Contestation du loyer initial – loyer abusif
Base légale
- Art. 269 ss CO
- Art. 270 CO
Nom du tribunal
Arrêt de la chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
27.05.2013
Résumé
En cas d'immeubles construits ou acquis il y a quelques décennies, la hiérarchie entre les critères absolus est inversée par rapport à celle prévalant pour les immeubles dits récent : si un loyer augmenté selon un facteur relatif entre dans les limites des loyers usuels du quartier, il n'y a pas lieu de procéder au surplus au calcul du rendement net; en revanche, un tel calcul ne peut être refusé au locataire qui le demande, lorsque le bailleur qui entend augmenter le loyer ne se prévaut pas à son tour des loyers du quartier ou ne parvient pas à apporter la preuve requise à cet égard.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat
de bail à loyer du 7 décembre 2010 portant sur la location d'un
appartement de 1,5 pièces situé au 3ème étage d'un immeuble sis à X.
Le
loyer annuel a été fixé à fr. 11 400.–, l'acompte de frais de
chauffage/eau chaude à fr. 1080.– et celui des frais d'exploitation à
fr. 1200.–, soit au total un loyer annuel, charges comprises de fr. 13
680.–.
Selon l'avis de fixation du loyer initial du 7 décembre 2010,
le précédent locataire s'acquittait, depuis le 1er juin 2006, d'un loyer
annuel de fr. 8868.–, charges non comprises, les charges étant de fr.
840.– par an. Le loyer annuel, charges comprises, s'élevait à fr.
9708.–.
Par requête du 27 janvier 2011, la locataire a contesté le
loyer initial de fr. 11 400.– et le montant total des charges de fr.
2280.–. L'affaire a été portée devant le Tribunal de baux et loyers le
16 mai 2011.
Par acte du 22 octobre 2012, la bailleresse a formé
appel du jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 14
septembre 2012, fixant notamment le loyer de l'appartement litigieux à
fr. 6600.– par an, charges non comprises, dès le 1er janvier 2011.
Considérations
4. L’appelante estime que les premiers juges ont manifestement violé les
règles applicables en matière de fixation du loyer initial, en ce sens
que ceux-ci auraient dû admettre que, s’agissant d’un immeuble ancien au
sens de la jurisprudence constante, le critère des loyers usuels du
quartier était seul applicable.
Dans l’examen de la conformité du
loyer initial au regard des articles 269 et 269a CO, le cadre du débat
judiciaire est fixé en premier lieu par la motivation donnée par le
bailleur à une éventuelle majoration (LACHAT, op. cit., p. 394).
Si
le bailleur se prévaut du critère absolu des loyers usuels (art. 269a
let. a CO), le locataire peut lui opposer le rendement exagéré des fonds
propres investis (art. 269 CO), autre critère absolu. Ce dernier
critère est prépondérant, sauf si l’on est en présence d’un immeuble
ancien, par exemple construit ou acquis dans les années cinquante
(LACHAT, op. cit., p. 537 ; ACJC/802/2011 du 20 juin 2011 ;
ACJC/1296/2009 du 2 novembre 2009). Dans ce dernier cas, il peut
s’avérer difficile, voire impossible de déterminer le caractère excessif
du rendement, soit parce que les justificatifs des investissements font
défaut, soit parce que ceux-ci n’ont plus de rapport avec la réalité
(ATF 4C.323/2001 du 9 avril 2002 ; ACJC/802/2011 du 20 juin 2011 et réf.
citées ; ACJC/1296/2009 du 2 novembre 2009). Il découle de ce que
précède, qu’en cas d’immeubles construits ou acquis il y a quelques
décennies, la hiérarchie entre les critères absolus est inversée par
rapport à celle prévalant pour les immeubles dits récents : si un loyer
augmenté selon un facteur relatif entre dans les limites des loyers
usuels du quartier, il n’y a pas lieu de procéder au surplus au calcul
du rendement net ; en revanche, un tel calcul ne peut être refusé au
locataire qui le demande, lorsque le bailleur qui entend augmenter le
loyer ne se prévaut pas à son tour des loyers du quartier ou ne parvient
pas à apporter la preuve requise à cet égard (ATF 4C.285/2005 du 18
janvier 2006 ; ATF 4C.323/2001 du 9 avril 2002 ; ACJC/802/2011 du 20
juin 2011 consid. 4).
La preuve du loyer initial abusif incombe en
effet au locataire. Il doit ainsi être admis à prouver que le loyer
procure au bailleur un rendement excessif sans qu’il ait à démontrer la
présence d’indices d’abus (ATF 124 III 310 consid. 2a). Dès lors que le
bailleur détient seul les documents permettant un calcul de rendement,
on peut attendre de lui qu’il les produise, la maxime inquisitoriale
sociale instaurée par l’ancien article 274d al 3 aCO – et toujours
applicable sous l’égide du CPC (ACJC/1307/2011 du 17 octobre 2011 ;
HOHL, Procédure civile, tome II, 2010, n° 1397 ss) – impliquant un
devoir de collaboration active des parties à l’établissement des faits
(ATF 4A_3/2011 du 28 février 2011 ; ATF 4A_127/2008 du 2 juin 2008
consid. 3.2 ; ATF 125 III 231 consid. 4a = JT 2000 I 194).
Le refus
du bailleur sans motif justifié de produire les pièces qu’il détient
pour la détermination du rendement net conduit à empêcher fautivement sa
partie adverse à administrer sa preuve. A l’inverse, s’il y a lieu de
procéder à un examen du rendement dans le cadre de la contestation du
loyer initial, le locataire doit supporter les conséquences de l’absence
de preuve, pour autant que le bailleur ne puisse plus fournir les
documents y relatifs pour des motifs valables (MAAG, Commentaire de
l’ATF 4A_129/2008, in MRA 2008 p. 147 ss).
En définitive, la sanction
du refus du bailleur de produire ces documents relève de l’appréciation
des preuves (ATF 4A_576/2008 du 19 février 2008 consid. 2.4) et des
règles de procédures cantonales (actuellement du CPC ; MAAG, op. cit.,
p. 150). Ainsi, lorsqu’il est ordonné au bailleur de produire les pièces
nécessaires au calcul de rendement, on peut inférer de son refus
injustifié que la chose louée lui procure selon toute vraisemblance un
rendement abusif, faute de quoi il aurait déféré à la demande de
production des pièces (ATF 4A_3/2011 du 28 février 2011 ; ATF
4A_576/2008 précité ; ACJC/802/2011 du 20 juin 2011 consid. 4 et réf.
citées ; ACJC/458/2009 du 20 avril 2008 consid. 4.1).
Le Tribunal a
retenu, à juste titre et comme le soutient l’appelante, que celle-ci a
motivé l’avis de fixation du loyer initial par l’adaptation du loyer à
ceux usuels du quartier. Le locataire a, pour sa part, réclamé la
présentation d’un calcul de rendement arguant que le loyer en cause
procurait un rendement excessif à la bailleresse. Nonobstant deux
ordonnances du Tribunal réclamant la production du calcul de rendement,
la bailleresse a indiqué qu’il ne saurait être exigé d’elle de procéder à
un tel calcul, puisque l’immeuble avait été construit en 1961 et
qu’elle n’était pour ce motif pas parvenue à réunir l’ensemble des
pièces nécessaires au calcul de rendement. Expressément invitée par les
deux ordonnances précitées à indiquer à tout les moins quand elle avait
acquis l’immeuble litigieux, la bailleresse s’est abstenue de
communiquer cette information, de sorte qu’elle n’a pas établi que
l’acquisition de l’immeuble était également ancienne.
Au vu de ce qui
précède, en refusant d’admettre que la hiérarchie des critères absolus
s’inverse, faute d’avoir pu établir la date d’acquisition de l’immeuble
litigieux, et en retenant que la bailleresse n’a pas apporté la preuve
que le loyer contesté n’est pas abusif au regard du critère des loyers
usuels du quartier, les premiers juges n’ont pas violé le droit. Cet
avis est également corroboré par le fait que la bailleresse n’a produit
aucune pièce relative au calcul de rendement et n’a pas établi être dans
l’impossibilité de les produire, en particulier celles concernant les
amortissements des fonds étrangers intervenus depuis l’acquisition de
l’immeuble.
Décision
54/7 - Contestation du loyer initial – loyer abusif