Contestation de hausse de loyer
Base légale
- Art. 269 ss CO
- Art. 19 OBLF
Nom du tribunal
Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève
Date
14.03.2011
Résumé
Les facteurs absolus ne peuvent pas être cumulés aves les facteurs relatifs. Prétendre que l’augmentation notifiée se justifie par l’indexation pour fr. 182.- et par les travaux réalisés dans l’immeuble et l’appartement, ainsi que la comparaison des loyers des appartements comparables loués dans l’immeuble et des loyers selon statistiques cantonales pour fr. 168.-, revient à invoquer tant l’adaptation aux loyers usuels que la hausse des coûts et des prestations supplémentaires du bailleur, ainsi que le maintien du pouvoir d’achat du capital exposé aux risques, soit des critères incompatibles entre eux.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat de bail portant sur la location
d’un appartement de 4,5 pièces. Le bail a pris effet le 1er novembre
1986, le loyer annuel s’élevant à fr. 7’620.-. Le loyer a été porté de
fr. 9'000.- à fr. 12'000.-, charges non comprises, dès le 1er janvier
2009.
Par avis du 13 mai 2009, le loyer a été porté à fr. 13'200.-,
charges non comprises, dès le 1er janvier 2010. L’annexe jointe à l’avis
officiel contient les motifs de la majoration suivants :
• S’il y avait eu une indexation depuis le 1er janvier 1992, le loyer actuel serait de fr. 932.- (+ fr. 182.-).
•
Des travaux importants de rénovation ont été effectués dans votre
appartement pour fr. 9'990.- et dans l’immeuble pour fr. 410'600.-.
• Le loyer des derniers appartements loués dans l’immeuble correspond, pour un 4,5 pièces à fr. 2'100.-, charges non comprises.
•
Selon les statistiques genevoises annuelles, le loyer d’un appartement
de 4 pièces s’échelonne entre fr. 1'720.- (loyer avantageux), fr.
2'380.- (loyer moyen) et fr. 3'580.- (loyer cher).
L’avis de hausse
de loyer du 13 mai 2009 a été retourné à la bailleresse avec la mention
"non réclamé". Le 14 décembre 2009, la bailleresse a adressé aux
locataires une copie de l’avis de hausse de loyer du 13 mai 2009, en
leur indiquant qu’il déployait ses effets 30 jours après la fin du délai
de garde.
Les locataires ont saisi le 21 décembre 2009 la Commission
de conciliation en matière de baux et loyers d’une requête en
constatation de la nullité de hausse de loyer. Par jugement du 22
septembre 2010, le Tribunal des baux et loyers a notamment constaté la
nullité de l’avis de majoration du 13 mai 2009. La bailleresse a
interjeté appel de ce jugement le 11 octobre 2010.
Considérations
2. La majoration du loyer d’un bail d’habitation ou de local commercial
doit, sous peine de nullité, être notifiée au moyen d’une formule
officielle, c’est-à-dire une formule agréée par le canton du lieu de
situation de l’immeuble (art. 269d CO). Les motifs précis de la hausse
ainsi que les montants correspondant à chaque motif invoqué doivent
figurer sur la formule officielle (art. 19 al. 1 lit. a ch. 4 OBLF), ou
sur une lettre annexe, à condition que la formule officielle s’y réfère
expressément (art. 19 al. 1 bis OBLF).
L’utilisation d’une formule
créée par le bailleur et dont le contenu satisfait aux exigences de
l’art. 19 OBLF n’est admissible que si elle a été homologuée par
l’autorité cantonale compétente (ATF 121 ΙΙΙ 214 JT 1996 Ι 38).
Les
motifs de l’avis de majoration doivent être précis et permettre au
locataire de saisir la portée et la justification de la majoration de
manière à pouvoir apprécier en plein connaissance de cause l’opportunité
ou non de la contester (ATF 121 ΙΙΙ 6). Le sens des motifs figurant
dans l’avis s’interprète à la lumière du principe de la confiance, en
d’autres termes la volonté du bailleur telle que peut la comprendre le
locataire destinataire de bonne foi (ATF 118 ΙΙ 130 consid. 2b). Les
conditions de forme particulièrement rigoureuses qui sont imposées au
bailleur mettent le locataire en mesure de contester le loyer qui lui
est annoncé et d’invoquer les règles édictées contre les loyers abusifs
(TERCIER/FAVRE, Les contrats spéciaux, 4e éd., 2009, no 2637). Ces
conditions de forme sont donc indissociables du système de protection
contre les loyers abusifs (ATF 4A_177/2010 du 14 juin 2010, consid. 3).
La
motivation indiquée dans l’avis de majoration constitue une
manifestation de volonté du bailleur, soit un acte juridique unilatéral
qui se manifeste sous la forme d’un droit formateur (GAUCH/SCHLUEP,
Schweizerisches Obligationenrecht, vol. Ι, 5e éd., p. 24 ss n. 151 ss).
La détermination de son sens et de sa portée s’effectue conformément aux
principes généraux en matière d’interprétation des manifestations de
volonté (KRAMER, Commentaire bernois, n. 50 ad art. 18 CO), ce qui vaut
également pour l’exigence de clarté. Si les parties ne sont pas d’accord
sur le sens à donner aux motifs figurant dans l’avis formel de
majoration, il y a lieu d’interpréter ceux-ci selon le principe de la
confiance. On examinera d’après les facultés de compréhension du
locataire et au vu de toutes les circonstances du cas particulier si les
motifs donnés sont suffisamment clairs et précis pour que l’intéressé
puisse décider en toute connaissance de cause s’il veut s’opposer ou non
aux nouvelles clauses contractuelles (ATF 121 ΙΙΙ 6 consid. 3 c).
Lorsque le contenu des motifs n’est pas suffisamment clair et précis,
renvoyant par exemple à des facteurs de hausse incompatibles entre eux,
il est nul (ATF 121 ΙΙΙ 6).
Les critères de l’adaptation aux loyers
usuels, de la hausse des coûts et des prestations supplémentaires du
bailleur, ainsi que du maintien du pouvoir d’achat du capital exposé aux
risques sont de prime abord incompatibles, de sorte qu’un avis de
majoration qui les invoque ne peut être considéré comme suffisamment
motivé (ATF 121 ΙΙΙ 6 consid. 3c). Une prétention du bailleur qui serait
simultanément justifiée par plusieurs facteurs antinomiques est nulle.
Les facteurs absolus ne peuvent pas être cumulés avec les facteurs
relatifs. (LACHAT, le bail à loyer, Lausanne 2008, p. 544, ch. 6.3 et
6.4).
Le bailleur est lié par les motifs qu’il invoque (ATF 117 ΙΙ
452 consid. 5) et qui lui sont opposables en cas de contestation (ATF
121 ΙΙΙ 364 consid. 4b).
En l’occurrence, l’appelante a invoqué tant
des motifs relatifs que des motifs absolus de hausse, indiquant que
l’augmentation notifiée se justifiait par l’indexation pour 182 fr. et
par les autres motifs mentionnés (travaux réalisés dans l’immeuble et
l’appartement, loyers des appartements comparables loués dans l’immeuble
et loyers selon statistiques cantonales), pour 168 fr., invoquant donc
tant l’adaptation aux loyers usuels, que la hausse des coûts et des
prestations supplémentaires du bailleur, ainsi que le maintien du
pouvoir d’achat du capital exposé aux risques, soit des critères
incompatibles entre eux.
Force est donc de constater que la hausse
litigieuse ne peut être considérée comme motivée à satisfaction de droit
puisqu’elle est fondée sur des motifs antinomiques ; sa nullité doit
par conséquent être constatée (art. 269d al. 2 CO et 18 OBLF),
indépendamment du fait que le niveau des loyers des baux récemment
conclus dans le même immeuble ne constitue pas un critère pertinent.
La
nullité pouvant être constatée en tout temps, il importe peu que les
locataires n’aient pas contesté cette hausse dans les 30 jours suivant
sa notification.
Décision
50/5 - Contestation de hausse de loyer