Arrêt de la IIème Cour d’appel civil du canton de Fribourg
12.07.2013
Lorsque la hausse de loyer est motivée par "mise à jour du loyer au sens de l'art. 269a let. a et b CO", il y a lieu d'admettre que la bailleresse invoque cumulativement des critères inhérents à l'usage dans la localité et le quartier et des critères inhérents aux coûts, critères qui, invoqués simultanément, sont incompatibles.
Les parties sont liées par un bail à
loyer portant sur la location d'un appartement de 4,5 pièces au 1er
étage d'un immeuble sis à X pour un loyer mensuel net de fr. 1445.–, le
contrat stipulant expressément que les locataires ont un droit
d'utilisation non-exclusive de certaines dépendances.
Un litige est
survenu entre les parties concernant l'utilisation d'un local dénommé
"salle de bricolage No 14". La bailleresse soutient que la salle en
question ne fait pas partie du bail, exigeant dès lors des locataires
soit qu'ils s'acquittent du loyer afférent à ce local, soit qu'ils
évacuent les lieux. Ces derniers, quant à eux, s'y refusent, soutenant
qu'ils l'occupent de bonne foi depuis plus de deux ans, au vu et au su
de tous, y compris de la gérance et que, partant, il fait partie
intégrante du bail.
Le 30 janvier 2012, la bailleresse a saisi la
Commission de conciliation en matière de baux à loyer et a conclu à
l'expulsion des locataires de la "salle de bricolage No 14". Par
décision du 30 octobre 2012, le Président a débouté tant la bailleresse
de sa demande tendant à obtenir l'expulsion des locataires, que ces
derniers de leurs conclusions en contestation de la nullité de l'avis de
fixation du loyer initial et en restitution du trop perçu.
Les locataires ont interjeté recours à l'encontre de cette décision.
4. Dans un dernier moyen, les recourants allèguent, en substance – tout en maintenant que la formule officielle ne leur a jamais été notifiée –, que la formule officielle que figure au dossier ne contient pas les éléments nécessaires imposés par la loi, que la fixation du loyer initial doit ainsi être considérée comme nulle et qu’il incombe dès lors au juge de fixer le montant du loyer admissible. Ils relèvent à cet égard que les motifs précis de la hausse de loyer ne figurent pas sur la formule en question. Ils soutiennent par ailleurs, tout comme en première instance déjà, qu’un bailleur ne peut pas invoquer simultanément plusieurs critères de fixation du loyer initial qui s’excluent l’un l’autre, ce qui serait le cas en l’espèce. Ils estiment en définitive que, sous réserve de l’abus de droit, le premier juge était tenu de constater d’office la nullité du loyer initial.
a) Selon l’art. 269d al. 1 2ème ph. CO, l’avis de majoration du
loyer, avec indication des motifs, doit parvenir au locataire dix jours
au moins avant le début du délai de résiliation et être effectué au
moyen d’une formule agréée par le canton. La loi prescrit donc une forme
écrite qualifiée qui porte non seulement sur le mode, mais aussi sur le
contenu de la communication. Le droit du bail est un domaine juridique
empreint de formalisme, dans lequel il convient de se montrer strict en
matière de respect des prescriptions de forme et ne pas admettre en
principe d’exceptions aux règles édictées dans l’intérêt du locataire.
L’art. 269d CO exige expressément que les motifs de la hausse figurent
dans la formule officielle elle-même ; l’exigence de la forme écrite
qualifiée s’étend par conséquent aussi à la motivation de la majoration.
Les renseignements donnés par un autre moyen peuvent préciser ou servir
à l’interprétation des motifs mentionnés sur l’avis formel mais non
étendre ceux-ci ou remplacer une indication omise. Les motifs figurant
dans l’avis de majoration doivent être eux-mêmes précis (art. 19 al. 1
let. a ch. 4 OBLF). Ils doivent permettre au locataire de saisir la
portée et la justification de la majoration de manière à pouvoir
apprécier en pleine connaissance de cause l’opportunité de la contester
ou non. On peut se référer par analogie sur ce point à la jurisprudence
relative aux exigences de motivation des décisions déduite de l’art. 4
aCst. (ATF 121 III 6, consid. 3a et les références citées).
Les
majorations de loyer sont nulles lorsqu’elles ne sont pas notifiées au
moyen de la formule officielle (art. 269d al. 2 CO). Il en va de même
lorsque les motifs ne sont pas indiqués (art. 269 al. 2 let. b CO) ou
lorsque le contenu de la communication n’est pas suffisamment précis
(ATF 121 III 6, consid. 3b et les références citées ; Commentaire SVIT
du droit du bail 2011, n. 34 ad art. 269d CO). En outre, selon la
jurisprudence, le bailleur ne peut pas invoquer simultanément plusieurs
critères de fixation du loyer initial qui s’excluent l’un l’autre – en
invoquant, par exemple, simultanément des factures liés aux coûts (art.
269, 269a let. b, c, d, et e CO) et des facteurs liés à la situation du
marché (art. 269a let. a CO) –, car le locataire n’est pas à même de
déterminer dans un tel cas de figure le facteur réel de hausse et,
partant de juger de l’opportunité de contester ou non le loyer initial.
La nullité peut au surplus être constatée en tout temps, sauf abus de
droit (Commentaire SVIT du droit du bail 2011, n. 39 ad art. 269d CO et
réf. citées ; CPRA BAIL-MARCHAND, n. 40 ad art. 269d CO et réf. citées ;
CPRA BAIL-DIETSCHY, n. 54, 60 et 81 ad art. 270 CO et réf. citées).
b) En l’espèce, comme cela a été relevé plus haut, lors de la signature du bail, un avis de fixation du loyer initial a été remis aux locataires, circonstanciant, d’une part, le loyer payé par l’ancien locataire et, d’autre part, le (nouveau) loyer contractuel ; les motifs de la hausse n’étaient en revanche pas clairement définis. Dès lors et comme le soutiennent les recourants à juste titre, force est de constater, à la lumière de la doctrine et de la jurisprudence exposées ci-dessus, que les motifs de hausse de loyer contenus dans la formule officielle du 25 mars 2009 ne sont pas suffisamment précis. En effet, sous la rubrique hausse de loyer, les motifs sont laconiquement libellés comme suit : « mise à jour du loyer au sens de l’art 269a alinéa [recte : let.] a + b CO ». Il convient donc d’admettre, avec les recourants, que la bailleresse a invoqué cumulativement des critères inhérents à l’usage dans la localité et le quartier (art. 269a let. a CO) et des critères inhérents aux coûts (art. 269a let. b CO), critères qui, invoqués simultanément, sont incompatibles, comme cela a été souligné plus haut (cf. supra consid. 4 a). Il en résulte que les locataires n’étaient effectivement pas à même de déterminer le facteur réel de la hausse de loyer et, partant, de juger l’opportunité de contester le loyer initial, ce qui en principe entraîne la nullité de la fixation du loyer initial et, par la même occasion, la nullité partielle du bail en application de l’art. 270 al. 2 CO ; il y a lieu de préciser encore que ce vice n’entraîne pas la nullité du contrat de bail en tant que tel, mais influe uniquement sur le montant fixé, le loyer admissible devant alors être fixé par le juge (ATF 124 III 62 consid. 2a p. 64 ; ATF 120 II 341 consid. 5d p. 349). Le vice de forme en question se constate par ailleurs d’office, est originaire et intervient de plein droit, sous réserve de l’abus de droit.