Arrêt de la chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève
20.02.2012
Il est admis que la procédure d’évacuation postérieure à une résiliation de bail pour défaut de paiement du loyer appartient, en principe, à la procédure sommaire prévue pour les cas clairs. Tel n’est cependant pas le cas lorsque le congé est confus et ambigu, notamment lorsque la date d’échéance du bail était antérieure à la date de l’avis de résiliation. L’erreur de date doit être interprétée selon le principe de la confiance, de sorte que l’état de fait ne peut pas être établi sans peine.
2. Il y a cas clair si l’état de fait n’est pas litigieux ou est
susceptible d’être immédiatement prouvé et si la situation juridique est
claire (art. 257 al. 1 CPC).
Il est admis que la procédure
d’évacuation postérieure à une résiliation de bail pour défaut de
paiement du loyer appartient, en principe, à cette catégorie (BOHNET,
Code de procédure civile commenté, no 9 ad art. 257 CPC ;
HOFMANN/LUSCHER, Le code de procédure civile, 2009, p. 165 ; LACHAT,
Procédure civile en matière de baux et loyers, 2011, ch. 4.4.2.2, p.
167).
L’état de fait doit pouvoir être établi sans peine,
c’est-à-dire que les faits doivent être incontestés et susceptibles
d’être immédiatement prouvés. Dans le doute, l’affaire doit être traitée
dans une procédure complète. La situation juridique peut être
considérée comme claire si, sur la base d’une doctrine et d’une
jurisprudence éprouvées, la norme s’applique au cas concret et y déploie
ses effets de manière évidente (BOHNET, op. cit., no 13 ad art. 257 CPC
; HOHL, Procédure civile, Tome II, Berne, 2010, p. 304 ; Message du
Conseil fédéral relatif au code de procédure civile, p. 6959).
2.1. Selon l’art. 257d CO, lorsque, après la réception de la chose,
le locataire a du retard pour s’acquitter d’un terme ou de frais
accessoires échus, le bailleur peut lui fixer, par écrit, un délai de
paiement et lui signifier qu’à défaut de paiement dans ce délai, il
résiliera le bail.
Ce délai sera de 10 jours au moins et, pour des baux d’habitation et de locaux commerciaux, de 30 jours au moins.
Faute
de paiement dans le délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat
avec effet immédiat ; les baux d’habitation et de locaux commerciaux
peuvent être résiliés, moyennant un délai de congé minimum de 30 jours
pour la fin d’un mois.
En matière d’évacuation pour défaut de
paiement, le juge doit examiner si la créance invoquée par le bailleur
existe, si elle est exigible, si le délai imparti est conforme à l’art.
257d al. 1 CO, si l’avis comminatoire du bail était assorti d’une menace
de résiliation du bail en cas de non-paiement dans le délai imparti, si
le versement réclamé n’a pas été payé, et si le congé satisfait aux
exigences de forme prévues aux art. 2661 et 266n CO et respecte le délai
et le terme prescrits par l’art. 257d al. 2 CO.
Le délai
comminatoire de l’art. 257d al. 1 CO commence à courir le lendemain du
jour où le locataire a reçu l’avis du bailleur (LACHAT, Le bail à loyer,
2008, p. 667).
Si les conditions légales sont remplies, le juge doit prononcer l’évacuation ; sinon, il doit rejeter la requête.
2.2. La résiliation doit mentionner le destinataire du congé,
l’expéditeur, la désignation de l’objet loué, la manifestation claire et
inconditionnelle de mettre fin au bail la date pour laquelle le bail
est résilié et la signature de la personne qui résilie le contrat de
bail (art. 9 OBLF ; BOHNET/MONTINI, Droit du bail à loyer, Bâle, 2010,
nos16-18 ad art. 2661 CO ; LACHAT, op. cit., p. 629).
Le droit du
bail est un domaine dans lequel il convient de se montrer strict en
matière de respect des prescriptions de forme ; il ne faut en principe
pas admettre d’exceptions aux règles édictées dans l’intérêt du
locataire (ATF 121 III 6 consid. 3a et les arrêts cités ; 121 III 460
consid. 4a/cc).
La résiliation est un droit formateur qui s’exerce par un acte juridique unilatéral.
En
prévoyant la faculté de donner congé, l’ordre juridique permet à un
seul des cocontractants de modifier unilatéralement, par sa seule
manifestation de volonté, la situation juridique de l’autre partie (ATF
133 III 360 consid. 8.1.1 ; 135 III 441 consid. 3.3 ; 128 III 129
consid. 2a).
Dès lors, en raison de ses effets pour le cocontractant,
l’exercice du droit formateur doit reposer sur une manifestation de
volonté claire et dépourvue d’incertitudes (ATF 135 III 441 consid. 3.3 ;
arrêt du Tribunal fédéral 4A_189/2011 du 4.7.2011 consid. 8.2 ) = ATF
137 III 389). Ainsi, il a été jugé que l’exercice d’un droit formateur
doit être univoque, sans condition et revêtir un caractère irrévocable
(ATF 135 III 441 consid. 3.3 ; TF, SJ 2002 I 394, 395, consid. 2a ; TF
n.p. 4A.89/2009 du 1.5.2009, consid. 3.3).
Si les parties ne
s’accordent pas sur le sens à donner à cette manifestation de volonté,
il y a lieu de l’interpréter selon le principe de la confiance (arrêt du
Tribunal fédéral 4A_16/2000 du 24.1.2001 consid. 1a ; 4A_189/2011 du
4.7.2011 consid. 8.2).
Il s’ensuit que l’expéditeur d’un congé doit
exprimer clairement son intention de mettre un terme au bail, à une date
déterminée ou facilement déterminable. La résiliation doit pouvoir être
aisément comprise par son destinataire. Le congé confus, contradictoire
ou assorti de réserves est nul (ATF non publié du 10.11.2004 in MP 2005
p. 153 consid. 3 ; ATF 135 III 441 consid. 3.3 ; LACHAT, op. cit., p.
629 et les références citées; Commentaire SVIT, Le droit suisse du bail à
loyer, 2011, no 10 ad remarques préliminaires des art. 266-266o CO ;
HIGI, Commentaire zurichois, no 35 ad art. 266-266o CO ; LACHAT, op.
cit., p. 629 ; BOHNET/MONTINI, op. cit., no 27 ad art. 266a CO,
ACJC/1297/2009 du 2.11.2009 G. c/ B.).
2.3. Lorsque le bail est de durée indéterminée, une partie peut le
résilier en observant les délais de congé et les termes légaux, sauf si
un délai plus long ou un autre terme ont été convenus (art. 266a al. 1
CO). Lorsque le délai ou le terme de congé n’est pas respecté, la
résiliation produit effet pour le prochain terme pertinent (art. 266a
al. 2 CO).
Dans la systématique de la loi, l’art. 266a CO concerne
les congés ordinaires. Toutefois, le Tribunal fédéral et la doctrine
l’appliquent par analogie aux congés extraordinaires. Notre Haute Cour a
toutefois précisé que cette disposition légale ne pouvait être
appliquée que pour corriger une erreur de date, et non pas à une
résiliation viciée dans ses conditions de fond (ATF 135 III 441 consid.
3.3). Une partie de la doctrine va dans le même sens que le Tribunal
fédéral (LACHAT, op. cit., p. 655 ; HIGI, op. cit., n 25 et 36 ad art.
266a CO, VENTURI-ZENRUFFINEN, La résiliation pour justes motifs des
contrats de durée, 2004, no 1473ss). Cette disposition est inapplicable
lorsque la manifestation de volonté revêt d’autres incertitudes que
celle portant sur la date (HIGI, op. cit., no 44 ad art. 266a CO ; arrêt
du Tribunal fédéral 4A_189/2011 du 4.7.2011, consid. 8.2).
Le Tribunal fédéral n’a pas tranché spécifiquement de l’application de l’art. 266a CO au congé fondé sur l’art. 257d CO.
Dans
sa jurisprudence précitée, il a rappelé que celui qui, fondé sur un
état de fait clairement délimité, signifie à l’autre partie une
résiliation extraordinaire du contrat, n’a pas à pâtir de ce qu’il
invoque, erronément en droit, une disposition légale inexacte comme
fondement juridique à sa déclaration. Ainsi, si le bailleur invoque à
tort l’art. 257f CO, alors qu’il était en droit de résilier le bail en
se basant sur les art. 107 et 108 CO, le congé est néanmoins valable,
puisqu’il s’agit uniquement d’une erreur de dénomination ou de référence
légale (ATF 123 III 124 consid. 3).
2.4. Dans le cas d’espèce, l’appelante a, par avis officiel du 20
juin 2011, résilié le bail de l’intimée pour le 16 mai 2011 au motif
qu’aucun paiement n’était intervenu dans le délai imparti par la mise en
demeure du 31 juillet 2011. Comme l’a retenu à juste titre le Tribunal
des baux et loyers, le congé ainsi libellé était confus et ambigu,
puisque la date d’échéance du bail était antérieure à la date de l’avis
de résiliation. La résiliation ne pouvait dès lors pas être aisément
comprise.
L’erreur de date invoquée par l’appelante doit être
interprétée selon le principe de la confiance, de sorte que l’état de
fait ne peut pas être établi sans peine. Par ailleurs, la situation
juridique n’est également pas claire.
C’est dès lors à bon droit que
le Tribunal des baux et loyers a déclaré la requête irrecevable.
L’appelante sera ainsi déboutée de ses conclusions et le jugement
entrepris confirmé.
52/9 - Evacuation pour non-paiement de loyer - procédure sommaire