Contestation tardive du loyer initial – abus de droit
Base légale
- Art. 270 CO
- Art. 2 al. 2 CC
Nom du tribunal
Chambre d‘appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
13.05.2002
Résumé
Le Tribunal fédéral ne s‘est pas prononcé sur la question de savoir si, en l‘absence de contestation dans le délai légal de trente jours, la nullité du loyer initial pouvait être prononcée en tout temps en raison du non-respect de la forme prévue par la loi. Commet un abus de droit le locataire qui se prévaut, après plusieurs années de location, de l‘absence de motivation dans le loyer initial, non contesté dans les trente jours, alors qu‘il connaissait les paramètres de sa fixation.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer conclu le 16
novembre 1994 et portant sur la location d‘un appartement de six pièces à
G. Le loyer annuel était fixé à fr. 30‘000.- et comportait une clause
d‘indexation à l‘indice suisse des prix à la consommation. Lors de la
signature du bail, un avis de fixation du loyer initial a été remis aux
locataires, comprenant le loyer annuel de l‘ancien locataire, soit de
fr. 27‘903.-; les motifs de la hausse n‘étaient en revanche pas
indiqués.
Par courrier du 4 septembre 1998, les locataires déclaraient au bailleur qu‘ils considéraient leur loyer initial comme abusif.
Constituée
par les locataires, l‘Asloca écrivait le 17 août 1999 au bailleur pour
demander une baisse de loyer de 25 % dès le 1er janvier 2000. Elle
relevait, d‘autre part, que l‘avis de fixation du loyer initial
n‘indiquait pas le motif de l‘augmentation du loyer lors de l‘entrée
dans les locaux, et demandait en conséquence la restitution du trop
perçu, correspondant à la différence annuelle avec le loyer du locataire
précédent. Dans sa réponse du 7 octobre 1999, le bailleur considérait
que les locataires invoquaient l‘informalité de l‘avis de fixation du
loyer initial de manière tardive ce qui, à ses yeux, constituait un abus
de droit.
Le litige a été porté devant la Commission de conciliation
en matière de baux et loyers, puis, devant le Tribunal des baux et
loyers qui, dans un jugement du 16 août 2000, a débouté les locataires
de leurs conclusions en contestation de la nullité de l‘avis de fixation
du loyer initial et en restitution du trop perçu. Les locataires ont
interjeté appel de ce jugement.
Considérations
3a Les locataires font grief au Tribunal des baux et loyers d‘avoir
admis qu‘ils étaient forclos à agir en contestation du loyer initial,
pour n‘avoir pas agi dans le délai de trente jours suivant la remise de
l‘avis de fixation du loyer initial. Ils estiment que, dans la mesure où
le loyer initial était nul, sa contestation "au sens de l‘article 270
CO ne pouvait être prise entreprise (sic), le loyer initial étant
inexistant".
3b Il n‘est pas contesté que l‘avis de loyer initial
ne comporte pas le motif de la hausse de loyer intervenue à l‘occasion
de la conclusion du bail.
La question qui se pose est celle de la
conséquence juridique découlant de cette informalité. Le Tribunal
fédéral a jugé "que les raisons avancées pour justifier le respect
strict des règles de forme en matière de majoration de loyer en cours de
bail sont également valables lors du changement de locataire" (ATF 121
III 366).
En application de ce principe, le Tribunal fédéral a
considéré que le non-respect de la forme n‘entraînait pas la nullité du
contrat de bail en tant que tel, mais uniquement la nullité du loyer,
lequel devait alors être fixé par le juge (ATF 124 III 62, spécialement
64; 120 II 341, cons. 5c et 6). En ce sens, le Tribunal fédéral a
appliqué de manière rigoureuse le renvoi à l‘article 269d CO, solution
qui a été critiquée par la doctrine, et notamment par Higi (Commentaire
zurichois, ad. art. 270 no 103 à 119).
3c La nullité du loyer initial
en raison du non-respect de la forme a été admise par le Tribunal
fédéral dans des cas où le locataire avait contesté l‘avis de fixation
de loyer initial dans le délai légal de trente jours. Le Tribunal
fédéral ne s‘est toutefois pas prononcé sur la question de savoir si, en
l‘absence de contestation dans le délai de trente jours prévu par
l‘article 270 CO, la nullité peut être constatée en tout temps.
Selon
Higi, la sanction d‘une majoration non motivée selon les exigences
légales est qu‘elle est radicalement nulle et ne déploie aucun effet
(op.cit. ad. art. 269d, no 117) et Lachat indique qu‘une telle
majoration n‘a pas à être contestée devant l‘autorité de conciliation,
puisqu‘il n‘y a pas d‘objet de contestation (Le bail à loyer 1997, p.
269 no 3.3.2).
3d Contrairement aux avis de doctrine précités, la
Cour de céans a jugé dans son arrêt du 22 avril 1996 (ACJ 352/96 S.I.
B/Epoux B.) que l‘absence de motivation dans la formule justifie
l‘annulation de l‘avis si la contestation a été formulée en temps utile,
mais que le défaut de contestation a un effet correcteur.
La Cour
s‘est référée à l‘article paru aux Cahiers du Bail 1994 no 2 dans lequel
Bernard Corboz a examiné les questions relatives à la nullité et à
l‘annulabilité des congés.
Certes, selon l‘article 269d CO, les
majorations de loyer sont nulles lorsqu‘elles ne sont pas notifiées au
moyen de la formule officielle, lorsque les motifs ne sont pas indiqués,
ou lorsqu‘elles sont assorties d‘une résiliation ou d‘une menace de
résiliation. Il demeure que, comme le relève Bernard Corboz, la nullité
est une forme de sanction prescrite plutôt pour la protection de
l‘intérêt public ou l‘intérêt privé dont la défense touche de près à
l‘ordre public.
Pour déterminer si l‘on se trouve en présence d‘un
cas de nullité qui peut être soulevé en tout temps, même d‘office ou, au
contraire, d‘un cas d‘annulabilité qui ne peut être examiné que si la
Commission de conciliation a été saisie dans les trente jours, on peut
s‘inspirer des jurisprudences qui ont été rendues dans d‘autres domaines
du droit quant à la distinction entre nullité et annulabilité. Pour des
raisons de sécurité du droit, il n‘est pas souhaitable qu‘une décision
puisse soudainement être remise en cause des années plus tard. Il faut
donc considérer qu‘une décision affectée d‘un vice est en principe
annulable et non pas nulle; la nullité ne peut être qu‘exceptionnelle.
Selon
Bernard Corboz, le congé donné sans utiliser la formule officielle est
sanctionné de nullité absolue au motif que l‘exigence de la formule
officielle a pour but de renseigner le locataire sur ses droits. "La
nullité apparaît ainsi dans la logique du système: le locataire est
supposé ignorer ses droits et on ne peut donc attendre de lui qu‘il
agisse dans les trente jours s‘il n‘a pas été dûment informé de cette
possibilité".
De même, "un vice qui prive le destinataire de la
faculté d‘agir en temps utile, ne peut être sanctionné que de nullité,
la voie de l‘annulabilité n‘ayant alors pratiquement aucun sens"
(op.cit. p. 46).
Les principes et exemples développés par cet auteur en matière de congé peuvent s‘appliquer aux cas de fixation du loyer.
Si
le loyer initial n‘a pas été fixé par avis officiel, de telle sorte que
le locataire n‘a pas été mis en situation de faire valoir ses droits
puisque la formule a pour but de le renseigner, il se justifie de
retenir que le loyer est absolument nul et qu‘ainsi, il peut être
contesté en tout temps.
En revanche, lorsque le locataire a reçu un
avis de fixation de loyer initial, il connaît son droit de le contester
dans les trente jours notamment parce que les motifs de la majoration ne
sont pas précisés. La Cour estime donc ne pas avoir à modifier sa
jurisprudence de 1996 et considère que l‘absence de motivation dans la
formule ne justifie l‘annulation de l‘avis que si la contestation a été
formulée en temps utile, mais que le défaut de contestation a un effet
correcteur. Admettre le contraire aurait pour conséquence qu‘un loyer
initial fixé par avis officiel non motivé pourrait être contesté des
années après l‘entrée en vigueur du bail, ce qui créerait une insécurité
juridique inacceptable et disproportionnée par rapport au but visé par
la loi.
L‘article 269d al. 2 CO prévoit la nullité des majorations de
loyer, sans distinction, selon qu‘elles n‘aient pas été notifiées au
moyen de la formule officielle, que les motifs ne soient pas indiqués ou
qu‘elles soient assorties d‘une résiliation ou d‘une menace de
résiliation. Les considérations qui précèdent amènent toutefois la Cour
de céans à considérer que l‘adjectif "nulle" que comporte cette
disposition n‘a pas la même portée selon les trois cas de figure
auxquels il se rapporte.
4. Même si l‘absence de motivation
devait être une cause de nullité absolue du loyer, la Cour considère
qu‘en l‘espèce, la contestation des locataires constituerait un abus de
droit.
Comme l‘a relevé le Tribunal fédéral: "l‘usage de la formule
officielle lors de la conclusion du bail tend essentiellement à assurer
au nouveau preneur une information adéquate sur le loyer précédent ainsi
que sur les possibilités et la procédure de contestation du loyer
initial" (ATF 121 III 56, cons. 2c).
Connaissant leur droit de
contester le loyer initial les locataires ont néanmoins accepté ce loyer
qu‘ils ont payé pendant près de quatre ans, sans contestation. Au mois
de septembre 1998, ils ont sollicité une réduction de ce loyer au motif
que le taux hypothécaire en vigueur lors de la fixation du dernier loyer
payé par le précédent locataire s‘élevait à 7 % et qu‘il s‘élevait
alors à 4 %. Par ce courrier, les locataires ont démontré qu‘ils
connaissaient les paramètres légaux servant de base à la fixation d‘un
loyer. A la suite de la réponse négative de la régie, les locataires ont
continué de payer le loyer initial et ce n‘est qu‘en août 1999, soit
près de cinq ans après la conclusion du contrat de bail qu‘ils ont
invoqué pour la première fois la nullité de l‘avis de fixation du loyer,
par la plume de leur Conseil.
En matière de majoration de loyer, le
Tribunal fédéral a jugé que si l‘article 269d al. 2 CO permet au
locataire d‘invoquer l‘absence de formule officielle, il peut toutefois
faire usage de cette possibilité uniquement dans les limites de
l‘interdiction de l‘arbitraire au sens de l‘article 2 al. 2 CC (ATF 123
III 70; Cahiers du Bail no 1 1999 p. 15).
"Commet un abus de droit le
locataire qui invoque après coup le défaut de notification sur formule
officielle alors qu‘il a payé les nouveaux loyers pendant des années
sans émettre la moindre réserve" (Cahiers du Bail no 1 1999 p. 16).
En
l‘espèce, non seulement les locataires avaient reçu l‘avis les
informant de leur droit de contestation, mais ils n‘ont jamais soulevé
la moindre objection quant à ce loyer initial pendant près de quatre
ans, puis ont laissé encore s‘écouler près d‘une année avant de formuler
leur contestation, de sorte que la bailleresse n‘avait aucune raison de
douter de la validité de l‘accord intervenu concernant le bail des
locaux.
Outre le fait qu‘elle est tardive, la contestation litigieuse relève donc de l‘abus de droit au sens de l‘article 2 al. 2 CC.
Décision
37/7 - Contestation tardive du loyer initial – abus de droit