Tribunal des Baux du canton de Vaud
09.10.2009
Rien ne s'oppose à ce que le locataire requiert, pour examiner le loyer initial, l'application du critère des loyers usuels de la localité ou du quartier alors qu'il s'agit d'un immeuble acquis récemment, notamment, lorsque c'est le motif invoqué par le bailleur sur la formule officielle. Le juge ne saurait dans pareille hypothèse intervenir d'office et appliquer le critère prédominant du rendement net.
1. Les demandeurs font valoir le caractère abusif du loyer de
l'appartement pris à bail à la défenderesse et concluent à ce qu'il soit
ramené à 800 fr. par mois. Après avoir requis le contrôle du loyer sur
la base du critère des loyers comparatifs du quartier ou de la localité,
ils ont abandonné ce critère au profit de celui du rendement net.
La
défenderesse soutient, quant à elle, que le seul critère déterminant
est celui des loyers comparatifs du quartier ou de la localité. Elle
indique que ce critère a été invoqué en premier par les demandeurs dans
le délai imparti à eux et qu'il délimite en conséquence le cadre des
débats judiciaires. Elle relève que le critère du rendement net a été
invoqué dans un deuxième temps, alors que le cadre des débats
judiciaires avait été fixé, qui plus est, hors de tout délai légal ou
judiciaire. Enfin, ils font valoir qu'en cas de contestation du loyer
initial par le locataire, le fardeau de la preuve du caractère abusif du
loyer incombe au locataire, y compris lorsque celui-ci invoque le
critère des loyers comparatifs du quartier ou de la localité. Il
s'ensuit que l'éventuel échec de la preuve doit être supporté par les
demandeurs.
2a. Dès lors que la défenderesse ne conteste pas, à juste
titre, la validité formelle et la recevabilité de la présente requête
au regard notamment de l'article 270 CO, il convient d'examiner en
premier lieu le grief de la défenderesse relatif à la tardiveté des
réquisitions de production de pièces des demandeurs du 27 mai 2009 en
relation avec la modification du critère d'examen du loyer initial.
ba) En
vertu de la nature sommaire de la procédure applicable devant le
Tribunal des baux, le juge, respectivement le tribunal, administre les
preuves autant que possible séance tenante (art. 11 al. 3 LTB) et règle
sommairement les difficultés qui peuvent s'élever à leur sujet, pouvant
ordonner d'office toute preuve utile (art. 11 al. 4 LTB). En outre, le
juge respectivement le tribunal, statue par un seul jugement sur les
faits et sur tous les moyens exceptionnels et de fond (art. 12 al. 1er
LTB). Ainsi, il découle implicitement des articles 11 et 12, mais
également 8 et 9 LTB, que le juge, respectivement le tribunal, tient en
principe une seule audience d'instruction et de jugement (Ducret et cts,
Procédures spéciales vaudoises, Lausanne 2008, n. 1 ad art. 12 LTB, p.
130). Les parties sont assignées par lettre recommandée énonçant le but
de la citation et l'invitation à produire toutes pièces utiles, à
requérir au besoin une inspection locale, à amener à l'audience les
témoins dont l'audition apparaît utile ou à en requérir l'assignation
dans le délai que le juge fixe (art. 9 al. 1er LTB).
L'invitation
faite par le juge aux parties à présenter dans la mesure du possible
leurs moyens et offres de preuves dans un délai déterminé n'est pas
contraire à la maxime inquisitoriale sociale (sur la maxime
inquisitoriale sociale, cf. Ducret et cts, op. cit., nos 3 ss ad art. 11
LTB, pp. 118 ss), applicable en vertu de l'article 274d alinéa 3 CO
(Ducret et cts, op. cit., n. 6 ad art. 9 LTB, p. 110). En outre, le juge
n'a pas à donner suite à une réquisition de mesure d'instruction
formulée après l'échéance du délai imparti en application de l'article 9
alinéa 1er chiffre 2 LTB (art. 35 CPC, applicable par renvoi des art.
15 LTB et 347 CPC). Les actes déposés hors délai doivent être écartés du
dossier (JT 1981 III 40). De même, la maxime inquisitoriale sociale ne
lui impose pas de se substituer à la partie et d'entreprendre d'office,
malgré la tardiveté de la réquisition, une instruction complémentaire
(Ducret et cts, op. cit., n. 7 ad art. 9 LTB, p. 110). Si des
réquisitions formées après l'échéance du délai fixé par le juge pour
procéder doivent être considérées comme tardives, la production de pièce
hors délai, et même à l'audience, demeure admissible (Ducret et cts,
op. cit., n. 8 ad art. 9 LTB, p. 110). Toutefois, le juge doit
interroger les parties et les informer de leur devoir de collaboration
et de production de pièces ; il n'est pas tenu de s'assurer que leurs
allégations et offres de preuves sont complètes, sauf s'il a des motifs
objectifs d'éprouver des doutes sur ce point (Ducret et cts, op. cit.,
n. 6a ad art. 11 LTB, p. 120).
bb) En l'espèce, le président de céans
a imparti aux demandeurs par courrier du 22 décembre 2008 un délai au
26 janvier 2009 pour préciser le critère de détermination de loyer dont
ils se prévalent, afin de fixer le cadre des débats judiciaires. Ceux-ci
ont indiqué par courrier du 23 janvier 2009 qu'ils invoquaient le
critère des loyers de la localité ou du quartier. Puis, par citation à
comparaître du 23 mars 2009, un délai au 20 avril 2009 a été fixé aux
demandeurs pour formuler toutes réquisitions utiles, notamment requérir
la production de pièces. Or, ce n'est que le 27 mai 2009, soit après
l'échéance du délai précité, que le nouveau conseil des demandeurs a
modifié le critère de détermination de loyer précédemment invoqué au
profit de celui du rendement net et requis en conséquence la production
de nouvelles pièces nécessaires.
Dans le cas présent, il ne faut pas
perdre de vue que la modification du critère de détermination du loyer
initial par les demandeurs a fait naître de nouvelles questions
complexes traitées dans les considérants qui suivent, telles notamment
le principe de l'immutabilité des motifs invoqués par les parties et de
ses conséquences, ainsi que la hiérarchie des critères d'examen du loyer
initial (notamment la question de savoir si le critère des loyers de la
localité ou du quartier peut néanmoins être appliqué compte tenu de la
date d'acquisition de l'immeuble en cause).
Or, le juge instructeur,
soit le Président du Tribunal des baux, doit veiller, notamment lorsque
les parties n'ont pas renoncé à la présence des assesseurs dans la
composition de l'instance de jugement, à ne pas entraver la marge
d'appréciation et le pouvoir de décision de celle-ci, par les mesures
d'instruction. Ainsi, si la référence par les demandeurs au nouveau
critère de détermination de loyer, selon leur courrier du 27 mai 2009,
avait été écartée au cours de l'instruction préliminaire, au motif
qu'elle était tardive, la cour de céans aurait été privée de son pouvoir
de statuer sur le principe de l'immutabilité des motifs invoqués par
les parties et de ses conséquences, ainsi que sur la hiérarchie des
critères d'examen du loyer. En outre, les exploits de production des 2
et 17 juin 2009 étaient objectivement nécessaires pour écarter tout
doute sur le caractère incomplet des offres de preuves des demandeurs,
le dossier étant manifestement insuffisant pour prendre en compte le
critère du rendement net. Enfin, le principe de célérité et le fait que
le Tribunal des baux tient en principe une seule audience d'instruction
et de jugement commande que celui-ci dispose rapidement de tous les
éléments nécessaires pour statuer et que la multiplication des audiences
d'instruction soit évitée.
Cela étant, cette question, comme le démontrent les considérants qui suivent, n'a pas d'incidence sur l'issue du procès.
3a. S'agissant de la délimitation du cadre des débats judiciaires, il
convient de rappeler préalablement que les motifs de majoration
invoqués par le bailleur dans le cadre de l'article 270 CO le lient
lui-même, mais ne limitent pas les moyens de contestation du locataire
(Ch. rec., S. c. C. M. S. et M. S., 1er octobre 2008, n°439/l, consid. 4
bb), p. 11; Fetter, La contestation du loyer initial, thèse Berne,
2005, n°467, p. 215; Weber, Basler Kommentar, 4ème ed., 2007, n. 8 ad
art. 270 CO, p. 1537; Lachat, Le bail à loyer, 2ème éd., 2008, p. 394,
Higi, Zürcher Kommentar, 1998, n. 80 ad art. 270 CO, p. 489).
Il
s'ensuit qu'il appartient au seul locataire de délimiter le cadre
judiciaire de l'action en contestation du loyer initial sans pour autant
que celui-ci soit lié par les motifs indiqués sur la formule officielle
ou que ceux-ci soient seuls déterminants (Ch. rec., S. c. C. M. S. et
M. S., 1er octobre 2008, n°439/l, consid. 5 p. 15 ;Fetter, op. cit., n°
472, p. 216; Lachat, op. cit., p. 394). Toutefois, en vertu du principe
de l'immutabilité des motifs invoqués par les parties, le locataire ne
peut faire valoir de nouveaux motifs une fois qu'il a délimité le cadre
de sa contestation devant l'autorité judiciaire et reste lié par les
motifs invoqués en début de procédure (Ch. rec., S. c. C. M. S. et M.
S., 1er octobre 2008, n°439/l, consid. 5 p. 15; Fetter, op. cit., n°
473, p. 217 et n° 489 p. 224). La maxime inquisitoire sociale de
l'article 274d alinéa 3 CO (sur cette maxime, cf. Ducret et cts, op.
cit., nos 3 ss ad art. 11 LTB, pp. 118 ss) ne permet pas au juge de
s'écarter du cadre des débats judiciaires définis par le locataire (Ch.
rec., S. c. C. M. S. et M. S., 1er octobre 2008, n° 439/l, consid. 5 p.
15).
b) En l'espèce, interpellés par le président de céans le 22
décembre 2008 afin de fixer le cadre des débats judiciaires, les
demandeurs ont clairement précisé, par courrier de leur conseil du 23
janvier 2009, qu'ils contestaient l'augmentation du loyer initial en
cause selon les loyers usuels de la localité ou du quartier. Dès lors,
les demandeurs n'étaient pas fondés à modifier, par courrier du 27 mai
2009, les motifs de la contestation du loyer initial et à faire examiner
le loyer en cause selon le critère du rendement net. Certes, comme le
relèvent les demandeurs, ce dernier critère est de manière générale
prédominant et les conditions jurisprudentielles d'un renversement de la
hiérarchie des critères d'examen du loyer en ce sens que le critère des
loyers usuels du quartier soit préféré au critère du rendement net ne
sont pas remplies en l'espèce. En effet, l'immeuble en cause a été
acquis récemment, soit le 31 janvier 2007, par le défenderesse dans un
cadre successoral (cf. sur ces questions : Fetter, op. cit., n. 458 p.
210 et les références citées). Toutefois, ces considérations ne sont
d'aucun secours aux demandeurs. En effet, la hiérarchie des critères a
seulement pour conséquence que le bailleur ne peut pas s'opposer à
l'examen du loyer initial selon le critère du rendement net requis par
le locataire, lorsque l'immeuble a été acquis récemment, et ce, quand
bien même le bailleur a mentionné le critère des loyers usuels du
quartier sur la formule officielle. De même, le locataire ne pourra pas
s'opposer à un examen du loyer initial selon le critère des loyers
usuels du quartier invoqué par le bailleur sur la formule officielle
lorsque l'immeuble a été acquis il y a plusieurs décennies. En revanche,
rien ne s'oppose à ce que le locataire requiert, pour examiner le loyer
initial, l'application du critère des loyers usuels de la localité ou
du quartier alors qu'il s'agit d'un immeuble acquis récemment,
notamment, lorsque, comme en l'espèce, c'est le motif invoqué par le
bailleur sur la formule officielle. Le juge ne saurait dans pareille
hypothèse intervenir d'office et appliquer le critère prédominant du
rendement net. Il doit s'en tenir au critère invoqué par le locataire en
début de procédure et par lequel il est tenu pour toute la durée de la
procédure (cf. sur ces questions : Fetter, op. cit., nos 484 pp. 222 ss
et les références citées; Lachat, op. cit., p. 535 et p. 537).