Invalidation de contrat pour dol
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
06.11.2006
Résumé
Avant la signature des contrats litigieux, la locataire-concierge recueillait de son travail un produit net alors qu’avec le nouveau système son revenu ne couvrait plus le montant de son loyer. Le résultat de cette opération nécessitait une explication circonstanciée qui n’a pas pu être délivrée en se rendant en soirée chez une personne âgée, ne maîtrisant pas le français et ne disposant pas du temps nécessaire pour prendre conseil auprès d’un tiers. Le propriétaire a ainsi intentionnellement tiré profit de l’ignorance de sa locataire, ce qui constitue un dol.
Exposé des faits
Le 18 avril 1961, la locataire et son époux ont signé un contrat de
travail pour le service de conciergerie comprenant la mise à disposition
d’un appartement de trois pièces à Genève. A ce jour, la locataire est
veuve. Le propriétaire de l’immeuble n’a jamais entrepris de travaux
d’entretien ou de rénovation dans l’appartement de conciergerie.
L’immeuble a été vendu entretemps.
Le 3 septembre 2004, la locataire
et le nouveau propriétaire ont signé un nouveau contrat de travail pour
le service de conciergerie, ainsi qu’un nouveau bail à loyer. A teneur
de ces documents, le salaire de la conciergerie était fixé à fr. 1'000.-
brut par mois, tandis que le loyer était porté à fr. 1'310.- par mois,
charges comprises. Le propriétaire a également notifié à la locataire un
avis de fixation du loyer lors de la conclusion du nouveau bail. Le
motif de la hausse du loyer (passant de fr. 5'280.- à fr. 14'280.- par
an) est l’adaptation du loyer aux prix pratiqués dans le quartier.
Le
30 septembre 2004, la locataire a saisi la juridiction de baux et
loyers d’une requête en constatation de la nullité du contrat de bail.
Elle a fait valoir qu’elle avait été induite par dol à signer le nouveau
contrat de bail et elle contestait la hausse de loyer. Elle précisait
qu’elle n’était pas capable de lire le français, qu’elle avait été
surprise par la visite d’un employé de la régie venu à l’improviste qui
lui avait dit qu’elle était obligée de signer le contrat de bail à loyer
litigieux et qu’elle n’avait pas d’autre choix que de s’exécuter si
elle voulait continuer à habiter son appartement.
Par jugement du 18
mai 2006, le Tribunal de baux et loyers a invalidé le contrat du 3
septembre 2004. Le propriétaire a fait appel de ce jugement.
Considérations
3.1 A teneur de l’art. 28 al. 1 CO, la partie induite à contracter par
le dol de l’autre n’est pas obligée, même si son erreur n’est pas
essentielle. Selon la jurisprudence, le dol est une tromperie
intentionnelle qui détermine la dupe, dans l’erreur, à accomplir un acte
juridique. Le plus souvent la tromperie résulte d’un comportement actif
: l’auteur – ou son auxiliaire (art. 101 al. 1 CO) – affirme un fait
faux, présente une vision troquée de la réalité ou conforte la dupe dans
une erreur préexistante ; la tromperie peut également résulter d’une
simple abstention lorsque l’auteur avait l’obligation juridique de
renseigner (arrêt 4C.383/2001 consid. le publié in SJ 200 I 597). Enfin,
la tromperie doit avoir été causale pur la conclusion du contrat
litigieux (ATF 129 III 320 consid. 6.3).
Les premiers juges ont
retenu que des indications inexactes ont été données à l’intimée par le
représentant du propriétaire quant à ses droits de locataire : il en va
ainsi de la question de la rénovation de la cuisine, laquelle ne pouvait
être avancée comme valant motif de hausse du bail puisqu’il s’agissait
de travaux d’entretien et qu’ils devaient par conséquent être pris en
charge par le bailleur. Toujours selon les premiers juges, les
circonstances de la signature du nouveau bail, immédiatement au domicile
de la locataire et sans lui laisser le temps de se faire assister,
accroissaient encore l’erreur dans laquelle se trouvait la locataire.
Enfin, la mauvaise compréhension du français ainsi que la position de
subordonné – en tant qu’employée de conciergerie – étaient autant
d’éléments parlant en faveur d’une erreur intentionnellement entretenue
par le bailleur.
3.2 L’appelant exclut l’existence d’un dol dans
le cas d’espèce au motif que le dossier ne contiendrait pas d’éléments
démontrant l’existence d’une tromperie intentionnelle de la part de
l’employé incriminé de la régie. Il en déduit que l’intimée n’a pas été
forcée à signer les nouveaux contrats, mais qu’elle les a acceptés de
son plein gré après s’être fait expliquer les changements que ceux-ci
impliquaient.
Certes, des enquêtes ou, tout au moins, l’audition de
la locataire en comparution personnelle auraient sans doute permis
d’établir les faits de manière plus étendue. Dans la mesure cependant où
certains éléments ne sont pas contestés (signature du contrat au
domicile de la locataire sans lui laisser le temps de prendre conseil
auprès d’un tiers), que d’autres résultent de la décision de classement
(mauvaise maîtrise du français) et que d’autres ressortent du dossier ou
sont notoires (absence de travaux dans l’appartement depuis 1961, âge
avancé de la locataire, position de subordonnée vis-à-vis du bailleur),
les premiers juges pouvaient trancher le présent litige sans violer
l’art. 274d al. 3 CO, disposition dont ne se prévalent d’ailleurs pas
les parties.
3.3 Les circonstances de l’espèce démontrent que le
propriétaire de l’immeuble – respectivement son employé de régie – a
présenté à la locataire une vision tronquée de la réalité. La mention
sur le contrat de la réfection de la cuisine comme motif de la hausse du
loyer indique que cet élément a été avancé par le bailleur pour
justifier vis-à-vis de la locataire la modification des conditions du
bail et expliquer la renonciation anticipée à contester l’augmentation
du loyer. Or, il ne s’agissait pas là d’un motif suffisant pour faire
passer le loyer annuel de 5'280 fr. à 14'280 fr. puisqu’il est établi
que cet appartement – et sa cuisine en particulier – n’a pas fait
l’objet de travaux d’entretien depuis plus de 45 ans. Une rénovation
complète de l’appartement pourrait certes justifier une hausse
raisonnable du loyer, mais celle-ci devrait faire l’objet d’une
véritable négociation entre bailleur et locataire, tous deux étant en
mesure de comprendre et d’apprécier les conséquences de leurs
engagements.
Tel n’a manifestement pas pu être le cas dans la
présente affaire. Il est avéré que la locataire ne se trouvait pas en
mesure de comprendre – pour des raisons liées à ses connaissances
limitées de la langue française – l’étendue des modifications
qu’impliquaient tant le nouveau bail que le nouveau contrat de
conciergerie. Or, sur ce point, il ne faut pas perdre de vue qu’avant la
signature des contrats litigieux l’intimée recueillait de son travail
un produit net de 435 fr. 75 (955 fr. 75 de salaire pour un loyer de 560
fr.) alors que, avec le système proposé, son revenu (1'000 fr.) ne
couvrait plus le montant de son loyer (1'310 fr.). Le résultat – très
insolite – de cette opération nécessitait une explication circonstanciée
qui n’a pas pu être délivrée en se rendant en soirée chez une personne
âgée, ne maîtrisant pas le français et ne disposant pas du temps
nécessaire pour prendre conseil auprès d’un tiers. Le propriétaire de
l’époque de l’immeuble a ainsi intentionnelle tiré profit de l’ignorance
de sa locataire alors que, au vu des circonstances liées à la personne
de la locataire, les règles de la bonne foi lui imposaient de délivrer
une information complète sur les contrats à conclure (cf. SCHMIDLIN,
Commentaire bâlois, n. 9-10 ad Art. 28). En décidant de ne pas donner
cette information le bailleur a effectivement induit la locataire en
erreur, ce qui es constitutif de dol.
Comme l’intimée n’est pas
obligée par le nouveau contrat de bail (art. 28 al. 1 CO), la situation
juridique continue à être régie par son ancien contrat de bail, à
l’instar de ce que les premiers juges ont retenu avec raison. Le
jugement entrepris peut ainsi être confirmé, sans qu’il y ait besoin
d’examiner les autres griefs invoqués par l’appelant.
Décision
43/1 - Invalidation de contrat pour dol