Contestation du loyer initial – abus de droit
Base légale
- Art. 270 al. 1 CO
- Art. 19 al. 1 OBLF
- Art. 2 al. 2 CC
Nom du tribunal
Tribunal des Baux du canton de Vaud
Date
03.11.2009
Résumé
Une motivation qui fonde la fixation du loyer sur des critères antinomiques, par exemple sur les loyers du marché, d’une part, et la hausse des coûts on des prestations supplémentaires du bailleur, d’autre part, est insuffisante. Par ailleurs, l’absence de signature constitue également un vice de forme. Cette formule affectée de vices de forme entraîne la nullité du loyer initialement convenu par les parties. Néanmoins, la nullité pour vice de forme peut être tenue en échec par l’interdiction de l’abus de droit. Ainsi, le locataire qui acquiert la connaissance d’un vice de forme affectant la fixation de son loyer ne peut pas, sauf à commettre un abus de droit, continuer à exécuter le contrat sans réserve, puis invoquer ultérieurement la nullité du loyer à l’occasion d’un différend avec son bailleur.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer du 17 septembre
2004 portant sur un logement dont le loyer initial a été fixé à fr.
1'350.–.
La bailleresse a adressé aux locataires une hausse de loyer
le 8 février 2008. Cette hausse a été contestée devant la Commission de
conciliation de baux à loyer du district de Lausanne le 10 mars 2008. La
conciliation n’a pas abouti et l’affaire a été portée devant le
Tribunal des baux.
Les locataires font valoir que le loyer initial
serait nul parce que la formule de notification de celui-ci serait
affectée de deux vices de forme, savoir l’absence de signature et
l’indication de motifs contradictoires pour justifier l’augmentation du
loyer par rapport au montant dû par le précédent locataire.
La bailleresse a soutenu que les locataires commettent un abus de droit en invoquant cette nullité partielle du contrat de bail.
Par jugement du 3 novembre 2009, le Tribunal des baux a rejeté les conclusions des demandeurs.
Considérations
Attendu que les demandeurs font valoir que le loyer initial litigieux
serait nul parce que la formule de notification de celui-ci serait
affectée de deux vices de forme, savoir l’absence de signature et
l’indication de motifs contradictoires pour justifier l’augmentation du
loyer par rapport au montant dû par le précédent locataire,
que la
défenderesse fait de son côté principalement valoir que ces faits ne
constituent aucunement des vices de forme devant entraîner la nullité du
loyer initial,
qu’en cours de bail, le bailleur peut en tout temps
majorer le loyer pour le prochain terme de résiliation au moyen d’un
avis communiqué sur une formule agréée par le canton (art. 269d al. 1
CO),
qu’en cas de pénurie de logements, les cantons peuvent rendre
obligatoire, sur tout ou partie de leur territoire, l’usage de la
formule officielle mentionnée à l’article 269d CO pour la conclusion de
tout nouveau bail (art. 270 al. 2 CO),
que le canton de Vaud a fait
usage de cette possibilité par la promulgation de la loi du 7 mars 1993
sur l’utilisation d’une formule officielle au changement de locataire,
en vigueur depuis le 1er août 1993 (ci-après : LFOCL ; RSV 221.315),
que
l’article 4 LFOCL précise qu’il y a pénurie lorsque le taux de
logements vacants offerts en location, établi pour l’ensemble du canton,
est inférieur à 1,5 % du parc locatif,
qu’un arrêté du Conseil
d’Etat du 9 juillet 2001 (ALFOCL ; RSV 221.315.1), entré en vigueur le
1er août 2001, a rendu obligatoire la formule officielle au changement
de locataire en constatant que le taux de logements vacants était de 1,1
%,
que l’article 19 alinéa 1 OBLF définit les mentions que doit
impérativement contenir la formule destinée à communiquer au locataire
les hausses de loyer au sens de l’article 269d CO,
qu’elle doit
notamment contenir (1) le montant de l’ancien loyer et l’ancien état des
charges, (2) le montant du nouveau loyer et le nouvel état des charges,
(3) la date d’entrée en vigueur de la hausse et (4) les motifs précis
de la hausse, les montants correspondant à chacun des motifs devant être
détaillés lorsque la hausse repose sur plusieurs motifs (art. 19 al. 1
let. a OBLF),
que l’article 19 alinéa 1 OBLF est applicable par
analogie lorsque les cantons rendent obligatoire, au sens de l’article
270 alinéa 2 CO, l’utilisation de la formule lors de la conclusion d’un
nouveau bail (art. 19 al. 3 OBLF),
que l’article 2 LFOCL, qui indique
les mentions qui doivent figurer sur la formule officielle lors de la
conclusion d’un nouveau bail, reprend d’ailleurs en substance l’article
19 alinéa 1 OBLF,
qu’ainsi, la motivation de la fixation du loyer initial doit être suffisante, sous peine de nullité de celui-ci,
qu’est
notamment insuffisante une motivation qui fonde la fixation du loyer
sur des critères antinomiques, par exemple sur les loyers du marché
(art. 269a let. a CO), d’une part, et la hausse des coûts ou des
prestations supplémentaires du bailleur (art. 269a let. b CO), d’autre
part (ATF 121 III 6 consid. 3c ; Lachat, Le bail à loyer, 2ème éd.,
Lausanne 2008, p.525),
qu’en outre, bien que le texte de l’article 19
OBLF n’indique pas cette exigence, la validité de la formule présuppose
sa signature par le bailleur, celle-ci devant en principe être
manuscrite, conformément aux règles générales du Code des obligations en
matière de forme écrite (art. 13 et 14 CO ; CdB 4/03 97 ; Fetter, La
contestation du loyer initial, thèse Berne 2005, p. 91 s. et les
références citées),
que la signature peut également provenir d’un
représentant, auquel cas le rapport de représentation doit être
clairement reconnaissable (Guggenheim, Commentaire romand,
Genève/Bâle/Munich 2003, n. 8 ad art. 13 CO ; Engel, Traité des
obligations en droit suisse, 2ème éd., Berne 1997, p. 252),
que si la
formule officielle obligatoire est affectée de vices de forme, le bail
est partiellement nul, sa nullité étant limitée au loyer, et le juge
doit alors fixer celui-ci (ATF 120 II 341 consid. 5c ; Fetter, op. cit.,
p. 104 ss),
qu’en l’espèce, la formule officielle du 17 septembre
2004 de notification de loyer lors de la conclusion d’un nouveau bail
indique comme motifs de la hausse du loyer par rapport à celui du
précédent locataire : « Adaptation aux loyers du quartier » et «
Rénovation complète de l’appartement »,
qu’il s’agit là de motifs
antinomiques, le premier correspondant à la lettre a de l’article 269a
CO et le second à la lettre b de cette disposition,
qu’ainsi, au vu
de la jurisprudence et de la doctrine susmentionnées, la fixation du
loyer litigieux est insuffisamment motivée, ce qui implique la nullité
de celui-ci,
qu’au surplus, aucun organe ou représentant de la
bailleresse n’a apposé sa signature sur la formule, les deux signatures
figurant au pied de celle-ci étant celles des deux locataires
demandeurs,
que force est donc de constater que la formule litigieuse
est effectivement affectée de vices de forme entraînant la nullité du
loyer initialement convenu par les parties ;
attendu que la
défenderesse soutient que les demandeurs commettent un abus de droit en
invoquant cette nullité partielle du contrat de bail,
que l’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé par la loi (art. 2 al. 2 CC),
que
la nullité pour vice de forme peut être tenue en échec par
l’interdiction de l’abus de droit, lorsque le comportement de celui qui
s’en prévaut procède d’une attitude contradictoire,
que même si le
Tribunal fédéral entend en décider d’après l’ensemble des circonstances
du cas particulier, sans être lié par des règles rigides, il est
possible de distinguer plusieurs situations typiques,
que parmi
celles-ci, il faut mentionner le cas des parties qui ont exécuté le
contrat alors que l’une d’elles au moins n’était pas consciente du vice
de forme,
que dans ce cas, la partie qui s’est rendue compte par la
suite de ce vice peut en principe invoquer la nullité du contrat sans
s’exposer au reproche de l’abus de droit,
qu’un tel abus pourra
toutefois être retenu si la partie qui invoque la nullité a tardé à
faire valoir le vice de forme après l’avoir découvert (Steinauer, Traité
de droit privé suisse, vol. II : Le Titre préliminaire du Code civil et
Droit des personnes, tome 1 : Le Titre préliminaire du Code civil, Bâle
2009, nn. 593 et 595, et les références citées),
qu’ainsi, le
locataire qui acquiert la connaissance d’un vice de forme affectant la
fixation de son loyer ne peut pas, sauf à commettre un abus de droit,
continuer à exécuter le contrat sans réserve, puis invoquer
ultérieurement la nullité du loyer à l’occasion d’un différend avec son
bailleur (CdB 4/08 125 consid. 3 ; CdB 3/05 92 consid. 6, DB 18/2006 n°
16 et note de Bohnet, p. 33 ; TF, 26 mai 2003, 4C.59/2003, consid. 7.1 ;
TF, 18 octobre 2001, 4C. 134/2001, consid. 3 ; CdB 3/01 77 consid. 4b
et 4c ; Fetter, op. cit., p. 199),
que dans un arrêt du Tribunal
fédéral de 1996 servant de référence aux arrêts les plus récents en la
matière, l’abus de droit à invoquer un vice de forme affectant la
fixation du loyer a été retenu notamment parce que les locataires, bien
qu’ils fussent rompus aux affaires, avaient exécuté le contrat vicié
sans réserve pendant plusieurs années (ATF 123 III 70, JT 1998 I 8
consid. 3d),
qu’il faut inférer de cette jurisprudence que
l’expérience et les connaissances du locataire doivent être prises en
considération pour apprécier s’il a exécuté le contrat affecté du vice
de forme en connaissance de cause (CdB 3/05 92 consid. 6b),
qu’enfin,
il sied de relever que l’arrêt précité de 1996 du Tribunal fédéral
tient également pour un élément caractéristique de l’abus de droit le
fait que l’invocation de la nullité pour vice de forme par le locataire
apparaît comme une mesure de représailles à l’égard du bailleur (consid.
3d in fine ; cf. aussi CdB 3/05 92 consid. 6c),
qu’en l’espèce, les
demandeurs prétendent n’avoir pris connaissance des motifs de nullité de
leur loyer initial qu’à l’occasion de la procédure de contestation de
la hausse de loyer que la bailleresse leur a adressée le 8 février 2008,
que
le témoin X. a certes déclaré qu’elle avait constaté, en se préparant
pour l’audience de l’autorité de conciliation du 13 août 2008, que le
loyer initial des demandeurs était nul en raison de l’indication de
motifs d’adaptation antinomiques sur la formule officielle, qu’elle en
avait parlé à la demanderesse et que celle-ci avait alors eu « l’air
surprise et contente »,
que cette dernière déclaration ne suffit
cependant pas à établir que les demandeurs n’ont pas eu connaissance des
motifs de nullité de leur loyer initial avant la consultation de dame
X.,
qu’en effet, l’ignorance du vice de forme qu’on pourrait inférer
de l’air de la demanderesse évoqué par le témoin X. n’est pas crédible
au regard de l’expérience et des connaissances professionnelles de la
demanderesse et des circonstances qui ont précédé l’invocation de ce
vice par les locataires,
que la demanderesse est en effet au bénéfice
d’une formation juridique complète et a été employée en qualité de
consultante par …,
qu’elle travaillait dans la même section que le témoin x et était donc sa collègue, selon le témoignage de cette dernière,
que
le témoin X. a certes expliqué que les consultants de … étaient formés «
sur le tas », en écoutant des consultations données par des collègues,
et que, dans ce contexte, leur attention n’était pas nécessairement
attirée sur la problématique de la nullité du loyer initial en raison
d’un vice de forme,
que la demanderesse a toutefois admis en audience
qu’elle avait en l’occurrence été mise au courant de cette
problématique « assez rapidement » après le début de son activité auprès
de …,
qu’en outre, les demandeurs se sont séparés à la fin de
l’année 2006, que l’appartement litigieux a été attribué à Z. par
convention ratifiée le 22 décembre 2006 par la Présidente du Tribunal
d’arrondissement de Lausanne pour valoir prononcé de mesures
protectrices de l’union conjugale,
qu’on a de la peine à imaginer que
la demanderesse ne se soit pas penchée sur les documents relatifs aux
rapports de bail en cause en sa possession à l’occasion de la procédure
de mesures protectrices susmentionnée, dans la mesure où celle-ci
concernait notamment l’attribution du logement objet de ces rapports,
qu’elle
et son mari ont d’ailleurs écrit à la régie le 8 décembre 2006 pour
demander le transfert du bail litigieux au seul nom du demandeur et ont
alors indiqué le numéro d’enregistrement dudit bail, lequel compte onze
chiffres,
que cette indication – exacte – ne peut pas avoir été
donnée sans consultation, par les époux demandeurs, des documents
relatifs auxdits rapports de bail en leur possession,
qu’ensuite du
refus persistant de la régie d’accéder à la demande de transfert
précitée, la demanderesse lui a une nouvelle fois écrit le 22 mai 2007
pour obtenir sa libération « pour le prochain terme de congé,
c’est-à-dire pour le 30 septembre 2007 »,
que ce courrier constitue
un indice supplémentaire du fait que la demanderesse avait une
connaissance précise des conditions des rapports de bail la liant à la
défenderesse,
qu’ainsi, au vu de ce qui précède, il existe un
faisceau d’indices suffisamment probant pour retenir que les demandeurs,
dont la mandataire n’a invoqué la nullité du loyer initial que lors de
l’audience de conciliation du 13 août 2008, avaient en réalité
connaissance du vice de forme fondant cette nullité depuis longtemps,
que
nonobstant cette connaissance, qui remonte très vraisemblablement au
mois de décembre 2006, ils ont continué à payer sans réserve le loyer
convenu pendant près de vingt mois,
qu’ils n’ont invoqué la nullité
de leur loyer initial qu’à l’occasion de la contestation de la hausse de
loyer que la bailleresse leur a fait notifier le 8 février 2008,
que
cette notification de hausse est intervenue après que les demandeurs
avaient tenté à réitérées reprises, en vain, d’obtenir le transfert du
bail au seul nom de Z.,
qu’en effet, outre les deux courriers des 8
décembre 2006 et 22 mai 2007 susmentionnés, une lettre du 23 décembre
2006 signée par le demandeur et une lettre du 27 juin 2007 signée par la
demanderesse avaient été adressées à la régie en vue dudit transfert,
sans succès,
qu’ainsi, la nullité du loyer initial a été invoquée par
les demandeurs dans un contexte conflictuel qui laisse apparaître cette
invocation comme une mensure de représailles,
qu’en définitive, au
vu des circonstances qui ont été exposées, le Tribunal de céans
considère qu’il y a lieu de faire application de l’article 2 alinéa 2 CC
et de rejeter en conséquence les conclusions I et II des demandeurs.
Décision
49/7 - Contestation du loyer initial – abus de droit