Contestation de loyers abusifs – locaux soumis au contrôle d'une autorité
Base légale
- Art. 253b al. 3 CO
- Art. 269 ss CO
Nom du tribunal
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève
Date
19.04.2010
Résumé
Les mesures mises en place par la LDTR ont en effet comme objectif de conserver, sur le marché locatif cantonal, certains types de locaux d'habitation qui répondent aux besoins de la majorité de la population. En règle générale, le contrôle exercé sur les loyers est relativement schématique, puisqu'il aboutit à la fixation d'un montant maximum, ce qui signifie que le loyer réel, conforme aux art. 269 ss CO, peut lui être inférieur. Il s'ensuit que le juge civil peut exercer ses compétences sans risque de décisions contradictoires.
Exposé des faits
Les parties sont liées, depuis le 19 mai 1987, par un contrat de bail
portant sur un appartement de trois pièces. Le loyer annuel a été fixé,
par avis de majoration du 9 mars 1992, à fr. 6'012.– dès le 1er juillet
1992.
Le 12 juillet 1995, le bailleur a informé les locataires qu'il
avait décidé d'entreprendre d'importants travaux de rénovation et qu'à
la fin de ceux-ci leur loyer annuel serait porté à fr. 9'600.–.
Par
décision du 30 juillet 2004, le Conseiller d'Etat en charge du
Département des constructions a alloué au bailleur un montant de fr.
1'220'184.– à titre de bonus conjoncturel à la rénovation, conformément
aux art. 16 et suivants de la loi sur les démolitions, transformations
et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (ci-après
LDTR). L'octroi du bonus était subordonné à la condition que, durant une
période de trois ans à compter de la fin des travaux, le loyer des
logements n'excède pas celui annoncé par le bailleur.
Par avis
officiel de majoration du 5 mars 2007, le bailleur a déclaré porter le
loyer des locataires à fr. 9'600.–. Les locataires ayant contesté la
hausse de loyer, le bailleur a saisi le Tribunal des baux et loyers,
concluant à la fixation d'un loyer de fr. 9'408.– par an. Il a justifié
la majoration par la plus-value engendrée par les travaux de rénovation
entrepris dans l'immeuble, tout en soutant que les articles 269 et
suivants CO n'étaient pas applicables, vu l'art. 253b al. 3 CO.
Par
jugement du 2 mars 2009, le Tribunal des baux et loyers a fixé le loyer
des locataires à fr. 6'636.– par an. Le bailleur a interjeté appel de ce
jugement.
Considérations
2.2 Selon l'art. 253b al. 3 CO, les dispositions relatives à la \ncontestation des loyers abusifs ne s'appliquent pas aux locaux \nd'habitation en faveur desquels des mesures d'encouragement ont été \nprises par les pouvoirs publics et dont le loyer est soumis au contrôle \nd'une autorité. Les deux conditions dont l'application de cette \ndisposition dépend sont cumulatives.
Dans le jugement attaqué, le \nTribunal des baux et loyers s'est référé à la jurisprudence pour \nconsidérer que les mesures prises par l'autorité administrative en \napplication de la LDTR ne peuvent être qualifiées d'encouragement au \nsens de l'art. 253b al. 2 CO. En outre, les juges ont relevé que les \nhausses de loyer admises par l'administration sous l'angle de la LDTR \ndemeurent, selon le texte même de cette dernière loi, soumises aux \ndispositions de droit fédéral sur le bail à loyer.
Dans un arrêt du 7\n décembre 2009 rendu dans la cause C/24423/2006, la Cour de céans a déjà\n examiné la question soulevée ici. Elle a considéré, en bref, que la \nLDTR poursuivait des buts différents de ceux visés par les dispositions \ndu CO et de l'OBLF, ce qui impliquait également des différences dans les\n méthodes de répercussion sur le loyer de travaux de rénovation. Il \nétait constaté que la LDTR, à la différence des lois de subventionnement\n du logement, ne prévoit aucune voie de réclamation ou de recours \npermettant au locataire de contester, après la réalisation des travaux, \nla hausse agréée. De plus, le contrôle des loyers institué par la LDTR \ndécoulait de la nature des travaux entrepris (transformations, \nchangement d'affectation qualitatif), et non de l'octroi ou non d'une \naide financière de la collectivité. Il était enfin relevé que la LDTR \nprévoyait expressément que les hausses de loyers admises par l'autorité \nadministrative restent soumises aux dispositions du droit fédéral sur le\n bail à loyer (art. 14 al. 3 LDTR). La Cour est dès lors parvenue à la \nconclusion que le bonus prévu par les art. 16 ss LDTR ne constituait pas\n une mesure d'encouragement, dans le sens visé par l'art. 253b al. 3 CO.
2.3 S'il\n n'est pas contestable que la LDTR instaure bel et bien un contrôle sur \nles loyers, comme l'a d'ailleurs explicitement admis le Tribunal fédéral\n dans son arrêt du 13 mars 1997 publié in SJ 1997 p. 495, il ne faut pas\n perdre de vue que ce contrôle, lorsqu'il est mis en place, intervient \nen règle générale au terme d'un calcul selon la méthode relative, et non\n en application de la méthode absolue. L'art. 11 al. 1 LDTR mentionne \nainsi que les travaux après transformations sont déterminés « en \nconsidération de l'ensemble des travaux à effectuer », et en procédant à\n un calcul de répercussion de leur coût sur les loyers en vigueur avant \nles travaux. A ce stade, il est tenu compte du rendement équitable des \ncapitaux investis pour les travaux (art. 11 al. 1 let. a LDTR), de \nl'amortissement calculé en fonction de la durée de vie des installations\n (art. 11 al. 1 let. b LDTR), et des frais d'entretien liés auxdits \ntravaux (art. 11 al. 1 let c LDTR). Il n'est, pour le bailleur, possible\n de faire valoir des critères tirés de la méthode absolue que sous \nl'angle restreint de l'art. 11 al. 1 let. d LDTR.
En l'espèce, c'est \nen application de critères dits relatifs que les loyers après \ntransformations ont été admis par le département compétent. Dans son \nautorisation du 18 janvier 2005, celui-ci a fixé les loyers maximums à \nun montant total annuel, pour les cinq bâtiments concernés de 1'421'970 \nfr. Il est parvenu à ce résultat à l'issue d'un calcul selon la méthode \nrelative, prenant en compte la baisse du taux hypothécaire depuis la \ndernière fixation des loyers et le coût des travaux de transformation.
Il\n découle de ce qui précède qu'aucun contrôle du rendement de la chose \nlouée n'est réalisé par l'autorité administrative. Celle-ci vérifie bien\n le montant des loyers, mais en examinant uniquement la façon dont les \ncoûts de transformation sont répercutés sur l'état locatif préexistant, \nen partant de l'idée que celui-ci ne conduisait à aucun rendement \nexcessif. En l'espèce, l'autorisation délivrée ne fait ainsi mention ni \ndu prix d'achat de l'immeuble (ou de son coût de revient), ni de la \nquotité effective des fonds empruntés et des fonds propres, ni de l'état\n des charges immobilières, ni de la plupart des autres données \nnécessaires à un calcul de rendement (sur les éléments permettant \nd'effectuer un calcul de rendement conforme à l'art. 269 CO : LACHAT, Le\n bail à loyer, Lausanne 2008, p. 428). Il est ainsi possible que les \nloyers fixés en application de la LDTR se révèlent abusifs au regard des\n critères de rendement imposés par le droit civil fédéral, y compris \nlorsque la subvention (« bonus à la rénovation ») prévue par les art. 16\n et suivants LDTR est allouée.
Une telle situation n'est pas conforme\n aux visées de l'art. 253b al. 3 CO, combiné avec l'art 2 al. 2 OBLF. \nCette dernière disposition a en effet pour conséquence, en imposant \nl'application de l'art. 269 CO y compris aux logements dont le loyer est\n contrôlé, que l'autorité administrative chargée dudit contrôle doit \négalement s'assurer, par des moyens appropriés, que le rendement obtenu \nde la chose louée n'est pas excessif. Dans la mesure où, selon \nl'autorisation délivrée pour l'immeuble en cause et les pièces produites\n à ce sujet par les parties, un tel contrôle n'a pas pu s'exercer dans \nle cas d'espèce, il faut en déduire que le contrôle effectué ici n'est \npas celui, plus complet et portant aussi sur le rendement du \npropriétaire d'immeuble, visé par l'art. 253b al. 3 CO. Il n'est ainsi \npas possible d'exclure le logement des intimés du champ d'application \ndes art. 269 à 270e CO.
2.4 Ce qui précède est corroboré par les \nobjectifs de la LDTR, dont le but premier est de conserver les surfaces \nde logement existantes, en particulier celles qui répondent, par leur \ngenre, leur loyer ou leur prix, aux besoins de la majeure partie de la \npopulation (art. 9 al. 2 LDTR). En partant du constat qu'il existe un \nimportant parc de logements répondant aux critères les plus recherchés \n(confort, style, nombre de pièces, loyer, etc…), elle a pour objectif de\n maintenir lesdits logements dans cette catégorie, sans prendre aucune \nmesure pour les réserver à la partie de la population dont les revenus \nsont les plus faibles. Les mesures mises en place par la LDTR afin \nd'atteindre ce but sont multiples (interdiction des changements \nd'affectation, limitation de l'ampleur des transformations et de leur \ncoût, contrôle du mode de répercussion de ces coûts sur l'ensemble des \nloyers, notamment) et s'appliquent à un très grand nombre de bâtiments \nd'habitation (cf. art. 2 LDTR), dans la plupart des cas sans qu'aucune \nsubvention ne soit accordée. Là aussi, le contrôle institué par la LDTR \nse distingue de celui visé à l'art. 253b al. 3 CO, puisque ce dernier \ncontrôle s'inscrit dans un but de politique sociale tendant à protéger \nune certaine catégorie de la population et non à conserver un certain \ntype de logements préexistants (cf. arrêt du Tribunal fédéral du 7 août \n2009, cause 4A_267/2009, consid. 2.2).
Sous cet angle, la LDTR doit \nplutôt être rapprochée de législations qui tendent à maintenir des \nbâtiments d'intérêt historique ou patrimonial, et qui peuvent également,\n dans certaines conditions, faire l'objet d'une forme d'aide financière \nde la part de la collectivité publique, sans que l'art. 253b al. 3 CO \nconduise à exclure l'application de certaines dispositions du Code des \nobligations.
2.5 Comme la jurisprudence l'a déjà observé, la LDTR \nelle-même prévoit expressément que les dispositions du droit fédéral sur\n le bail à loyer demeurent applicables à « toute hausse admise par le \ndépartement » (art. 14 al. 3 LDTR). Sur ce point, le législateur a \nclairement voulu que tous les mécanismes permettant au juge civil de se \nprononcer sur le loyer admissible, à savoir la contestation du loyer \ninitial (art. 270 CO), la contestation d'une augmentation de loyer (art.\n 270b CO), la demande de réduction de loyer (art. 270a CO) et la \ncontestation du loyer indexé (art. 270c CO), restent applicables à tous \nles logements soumis à la LDTR. Sous cet angle également, cette dernière\n législation diffère considérablement du système de logements \nsubventionnés envisagés à l'art. 253b al. 3 CO (cf. arrêt du Tribunal \nfédéral du 7 août 2009, déjà cité, consid. 2.2).
Pour les raisons \nénoncées plus haut, on ne saurait, enfin, considérer que les logements \nsoumis à la LDTR subissent un véritable double contrôle de leurs loyers.\n Les mesures mises en place par la LDTR ont en effet comme objectif de \nconserver, sur le marché locatif cantonal, certains types de locaux \nd'habitation qui répondent, par leur type, leur grandeur, leur niveau de\n confort et leur loyer, notamment, aux besoins de la majorité de la \npopulation. En règle générale, le contrôle exercé sur les loyers est \nrelativement schématique, puisqu'il applique le calcul décrit à l'art. \n11 LDTR, et qu'il aboutit à la fixation d'un montant maximum, ce qui \nsignifie que le loyer réel, conforme aux art. 269 ss CO, peut lui être \ninférieur. Il s'ensuit que le juge civil peut exercer ses compétences \nsans risque de décisions contradictoires. En toute hypothèse, tel est le\n cas lorsque l'autorité judiciaire fixe, en application du droit civil, \nun loyer moins élevé que le maximum arrêté par l'administration, comme \nen l'espèce.
Le Tribunal des baux et loyers n'a dès lors pas violé \nl'art. 253b al. 3 CO en se déclarant compétent pour statuer sur la \ncontestation de loyer des intimés.