Arrêt de la chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève
20.02.2012
Lorsqu’aucune mesure de contrainte indirecte n’a été ordonnée, et lorsque le créancier n’a aucun intérêt à obtenir une évacuation rapide, le locataire s’acquittant ponctuellement des indemnités pour occupation illicite des locaux, le Tribunal des baux et loyers n’a pas fait une application proportionnée et correcte de l’art. 343 CPC, en ordonnant d’emblée l’évacuation des occupants du logement par la force publique, avec un délai de quatre mois.
3. Il convient d’entrer en matière sur les griefs adressés par le recourant à l’encontre du jugement entrepris.
3.1. Selon l’art. 320 CPC, le recours est recevable pour violation du droit ou constatation manifestement inexacte des faits.
Par
ailleurs, selon l’art. 341 al. 3 CPC, sur le fond, la partie
succombante peut uniquement alléguer que des faits s’opposant à
l’exécution de la décision se sont produits après la notification de
celle-ci, par exemple l’extinction, le sursis, la prescription ou la
péremption de la prestation due.
3.2. A cet égard, le recourant fait valoir qu’il a rattrapé,
postérieurement au jugement ordonnant son évacuation, l’arriéré de loyer
qui avait conduit à la résiliation du bail et qu’il s’acquittait
ponctuellement des indemnités pour occupation illicite des locaux. Cette
allégation, admise par l’intimée, doit être considérée comme établie.
Cela
étant, cette situation, qui a été prise en compte par les premiers
juges, ne rend pas caduque pour autant le jugement d’évacuation. En
effet, l’obligation stipulée par ledit jugement n’a toujours pas été
exécutée.
3.3. Dans un deuxième moyen, le recourant fait valoir que la mise à
exécution du jugement d’évacuation frapperait de manière injuste et sans
nécessité une famille s’acquittant désormais régulièrement du loyer et
exposée, en raison d’une pénurie du logement notoire, à ne pas retrouver
de logement vacant ou décent si l’exécution du jugement devait être
prononcée.
Saisi d’une requête d’exécution, le Tribunal dispose,
lorsque la décision prescrit une obligation de faire, de plusieurs
modalités prévues par l’art. 343 al. 1 CPC.
Le Tribunal de
l’exécution peut librement choisir quelles modalités il ordonne afin de
permettre l’exécution de la décision concernée. La partie requérante
peut évidemment suggérer une méthode d’exécution. Le Tribunal de
l’exécution doit, pour sa part, faire en sorte qu’une décision judicaire
déjà entrée en force soit exécutée dans les meilleurs délais
(LUSCHER/HOFMANN, Le code de procédure civile, 2009 p. 211).
Toutefois,
plusieurs auteurs s’accordent à reconnaître que les mesures de
contrainte directe prévues par l’art. 343 al. 1 let. d et e CPC revêtent
dans la règle un caractère subsidiaire.
Ainsi, le juge n’ordonnerait
en principe l’exécution par la force publique que si la contrainte
indirecte n’a pas produit d’effet ou semble d’emblée vouée à l’échec
(HOHL, Procédure civile, Tome II, 2010 n. 3226 p. 573 ; JEANDIN Code de
procédure civile commenté 2011 n. 15 ad. art. 343 CPC ; OBERHAMMER, Kurz
Kommentar zur ZPO, 2010, n. 10 ad art. 343 LPC).
Le juge n’ordonnera
l’exécution par contrainte directe que lorsque l’intérêt du créancier à
une exécution rapide du jugement le nécessite (JEANDIN, op.cit. n. 15
ad. art. 343 CPC; SUTTERSOMM/ HASENBÖHLER/ LEUENBERGER, Kommentar zur
ZPO, 2010, n. 11 ad art. 343 CPC).
La Cour de céans entend se rallier
à ces opinions, ce d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans la la ligne
préconisée par le législateur cantonal qui a prévu en son art. 26 al. 4
LACC que le Tribunal pouvait, pour des motifs humanitaires, surseoir à
l’exécution du jugement d’évacuation dans la mesure nécessaire pour
permettre le relogement du locataire ou du fermier.
3.4. Dans le cas présent, aucune mesure de contrainte indirecte n’a encore été ordonnée.
Le
créancier n’a aucun intérêt actuel à obtenir une évacuation rapide du
logement dès lors que le recourant s’acquitte jusqu’à présent
ponctuellement des indemnités pour occupation illicite des locaux.
Rien n’indique enfin qu’une mesure de contrainte indirecte puisse être inopérante.
Dans
ces circonstances, en ordonnant d’emblée l’évacuation des occupants du
logement par la force publique avec, pour seul atermoiement, un délai de
quatre mois, le Tribunal des baux et loyers n’a pas fait une
application proportionnée et correcte de l’art. 343 CPC.
Sa décision sera donc annulée concernant le recourant.
La
Cour, statuant à nouveau sur ce point comme l’art. 327 al. 3 let. b CPC
l’y autorise, condamnera le recourant à exécuter le jugement à compter
d’un délai de deux mois dès réception du présent arrêt.
A défaut
d’exécution, il sera condamné à verser une amende d’ordre de 50 fr. par
jour d’inexécution conformément à l’art. 343 al. 1 let. c CPC.
Il
appartiendra à l’intimée, si elle s’y estime fondée, de déposer une
nouvelle requête en exécution au cas où la susdite mesure s’avérerait
inefficace (SUTTER-SOMM et alii, op. cit., n. 15 ad art. 343 CPC).