Contestation du loyer initial
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
12.02.2001
Résumé
Admettre que la pénurie de logements suffit à engendrer une situation de contrainte pour le locataire, sans que celui-ci n‘ait recherché sérieusement un autre logement, reviendrait à permettre une remise en cause systématique des baux conclus du seul fait d‘une circonstance, la pénurie de logements, dont le bailleur n‘est pas responsable et sans que l‘on sache si celle-ci a affecté le locataire, ce qui n‘est certainement pas le but poursuivi par le législateur en autorisant la contestation du loyer initial qui porte déjà une atteinte importante au principe fondamental du droit des contrats.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat de bail signé le 1er septembre
1998 et portant sur la location d‘un appartement de 5 pièces sis à G.
pour le loyer annuel de fr. 22‘800.-, charges non comprises,
correspondant au loyer payé par le précédent locataire.
Par requête
du 21 octobre 1998, déclarée non conciliée à l‘audience de la Commission
de conciliation en matière de baux et loyers du 3 décembre 1998 et
portée devant le Tribunal des baux et loyers le 8 décembre 1998, les
locataires ont contesté le loyer initial, qu‘ils considéraient abusif.
Ils ont invoqué une situation de contrainte avant la signature du bail,
la pénurie de logements de 5 pièces, le mauvais état de l‘appartement et
sa situation bruyante et sollicité que leur loyer soit ramené à fr.
15‘000.- par an.
Par jugement du 8 juin 2000, le Tribunal a rejeté la
demande en contestation de loyer initial, aux motifs que les locataires
n‘avaient pas été contraints de conclure ledit contrat de bail à loyer.
Les premiers juges ont retenu que l‘état du précédent logement des
locataires ne suffisait pas à justifier la contrainte personnelle ou
familiale au sens de l‘art. 270 al. 1 CO: les locataires avaient vécu de
nombreuses années dans un appartement et un immeuble sans confort et
aucune contrainte ne les avait poussés à conclure le bail litigieux si
ce n‘est le "désir légitime" d‘un appartement plus vaste et plus
confortable.
S‘agissant de la pénurie d‘appartement de 5 pièces
invoquée par les locataires, le Tribunal a considéré que, nonobstant
l‘arrêté du Conseil d‘Etat du 23 mars 1999 déclarant frappé par la
pénurie les logements de 5 pièces, les enquêtes avaient montré qu‘entre
juin et août 1998, la seule régie N. offrait à la location une
quarantaine de 5 pièces pour un loyer oscillant entre fr. 1‘400.- et fr.
2‘700.-, de sorte que la situation financière "relativement aisée" des
locataires leur permettait d‘avoir accès à un choix passablement plus
vaste de logements de 5 pièces en loyer libre, s‘ils s‘étaient donné la
peine d‘effectuer des recherches sérieuses et suivies, ceci d‘autant
plus que leur situation (possession d‘une voiture, absence d‘activité
lucrative de l‘épouse, absence de contrainte scolaire pour leur enfant
en bas âge) leur permettait d‘étendre leurs recherches à l‘ensemble du
canton. Les juges de première instance ont ainsi relevé que les
locataires n‘avaient pas prouvé avoir procédé à des recherches, et avoir
rencontré des difficultés à cet égard, la contrainte qu‘ils alléguaient
en raison de la situation sur le marché du logement ne pouvait pas être
retenue.
Considérations
2.a) L‘art. 270 al. 1 CO – qui reprend, en le complétant, le texte de
l‘ancien art. 17 AMSL ("si la situation difficile dans laquelle il [le
locataire] se trouve l‘a contraint à conclure le bail") – stipule que le
locataire qui estime le montant de son loyer initial abusif, peut le
contester et en demander la diminution s‘il a été contraint de conclure
le bail par nécessité personnelle ou familiale ou en raison de la
situation sur le marché local du logement et des locaux commerciaux
(lit. a), ou si le bailleur a sensiblement augmenté le loyer initial
pour la même chose par rapport au précédent loyer (lit. b).
En
l‘espèce, le loyer des époux M. étant identique à celui payé par leur
prédécesseur, il convient d‘examiner uniquement si les appelants ont été
contraints ou non de conclure le bail par nécessité personnelle ou
familiale ou en raison de la situation sur le marché local du logement.
b) Sous
l‘empire de l‘art. 17 AMSL précité, le Tribunal fédéral admettait comme
suffisant que "le locataire ait de bonnes raisons de changer de
logement et que l‘on ne puisse attendre de lui qu‘il renonce à une
occasion qui se présente, et cela parce que la situation du marché, ou
encore ses difficultés personnelles étaient telles qu‘une renonciation
de sa part aurait été déraisonnable. Pour juger si les conditions de la
situation difficile du locataire et de la contrainte qui en résultait
étaient réalisées, il fallait tenir compte de l‘ensemble des
circonstances du cas particulier" (ATF 114 II 77-78 consid. c et les
références).
Dans un arrêt ultérieur non publié, rendu le 9 juillet
1991 (cité dans les Cahiers du Bail, 1992, No 1 p. 12), le Tribunal
fédéral, en se référant à l‘ATF 114 précité, a expressément précisé
qu‘outre la situation de pénurie ou les difficultés personnelles, l‘art.
17 AMSL exigeait un rapport de causalité entre l‘une ou l‘autre de ces
circonstances et la conclusion du bail; en d‘autres termes, la situation
de contrainte engendrée par la pénurie ou les difficultés personnelles
devait faire apparaître déraisonnable une renonciation à conclure le
contrat litigieux.
Par ailleurs, dans ce même arrêt, la Haute Cour a
renvoyé la cause à la juridiction cantonale, aux motifs que la décision
attaquée n‘examinait pas, notamment, si la situation dans laquelle se
trouvait la recourante lui laissait la faculté d‘attendre une occasion
correspondant mieux à ses besoins et, surtout à sa capacité financière,
la décision entreprise empêchant de statuer en toute connaissance de
cause sur ce point, en particulier, ne révélant rien sur d‘éventuelles
autres démarches (que celle consistant, en l‘occurrence, à aller vivre
chez ses parents) entreprises par l‘intéressée pour se loger, ni sur la
question de savoir si le loyer litigieux se tenait dans l‘ordre de
grandeur indiqué par la locataire au représentant du bailleur.
Les conditions d‘application de l‘art. 270 al. 1 CO sont controversées en doctrine.
Lachat
(Le bail à loyer, 1997, p. 260) considère que la contrainte est
réalisée du seul fait de l‘existence d‘une pénurie de logements ou
lorsque les difficultés du locataire constituent une bonne raison de
changer de logement sans que l‘on puisse attendre de lui qu‘il renonce à
l‘occasion qui se présente. Il n‘est pas nécessaire que le locataire se
trouve dans une situation comparable à celle qui lui permet de demander
une (seconde) prolongation de bail.
Pour l‘Union suisse des
professionnels de l‘immobilier, la notion de contrainte doit, au
contraire, être interprétée restrictivement, en ce sens que le
locataire, au vu de la situation sur le marché immobilier local ou de sa
situation personnelle ou familiale, ne doit pas avoir eu
raisonnablement d‘autre choix que de conclure le bail litigieux et qu‘un
autre comportement devrait être qualifié de déraisonnable. La pénurie
de logements, doit, par ailleurs, affecter personnellement le locataire
qui s‘en prévaut, et il appartient à ce dernier de fournir les preuves
circonstanciées des recherches qu‘il a entreprises pour trouver un
appartement approprié (USPI, Droit suisse du bail à loyer, Commentaire,
1992, p. 520; SVIT, Kommentar Mietrecht II, 1998, ad art. 270 CO, no
10).
Quant à Higi (Commentaire zurichois, ad art. 270 CO no 42 ss),
il estime que le locataire doit avoir de bonnes raisons de changer de
logement, mais aussi se trouver dans une certaine urgence (objective) de
conclure le bail litigieux.
Dans un arrêt rendu le 19 octobre 1999,
la Cour d‘appel du Tribunal cantonal du canton de Fribourg s‘est ralliée
à ce dernier point de vue (arrêt cité dans les Cahiers du Bail, 2000,
no 1 p. 26).
Enfin, il résulte clairement du texte de l‘art. 270 al. 1
CO, qu‘il incombe au locataire de prouver tant l‘existence de
circonstances personnelles, familiales ou liées au marché du logement
(en ce domaine, toutefois, uniquement si la pénurie n‘est pas notoire)
l‘ayant contraint à conclure le bail, que le rapport de causalité entre
ces circonstances et la conclusion du contrat.
c) Admettre que la
pénurie de logements suffit à elle seule à engendrer une situation de
contrainte pour le locataire, sans que celui-ci n‘ait préalablement
procédé à la moindre recherche de logements, reviendrait à permettre une
remise en cause systématique et quasi automatique de tous les baux
conclus du seul fait d‘une circonstance – la pénurie de logements – dont
le bailleur n‘est pas responsable et sans que l‘on sache si celle-ci a
personnellement affecté le locataire, ce qui n‘est certainement pas le
but poursuivi par l‘art. 270 al. 1 CO qui, en autorisant la contestation
du loyer initial, porte déjà une atteinte importante à un principe
fondamental du droit des contrats ("pacta sunt servanda").
L‘arrêt
non publié du Tribunal fédéral du 9 juillet 1991 va, du reste, dans ce
sens, puisque, mettant sur le même plan les difficultés personnelles du
locataire et la pénurie de logements comme circonstances susceptibles
d‘engendrer une situation de contrainte, il prend en considération, dans
le cadre de l‘examen de la recevabilité de la contestation du loyer
initial du locataire qui invoque des difficultés personnelles, les
démarches que celui-ci entreprend pour se reloger.
Dès lors, pour que
la pénurie de logements l‘ait contraint à signer le contrat dont il
conteste le loyer initial, il faut que le locataire ait effectué
préalablement des recherches d‘un logement adapté à ses besoins et à sa
situation, en particulier financière, et qu‘en raison de la pénurie de
logements de ce type, il n‘en ait pas trouvé, de sorte qu‘il aurait été
déraisonnable de sa part de renoncer à conclure le bail litigieux.
Tel n‘est manifestement pas le cas en l‘espèce.
Si,
sur la base de l‘arrêté du Conseil d‘Etat du 23 mars 1999, fixant les
catégories d‘appartements dans lesquelles sévit une pénurie, on peut
admettre qu‘au moment où les appelants ont commencé à chercher un
logement et signé le bail litigieux il y avait pénurie d‘appartements de
5 pièces, en revanche, force est de constater que les époux M. n‘ont
pas prouvé avoir effectué des recherches de logements adaptés à leurs
besoins et à leur situation et, partant, avoir rencontré des difficultés
à trouver un appartement en raison de ladite pénurie.
A cet égard,
les appelants n‘ont produit aucune pièce et n‘ont pas fourni un seul
exemple concret de recherche d‘un appartement de 5 pièces autre que
celui qu‘ils occupent.
Quant aux témoins entendus sur la question,
ils ont fait des déclarations des plus imprécises dépourvues de valeur
probante et, de surcroît, en contradiction avec les propres affirmations
des époux M. sur la durée des recherches: dans leur requête ces
derniers indiquent, en effet, avoir effectué des recherches pendant 5
mois -–puisqu'ils ont commencé à chercher un appartement au mois d‘avril
1998 et qu‘ils ont signé le bail litigieux le 1er septembre 1998 –
alors que les deux témoins qui se sont prononcés sur ce point ont
indiqué, l‘un, que lesdites recherches avaient eu lieu pendant un an, et
l‘autre qu‘elles s‘étaient étendues sur un an et demi à deux ans.
Dans
ces conditions, force est d‘admettre – sans qu‘il soit nécessaire
d‘examiner si d‘autres critères d‘application de l‘art. 270 al. 1 lit. b
CO sont réunis dans le cas d‘espèce – que c‘est sans violer la loi que
le Tribunal a retenu que les époux M. n‘avaient pas été contraints de
conclure le bail litigieux en raison de la pénurie de logements.
Décision
35/9 - Contestation du loyer initial