Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève
07.09.2009
Le Tribunal fédéral a rappelé que dans certaines circonstances exceptionnelles, la partie locataire était également en droit de se prévaloir de l’application de la méthode absolue. Tel est précisément le cas de la sortie du contrôle étatique du loyer. En effet, dès la conclusion du contrat et pendant toute la durée du contrôle des loyers par l’Etat, les locataires n’étaient en droit ni de contester le loyer initial, ni de se prévaloir des dispositions relatives à la protection des loyers abusifs. Les locataires se trouvent dès lors dans l’une des exceptions prévues par le Tribunal fédéral leur permettant de solliciter qu’un calcul de rendement de l’immeuble soit effectué.
2.1 Aux termes de l’art. 270a al. 1 CO, le locataire peut contester
le montant du loyer et en demander la diminution pour le prochain terme
de résiliation, s’il a une raison d’admettre que la chose louée procure
au bailleur un rendement excessif au sens des art. 269 et 269a à cause
d’une notable modification des bases de calcul, résultant en particulier
d’une baisse des frais.
Selon une jurisprudence bien établie, une
demande de diminution du loyer en cours de bail s’apprécie à l’aide de
la méthode relative, en ce sens que le locataire ne peut invoquer que
les facteurs de baisse qui se sont réalisés depuis la dernière fixation
du loyer (ATF 126 III 124 consid. 2a ; 124 III 67 consid. 3 ; 121 III
163 consid. 2d/bb). Un tempérament doit toutefois être apporté à ces
jurisprudences, pour tenir compte de ce que le bailleur est autorisé,
d’une part, à invoquer sous certaines réserves un facteur absolu même
dans le cadre de l’application de la méthode relative et, d’autre part, à
se prévaloir directement d’un facteur de hausse absolue et à réclamer
l’application de la méthode absolue dans certaines circonstances (arrêt
4C.291/2001 consid. 2b/cc).
2.2 La Cour se doit de rappeler les principes applicables en la matière.
Le
Tribunal fédéral a indiqué (cf. ATF 120 II 240) que la législation sur
les loyers abusifs utilise des critères de calculs fondés aussi bien sur
les prix du marché que sur les coûts : les premiers tendent à la
fixation objective du loyer en fonction de la valeur de la chose louée
(art. 269a lettres a et f CO) ; les seconds visent à déterminer si le
bailleur ne retire pas de son investissement personnel un rendement
exagéré, aux dépens du locataire (art. 269 et 269a lettres b-e CO). Ces
deux critères ne concordent pas toujours, tel que l’a reconnu à maintes
reprises la jurisprudence (ATF 118 II 124 consid. 4a et 230 consid. 3a ;
117 II 452 consid. 4a et 458 consid. 2a).
Il convient de ne pas
confondre la distinction fondée sur le critère de calcul – les coûts ou
les prix du marché – avec celle découlant de la méthode – absolue ou
relative – de calcul. Cette seconde distinction est basée sur l’objet de
référence à prendre en considération pour le calcul du loyer
admissible, qui est, dans un cas, la chose louée en tant que telle
(méthode absolue), dans l’autre, le contrat liant les parties (méthode
relative). La méthode absolue sert à vérifier concrètement que le loyer
ne procure pas un rendement excessif au bailleur, compte tenu des frais
qu’il doit supporter et des prix du marché ; la méthode relative sert à
déterminer, en fonction du contrat et du principe de la confiance, si
une adaptation du loyer intervenant en cours de bail est admissible ou
non. Dans la première méthode, c’est le loyer lui-même, sans égard aux
stipulations contractuelles, qui est contrôlé, tandis que, dans la
seconde, il ne s’agit que d’examiner si une modification du loyer est
compatible avec la volonté manifestée antérieurement par celui qui la
réclame. Par conséquent, la méthode de calcul absolue peut être utilisée
aussi bien dans le cas du loyer fixé conventionnellement (loyer
initial) que dans celui d’une modification ou demande de modification
unilatérale du contrat (majoration ou diminution de loyer (ATF 116 II 73
et 594 consid. 6a ; 114 II consid. 5); la méthode de calcul relative
n’est applicable, en revanche, que dans la seconde hypothèse (ATF 118 II
124 consid. 4b et 130 consid. 3a ; 117 II 452 consid. 4a).
La
méthode relative, qui a pour fondement la confiance éveillée chez le
cocontractant, interdit, en définitive, au bailleur d’adopter une
attitude contradictoire. Cette confiance repose elle-même sur les
relations spéciales existant entre le bailleur et son locataire, en
d’autres termes sur la manière dont ceux-ci ont aménagé leurs rapports
contractuels et les ont développés jusque là. Seul peut dès lors se
prévaloir de la protection basée sur la confiance le locataire en la
personne duquel celle-ci a été éveillée. Partant, la méthode de calcul
relative ne peut s’appliquer, en bonne logique, qu’à des modifications
ou demandes de modifications du loyer unilatérales en cours de bail
(art. 269d et 270a CO). Le contrôle de l’admissibilité du loyer initial
ne peut, en revanche, être effectué qu’à l’aide de la méthode absolue,
dans laquelle les critères de calcul déterminant ne sont soumis à aucune
limite relative (ATF 118 II 130 consid. 3a).
La méthode relative
permet ainsi uniquement d’examiner si le loyer est devenu abusif depuis
sa dernière fixation, en raison d’une modification des paramètres
invoquée par les parties (LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p. 527).
La
méthode absolue sert à vérifier concrètement que le loyer ne procure pas
un rendement excessif au bailleur. Dans cette méthode, c’est le loyer
lui-même, sans égard aux stipulations contractuelles, ni à son évolution
dans le temps, qui est contrôlé sur la base de la situation financière
de l’immeuble à un moment donné, tandis que, dans la méthode relative,
il s’agit d’examiner uniquement si une modification du loyer est
compatible avec la volonté exprimée antérieurement par celui qui la
réclame (ATF 120 II 240 consid. 2 ; 117 II 77 consid. 2).
L’application
de la méthode relative n’implique pas nécessairement le recours à des
critères relatifs, méthodes et critères de calcul ne devant pas être
confondus. L’évolution à la hausse des facteurs absolus de fixation du
loyer, tels les loyers comparatifs, pendant une période suffisamment
longue pour être significative (arrêt 4C.40/2001 du 15 juin 2001,
consid. 4b ; ATF 118 II 130 consid. 3b), peut donc justifier une
majoration du loyer aussi selon la méthode relative. En vertu du
principe de l’égalité de traitement, la même faculté doit être accordée
au locataire. A part la difficulté d’établir quel était le niveau des
loyers usuels aux deux moments déterminant, rien ne s’oppose, partant, à
ce que le locataire invoque la baisse éventuelle des loyers comparatifs
pour justifier sa demande de réduction de loyer, toujours sous la
réserve de l’écoulement d’une période suffisamment longue au regard des
lois de la statistique (arrêt 4C.291/2001 du 9 juillet 2002 consid.
2b/ff).
2.3 En principe, pour majorer unilatéralement un loyer, le bailleur
ne devrait invoquer que des critères relatifs, et le juge appliquer la
méthode relative. Exceptionnellement, la jurisprudence admet que le
bailleur se prévale directement d’un facteur absolu et que le juge
applique la méthode absolue pour examiner une majoration unilatérale du
loyer.
Les cas exceptionnels justifiant que le bailleur se prévale
directement d’un facteur absolu sont au nombre de cinq : le bailleur a
valablement formulé une réserve au moment de conclure le bail, en se
réservant un facteur absolu ; une majoration de loyer à la sortie du
contrôle cantonal des loyers ; la vente d’un immeuble en cours de bail ;
la dernière fixation du loyer résulte d’un bail échelonné ou d’un bail
indexé ; l’existence d’un cas particulier, notamment en raison de la
longue période qui s’est écoulée depuis la dernière fixation du loyer
(LACHAT, op. cit., et arrêt 4C.291/2001, consid, b/gg).
La sortie
d’un immeuble du contrôle cantonal des loyers constitue précisément
l’une des exceptions au principe de l’application de la méthode relative
(ATF 117 II 77), justifiée, d’une part, par le fait que les
dispositions relatives à la contestation des loyers abusifs ne
s’appliquent pas aux locaux d’habitation dont le loyer est soumis au
contrôle d’une autorité (art. 253b al. 3 CO) et, d’autre part, parce que
les modalités spécifiques auxquelles obéit la fixation du loyer par
l’autorité administrative compétente ne sont pas de nature à éveiller
chez le locataire la confiance, propre à la méthode relative, quant au
caractère suffisant du dernier loyer payé par lui (arrêt non publié du
25 janvier 1994, 4C.153/1993 consid. 2 in fine, reproduit in MP1994,
pages 93, 95 in fine). Le Tribunal fédéral a ainsi confirmé (ATF 123 III
171) que la sortie d’un immeuble du contrôle cantonal des loyers
justifie, par exception à la règle générale, l’application de la méthode
de calcul absolue.
Dans un arrêt de 2001, le Tribunal fédéral s’est
penché sur la question de savoir si la partie locataire était en droit
de se prévaloir d’un facteur absolu, en cours de bail, après la vente de
l’immeuble, pour solliciter une baisse de loyer. Il a rappelé que le
nouveau bailleur était en droit de notifier des hausses de loyer en se
prévalant directement d’un facteur absolu, l’acquéreur devant pouvoir
rentabiliser son investissement, pour autant qu’il n’ait pas été
manifestement exagéré. Cette solution se justifiait d’autant plus que
les relations contractuelles que le précédent propriétaire avait nouées
avec les locataires de l’immeuble et qui justifiaient l’application,
entre ces parties, de la méthode relative en tant que corollaire du
principe de la confiance, constituaient des res inter alios acta pour
l’acquéreur. Il ne fallait ainsi pas systématiquement accorder au
locataire la faculté de réclamer une baisse de loyer, fondée sur la
méthode absolue, dans cette situation. Le Tribunal des baux a toutefois
souligné qu’ » on ne saurait non plus exclure en toute hypothèse la
faculté pour le locataire de se prévaloir d’un facteur absolu à
l’occasion de la vente de l’immeuble abritant l’appartement loué. En
effet, suivant les circonstances, un tel transfert pourra entraîner une
notable modification des bases de calcul. Ce sera, par exemple le cas,
si le prix de vente de l’immeuble en question – pour autant que ce prix
corresponde à celui du marché et qu’il ne s’agisse pas d’un prix d’ami
(hypothèse de la donation pure ou mixte) – est sensiblement inférieur à
celui qui servi à déterminer le montant du loyer actuel » (arrêt
4C.291/2001 du 9 juillet 2002 consid. 2b/gg).
Dans ce même arrêt, le
Tribunal fédéral a également rappelé que si l’on autorise le bailleur,
après qu’il a épuisé tous les facteurs de hausse relatifs, à invoquer
directement la méthode absolue dans les situations exceptionnelles
telles que la longue période qui s’est écoulée depuis la dernière
fixation du loyer selon la méthode absolue, il n’y avait pas de raison
d’interdire au locataire d’agir de même lorsqu’il avait épuisé tous les
facteurs de baisse relatifs (arrêt 4C.291/2001 du 9 juillet 2002 consid.
2b/gg). Dans le cas qui lui était soumis, le Tribunal fédéral a retenu
que le loyer, fixé par transaction judiciaire, ne pouvait être remis en
cause ultérieurement, de par la nature de cet acte et dans la mesure où
les parties étaient définitivement liées par cet accord et que le
locataire ne pourrait dès lors se prévaloir de la méthode absolue (arrêt
4C.291/2001 du 9 juillet 2002 consid. 3b).
Le Tribunal fédéral a
enfin souligné que « le locataire, contrairement au bailleur (art. 18
OBLF), n’a pas la possibilité de formuler une réserve de baisse au
moment de conclure le bail. La circonstance liée à la réserve ne peut
dont être invoquée que par le bailleur. Il devrait en aller de même du
motif pris de la sortie de l’immeuble du contrôle cantonal des loyers,
car il est vraisemblable, dans cette hypothèse, qu’un calcul de
rendement aboutira généralement à la fixation d’un loyer supérieur à
celui qui était soumis au contrôle administratif. A supposer toutefois
que ce ne soit pas le cas, rien ne devrait alors interdire au locataire
d’invoquer la méthode absolue pour justifier sa demande de baisse de
loyer » (arrêt 4C.291/2001 du 9 juillet 2002 consid. 2b/gg).
La
doctrine est également d’avis qu’exceptionnellement, le locataire peut
se prévaloir directement de facteurs absolus pour solliciter une
réduction de loyer, notamment lors de la sortie de l’immeuble d’un
contrôle étatique des loyers (LACHAT, op. cit., p. 542).
2.4 Dans le cas d’espèce, les appelants se sont opposés aux
augmentations de loyer qui leur ont été notifiées par l’intimée et ont
sollicité une baisse de loyer pour la prochaine échéance contractuelle,
en sollicitant qu’un calcul de rendement soit effectué et que la méthode
absolue soit appliquée. Pour sa part, l’intimée n’a pas validé auprès
du Tribunal sa demande de majoration de loyer. La question ne se pose
dès lors pas de savoir si les appelants sont en droit d’invoquer la
méthode absolue, à titre défensif, mais bien de savoir s’ils sont en
droit de solliciter l’application de la méthode absolue directement pour
solliciter une baisse de loyer.
Les appelants ont allégué qu’à la
date de construction de l’immeuble, en 1990, le taux hypothécaire était
fixé à 6% du 1er janvier au 30 juin, puis à 6,5% dès le 1er juillet. Ils
ont indiqué que le taux de rendement autorisé au départ, entre l’Etat
et l’intimée, dépendait essentiellement des conditions en vigueur sur le
marché à cette époque, et que le rendement net était estimé entre 6,5%
et 8%. Lors de leur demande de baisse de loyer, le taux hypothécaire de
référence était de 3%, et constituait ainsi une notable modification des
bases de calcul.
Pour sa part, l’intimée est d’avis que
l’application de la méthode absolue à la sortie de l’immeuble du
contrôle cantonal des loyers ne pourrait en principe être invoquée que
par la partie bailleresse. Pour sa part, le Tribunal des baux et loyers a
retenu que les appelants n’avaient ni prouvé ni démontré qu’ils étaient
en droit d’invoquer un facteur absolu afin de solliciter une baisse de
loyer.
La Cour ne saurait partager les opinions de l’intimée et du
Tribunal. En effet, et comme rappelé ci-avant, les appelants ont
régulièrement allégué que la baisse du taux de l’intérêt hypothécaire de
référence entre la construction de l’immeuble et la demande de baisse
de loyer constituait une notable modification des bases de calcul. Si,
en principe, le locataire devrait faire valoir des motifs relatifs et le
juge appliquer la méthode relative, le Tribunal fédéral a rappelé que
dans certaines circonstances exceptionnelles, la partie locataire était
également en droit de se prévaloir directement d’un facteur absolu,
impliquant l’application de la méthode absolue. Tel est précisément le
cas de la sortie du contrôle étatique du loyer. En effet, et dans ce
cadre, dès la conclusion du contrat et pendant toute la durée du
contrôle des loyers par l’Etat, les appelants n’étaient en droit ni de
contester le loyer initial, ni de se prévaloir des dispositions
relatives à la protection des loyers abusifs. Les appelants se trouvent
dès lors dans l’une des exceptions prévues par le Tribunal fédéral, leur
permettant de solliciter qu’un calcul de rendement de l’immeuble soit
effectué.
La Cour ne retient pas non plus les arguments du Tribunal
des baux et loyers. Celui-ci indique qu’il apparaît peu crédible que
l’Etat ait autorisé un loyer abusif. Dans le cadre de la fixation du
rendement net autorisé par l’Etat dans un immeuble HLM, les critères de
fixation dudit rendement ne s’examinent pas à l’aune des articles 269 et
ss CO, mais en fonction de la loi générale sur le logement et son
règlement d’application. Il n’est en l’état pas possible de déterminer
si, après la fin du contrôle de l’Etat, le loyer est abusif ou non. Il
est par ailleurs irrelevant que l’appartement soit en bon état et situé
dans un immeuble bien entretenu disposant de toutes commodités et se
trouvant dans un environnement calme et arborisé, proche de commerces,
des écoles et des transports publics. Ces éléments doivent être examinés
dans le cadre des loyers comparatifs, soit également en application de
la méthode absolue, relativisée, critère dont les appelants ne se sont
pas prévalus.
Les appelants étaient dès lors en droit de se prévaloir
du critère absolu du rendement net de la chose louée et solliciter
l’application de la méthode absolue. Le jugement sera en conséquence
annulé et la cause renvoyée au Tribunal des baux et loyers, afin qu’il
ordonne à l’intimée de produire les pièces permettant d’effectuer un tel
calcul.