Coopérative d’habitation – Contestation de loyer
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève
Date
27.11.2008
Résumé
Le Tribunal fédéral a considéré que la possibilité appartenant au coopérateur locataire de fixer des loyers de par sa participation à l’assemblée générale ne lui fournit pas une protection suffisante qui rendrait superflu le recours aux dispositions protectrices des art. 269ss CO. A supposer que la compétence de fixer des loyers ait été laissée à l’assemblée générale, le Tribunal fédéral considère que le coopérateur locataire, qui n’y a droit qu’à une seule voix, ne pourra guère influer sur la décision à prendre ni infléchir celle-ci dans un sens qui lui soit favorable.
Exposé des faits
La propriétaire, société coopérative, a concédé le 7 octobre 1992 à
la locataire, un bail portant sur un appartement de 5 pièces. Le loyer a
été fixé à fr. 8´995.80.
La bailleresse a déposé, le 28 février
2005, une demande d’autorisation de travaux accompagnée d’un état
locatif après travaux au 31 juillet 2004 auprès du Département de
l’aménagement, de l’équipement et du logement (DAEL). Il ressort de ce
document que le loyer de l’appartement de la locataire devait être porté
à fr. 10´435.-. Par décision du 15 avril, le DAEL a délivré
l’autorisation sollicitée.
Par avis de majoration de loyer du 23 février 2007, la bailleresse a
déclaré vouloir porter le loyer de la locataire de fr. 8´995.80 à fr.
10´440.- par année, à compter du 1er juillet 2007. Le motif de cette
majoration résidait en la hausse consécutive aux travaux réalisés dans
l’immeuble en conformité à la décision de l’assemblée ordinaire du 31
octobre 2006.
Le courrier accompagnant l’avis de majoration officiel
faisait référence à l’assemblée générale du 31 octobre 2006 et aux
travaux réalisés. La décision de l’assemblée générale portant sur la
hausse des loyers de 16.02% dès le 1er juillet 2004 n’ayant pas été
contestée dans le délai de recours de 3 mois, elle était par conséquent
entrée en force. En outre, la bailleresse rappelait à la locataire que
les travaux faisaient l’objet d’une autorisation délivrée par le DAEL,
dans le cadre de laquelle ce département avait approuvé la hausse des
loyers en application de la LDTR.
La locataire a contesté la hausse
de loyer devant la Commission de conciliation en matière de baux et
loyers le 5 mars 2007. La conciliation ayant échoué, la bailleresse a
introduit sa demande en majoration de loyer auprès du Tribunal des baux
et loyers le 21 juin 2007. Le jugement rendu le 3 mars 2008 donne gain
de cause à la bailleresse. La locataire a interjeté appel de ce
jugement.
Considérations
La Cour déterminera tout d’abord dans quelle mesure les dispositions de
protection contre les loyers abusifs (art. 269 et ss CO) sont
applicables dans le cas d’espèce, puisque l’examen des autres griefs
dépend de la solution apportée à cette question.
La jurisprudence de
la Chambre d’appel en matière de baux et loyers au sujet de
l’application des dispositions de protection contre les loyers abusifs
(art. 269 et ss CO) aux sociétés coopératives d’habitation, a évolué au
cours des dernières années.
Dans un arrêt rendu le 28 janvier 2008,
le Tribunal fédéral a examiné la question pour déterminer que ces
dispositions s’appliquent aux relations contractuelles entre un
sociétaire locataire et une société coopérative d’habitation (ATV 134
III 159, rendu dans la cause 4A_421/2007 du 28 janvier 2008).
Dans
cet arrêt, le Tribunal fédéral relève d’emblée et à titre préliminaire
que la société coopérative d’habitation qui nie l’application des art.
269 et ss CO à la majoration de loyer contestée par son sociétaire
locataire n’est pas conséquente avec la thèse qu’elle défend,
puisqu’elle a communiqué à ce dernier un avis de fixation du loyer
initial établi sur la formule officielle prévue par l’art. 270 al. 2 CO,
disposition dont elle soutient pourtant qu’elle serait inapplicable en
l’espèce.
La même remarque s’impose à l’égard de l’intimée dans la
présente espèce, dans la mesure où cette dernière a fait notifier à X.
un avis de majoration de loyer officiel, se référant clairement dans sa
motivation, à l’art. 269a let. b CO et à l’art. 14 OBLF.
Dans l’arrêt
précité, le Tribunal fédéral a tranché d’un cas tout à fait comparable
au cas présent, contrairement à ce que soutient l’intimée.
En effet,
il s’agissait également d’une société coopérative d’habitation, dont les
coopérateurs locataires avaient la possibilité d’exercer dans
l’assemblée générale les droits qui étaient les leurs relativement aux
affaires sociales, en particulier celui de fixer les loyers. Toutefois,
le Tribunal fédéral a considéré que la possibilité appartenant au
coopérateur locataire de fixer des loyers de par sa participation à
l’assemblée générale, comme de recourir contre une décision de cette
dernière qui serait contraire aux règles statutaires en application de
l’art. 891 CO, ne lui fournit pas une protection suffisante qui rendrait
superflu le recours aux dispositions protectrices des art. 269 et ss
CO. D’une part, à supposer que la compétence de fixer des loyers ait été
lassée à l’assemblée générale, le Tribunal fédéral considère que le
coopérateur locataire, qui n’y a droit qu’à une seule voix (art. 885
CO), ne pourra guère influer sur la décision à prendre ni infléchir
celle-ci dans un sens qui lui soit favorable. Concrètement, il n’aura
pas la possibilité d’obtenir la réduction d’un loyer par hypothèse
abusif, mais qu’une majorité d’associés ne considérerait pas comme
telle. D’autre part le renvoyer à agir par la voie d’une action
ordinaire en annulation de la décision prise par l’assemblée générale
(art. 891 CO) reviendrait à le priver des avantages procéduraux dont le
législateur a voulu faire bénéficier le locataire qui entend contester
la fixation initiale ou subséquente de son loyer. Il s’agit de la
tentative de conciliation préalable obligatoire et gratuite (art. 270a
al. 1 let. b et 274d al. 2 CO), de la durée du procès (art. 274d al. 1
CO) ou du principe de l’instruction d’office (art. 274d al. 3 CO).
En
outre, l’inégalité à laquelle pourrait conduire la contestation de son
loyer par un sociétaire locataire, alors qu’un autre associé devrait
payer d’avantage, n’implique pas une violation du principe d’égalité de
traitement des membres d’une société coopérative (art. 854 CO) parce
qu’elle ne résulte pas d’une décision prise par les organes de la
société, mais du comportement adopté par certains associés. Cet état de
choses ne constitue ainsi pas un motif suffisant selon le Tribunal
fédéral pour exclure la coopérative d’habitation du champ d’application
des art. 269 et ss CO. Le recours à ces dispositions est en particulier
le seul que l’on puisse envisager dans l’hypothèse où la coopérative,
tout en traitant ses membres sur un pied d’égalité et en respectant
formellement ses statuts, leur impose à tous le paiement de loyers qui
lui procurent un rendement excessif de la chose louée.
On voit bien
que dans cette dernière considération, le Tribunal fédéral n’entend pas
faire application des art. 269 ss CO uniquement en présence des sociétés
coopératives d’habitation qui pratiqueraient de manière avérée des
loyers leur procurant un rendement abusif, mais pose bien le principe
que cela est possible dans le cadre de toute société coopérative
d’habitation.
Le Tribunal fédéral rappelle ainsi que le coopérateur
locataire et la coopérative d’habitation sont liés par deux rapports de
droit : un rapport corporatif, de caractère social, qui se crée entre la
société coopérative et son nouveau membre lors de l’acquisition de la
qualité d’associé (art. 839 et ss CO), d’une part, et un rapport
d’obligations, de caractère individuel, qui résulte de la conclusion du
contrat de bail à loyer par la société coopérative avec ce nouveau
membre (art. 253 et ss CO), d’autre part. Ces rapports juridiques, du
fait qu’ils n’évoluent pas sur le même plan, demeurent distincts et
indépendants; leur simple juxtaposition n’en fait pas un contrat mixte.
La coexistence de deux rapports de droit autonomes peut cependant
générer des interférences, notamment en cas de résiliation du bail par
la coopérative d’habitation.
Il n’y a, en revanche, pas de raison de
priver le coopérateur locataire de la protection contre les loyers
abusifs, sauf à admettre que la spécificité de sa situation juridique,
liée au rapport corporatif, serait un argument suffisant pour le
contraindre à accepter de payer un loyer excessif. Que cette spécificité
puisse jouer un rôle dans la fixation du loyer, du fait notamment du
but assigné à une coopérative d’habitation et de l’exigence de l’égalité
de traitement des associés, n’est certes pas contestable. Qu’elle
puisse laisser le coopérateur démuni face à des pratiques abusives de la
bailleresse n’est, toutefois, pas admissible.
L’intimée qui cherche à
se différencier des autres sociétés coopératives d’habitation, afin
d’éviter l’application de la jurisprudence fédérale précitée, ne
convainc pas en l’espèce. En effet , les sociétés coopératives
d’habitation ne sont pas en droit d’avoir un but social lucratif. Elle
n’est dès lors pas la seule dans cette situation, ce que rappelle le
Tribunal fédéral dans les considérations rappelées plus haut.
Enfin,
après avoir rappelé que l’art. 253b al. 3 CO ne s’applique pas dans tous
les cas aux sociétés coopératives d’habitation qui ne remplissent pas
les conditions cumulatives de cette disposition, le Tribunal fédéral
termine par la constatation que la solution apportée au problème
litigieux, à savoir l’application des art. 269 et ss CO à un rapport de
fixation de loyer initial ou subséquent entre une société coopérative
d’habitation et son sociétaire locataire, correspond à celle que
préconisent quasi unanimement les auteurs qui se sont penchés sur la
question, certains soulignant d’ailleurs que l’article 13 al. 3 OBLF,
qui permet au bailleur calculant exclusivement et durablement le loyer
en fonction des coûts effectifs, de répercuter sur le loyer
l’augmentation de ses charges financières relatives à l’ensemble du
capital investi, a été conçu au premier chef pour les coopératives
d’habitation.
Au vu de ce qui précède, le Tribunal des baux et loyers a erré en écartant l’application des art. 269 et ss CO du cas d’espèce.
Décision
46/6 - Coopérative d’habitation – Contestation de loyer