Indemnité pour plus-value

Base légale

Nom du tribunal

Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève

Date

15.06.2009

Résumé

Lorsque le bail a pris fin en raison du non-paiement du loyer par le locataire, le juge peut exclure toute indemnité. Les juges fédéraux fondaient leurs conclusions, à cette occasion, sur les principes de la bonne foi et de l'interdiction de l'abus de droit découlant des art. 2 al. 1 et 2 CC. Cette jurisprudence laisse toutefois indécise la question de l'effet d'une résiliation fondée sur l'art. 257 d CO sur le droit du locataire d'obtenir une indemnité au sens de l'art. 260a al. 3 CO, ne tranchant en particulier pas entre la perte de ce droit et la seule réduction de l'indemnité.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un terrain dans la zone de développement industriel.
Préalablement à la signature du contrat de bail, le locataire a entrepris de nombreuses démarches, en vue de l'aménagement et de l'équipement de la parcelle, qui n'était à ce moment-là qu'en pré en jachère, dépourvu de tout équipement. Il envisageait d'effectuer les travaux d'équipement en deux étapes. Des travaux ont été effectué pour un montant qui s'élèverait à fr. 873’112.- selon expertise privée des 14 avril 1998 et 13 janvier 1999.
En raison d'un défaut de paiement, le bailleur a résilié le contrat de bail le liant au locataire pour le 31 juillet 1999. Le locataire a contesté le congé par requête du 12 juillet 1999 adressé à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers et manifesté la volonté de compenser les arriérés de loyer avec le montant des travaux effectués sur le bien-fonds du bailleur, soit fr. 873'112.-. Pour sa part, le bailleur a saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers d'une requête en évacuation en date du 18 octobre 1999.
La tentative de conciliation s'est soldée par un échec. Les causes ont été alors portées devant le Tribunal des baux et loyers. Ledit tribunal a rendu un jugement le 13 janvier 2000, par lequel il a admis la validité du congé et prononcé l'évacuation sollicitée.
Par jugement du 29 mai 2008, le Tribunal des baux et loyers a notamment débouté le locataire de ses conclusions tendant au paiement d'une indemnité de plus-value pour les travaux qu'il avait réalisés, arguant qu'il ne fallait pas perdre de vue que le bail avait pris fin prématurément en raison d'un défaut de paiement du locataire, de sorte qu'il était seul responsable du fait de ne pas avoir pu suffisamment amortir les travaux qu'il avait réalisés. Le locataire a interjeté appel de ce jugement.

Considérations

4.5 Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que l'appelant était seul responsable de la fin prématurée du contrat de bail (en raison de son défaut de paiement) et donc du fait qu'il n'avait pas pu suffisamment amortir les travaux réalisés, de sorte que de toute manière une indemnité pour plus-value ne serait pas justifiée.
Dans son mémoire de réponse, l'intimé parvient à la même conclusion, se fondant quant à lui sur une jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 4C.97/2005 du 18.8.2005 in Cahier du bail 2006 p. 8), selon laquelle lorsque le bail a pris fin en raison du non-paiement du loyer par le locataire, le juge peut exclure toute indemnité. Les juges fédéraux fondaient leurs conclusions, à cette occasion, sur les principes de la bonne foi et de l'interdiction de l'abus de droit découlant des art. 2 al. 1 et 2 CC. Cette jurisprudence laisse toutefois indécise la question de l'effet d'une résiliation fondée sur l'art. 257d CO sur le droit du locataire d'obtenir une indemnité au sens de l'art. 260a al. 3 CO, ne tranchant en particulier pas entre la perte de ce droit et la seule réduction de l'indemnité.
Cette jurisprudence isolée n'emporte pas la conviction d'une partie de la doctrine (LACHAT, Le bail à loyer, Lausanne 2008, p. 833, note 55 et référence citée).
Quoi qu'il en soit, dans la présente procédure, rien ne permet de penser que l'octroi d'une indemnité fondée sur l'art. 260a al. 3 CO heurterait les principes de la bonne foi et de l'interdiction de l'abus de droit. Or, conformément à ce que prévoit la jurisprudence précitée, le juge dispose d'une liberté d'appréciation, en fonction du cas d'espèce. La Cour retiendra ainsi qu'il ne se justifie pas de refuser toute indemnité à l'appelant, pour le seul motif qu'il aurait provoqué lui-même la fin du bail.
Quant au fait de réduire l'indemnité par rapport au montant de la plus-value, eu égard au motif sus-évoqué, il y sera revenu ci-après (ch. 4.6.2. et 4.6.4. ci-dessous).

4.6.1 II découle de ce qui précède qu'il se justifie qu'une indemnité soit accordée à l'appelant, pour la plus-value apportée à la chose louée, laquelle devra toutefois tenir compte de l'amortissement intervenu jusqu'à la restitution de l'objet (le 8 juin2000).

4.6.2 Les nombreuses pièces versées au dossier, de même que les témoignages recueillis par le Tribunal ne permettent pas de déterminer la plus-value résiduelle au 8 juin 2000, laquelle se définit comme la valeur ajoutée à la chose louée.
Il apparaît en effet que l'appelant a effectué lui-même, en sa qualité d'entrepreneur, une grande partie des travaux sur la chose louée, ou en a obtenu la réalisation par des amis à lui, également qualifiés, sans rémunération correspondante.
Les factures produites sont ainsi sans commune mesure avec le montant total allégué par l'appelant.
Quand bien même le montant total des travaux pourrait être établi, cela ne permettrait pas encore d'estimer la plus-value que représentent ces travaux, tant il est vrai qu'il ne se justifie pas de faire profiter au bailleur des travaux obtenus gratuitement (ou à prix réduit, ou encore en contrepartie de services) par le locataire, pas plus qu'il ne se justifierait de mettre à la charge du bailleur des travaux payés à un prix exagéré.
Ainsi, le montant investi par le locataire ne doit pas être directement pris en compte pour déterminer la plus-value. Il peut en revanche (à supposer qu'il puisse être établi), servir de point de repère.
Le Tribunal fédéral a par ailleurs eu l'occasion de préciser, relativement au montant de l'indemnité due au locataire sur la base de l'art. 260a CO, qu'elle ne se mesure pas nécessairement à l'aune de la plus-value qui subsiste, mais peut être modulée en fonction des particularités du cas d'espèce (ATF 4C.97/2005 du 18.8.2005, consid. 2.4 et les références citées). Le Tribunal fédéral retient ainsi que la quotité de la somme peut varier en fonction des critères suivants : « le loyer réduit dont a bénéficié le preneur en contrepartie des travaux ou l'augmentation de loyer (économisée) qu'il aurait été amené à débourser si l'ouvrage avait été réalisé par le bailleur; les avantages particuliers qu'entraîne la rénovation ou la modification pour le locataire; inversement, le profit réduit qu'en tire le bailleur; les circonstances qui ont motivé la fin des rapports contractuels » (ATF 4C.18/2006 du 29.3.2006, consid. 3.1).
Il découle de ce qui précède qu'il convient en premier lieu de déterminer la plus-value qui subsistait au 8 juin 2000, date de la restitution de la chose louée, puis de déterminer s'il se justifie d'arrêter le montant de l'indemnité à celui de cette plus-value résiduelle, ou s'il y a lieu de tenir compte de l'un des critères évoqués par le Tribunal fédéral dans la jurisprudence citée au paragraphe précédent.

4.6.3 Compte tenu de la particularité du cas d'espèce, seule une expertise est en mesure d'établir de manière suffisamment fiable la plus-value apportée à la chose louée par l'appelant, ainsi que la durée d'amortissement de cette plus-value.
La Cour relèvera à cet égard qu'une expertise avait été envisagée par le Tribunal des baux et loyers en 2003, avant d'être finalement oubliée. En effet, entretemps, l'intimé a soulevé un incident relativement à la qualité pour agir de l'appelant, lequel a dû être tranché par le Tribunal fédéral, deux ans plus tard.
Dans le cadre de son appel, le locataire sollicite à nouveau une expertise, estimant que son droit d'être entendu avait été violé par le Tribunal des baux et loyers, ce dernier ayant notamment écarté l'expertise « privée » qu'il avait produite, sans fournir d'explication à ce propos et sans ordonner d'expertise indépendante.
La Cour admettra avec l'intimé que l'expertise « privée », n'est pas suffisamment étoffée et indépendante pour pouvoir être sans autre retenue.
Il apparaît en outre qu'aujourd'hui, une expertise pourrait encore être réalisée, l'intimé ayant conservé les installations de l'appelant.
Il se justifie en conséquence de renvoyer la cause au Tribunal des baux et loyers, afin qu'une expertise soit ordonnée et qu'un nouveau jugement soit rendu. Cette expertise devra préciser, d'une part, la plus-value que représentaient les travaux au jour de leur réalisation par l'appelant et, d'autre part, la durée d'amortissement de cette plus-value.

Décision

47/5 - Indemnité pour plus-value

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