Contestation de loyer initial – Appartement de luxe
Base légale
- Art. 253b al. 2 CO
- Art. 270 al. 1 CO
Nom du tribunal
Tribunal des Baux du canton de Vaud
Date
07.09.2006
Résumé
Il est notoire que les bailleurs sont généralement amenés à effectuer des travaux d’entretien ou de rénovation lors de chaque changement de locataire. Dès lors, dénier la recevabilité d’une contestation de loyer au seul motif que le bailleur a entrepris d’importants travaux reviendrait à rendre la loi lettre morte. Une véritable comparaison demeure possible pour autant que l’objet loué ait conservé les mêmes caractéristiques. L’ampleur des investissements nécessaires ne constitue pas un élément déterminant.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer du 20 septembre
2005 portant sur la location d’un appartement de six pièces et demie à
G. Le loyer mensuel a été fixé à fr. 2'200.–, plus fr. 350.– d’acompte
de chauffage, eau chaude et frais accessoires.
Le loyer mensuel net
du précédent locataire s’élevait depuis le 1er juillet 2003 à fr.
1'553.–, plus fr. 205.– d’acompte de chauffage, eau chaude et frais
accessoires et fr. 17.– de téléréseau. La hausse était motivée par
l’adaptation du loyer aux loyers usuels dans la localité ou le quartier
au sens de l’art. 269 a lit. a CO.
Les locataires ont saisi le 24
octobre 2005 la Commission de conciliation en matière de baux à loyer du
district de Nyon d’une requête en contestation du loyer initial,
faisant valoir que le montant du loyer net et de l’acompte de charge
fixés par la bailleresse étaient abusifs. Aucune conciliation n’a été
possible lors de l’audience du 13 décembre 2005.
Les demandeurs ont
ouvert action devant le Tribunal des baux le 10 janvier 2006. Ils ont
conclu notamment à ce que le loyer initial de fr. 2'200.–, ainsi que
l’acompte de charges de fr. 350.– soient déclarés abusifs et que le
loyer soit fixé à fr. 1'553.–, plus acompte de charges de fr. 205.–.
Selon
les pièces présenteés par la bailleresse lors de l’ audience , les
coûts d’assainissement de l’appartement se sont élevés à fr. 24'009.40 ;
elle a par ailleurs indiqué que l’immeuble avait été construit il y a
35 ans environ. Elle a invoqué que l’action en contestation du loyer
initial n’était pas recevable au motif que l’appartement litigieux était
un appartement de luxe au sens de l’art. 253 b al. 2 CO.
Considérations
1 c. La défenderesse est toutefois d’avis que l’action en contestation
des demandeurs fondée sur l’article 270 alinéa 1 CO n’est pas recevable
en l’espèce au motif que l’appartement litigieux est un appartement de
luxe au sens de l’article 253 b alinéa 2 CO en raison de sa surface
(plus de 155 m2) et du nombre de salles d’eau (3) ; à l’en croire, de
tels logements échapperaient à l’application de cette disposition. A
titre subsidiaire, elle fait valoir que la hausse de loyer s’explique
par les importants travaux effectués dans l’appartement lors du
changement de locataire, ce qui ferait également obstacle à la
recevabilité de l’action précitée. Avant d’aller plus loin dans l’examen
du loyer initial, le tribunal de céans doit dès lors déterminer si ces
moyens sont fondés.
S’agissant des travaux entrepris par la
bailleresse, il y a tout d’abord lieu de rappeler que l’article 270
alinéa 1 lettre b CO part de la présomption que toute augmentation
sensible de loyer peut être source d’un abus, qui justifie, à la demande
du locataire, un contrôle de l’autorité judiciaire. En effet, le simple
changement de locataire ne saurait à lui seul expliquer une hausse de
loyer (TF, arrêt 4C.169/2002 précité, cons. 3.2 et réf. cit.). Lorsque
le changement de locataire s’accompagne de modifications de la chose
louée, on pourrait toutefois se demander si cette présomption conserve
toute sa force. Selon le Tribunal fédéral, il faut partir de la loi qui,
à l’instar de l’ancienne réglementation (art. 17 AMSL), tend à limiter
les pratiques chez de nombreux bailleurs de profiter d’un changement de
locataire pour procéder à une augmentation massive du loyer (ibid.). Or
il est notoire que les bailleurs sont généralement amenés, ce qui va
dans l’intérêt d’une meilleure qualité du parc locatif suisse, à
effectuer des travaux d’entretien ou de rénovation (plus ou moins
lourde) lors de chaque changement de locataire. Dès lors, dénier la
recevabilité d’une contestation de loyer au seul motif que le bailleur a
entrepris des travaux dans l’objet proposé en location reviendrait à
rendre la loi lettre morte (ibid.). Selon le Tribunal fédéral, une
véritable comparaison demeure possible pour autant que l’objet loué ait
conservé les mêmes caractéristiques de base que par le passé, notamment
la même surface et le même nombre de pièces (ibid.).
Ainsi, des
transformations ou rénovations d’une certaine ampleur, telles que
l’apport d’un confort accru, une meilleure utilisation de l’espace par
le changement d’affectation des pièces (déplacement de la cuisine dans
une autre pièce et création d’une nouvelle salle d’eau en réduisant la
surface de la salle de bains) ou la transformation d’une pièce
(remplacement des équipements de cuisine ou du revêtement des sols)
n’empêchent pas la comparaison, puisqu’elles ne touchent pas à la
substance même du logement (Sébastien Fetter, La contestation du loyer
initial, Berne, 2005, n° 394 et réf. cit.). Il en va à fortiori de même
des travaux d’entretien usuels (TF, arrêt 4C.169/2002 précité, cons.
3.3). Par ailleurs, l’ampleur des investissements nécessaires à de
telles interventions ne constitue pas à cet égard un élément déterminant
en tant que tel (S. Fetter, op. cit., n° 394 ; TF, arrêt 4 C.169/2002
précité, cons. 3.3).
Or en l’espèce, on ne voit pas en quoi les
travaux entrepris par la bailleresse ont modifié la chose louée. Ils ont
constitué, pour l’essentiel, en des travaux d’entretien qui n’ont
changé ni la surface, ni le nombre de pièces de l’appartement ; la chose
louée est fondamentalement restée la même. Le montant des travaux
(24'009 fr. 40) n’apparaît pas déterminant à cet égard. Les travaux
entrepris ne sont donc pas de nature à faire obstacle à l’application de
l’article 270 alinéa 1 CO.
L’argument de la défenderesse fondé sur
l’article 253 b alinéa 2 CO ne résiste pas non plus à l’examen. Cette
disposition exclut du champ d’application des normes contre les loyers
abusifs (art. 269 à 270 e CO) les appartements et maisons familiales de
luxe comprenant six pièces ou plus (cuisine non comprise). Selon la
doctrine et la jurisprudence, cette définition suppose que deux
conditions cumulatives soient réalisées (TF, arrêt 4C.5/2004 du 16 mars
2004, cons. 4.1 ; ATF 123 III 317 cons. 3 publié in CdB 4/97 p. 112,
113; TBx, jugement PLA 97/92 du 3 mai 1994, cons. I ; TBx, jugement
XA05.011580 du 5 octobre 2005 ; S. Fetter, op. cit., n° 79, p. 38 et
réf. cit., note 184) : de tels logements doivent premièrement comprendre
au moins six pièces destinées à l’habitation proprement dite, catégorie
dont sont notamment exclus cuisines, salles de bains, saunas, cabinets
de toilettes, loggias, caves et terrasses (S. Fetter, op. cit., n° 84 p.
38 et réf. cit., note 185) ; l’habitation doit d’autre part présenter
un caractère luxueux. La notion de luxe s’interprète restrictivement et
suppose la présence d’aménagements raffinés qui dépassent clairement la
mesure habituelle (TF, arrêt 4C.5/2004 précité, cons. 4.2 ; TF, arrêt
4C.40/2001 du 15 juin 2001, cons. 3 ; ATF 123 III 317 précité, in CdB
4/97 p. 112, 113s ; S. Fetter, op. cit., n° 84 p. 38, et réf. cit., note
186). Des éléments comme une piscine, un sauna, une cheminée, plusieurs
salles de bains, une surface totale et des pièces particulièrement
grandes, un jardin spacieux, ou un environnement très protégé ne
suffisent à eux seuls pas à fonder le caractère luxueux. Seule
l’impression générale de l’objet du bail est déterminante (TF, arrêt
4C.5/2004 précité, cons. 4.2 ; TF, arrêt 4C.40/2001 précité, cons. 3 ;
S. Fetter, op. cit., n°79 p. 38, et réf. cit., note 187). Si le nombre
de pièces n’est pas atteint ou si le caractère luxueux fait défaut ou
disparaît, les dispositions sur la protection contre les loyers abusifs
sont pleinement applicables (TF, arrêt 4C.5/2004 précité, cons. 4.2 ; S.
Fetter, op. cit., n° 79 p. 38, et réf. cit., note 187).
Or si en
l’espèce, il est incontestable que l’appartement litigieux dispose au
moins de six pièces destinées à l’habitation, il ne saurait être
qualifié de luxueux au sens de la disposition précitée. A la lumière des
photographies produites par la bailleresse, l’appartement apparaît
certes comme un logement agréable et spacieux, mais il n’offre pas un
confort supérieur à celui présenté par des logements de catégorie
moyenne. Il ne jouit pas d’une luminosité ou d’une vue particulières ;
la cuisine et les salles d’eau ne présentent aucune originalité, leur
équipement apparaissant relativement ordinaire, voire même franchement
démodé en ce qui concerne les meubles et équipement de la cuisine.
Enfin, l’immeuble en lui-même ne présente aucun charme particulier et ne
diffère guère en cela de la plupart des locatifs construits dans les
années 70. L’impression d’ensemble laissée par l’objet remis en location
aux demandeurs reste très en deça de celle d’un logement de luxe au
sens restrictif où cette notion a été définie par la doctrine et la
jurisprudence. Comme déjà mentionné, la surface de l’appartement et le
nombre de salles d’eau sont à eux seuls impropres à fonder une telle
qualification.
En définitive, l’appartement litigieux ne peut
manifestement pas être qualifié de logement de luxe au sens de l’article
253 b alinéa 2 CO. Les dispositions sur la protection contre les loyers
abusifs sont donc applicables à la hausse de loyer attaquée, de sorte
qu’il y a lieu d’examiner le bien-fondé de la contestation déposée par
les demandeurs.
Décision
42/9 - Contestation de loyer initial – Appartement de luxe