Droit d’être entendu

Base légale

Nom du tribunal

Cour de justice du canton de Genève, Chambre des baux et loyers

Date

12.11.2018

Résumé

Lorsque la demanderesse adresse spontanément une réplique au tribunal, celle-ci doit être considérée comme l’expression de sa volonté de se déterminer sur la réponse de la défenderesse. Cette réplique doit être transmise à la partie adverse pour garantir que le droit de se déterminer sur toute prise de position soit effectivement exercé. En retournant à la demanderesse cette réplique sans la transmettre à la défenderesse, le tribunal a violé le droit d’être entendu de celle-là.

Exposé des faits

Les parties sont liées depuis le 23 janvier 1997 par un contrat de bail à loyer portant sur la location d’un appartement de 4 pièces situé au 3ème étage d’un immeuble à Genève. Par courrier du 19 novembre 2012, la bailleresse a requis de la locataire de prendre contact avec elle au sujet de travaux de remplacement du parquet et de diverses menuiseries à effectuer.
Le 12 novembre 2015, la locataire a requis de la bailleresse une diminution de loyer à la suite d’une baisse du taux hypothécaire. Le 16 novembre 2015, la bailleresse a refusé la diminution de loyer. Par avis du 26 mai 2016, la bailleresse a résilié le bail pour le 31 janvier 2017, au motif d’une réfection complète de l’appartement.
Par requête du 24 juin 2016 déposée par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers et portée devant le Tribunal des baux et loyers le 13 janvier 2017, la locataire a conclu à ce que le congé soit annulé et à ce qu’une prolongation de bail de 4 ans lui soit accordée.
Par mémoire du 22 mars 2017, la bailleresse a conclu à ce que le congé soit déclaré valable et à ce qu’une prolongation de bail soit octroyée à la locataire jusqu’à l’obtention de l’autorisation de rénovation complète de l’appartement.
Par ordonnance du 6 mai 2017, le Tribunal a retourné à la locataire la réplique que celle-ci avait déposée spontanément le 31 mars 2017 au motif que les parties n’avaient pas sollicité de 2ème échange d’écritures.
Par jugement du 7 décembre 2017, le Tribunal des baux et loyers a déclaré valide le congé litigieux et accordé une prolongation de bail de 4 ans à la locataire. La locataire a formé appel en temps utile de ce jugement.

Considérations

3. Dans un premier grief de nature formelle, l’appelante reproche au premier juge d’avoir violé son droit d’être entendue en écartant de la procédure sa réplique spontanée du 31 mars 2017, en ne motivant pas sa décision dans l’ordonnance du 6 avril 2017 et en ne se prononçant pas sur ses conclusions relatives à une diminution du loyer de 29.58 % et à la fixation de celui-ci à 16 900 Fr. 80 par an formulées dans les plaidoiries finales écrites du 15 septembre 2017.

3.1 Le droit d’être entendu, garanti aux art. 29 al. 2 Cst. et 53 CPC, comprend le devoir minimum pour l’autorité d’examiner et de traiter les problèmes pertinents. Ce devoir est violé lorsque le juge ne prend pas en considération des allégués, arguments, preuves et offres de preuve présentés par l’une des parties et importants pour la décision à rendre. Il incombe à la partie soi-disant lésée d’établir que l’autorité n’a pas examiné certains éléments qu’elle avait régulièrement avancés à l’appui de ses conclusions et que ces éléments étaient de nature à influer sur le sort du litige (ATF 135 I 187 consid. 2.2).

3.2 La jurisprudence a déduit du droit d’être entendu le devoir pour le juge de motiver sa décision, afin que le justiciable puisse la comprendre, la contester utilement s’il y a lieu et exercer son droit de recours à bon escient. Pour répondre à ces exigences, le juge doit mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause (ATF 135 III 513 consid. 3.6.5 ; 134 I 83 consid. 4.1). L’autorité n’a pas l’obligation d’exposer et de discuter tous les faits mais peut se limiter à ceux qui, sans arbitraire, apparaissent pertinents (ATF 124 II 146 consid. 2). Ainsi, les parties doivent pouvoir connaître les éléments de fait et de droit retenus par le juge pour arriver au dispositif. Une motivation insuffisante constitue une violation du droit d’être entendu, que la juridiction supérieure peut librement examiner aussi bien en appel que dans le cadre d’un recours au sens des art. 319 ss CPC (Tappy, in CPC, op. cit., n. 7 ad art. 238 CPC et n. 18 ad art. 239 CPC). Le droit d’être entendu étant un droit de nature formelle, son admission conduit à l’annulation de la décision entreprise et au renvoi de la cause à l’instance précédente pour nouvelle décision (ATF 134 III 379 consid. 1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 5D_19/2018 du 14 février 2018 consid. 2.2).

3.3 A teneur de l’art. 225 CPC, le tribunal ordonne un second échange d’écritures, lorsque les circonstances le justifient. La liberté de choix appartient au juge et l’art. 6 CEDH ne permet de fonder un droit ni à un deuxième échange d’écritures malgré le texte de l’art. 225 CPC, ni au dépôt spontané d’actes écrits s’ajoutant aux demande et réponse (Tappy, op. cit., n. 5 et 9 ad art. 225 CPC).
La dénomination « droit à la réplique » ou « droit de répliquer » doit être comprise largement. Elle vise le droit conféré à la partie de se déterminer sur « toute prise de position » versée au dossier, quelle que soit sa dénomination procédurale (réponse, réplique, prise de position, etc.) ; même si le juge a renoncé à ordonner un nouvel échange d’écritures, il doit néanmoins transmettre cette prise de position aux autres parties (ATF 139 II 489 consid. 3.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 5D_19/2018 précité consid. 2.1 ; 5A_535/2012 du 6 décembre 2012 consid. 2.3 ; 8C_104/2012 du 26 juin 2012 consid. 3.1). Il appartient au tribunal de garantir dans tous les cas que le droit de répliquer puisse être effectivement exercé (arrêt du Tribunal fédéral 1C_142/2012 du 18 décembre 2012 consid. 2.4).

3.4 A teneur de l’art. 153 al. 1 CPC, le tribunal administre les preuves d’office lorsque les faits doivent être établis d’office. Le Tribunal établit les faits d’office dans les affaires visées à l’art. 243 al. 2 CPC, notamment aux litiges portant sur des baux à loyer d’habitations en ce qui concerne la consignation du loyer, ou dans les autres litiges portant sur des baux à loyer d’habitation lorsque la valeur litigieuse ne dépasse pas 30 000 Fr. (art. 247 al. 2 let. a et let. b. ch. 1 CPC). Il décide des mesures à prendre pour que la cause puisse être liquidée autant que possible lors de la première audience (art. 246 al. 1 CPC). Si les circonstances l’exigent, le tribunal peut ordonner un échange d’écritures et tenir des audiences d’instruction (al. 2).

3.5 Pour simplifier le procès, le tribunal peut notamment limiter la procédure à des questions ou des conclusions déterminées (art. 125 let. a CPC). La limitation peut porter non seulement sur une question préjudicielle qui peut permettre de mettre un terme au procès, mais également sur une question qui n’a pas d’incidence sur l’existence de l’instance (Haldy, in CPC, op. cit., n. 5 ad art. 126 CPC). Si des mesures de simplification du procès sont envisagées, les parties doivent être entendues au préalable (art. 53 CPC ; Gschwend/Bornatico, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2ème éd., 2013, n. 4 ad art. 125 CPC), puis le Tribunal instruit la question selon la procédure applicable au litige. Dans la mesure où elles concernent l’organisation du procès, le Tribunal dispose d’une grande latitude pour prendre d’office ou sur requête les décisions destinées à simplifier le procès (Haldy, op. cit., n. 2 et 4 ad art. 125 CPC). En principe, l’art. 125 let. a CPC est applicable à la procédure simplifiée. En conséquence, une décision séparée sur une question ou une conclusion déterminée est en soi possible en procédure simplifiée. Si elle est censée servir à simplifier le procès, elle peut toutefois entraîner des retards susceptibles d’entrer en conflit avec le caractère expéditif que devrait avoir cette dernière et sur l’idéal de règlement de l’ensemble de la cause en une audience révélée par l’art. 246 al. 2 CPC, même si celui-ci ne peut que rarement être atteint (Tappy, op. cit., n. 17 ad art. 246 CPC).
3.6 La demande peut être modifiée si la prétention nouvelle ou modifiée relève de la même procédure et que la prétention nouvelle ou modifiée présente un lien de connexité avec la dernière prétention (art. 227 al. 1 let. a CPC). La demande ne peut être modifiée aux débats principaux que si les conditions fixées à l’art. 227 al. 1 CPC sont remplies (art. 230 al. 1 let. a CPC) et la modification repose sur des faits ou des moyens de preuve nouveaux (let. b). Tout changement de conclusions constitue de facto une modification de la demande, qu’il s’agisse d’une amplification, d’un chiffrage nouveau, d’un changement de nature, d’une réduction ou d’un abandon (Schweizer, op. cit., n. 14 ad art. 227 CPC). On est en présence d’un lien de connexité matérielle si les deux actions ont le même fondement matériel ou juridique, notamment lorsqu’elles reposent sur un même contrat ou un même état de fait. L’objectif est de permettre que le même tribunal statue sur les prétentions connexes, ce qui permet d’éviter le risque de jugements contradictoires et favorise une résolution rapide et économique des litiges (ATF 134 III 80 consid. 7 ; 132 III 178 consid. 3.1 ; Haldy, op. cit., n. 7 ad art. 14 CPC).

3.7 La procédure simplifiée s’applique aux affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse ne dépasse pas 30 000 Fr.
(art. 243 al. 1 CPC). Elle s’applique quelle que soit la valeur litigieuse aux litiges portant sur des baux à loyer ou à ferme d’habitations et de locaux commerciaux et sur des baux à ferme agricoles en ce qui concerne la consignation du loyer ou du fermage, la protection contre les loyers ou les fermages abusifs, la protection contre les congés ou la prolongation du bail à loyer ou à ferme (art. 243 al. 2 let. c
CPC ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_636/2015 du 21 juin 2016 consid. 2.5).

3.8 Une partie peut demander que la décision de prolongation modifie le contrat en l’adaptant à la nouvelle situation (art. 272c al. 1 CO).
L’adaptation du loyer doit avoir lieu en respectant les règles relatives à la fixation du loyer, soit les art. 269 et 269a CO (Lachat, Commentaire romand, n. 3 ad art. 272c CO).

3.9 En l’occurrence, le Tribunal n’a pas ordonné de second échange d’écritures, qu’aucune des parties n’avait d’ailleurs formellement requis. L’appelante a adressé le 31 mars 2017 une réplique spontanée. Celle-ci doit être considérée comme l’expression de sa volonté de se déterminer sur la réponse de l’intimée du 22 mars 2017. Selon la jurisprudence précitée, cette réplique devait être transmise à l’intimée pour garantir que le droit de se déterminer sur toute prise de position versée au dossier reconnu à l’appelante soit effectivement exercé. En retournant à l’appelante l’écriture du 31 mars 2017 sans la transmettre à l’intimée, le Tribunal a ainsi violé le droit d’être entendu de celle-là. Que les parties aient été entendues lors d’une audience d’instruction convoquée à cet effet ne guérit pas cette violation, d’autant plus que le Tribunal n’a pas à cette occasion examiné la conclusion de l’appelante de limiter les débats à la validité formelle du congé formulée dans la réplique spontanée précitée et réitérée lors de l’audience sus-rappelée. Les premiers juges ne se sont pas non plus prononcés sur la conclusion en diminution de loyer formulée dans les plaidoiries finales écrites de l’appelante du
15 septembre 2017. Il sera encore rappelé que l’intimée quant à elle s’est rapportée à justice dans ses plaidoiries finales écrites du 15 septembre 2017, en précisant qu’une large prolongation avait été acceptée.

3.10 Le droit d’être entendu étant un droit de nature formelle, sa violation entraîne l’annulation de la décision entreprise. Le jugement attaqué sera dès lors annulé.


Décision

60/7 - Droit d’être entendu

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