Contestation de loyer initial
Base légale
- Art. 269d al. 2 let. b CO
- Art. 270 CO
Nom du tribunal
Chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
11.04.2011
Résumé
Le bailleur qui n’indique aucun motif sur le montant retenu pour le loyer initial ne satisfait pas aux critères légaux. La seule indication du loyer précédent ne permet pas de déceler les bases sur lesquelles le loyer initial a été fixé ; le locataire n’est donc pas informé sur les critères qui ont conduit au montant du loyer initial, faisant que le but de la disposition n’est pas atteint.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer du 12 novembre
2007 portant sur la location d’un appartement de six pièces, ainsi qu’un
parking au sous-sol.
Le loyer de l’appartement a été fixé à fr.
3'285.- par mois, celui du garage à fr. 200.-. L’avis de fixation du
loyer initial de l’appartement ne mentionne aucune indication sous la
rubrique « Motifs précis des prétentions ci-dessus ». Il relate le
dernier loyer annuel de fr. 39'420.- dès le 1er juin 2006 du précédent
locataire, sans le nommer.
Au mois de mars 2008, la bailleresse a
notifié aux locataires une majoration de leur loyer destinée à le porter
à fr. 42'012.- à compter du 1er mai 2009 aux motifs de la variation du
taux hypothécaire de 3% à 3,5% représentant fr. 197.10, la compensation
de renchérissement représentant fr. 19.35 avec une réserve d’adaptation
de 1%.
Par requête du 23 janvier 2009, déclarée non-conciliée à
l’audience du 26 juin 2009, les locataires ont conclu notamment à ce
qu’il soit ordonné à la bailleresse de procéder à un calcul de rendement
au 16 décembre 2007, à la fixation du loyer initial à fr. 27'594.- par
année, charges non comprises, à compter du 16 décembre 2007 pour
l’appartement et à fr. 1'680.- par année, dès la même date, pour le
parking. Ils estiment que l’avis de fixation du loyer initial est nul
pour ne pas mentionner le nom de l’ancien locataire, ni le motif fondant
le loyer de départ.
Par jugement du 22 avril 2010, le Tribunal des
baux et loyers a fixé à fr. 30'516.-, charges non comprises, dès le 16
décembre 2007 le loyer de l’appartement litigieux et à fr. 1'860.-, dès
la même date, le loyer du parking. La bailleresse a interjeté en temps
utile appel de ce jugement.
Considérations
2a. Selon l’art. 270 CO, lorsque le locataire estime que le montant du
loyer initial est abusif au sens des art. 269 et 269a CO, il peut le
contester devant l’autorité de conciliation dans les trente jours qui
suivent la réception de la chose et en demander la diminution, notamment
s’il a été contraint de conclure le bail par nécessité personnelle ou
familiale, ou en raison de la situation sur le marché local du logement
et des locaux commerciaux.
Le but de l’art. 270 CO n’est pas de
vérifier si une éventuelle augmentation par rapport à l’ancien loyer est
abusive, mais si le loyer en tant que tel excède la norme, afin
d’éviter qu’un abus ne se perpétue au-delà du changement de locataire
(CdB 2/06, p. 64, consid. d/aa).
C’est dire que la bailleresse ne
peut être suivie lorsqu’elle prétend être dispensée du devoir de motiver
le loyer initial, inchangé par rapport au précédent.
Même s’il n’a
pas contesté à temps le loyer initial, le locataire peut se plaindre en
tout temps d’une informalité dans la notification de la formule
officielle, sous réserve de l’abus de droit (LACHAT, Le bail à loyer,
Lausanne 2008, p. 398 et les réf. citées).
b. L’appelante estime que
les locataires ne peuvent remettre en cause le loyer initiale pour
n’avoir pas formulé leur contestation dans le délai légal de trente
jours, en se référant à une ancienne jurisprudence posée par la Cour de
céans le 22 avril 1996 (ACJC/352/1996), confirmée par les ACJ nos
565/2002 et 566/2002 du 12 mai 2002 ; dans l’arrêt no 565, la Cour avait
estimé que le locataire qui, après avoir reçu la notification du loyer
initial sur une formule officielle dont la motivation était absente,
avait payé le loyer initial pendant des années sans émettre la moindre
réserve, n’était plus recevable à contester, le défaut de contestation
ayant un effet correcteur à peine de créer une insécurité juridique
inacceptable et disproportionnée ; au surplus, le locataire commettait
un abus de droit en ignorant l’accord intervenu sur le loyer.
L’art.
269d al. 2 let. b CO prescrit que les majorations de loyer sont nulles
lorsque les motifs ne sont pas indiqués ; l’art. 19 al. l let. a, ch. 4
OBLF dispose que la formule destinée à communiquer la hausse de loyer au
locataire doit contenir les motifs précis de cette hausse et que
lorsque la hausse repose sur plusieurs motifs, les montants
correspondant à chacun d’eux sont à détailler. La même disposition
instaure en son al. 3 l’application analogique de la règle qui vient
d’être citée lorsque les cantons redent obligatoire, au sens de
l’article 270, deuxième alinéa, du Code des obligations, l’utilisation
de la formule lors de la conclusion d’un nouveau contrat de bail.
En
d’autres termes, la législation impose les mêmes exigences de
motivation en matière de hausse de loyer que pour la notification du
loyer initial, les motifs de hausse devant impérativement figurer sur la
formule officielle (ATF 120 II 206, consid. 3a ; ATF 118 II 130,
consid. 2b etc).
La ratio de cette disposition est de permettre au
locataire de connaître les critères appliqués par le bailleur, celui-ci
étant lié par les motifs invoqués dans le formulaire officiel et ne
pouvant se prévaloir d’autres facteurs par la suite (ATF 121 III 364,
c.4b, DB 1996, no 19).
Les motifs de la majoration de loyer ou de la
fixation du loyer initial s’entendent au regard des critères posés par
l’art. 269 et 269a CO, désignés communément en critères dit absolus ou
relatifs, visés dans ces deux dispositions, soit un rendement des fonds
investis dans la chose louée (art. 269 CO), soit un loyer correspondant à
ceux usuels dans le quartier (art. 269a let. a) ou justifié par des
hausses de coûts ou par des prestations supplémentaires du bailleur
(art. 269a let. b CO) ; le loyer admissible se situe, lorsqu’il s’agit
de constructions récentes, dans les limites du rendement brut permettant
de couvrir les frais (art. 269a let. c CO), ne sert qu’à compenser une
réduction du loyer accordée antérieurement grâce au report partiel des
frais usuels de financement et est fixé dans un plan de paiement connu
du locataire à l’avance (art. 269a let. d CO), ne compense que le
renchérissement pour le capital exposé aux risques (art. 269a let. de
CO), n’excède pas les limites recommandées dans les contrats-cadres
conclus entre les associations de bailleurs et de locataires ou les
organisations qui défendent des intérêts semblables (art. 269a let. f
CO).
L’appelante, qui n’a indiqué aucun motif sur le montant retenu
pour le loyer initial, n’a pas satisfait aux critères légaux
susmentionnés et ne permet pas au locataire de connaître les principes
fondant le montant litigieux. La seule indication du loyer précédent, en
l’occurrence en vigueur depuis le 1er juin 2006, ne permet pas de
déceler les bases sur lesquelles le loyer initial a été fixé ; le
locataire n’est donc pas informé sur les critères qui ont conduit au
montant du loyer initial, faisant que le but de la disposition n’était
pas atteint. Les premiers juges n’ont donc pas violé la loi en estimant
que, faute de motivation, il en découlait la nullité du loyer initial
(cf. également BOHNET/MONTINI, Droit du bail à loyer, éd. 2010, p. 958
no 59 et p. 967 no 81, ad art. 270 CO).
c. Dans la présente cause, la
bailleresse ne fait pas état d’un quelconque abus de droit que
commettraient les locataires à l’occasion de leur contestation du loyer
initial, ni devant les premiers juges, ni devant la Cour de céans qui,
pour sa part, ne discerne aucun abus de droit en l’espèce, contrairement
aux principes posés par la Cour de céans dans l’arrêt no 565 du
13.05.2002. Au surplus, il sera rappelé que dans une jurisprudence
postérieure, le Tribunal fédéral a observé que le fait de payer sans
discuter pendant une vingtaine de mois un loyer surévalué par rapport
aux critères contenus aux art. 269 ss CO et de s’inquiéter de cette
situation à l’occasion d’un avis d’augmentation ne saurait, à lui seul,
faire admettre que les locataires commettent un abus de droit en
invoquant la nullité de la fixation du loyer initial (SJ 2006, p. 20,
cons. 3.2). C’est donc à bon droit que le Tribunal n’a pas fait
application de l’art. 2 al. CC, d’autant que l’abus de droit doit être
manifeste pour être retenu.
Décision
51/7 - Contestation de loyer initial