Congé inefficace ou dépourvu d‘effets
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
15.04.2002
Résumé
Lorsque ses conditions matérielles font défaut, le congé peut être considéré comme inefficace ou dépourvu d‘effets, moyen que le locataire n‘a pas l‘obligation de contester dans le délai de l‘art. 273 CO, mais qu‘il peut soulever lorsque le bailleur engage la procédure d‘expulsion.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer portant sur un
appartement de six pièces à G. Le bail a été conclu du 16 juillet 1999
au 31 décembre 2000, renouvelable tacitement d‘année en année. Le loyer a
été fixé à fr. 1‘164.- et les provisions pour charges à fr. 100.- par
mois.
Par avis comminatoires séparés du 11 septembre 2000, la
bailleresse a mis en demeure les locataires de lui verser la somme de
fr. 4‘156.- correspondant aux loyers et aux provisions pour charges dus
au 30 septembre 2000, sous menace de la résiliation du bail en cas de
non-paiement dans le délai de trente jours.
Les locataires ont
proposé un plan de paiement et la bailleresse a accepté le 26 octobre
2000 des versements de fr. 250.- par mois sur les arriérés qui devaient
lui parvenir avant le 25 de chaque mois, la première fois en octobre;
quant aux loyers courants, ils devaient être payés avant le 10 de chaque
mois au plus tard.
Les locataires ont payé fr. 1‘264.- et fr. 250.-
le 31 octobre 2000; ce dernier montant a été porté à hauteur de fr.
150.- dans le compte de loyer et de fr. 100.- dans le compte de charges.
Par
lettres et avis officiels recommandés à chaque locataire du 13 novembre
2000, la bailleresse a résilié le bail de l‘appartement pour défaut de
paiement du loyer avec effet au 31 décembre 2000.
Le 22 janvier 2001,
la bailleresse a saisi la Commission de conciliation en matière de baux
et loyers d‘une requête en évacuation. Non conciliée, l‘affaire a été
portée devant le Tribunal des baux et loyers le 16 mars 2001. La
bailleresse a été déboutée de ses conclusions, le premier juge ayant
considéré que les locataires avaient accepté et respecté les conditions
qu‘elle avait posées. La bailleresse a interjeté appel de ce jugement.
Considérations
2. Lorsque le locataire reste dans les locaux à l‘expiration du bail, le
bailleur peut intenter une procédure d‘expulsion. Elle est fondée soit
sur une action en restitution de la chose louée (art. 267 CO), soit sur
le droit de propriété (art. 641 CO) (Lachat, Le bail à loyer, Lausanne
1997, p. 531 n. 31.8.1). La procédure est réglée par l‘article 274g CO
et par les articles 440 et 441 LPC.
3.a En matière d‘évacuation
pour défaut de paiement du loyer, le juge doit examiner si la créance
invoquée par le bailleur existe, si elle est exigible, si le délai
imparti est conforme à l‘article 257d al. 1 CO, si l‘avis comminatoire
du bailleur était assorti d‘une menace de résiliation du bail en cas de
non-paiement dans le délai imparti, si la somme réclamée n‘a pas été
payée, et si le congé satisfait aux exigences de forme prévues aux art.
266l et 266n CO et respecte le délai et le terme prescrits par l‘article
257d al. 2 CO.
Le délai comminatoire de l‘art. 257d al. 1 CO
commence à courir le lendemain du jour où le locataire a reçu l‘avis du
bailleur (Lachat, op.cit., p. 211 n. 5.6).
b Selon la
jurisprudence, une résiliation de bail est annulable lorsqu‘elle est
abusive ou contraire à la bonne foi, même si elle a pour cause la
demeure du locataire, l‘article 271 al. 1 CO s‘appliquant en cas de
résiliation opérée en application de l‘article 257d CO (ATF 120 II 31,
consid. 4a, p.32/33). Mais le juge ne peut alors annuler le congé
litigieux que si celui-ci est inadmissible au regard de la jurisprudence
relative à l‘abus de droit. Seules des circonstances exceptionnelles
justifient l‘annulation d‘un tel congé (cf. ATF 120 II 31). Si le
paiement total de la somme réclamée n‘intervient pas avant l‘échéance du
délai comminatoire imparti, le bailleur ne commet pas un abus de droit
en choisissant de donner le congé, sauf si ce retard est insignifiant
(USPI, Droit suisse du bail à loyer, Genève 1992, n. 43 ad art. 257d CO;
Lachat, op.cit., p. 213 n. 5.12; Wessner, L‘obligation du locataire de
payer le loyer et les frais accessoires, 8ème séminaire de droit du
bail, Neuchâtel 1996, p.24).
En l‘espèce, les locataires, qui n‘ont
pas contesté le congé dans le délai de trente jours à compter de sa
notification (art. 273 al. 1 CO), sont forclos à se plaindre d‘un congé
abusif (art. 274g al. 1 let. a CO; ATF 122 III 92 consid. 2b, JdT 1996 I
595, spéc. 598).
c. Reste cependant à déterminer si le congé
peut être considéré comme inefficace ("unwirksam") ou dépourvu d‘effets
("wirkungslos"), soit lorsque ses conditions matérielles font défaut
(ATF 121 III 156 consid. 1c p. 160, JdT 1996 I 91, rés.), moyen que le
locataire n‘a pas l‘obligation de contester dans le délai de l‘art. 273
CO, mais qu‘il peut soulever lorsque le bailleur engage la procédure
d‘expulsion (ATF 122 III 92 cité).
Dans le cas particulier, la CIA a,
après l‘échéance du délai comminatoire, accordé des facilités de
paiement aux locataires en leur donnant la possibilité de rattraper
l‘arriéré de loyer à raison d‘acomptes de 250 fr. par mois à payer avant
le 25 de chaque mois et pour autant qu‘ils acquittent régulièrement le
loyer courant avant le 10 de chaque mois; tout retard de plus de dix
jours entraînait la résiliation du bail. Les locataires ont versé le
loyer du mois de novembre 2000 et le premier acompte de 250 fr. pour
rattraper l‘arriéré de loyer le 31 octobre 2000 avec les bulletins de
versements qui leur avaient été remis (ATF 124 III 145, JdT 2000 I 220,
SJ 1999 p. 535: respect du délai en cas de paiement au moyen d‘un
bulletin de versement). Certes ont-ils, dans leur courrier du 3 novembre
2000, mis une réserve à leur acceptation de la contre-proposition de la
bailleresse en ce sens qu‘ils n‘ont pas garanti le paiement des
acomptes d‘arriéré de loyer avant le 25 de chaque mois en raison du
chômage. Cette circonstance reste toutefois sans incidence. En dépit de
leur réserve, les locataires se sont en effet conformés en
octobre/novembre 2000, à réception de la lettre de la régie du 26
octobre 2000, aux conditions de la CIA en versant le 31 octobre 2000 le
loyer courant du mois de novembre et l‘acompte d‘arriéré de loyer du
mois d‘octobre. Faute d‘explications, on ne comprend pas pourquoi la
régie a ventilé la somme de 250 fr. entre le compte loyer et le compte
de charges. C‘est dire que lorsque la CIA a résilié le bail le 13
novembre 2000, elle n‘était alors pas fondée à le faire dans la mesure
où les conditions auxquelles elle avait subordonné sa résiliation
(retard de plus de dix jours passés les 25 octobre et 10 novembre)
n‘étaient pas réalisées. L‘absence d‘une condition matérielle du congé –
prématuré – l‘a rendu inefficace. Evénement postérieur à la
résiliation, la réalité du versement de l‘acompte d‘arriéré de 250 fr.
au 6 décembre 2000 – effectué par poste selon les pièces produites par
les locataires, mais qui n‘apparaît pas dans les comptes de la régie –
est indifférente à la solution du litige.
Si la CIA devait constater
un nouveau retard, il lui incomberait de faire application de l‘art.
257d CO pour impartir un nouveau délai comminatoire avec menace de
résiliation de bail en cas de non payement de l‘arriéré dans le délai de
trente jours qui serait imparti.
C‘est dès lors à juste titre que le
Tribunal des baux et loyers a débouté la CIA de ses conclusions en
évacuation; le jugement déféré doit être confirmé.
Décision
37/2 - Congé inefficace ou dépourvu d‘effets