Contestation de loyer initial

Base légale

Nom du tribunal

Chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève

Date

11.04.2011

Résumé

Le bailleur qui n’indique aucun motif sur le montant retenu pour le loyer initial ne satisfait pas aux critères légaux. La seule indication du loyer précédent ne permet pas de déceler les bases sur lesquelles le loyer initial a été fixé ; le locataire n’est donc pas informé sur les critères qui ont conduit au montant du loyer initial, faisant que le but de la disposition n’est pas atteint.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer du 12 novembre 2007 portant sur la location d’un appartement de six pièces, ainsi qu’un parking au sous-sol.
Le loyer de l’appartement a été fixé à fr. 3'285.- par mois, celui du garage à fr. 200.-. L’avis de fixation du loyer initial de l’appartement ne mentionne aucune indication sous la rubrique « Motifs précis des prétentions ci-dessus ». Il relate le dernier loyer annuel de fr. 39'420.- dès le 1er juin 2006 du précédent locataire, sans le nommer.
Au mois de mars 2008, la bailleresse a notifié aux locataires une majoration de leur loyer destinée à le porter à fr. 42'012.- à compter du 1er mai 2009 aux motifs de la variation du taux hypothécaire de 3% à 3,5% représentant fr. 197.10, la compensation de renchérissement représentant fr. 19.35 avec une réserve d’adaptation de 1%.
Par requête du 23 janvier 2009, déclarée non-conciliée à l’audience du 26 juin 2009, les locataires ont conclu notamment à ce qu’il soit ordonné à la bailleresse de procéder à un calcul de rendement au 16 décembre 2007, à la fixation du loyer initial à fr. 27'594.- par année, charges non comprises, à compter du 16 décembre 2007 pour l’appartement et à fr. 1'680.- par année, dès la même date, pour le parking. Ils estiment que l’avis de fixation du loyer initial est nul pour ne pas mentionner le nom de l’ancien locataire, ni le motif fondant le loyer de départ.
Par jugement du 22 avril 2010, le Tribunal des baux et loyers a fixé à fr. 30'516.-, charges non comprises, dès le 16 décembre 2007 le loyer de l’appartement litigieux et à fr. 1'860.-, dès la même date, le loyer du parking. La bailleresse a interjeté en temps utile appel de ce jugement.

Considérations

2a. Selon l’art. 270 CO, lorsque le locataire estime que le montant du loyer initial est abusif au sens des art. 269 et 269a CO, il peut le contester devant l’autorité de conciliation dans les trente jours qui suivent la réception de la chose et en demander la diminution, notamment s’il a été contraint de conclure le bail par nécessité personnelle ou familiale, ou en raison de la situation sur le marché local du logement et des locaux commerciaux.
Le but de l’art. 270 CO n’est pas de vérifier si une éventuelle augmentation par rapport à l’ancien loyer est abusive, mais si le loyer en tant que tel excède la norme, afin d’éviter qu’un abus ne se perpétue au-delà du changement de locataire (CdB 2/06, p. 64, consid. d/aa).
C’est dire que la bailleresse ne peut être suivie lorsqu’elle prétend être dispensée du devoir de motiver le loyer initial, inchangé par rapport au précédent.
Même s’il n’a pas contesté à temps le loyer initial, le locataire peut se plaindre en tout temps d’une informalité dans la notification de la formule officielle, sous réserve de l’abus de droit (LACHAT, Le bail à loyer, Lausanne 2008, p. 398 et les réf. citées).
b. L’appelante estime que les locataires ne peuvent remettre en cause le loyer initiale pour n’avoir pas formulé leur contestation dans le délai légal de trente jours, en se référant à une ancienne jurisprudence posée par la Cour de céans le 22 avril 1996 (ACJC/352/1996), confirmée par les ACJ nos 565/2002 et 566/2002 du 12 mai 2002 ; dans l’arrêt no 565, la Cour avait estimé que le locataire qui, après avoir reçu la notification du loyer initial sur une formule officielle dont la motivation était absente, avait payé le loyer initial pendant des années sans émettre la moindre réserve, n’était plus recevable à contester, le défaut de contestation ayant un effet correcteur à peine de créer une insécurité juridique inacceptable et disproportionnée ; au surplus, le locataire commettait un abus de droit en ignorant l’accord intervenu sur le loyer.
L’art. 269d al. 2 let. b CO prescrit que les majorations de loyer sont nulles lorsque les motifs ne sont pas indiqués ; l’art. 19 al. l let. a, ch. 4 OBLF dispose que la formule destinée à communiquer la hausse de loyer au locataire doit contenir les motifs précis de cette hausse et que lorsque la hausse repose sur plusieurs motifs, les montants correspondant à chacun d’eux sont à détailler. La même disposition instaure en son al. 3 l’application analogique de la règle qui vient d’être citée lorsque les cantons redent obligatoire, au sens de l’article 270, deuxième alinéa, du Code des obligations, l’utilisation de la formule lors de la conclusion d’un nouveau contrat de bail.
En d’autres termes, la législation impose les mêmes exigences de motivation en matière de hausse de loyer que pour la notification du loyer initial, les motifs de hausse devant impérativement figurer sur la formule officielle (ATF 120 II 206, consid. 3a ; ATF 118 II 130, consid. 2b etc).
La ratio de cette disposition est de permettre au locataire de connaître les critères appliqués par le bailleur, celui-ci étant lié par les motifs invoqués dans le formulaire officiel et ne pouvant se prévaloir d’autres facteurs par la suite (ATF 121 III 364, c.4b, DB 1996, no 19).
Les motifs de la majoration de loyer ou de la fixation du loyer initial s’entendent au regard des critères posés par l’art. 269 et 269a CO, désignés communément en critères dit absolus ou relatifs, visés dans ces deux dispositions, soit un rendement des fonds investis dans la chose louée (art. 269 CO), soit un loyer correspondant à ceux usuels dans le quartier (art. 269a let. a) ou justifié par des hausses de coûts ou par des prestations supplémentaires du bailleur (art. 269a let. b CO) ; le loyer admissible se situe, lorsqu’il s’agit de constructions récentes, dans les limites du rendement brut permettant de couvrir les frais (art. 269a let. c CO), ne sert qu’à compenser une réduction du loyer accordée antérieurement grâce au report partiel des frais usuels de financement et est fixé dans un plan de paiement connu du locataire à l’avance (art. 269a let. d CO), ne compense que le renchérissement pour le capital exposé aux risques (art. 269a let. de CO), n’excède pas les limites recommandées dans les contrats-cadres conclus entre les associations de bailleurs et de locataires ou les organisations qui défendent des intérêts semblables (art. 269a let. f CO).
L’appelante, qui n’a indiqué aucun motif sur le montant retenu pour le loyer initial, n’a pas satisfait aux critères légaux susmentionnés et ne permet pas au locataire de connaître les principes fondant le montant litigieux. La seule indication du loyer précédent, en l’occurrence en vigueur depuis le 1er juin 2006, ne permet pas de déceler les bases sur lesquelles le loyer initial a été fixé ; le locataire n’est donc pas informé sur les critères qui ont conduit au montant du loyer initial, faisant que le but de la disposition n’était pas atteint. Les premiers juges n’ont donc pas violé la loi en estimant que, faute de motivation, il en découlait la nullité du loyer initial (cf. également BOHNET/MONTINI, Droit du bail à loyer, éd. 2010, p. 958 no 59 et p. 967 no 81, ad art. 270 CO).
c. Dans la présente cause, la bailleresse ne fait pas état d’un quelconque abus de droit que commettraient les locataires à l’occasion de leur contestation du loyer initial, ni devant les premiers juges, ni devant la Cour de céans qui, pour sa part, ne discerne aucun abus de droit en l’espèce, contrairement aux principes posés par la Cour de céans dans l’arrêt no 565 du 13.05.2002. Au surplus, il sera rappelé que dans une jurisprudence postérieure, le Tribunal fédéral a observé que le fait de payer sans discuter pendant une vingtaine de mois un loyer surévalué par rapport aux critères contenus aux art. 269 ss CO et de s’inquiéter de cette situation à l’occasion d’un avis d’augmentation ne saurait, à lui seul, faire admettre que les locataires commettent un abus de droit en invoquant la nullité de la fixation du loyer initial (SJ 2006, p. 20, cons. 3.2). C’est donc à bon droit que le Tribunal n’a pas fait application de l’art. 2 al. CC, d’autant que l’abus de droit doit être manifeste pour être retenu.

Décision

51/7 - Contestation de loyer initial

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