suffisent pas à admettre l’existence d’un défaut de la chose louée, le locataire devant composer avec certaines entraves mineures inhérentes à l’usage de la chose. L’appelant n’est pas parvenu à démontrer, alors qu’il avait le fardeau de la preuve, que des inondations ultérieures se sont produites, alors que tel aurait été vraisemblablement le cas si aucune intervention sur les fenêtres n’était intervenue. En tout état, il s’est accommodé de la situation, son refus que de nouveaux joints soient posés sur les fenêtres en fin d’année 2014 le corroborant en tant que de besoin.
Il est en revanche établi que les protestations de l’appelant s’agissant des défauts de la chose louée ont été émises en mars 2014 en raison de la prochaine entrée en vigueur de l’échelon convenu à la conclusion du bail. Toutefois, depuis le mois de juin 2009, l’appelant s’était accommodé de l’état du logement : l’absence de toute réaction de celui-ci pendant les cinq premières années de bail démontre que les locaux, tels qu’ils ont été remis à leur prise de possession, correspondaient à l’usage convenu entre les parties. En outre, il n’est pas contesté par l’appelant que les défauts dont il s’est plaint au mois de mars 2014 existaient dès l’origine du bail, la situation entre juin 2009 et mars 2014 ne différant pas de celle prévalant à la conclusion du bail hormis une aggravation de l’affaissement des sols alléguée mais, comme déjà examiné ci-dessus, non établie, faute d’éléments de preuve suffisants.
Partant, la Cour retient, à l’instar des premiers juges, qu’en renonçant pendant cinq ans à toute protestation quant à l’état du logement, l’appelant a laissé s’établir une longue pratique dont il doit être déduit qu’il s’était tacitement accommodé de l’état du logement et que cet état était conforme à la convention des parties.
L’invocation par l’appelant de prétendus défauts, existant depuis la conclusion du bail, mais renouvelée cinq ans plus tard pour tenter de faire obstacle à l’entrée en vigueur d’une hausse de loyer convenue à la conclusion du bail dénote un comportement contraire à la bonne foi. Les dispositions en matière de défaut de la chose louée ont en effet pour vocation de protéger le locataire en cas d’objet devenu défectueux en cours de bail ; elles ne sauraient être utilisées par le locataire pour faire échec aux effets d’un échelon convenu en bonne et due forme et non remis en cause par une contestation du loyer initial. L’appelant ne saurait, comme en l’espèce, se soustraire à cette hausse en se prévalant d’une réduction de loyer fondée en réalité sur des défauts originels de l’objet loué n’ayant fait l’objet d’aucune protestation pendant cinq ans.
Enfin, le Tribunal a relevé pertinemment que le comportement contradictoire de l’appelant, qui a refusé les travaux proposés par l’intimée, soit la pose de joints sur les fenêtres afin de supprimer les nuisances dont il se plaignait, corrobore le fait que sa protestation tardive n’avait finalement pour seul objectif que de contrecarrer la prise d’effet de l’échelon dès le 1er mai 2014.
En définitive, l’état des locaux étant approprié à l’usage convenu tacitement entre les parties, ceux-ci sont exempts de défaut comme retenu à juste titre par le Tribunal.

Décision

59/3 - Invocation tardive de défauts - comportement contraire à la bonne foi

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