Demande de baisse de loyer

Base légale

Nom du tribunal

Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève

Date

07.09.2009

Résumé

Le Tribunal fédéral a rappelé que dans certaines circonstances exceptionnelles, la partie locataire était également en droit de se prévaloir de l’application de la méthode absolue. Tel est précisément le cas de la sortie du contrôle étatique du loyer. En effet, dès la conclusion du contrat et pendant toute la durée du contrôle des loyers par l’Etat, les locataires n’étaient en droit ni de contester le loyer initial, ni de se prévaloir des dispositions relatives à la protection des loyers abusifs. Les locataires se trouvent dès lors dans l’une des exceptions prévues par le Tribunal fédéral leur permettant de solliciter qu’un calcul de rendement de l’immeuble soit effectué.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer portant sur un appartement de 5 pièces. Le loyer de l’appartement a été fixé à fr. 18'876.-, charges non comprises. L’immeuble a été construit en 1990 avec une aide de l’Etat et a été soumis à son contrôle jusqu’au 31 décembre 2007.
Le 25 septembre 2007, la bailleresse a adressé aux locataires un avis de majoration de loyer visant à fixer celui-ci à fr. 21'240.- par année, charges non comprises, dès le 1er août 2008. La bailleresse a indiqué adapter le loyer de l’appartement pour « tenir compte de la suppression de la subvention versée au propriétaire par l’Etat d’une part et du maintien du pouvoir d’achat du capital exposé aux risques d’autre part. Le cadre légal exige du propriétaire de se tenir dans les limites du rendement brut permettant de couvrir les frais de gestion de l’immeuble, calculé d’après le prix de revient actualisé ».
Les locataires ont saisi le 16 octobre 2007 la Commission de conciliation en matière de baux et loyers d’une requête en opposition de la hausse de loyer. Dans ce cadre, ils ont demandé une baisse de loyer de 25%, pour le 1er août 2008. Ils ont sollicité l’application de l’art 269 CO, soit qu’un calcul de rendement soit effectué.
Par jugement du 29 janvier 2009, le Tribunal des baux et loyers a rejeté les conclusions des locataires, invoquant qu’ils n’avaient ni prouvé ni démontré qu’ils étaient en droit d’invoquer le facteur absolu du rendement net afin de solliciter une baisse de loyer. Il a pour le surplus retenu que le loyer convenu entre les parties apparaissait adéquat s’agissant d’un appartement de 5 pièces. Les locataires ont interjeté appel de ce jugement.

Considérations

2.1 Aux termes de l’art. 270a al. 1 CO, le locataire peut contester le montant du loyer et en demander la diminution pour le prochain terme de résiliation, s’il a une raison d’admettre que la chose louée procure au bailleur un rendement excessif au sens des art. 269 et 269a à cause d’une notable modification des bases de calcul, résultant en particulier d’une baisse des frais.
Selon une jurisprudence bien établie, une demande de diminution du loyer en cours de bail s’apprécie à l’aide de la méthode relative, en ce sens que le locataire ne peut invoquer que les facteurs de baisse qui se sont réalisés depuis la dernière fixation du loyer (ATF 126 III 124 consid. 2a ; 124 III 67 consid. 3 ; 121 III 163 consid. 2d/bb). Un tempérament doit toutefois être apporté à ces jurisprudences, pour tenir compte de ce que le bailleur est autorisé, d’une part, à invoquer sous certaines réserves un facteur absolu même dans le cadre de l’application de la méthode relative et, d’autre part, à se prévaloir directement d’un facteur de hausse absolue et à réclamer l’application de la méthode absolue dans certaines circonstances (arrêt 4C.291/2001 consid. 2b/cc).

2.2 La Cour se doit de rappeler les principes applicables en la matière.
Le Tribunal fédéral a indiqué (cf. ATF 120 II 240) que la législation sur les loyers abusifs utilise des critères de calculs fondés aussi bien sur les prix du marché que sur les coûts : les premiers tendent à la fixation objective du loyer en fonction de la valeur de la chose louée (art. 269a lettres a et f CO) ; les seconds visent à déterminer si le bailleur ne retire pas de son investissement personnel un rendement exagéré, aux dépens du locataire (art. 269 et 269a lettres b-e CO). Ces deux critères ne concordent pas toujours, tel que l’a reconnu à maintes reprises la jurisprudence (ATF 118 II 124 consid. 4a et 230 consid. 3a ; 117 II 452 consid. 4a et 458 consid. 2a).
Il convient de ne pas confondre la distinction fondée sur le critère de calcul – les coûts ou les prix du marché – avec celle découlant de la méthode – absolue ou relative – de calcul. Cette seconde distinction est basée sur l’objet de référence à prendre en considération pour le calcul du loyer admissible, qui est, dans un cas, la chose louée en tant que telle (méthode absolue), dans l’autre, le contrat liant les parties (méthode relative). La méthode absolue sert à vérifier concrètement que le loyer ne procure pas un rendement excessif au bailleur, compte tenu des frais qu’il doit supporter et des prix du marché ; la méthode relative sert à déterminer, en fonction du contrat et du principe de la confiance, si une adaptation du loyer intervenant en cours de bail est admissible ou non. Dans la première méthode, c’est le loyer lui-même, sans égard aux stipulations contractuelles, qui est contrôlé, tandis que, dans la seconde, il ne s’agit que d’examiner si une modification du loyer est compatible avec la volonté manifestée antérieurement par celui qui la réclame. Par conséquent, la méthode de calcul absolue peut être utilisée aussi bien dans le cas du loyer fixé conventionnellement (loyer initial) que dans celui d’une modification ou demande de modification unilatérale du contrat (majoration ou diminution de loyer (ATF 116 II 73 et 594 consid. 6a ; 114 II consid. 5); la méthode de calcul relative n’est applicable, en revanche, que dans la seconde hypothèse (ATF 118 II 124 consid. 4b et 130 consid. 3a ; 117 II 452 consid. 4a).
La méthode relative, qui a pour fondement la confiance éveillée chez le cocontractant, interdit, en définitive, au bailleur d’adopter une attitude contradictoire. Cette confiance repose elle-même sur les relations spéciales existant entre le bailleur et son locataire, en d’autres termes sur la manière dont ceux-ci ont aménagé leurs rapports contractuels et les ont développés jusque là. Seul peut dès lors se prévaloir de la protection basée sur la confiance le locataire en la personne duquel celle-ci a été éveillée. Partant, la méthode de calcul relative ne peut s’appliquer, en bonne logique, qu’à des modifications ou demandes de modifications du loyer unilatérales en cours de bail (art. 269d et 270a CO). Le contrôle de l’admissibilité du loyer initial ne peut, en revanche, être effectué qu’à l’aide de la méthode absolue, dans laquelle les critères de calcul déterminant ne sont soumis à aucune limite relative (ATF 118 II 130 consid. 3a).
La méthode relative permet ainsi uniquement d’examiner si le loyer est devenu abusif depuis sa dernière fixation, en raison d’une modification des paramètres invoquée par les parties (LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p. 527).
La méthode absolue sert à vérifier concrètement que le loyer ne procure pas un rendement excessif au bailleur. Dans cette méthode, c’est le loyer lui-même, sans égard aux stipulations contractuelles, ni à son évolution dans le temps, qui est contrôlé sur la base de la situation financière de l’immeuble à un moment donné, tandis que, dans la méthode relative, il s’agit d’examiner uniquement si une modification du loyer est compatible avec la volonté exprimée antérieurement par celui qui la réclame (ATF 120 II 240 consid. 2 ; 117 II 77 consid. 2).
L’application de la méthode relative n’implique pas nécessairement le recours à des critères relatifs, méthodes et critères de calcul ne devant pas être confondus. L’évolution à la hausse des facteurs absolus de fixation du loyer, tels les loyers comparatifs, pendant une période suffisamment longue pour être significative (arrêt 4C.40/2001 du 15 juin 2001, consid. 4b ; ATF 118 II 130 consid. 3b), peut donc justifier une majoration du loyer aussi selon la méthode relative. En vertu du principe de l’égalité de traitement, la même faculté doit être accordée au locataire. A part la difficulté d’établir quel était le niveau des loyers usuels aux deux moments déterminant, rien ne s’oppose, partant, à ce que le locataire invoque la baisse éventuelle des loyers comparatifs pour justifier sa demande de réduction de loyer, toujours sous la réserve de l’écoulement d’une période suffisamment longue au regard des lois de la statistique (arrêt 4C.291/2001 du 9 juillet 2002 consid. 2b/ff).

2.3 En principe, pour majorer unilatéralement un loyer, le bailleur ne devrait invoquer que des critères relatifs, et le juge appliquer la méthode relative. Exceptionnellement, la jurisprudence admet que le bailleur se prévale directement d’un facteur absolu et que le juge applique la méthode absolue pour examiner une majoration unilatérale du loyer.
Les cas exceptionnels justifiant que le bailleur se prévale directement d’un facteur absolu sont au nombre de cinq : le bailleur a valablement formulé une réserve au moment de conclure le bail, en se réservant un facteur absolu ; une majoration de loyer à la sortie du contrôle cantonal des loyers ; la vente d’un immeuble en cours de bail ; la dernière fixation du loyer résulte d’un bail échelonné ou d’un bail indexé ; l’existence d’un cas particulier, notamment en raison de la longue période qui s’est écoulée depuis la dernière fixation du loyer (LACHAT, op. cit., et arrêt 4C.291/2001, consid, b/gg).
La sortie d’un immeuble du contrôle cantonal des loyers constitue précisément l’une des exceptions au principe de l’application de la méthode relative (ATF 117 II 77), justifiée, d’une part, par le fait que les dispositions relatives à la contestation des loyers abusifs ne s’appliquent pas aux locaux d’habitation dont le loyer est soumis au contrôle d’une autorité (art. 253b al. 3 CO) et, d’autre part, parce que les modalités spécifiques auxquelles obéit la fixation du loyer par l’autorité administrative compétente ne sont pas de nature à éveiller chez le locataire la confiance, propre à la méthode relative, quant au caractère suffisant du dernier loyer payé par lui (arrêt non publié du 25 janvier 1994, 4C.153/1993 consid. 2 in fine, reproduit in MP1994, pages 93, 95 in fine). Le Tribunal fédéral a ainsi confirmé (ATF 123 III 171) que la sortie d’un immeuble du contrôle cantonal des loyers justifie, par exception à la règle générale, l’application de la méthode de calcul absolue.
Dans un arrêt de 2001, le Tribunal fédéral s’est penché sur la question de savoir si la partie locataire était en droit de se prévaloir d’un facteur absolu, en cours de bail, après la vente de l’immeuble, pour solliciter une baisse de loyer. Il a rappelé que le nouveau bailleur était en droit de notifier des hausses de loyer en se prévalant directement d’un facteur absolu, l’acquéreur devant pouvoir rentabiliser son investissement, pour autant qu’il n’ait pas été manifestement exagéré. Cette solution se justifiait d’autant plus que les relations contractuelles que le précédent propriétaire avait nouées avec les locataires de l’immeuble et qui justifiaient l’application, entre ces parties, de la méthode relative en tant que corollaire du principe de la confiance, constituaient des res inter alios acta pour l’acquéreur. Il ne fallait ainsi pas systématiquement accorder au locataire la faculté de réclamer une baisse de loyer, fondée sur la méthode absolue, dans cette situation. Le Tribunal des baux a toutefois souligné qu’ » on ne saurait non plus exclure en toute hypothèse la faculté pour le locataire de se prévaloir d’un facteur absolu à l’occasion de la vente de l’immeuble abritant l’appartement loué. En effet, suivant les circonstances, un tel transfert pourra entraîner une notable modification des bases de calcul. Ce sera, par exemple le cas, si le prix de vente de l’immeuble en question – pour autant que ce prix corresponde à celui du marché et qu’il ne s’agisse pas d’un prix d’ami (hypothèse de la donation pure ou mixte) – est sensiblement inférieur à celui qui servi à déterminer le montant du loyer actuel » (arrêt 4C.291/2001 du 9 juillet 2002 consid. 2b/gg).
Dans ce même arrêt, le Tribunal fédéral a également rappelé que si l’on autorise le bailleur, après qu’il a épuisé tous les facteurs de hausse relatifs, à invoquer directement la méthode absolue dans les situations exceptionnelles telles que la longue période qui s’est écoulée depuis la dernière fixation du loyer selon la méthode absolue, il n’y avait pas de raison d’interdire au locataire d’agir de même lorsqu’il avait épuisé tous les facteurs de baisse relatifs (arrêt 4C.291/2001 du 9 juillet 2002 consid. 2b/gg). Dans le cas qui lui était soumis, le Tribunal fédéral a retenu que le loyer, fixé par transaction judiciaire, ne pouvait être remis en cause ultérieurement, de par la nature de cet acte et dans la mesure où les parties étaient définitivement liées par cet accord et que le locataire ne pourrait dès lors se prévaloir de la méthode absolue (arrêt 4C.291/2001 du 9 juillet 2002 consid. 3b).
Le Tribunal fédéral a enfin souligné que « le locataire, contrairement au bailleur (art. 18 OBLF), n’a pas la possibilité de formuler une réserve de baisse au moment de conclure le bail. La circonstance liée à la réserve ne peut dont être invoquée que par le bailleur. Il devrait en aller de même du motif pris de la sortie de l’immeuble du contrôle cantonal des loyers, car il est vraisemblable, dans cette hypothèse, qu’un calcul de rendement aboutira généralement à la fixation d’un loyer supérieur à celui qui était soumis au contrôle administratif. A supposer toutefois que ce ne soit pas le cas, rien ne devrait alors interdire au locataire d’invoquer la méthode absolue pour justifier sa demande de baisse de loyer » (arrêt 4C.291/2001 du 9 juillet 2002 consid. 2b/gg).
La doctrine est également d’avis qu’exceptionnellement, le locataire peut se prévaloir directement de facteurs absolus pour solliciter une réduction de loyer, notamment lors de la sortie de l’immeuble d’un contrôle étatique des loyers (LACHAT, op. cit., p. 542).

2.4 Dans le cas d’espèce, les appelants se sont opposés aux augmentations de loyer qui leur ont été notifiées par l’intimée et ont sollicité une baisse de loyer pour la prochaine échéance contractuelle, en sollicitant qu’un calcul de rendement soit effectué et que la méthode absolue soit appliquée. Pour sa part, l’intimée n’a pas validé auprès du Tribunal sa demande de majoration de loyer. La question ne se pose dès lors pas de savoir si les appelants sont en droit d’invoquer la méthode absolue, à titre défensif, mais bien de savoir s’ils sont en droit de solliciter l’application de la méthode absolue directement pour solliciter une baisse de loyer.
Les appelants ont allégué qu’à la date de construction de l’immeuble, en 1990, le taux hypothécaire était fixé à 6% du 1er janvier au 30 juin, puis à 6,5% dès le 1er juillet. Ils ont indiqué que le taux de rendement autorisé au départ, entre l’Etat et l’intimée, dépendait essentiellement des conditions en vigueur sur le marché à cette époque, et que le rendement net était estimé entre 6,5% et 8%. Lors de leur demande de baisse de loyer, le taux hypothécaire de référence était de 3%, et constituait ainsi une notable modification des bases de calcul.
Pour sa part, l’intimée est d’avis que l’application de la méthode absolue à la sortie de l’immeuble du contrôle cantonal des loyers ne pourrait en principe être invoquée que par la partie bailleresse. Pour sa part, le Tribunal des baux et loyers a retenu que les appelants n’avaient ni prouvé ni démontré qu’ils étaient en droit d’invoquer un facteur absolu afin de solliciter une baisse de loyer.
La Cour ne saurait partager les opinions de l’intimée et du Tribunal. En effet, et comme rappelé ci-avant, les appelants ont régulièrement allégué que la baisse du taux de l’intérêt hypothécaire de référence entre la construction de l’immeuble et la demande de baisse de loyer constituait une notable modification des bases de calcul. Si, en principe, le locataire devrait faire valoir des motifs relatifs et le juge appliquer la méthode relative, le Tribunal fédéral a rappelé que dans certaines circonstances exceptionnelles, la partie locataire était également en droit de se prévaloir directement d’un facteur absolu, impliquant l’application de la méthode absolue. Tel est précisément le cas de la sortie du contrôle étatique du loyer. En effet, et dans ce cadre, dès la conclusion du contrat et pendant toute la durée du contrôle des loyers par l’Etat, les appelants n’étaient en droit ni de contester le loyer initial, ni de se prévaloir des dispositions relatives à la protection des loyers abusifs. Les appelants se trouvent dès lors dans l’une des exceptions prévues par le Tribunal fédéral, leur permettant de solliciter qu’un calcul de rendement de l’immeuble soit effectué.
La Cour ne retient pas non plus les arguments du Tribunal des baux et loyers. Celui-ci indique qu’il apparaît peu crédible que l’Etat ait autorisé un loyer abusif. Dans le cadre de la fixation du rendement net autorisé par l’Etat dans un immeuble HLM, les critères de fixation dudit rendement ne s’examinent pas à l’aune des articles 269 et ss CO, mais en fonction de la loi générale sur le logement et son règlement d’application. Il n’est en l’état pas possible de déterminer si, après la fin du contrôle de l’Etat, le loyer est abusif ou non. Il est par ailleurs irrelevant que l’appartement soit en bon état et situé dans un immeuble bien entretenu disposant de toutes commodités et se trouvant dans un environnement calme et arborisé, proche de commerces, des écoles et des transports publics. Ces éléments doivent être examinés dans le cadre des loyers comparatifs, soit également en application de la méthode absolue, relativisée, critère dont les appelants ne se sont pas prévalus.
Les appelants étaient dès lors en droit de se prévaloir du critère absolu du rendement net de la chose louée et solliciter l’application de la méthode absolue. Le jugement sera en conséquence annulé et la cause renvoyée au Tribunal des baux et loyers, afin qu’il ordonne à l’intimée de produire les pièces permettant d’effectuer un tel calcul.

Décision

47/7 - Demande de baisse de loyer

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