Défaut de légitimation active
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
22.06.2001
Résumé
La loi ne prévoit pas que le défaut de légitimation active doive être examiné dès le stade de la conciliation. Bien au contraire, le rôle de l‘autorité de conciliation tel que prévu par l‘art. 274a CO est de conseiller les parties et de tenter de les amener à un accord. Au surplus, le Tribunal doit examiner d‘office si le demandeur possède la légitimation active.
Exposé des faits
Par jugement du 29 novembre 2000, le Tribunal des baux et loyers,
statuant sur incident, a constaté le défaut de légitimation active du
recourant et l‘a en conséquence débouté de toutes ses conclusions en
annulation de congé, subsidiairement de prolongation de bail.
La mère
de la locataire recourante est décédée le 12 février 1991. Par courrier
du 25 février 1991, la recourante a demandé à la bailleresse s‘il était
possible de garder l‘appartement jusqu‘à la fin du mois de mars 1991 et
si son fils, également recourant, pouvait ensuite le louer. Par lettre
du 4 mars 1991, la régie a accepté le congé donné par la fille de la
locataire, mais ne s‘est pas prononcée au sujet de la reprise du bail
par le recourant.
Par avis de résiliation du 15 décembre 1998 adressé
séparément à la recourante et au recourant la régie a résilié le bail
pour le 31 juillet 1999. Le recourant n‘a pas retiré le pli recommandé.
Le 23 décembre 1998, la recourante a saisi la Commission de conciliation
en matière de baux et loyers d‘une requête en annulation de congé.
Par
pli simple du 20 janvier 1999 adressé au recourant, la régie a confirmé
l‘avis de résiliation du 15 décembre 1998 non retiré qui, à son tour, a
saisi la CCBL d‘une requête en annulation de congé le 27 janvier 1999.
La
cause, non conciliée, a été portée devant le Tribunal des baux et
loyers. La bailleresse a alors fait valoir que le recourant n‘était pas
partie au contrat et qu‘en conséquence il n‘avait pas la qualité pour
agir en annulation de congé. Par ordonnance du 3 mars 2000, le Tribunal a
invité les parties à se déterminer sur la seule question de la qualité
pour agir du recourant. Les locataires ont soutenu que la bailleresse
n‘a pas fait valoir le moindre défaut de légitimation active devant la
CCBL, ce qui interdisait au Tribunal de statuer sur ce point; à titre
subsidiaire, ils ont fait valoir qu‘un contrat de bail à loyer aurait
été conclu par actes concluants.
Considérations
4. Selon l‘appelant, la société BB S. SA n‘ayant pas soulevé la question
de son défaut de légitimation active devant la CCBL, elle ne pouvait
pas le faire ultérieurement devant le Tribunal des baux et loyers et
celui-ci n‘aurait donc pas dû se prononcer à ce sujet.
Cette
argumentation ne saurait être suivie. En effet, la loi ne prévoit pas
que le défaut de légitimation active doive être examiné dès le stade de
la conciliation devant la CCBL. Bien au contraire, le rôle de l‘autorité
de conciliation tel que prévu par l‘art. 274a CO est de conseiller les
parties et de tenter de les amener à un accord. Elle ne fait que rendre
une "pré-décision" ou une proposition de jugement
(Bertossa/Gaillard/Guyet/ Schmidt, Commentaire de la loi de procédure
civile genevoise, no 9 et 12 ad art. 426 LPC).
En conséquence,
l‘incident que BB S. SA a soulevé devant le Tribunal est tout à fait
recevable. Au surplus, le juge doit examiner d‘office si le demandeur
possède la légitimation active (Bertossa/Gaillard/Guyet/ Schmidt,
op.cit., no 4 ad art. 1 LPC, qui citent les ATF 100 II 169 c. 3 et 108
II 217 c. 1); le Tribunal aurait donc pu et dû, le cas échéant, relever
d'office la question de la légitimation active de L.W., même sans
allégation de BB S. SA à cet égard.
5. Les premiers juges ont
constaté un défaut de légitimation active de L.W. du fait que celui-ci
n‘est pas, selon eux, partie au contrat de bail à loyer.
Il convient
de relever, à titre préalable, qu‘il est admis et reconnu par la
bailleresse qu‘à la suite du jugement d‘évacuation prononcé contre M.W.,
le contrat de bail initial a été "réactivé", tacitement, puisqu‘elle
admet que cette dernière est locataire, d‘où la résiliation litigieuse.
Reste à déterminer si un bail a été conclu par actes concluants entre la bailleresse et L.W.
Le
contrat est parfait lorsque les parties ont, réciproquement et d‘une
manière concordante, manifesté leur volonté. Cette manifestation peut
être expresse ou tacite (art. 1 CO).
La conclusion du contrat de bail
n‘est soumise à aucune forme légale, notamment pas à l‘exigence de la
forme écrite, et peut donc intervenir tacitement, par actes concluants.
Toutefois,
la conclusion tacite d‘un bail ne peut être admise qu‘avec prudence. En
effet, la forme usuelle pour ce type de contrat est la forme écrite
(Barbey, Commentaire du droit du bail, 1991, p. 62 n. 138). Pour que
l‘on puisse conclure à l‘existence d‘un bail tacite, il faut que
l‘attitude du cocontractant puisse et doive être interprétée de bonne
foi comme une manifestation de volonté de contracter (ACJ no 231 du 4
octobre 1991). Il s‘agira donc d‘examiner si, en application du principe
de la confiance, le "locataire" pouvait inférer de bonne foi de
l‘attitude de la bailleresse que celle-ci avait accepté tacitement de
conclure avec lui un contrat de bail et de le considérer dorénavant
comme son locataire principal (ATF du 3 octobre 1990).
On pourra donc
admettre une telle volonté juridique lorsque, par exemple, le preneur
fait usage de la chose louée pendant une période prolongée et s‘acquitte
d‘un loyer que le bailleur encaisse sans formuler de remarques (SJ 1987
p. 32; SJ 1979 p. 572, No 26). On considérera également que les parties
sont liées par un contrat de bail lorsqu‘une personne non signataire du
bail occupe les lieux, paie la garantie et les loyers arriérés en son
propre nom, se plaint de frais de chauffage et sollicite des travaux
d‘entretien, et que, parallèlement, le bailleur s‘adresse constamment à
lui en qualité de locataire (ACJ du 20 mai 1985, confirmé par un ATF du
20 novembre 1985).
Outre le facteur temporel, le juge doit tenir
compte, le cas échéant, d‘autres éléments factuels, dont l‘importance
sera d‘autant plus grande que le critère temporel sera court. Une courte
durée (deux à trois mois) sera donc jugée insuffisante, à elle seule,
pour conclure à l'existence d‘un bail tacite (ATF du 28 mars 1995). A
cet égard, la Cour a jugé que, pour admettre l‘existence d‘un bail
tacite, un délai d‘au moins 9 mois de possession paisible était
nécessaire (ACJ no 1262 du 18 novembre 1996).
En l‘espèce, la régie
savait que L.W. occupait l‘appartement. En effet, elle lui a écrit en
octobre 1996 à l‘adresse du logement pour lui demander de laisser des
entreprises accéder à "[son] appartement", et un mois plus tard pour lui
confirmer que "[ses] loyers" avaient bien été acquittés. Il résulte
également des relevés produits par l‘appelant qu‘il s‘acquittait
lui-même des loyers. Enfin, en décembre 1998, la régie a notifié
séparément à M.W. et à L.W. qu‘elle résiliait le bail pour le 31 juillet
1999.
Après le jugement d‘évacuation du 2 septembre 1992, non
exécuté par la bailleresse, L.W. a donc occupé "paisiblement" le
logement pendant plusieurs années consécutives. En effet, pendant cette
période, à aucun moment la régie n‘est revenue à la charge pour faire
exécuter le jugement d‘évacuation dont elle disposait; à aucun moment
non plus elle n‘a fait de réserve en précisant, par exemple, qu‘elle
n‘encaissait les loyers qu‘à titre d‘indemnité pour occupation illicite
des lieux ou que L.W. n‘était toléré que comme "occupant" et pas comme
"locataire"; au contraire, dans le courrier du 21 avril 1999 adressé à
l‘ASLOCA, la régie fait expressément référence à L.W. en sa qualité de
"locataire".
La régie a donc, en tant que représentante du
propriétaire, démontré, au fil des ans, qu‘elle traitait et considérait
L.W. comme véritable locataire, au même titre que sa mère. En vertu du
principe de la confiance, L.W. est donc fondé à se considérer comme
partie prenante au contrat de bail, aux côtés de sa mère. En
conséquence, il est abusif de la part de la bailleresse de nier, en
novembre 1999, que ce dernier ait un quelconque titre juridique alors
qu‘une année plus tôt, elle avait résilié le contrat envers lui.
Les
pièces démontrant à satisfaction de droit que L.W. est devenu partie au
contrat de bail, et que, partant, il a la légitimation active pour
contester le congé, point n‘est besoin d‘ordonner des enquêtes
complémentaires sur cette question.
Le jugement attaqué sera donc
annulé dans cette mesure et la cause renvoyée au tribunal afin qu‘il
examine la validité du congé et, le cas échéant, la durée de la
prolongation de bail.
Décision
36/7 - Défaut de légitimation active