Congé extraordinaire – congé ordinaire

Base légale

Nom du tribunal

Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève

Date

09.03.2009

Résumé

La thèse privilégiée par le Tribunal des baux et loyers, à savoir celle d’un congé ordinaire donné, par inadvertance, sans respecter le préavis contractuel de congé, ne peut être approuvée. A suivre la voie esquissée par les premiers juges, il suffirait au bailleur, qui entend résilier le bail de manière anticipée, de ne se référer à aucune disposition légale pour soutenir ensuite, en cas de contestation, qu’il s’agissait d’un congé ordinaire, néanmoins valable, et dont l’effet serait simplement reporté au prochain terme pertinent en application de l’art. 266a al. 2 CO. Pareille interprétation ouvre trop largement la porte à l’abus de droit pour être admise.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer portant sur la location d’un appartement de trois pièces et demie, dès le 1er novembre 1998. Courant 2002, les locataires ont sous-loué leur appartement durant un séjour à l’étranger, en avisant la régie.
Par la suite, les locataires ont envisagé un séjour à * dès le 1er avril 2004 pour trois ans. Les locataires ont informé la régie, le 20 septembre 2004, de leur intention de sous-louer à nouveau leur appartement. La régie s’est étonnée de cette demande qui concernait le même sous-locataire qu’en 2002. Elle a précisé qu’elle ne pouvait donner une suite favorable à cette demande et a invité les locataires à lui communiquer, dans les plus brefs délais, s’ils entendaient demeurer dans l’appartement ou le restituer. Elle les prévint que s’il s’avérait, à l’occasion d’un contrôle, qu’ils n’occupaient plus l’appartement, elle serait contrainte de résilier le contrat « pour sa prochaine échéance contractuelle ». Les locataires on effectivement sous-loué leur appartement.
Par lettres recommandées du 6 septembre 2005, la régie a informé les locataires que leur bail n’était pas « renouvelé ». Chaque lettre était accompagnée de l’avis de résiliation pour la date du 31 octobre 2005 et comportait la remarque « pour sous-location non autorisée ».
Par requête du 10 octobre 2005, les locataires ont invité la Commission de conciliation en matière de baux et loyers (CCMBL) à constater l’inefficacité du congé, qui ne respectait pas l’art. 257 f al. 3 CO, et à prononcer son annulation. Non conciliée, la cause fut portée devant le Tribunal des baux et loyers le 6 février 2006. Cette juridiction a renvoyé la cause à la CCMBL, considérant que le congé donné était un congé ordinaire. Le 11 septembre 2007, la CCMBL a constaté la validité du congé. Le 12 octobre 2007, les locataires ont adressé un « recours » contre cette décision auprès du Tribunal des baux et loyers, sollicitant à nouveau l’annulation du congé. Statuant par jugement du 9 avril 2008, le Tribunal des baux et loyers a constaté la validité du congé. Les locataires ont interjeté appel de ce jugement.

Considérations

2. Il incombe au locataire, qui veut contester le congé et/ou demander une prolongation du bail, de saisir l’autorité de conciliation dans les 30 jours qui suivent la réception du congé (art. 273 al. 1 et 2 CO).
L’autorité de conciliation s’efforce d’amener les parties à un accord. Si elle n’y parvient pas, elle rend une décision sur les prétentions des parties (art. 273 al. 4 CO).
Si la compétence décisionnelle de l’autorité de conciliation ne concerne en principe que les annulations de congé au sens des art. 271 et 271a CO et les prolongations de baux, elle doit néanmoins statuer d’office, préjudiciellement, sur une éventuelle nullité ou inefficacité du congé (LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p. 253 n. 2.5.10 et p. 727 n. 29.2.2 et p. 729 n. 29.2.7 et réf. citées).
Dans le cas d’espèce, la CCMBL, saisie d’une requête en contestation de l’inefficacité d’un congé, subsidiairement en annulation d’un congé et en prolongation du bail déposée par les locataires, aurait dû rendre une décision (art. 273 al. 4 CO) au lieu de déclarer, comme elle l’a d’abord fait, la cause non conciliée.
Saisi du litige et nanti de conclusions du bailleur l’invitant à retourner la procédure pour décision à la CCMBL en application de l’art 448 LPC, le Tribunal des baux et loyers, par ordonnance du 6 juillet 2007, a renvoyé la cause à cette fin à l’autorité de conciliation.
Cette décision de renvoi s’apparente à un jugement d’incompétence à raison de la matière.
Il n’appartient pas ici à la Cour de statuer sur le bien-fondé de cette décision à l’encontre de laquelle aucun recours immédiat n’avait été formé par les locataires qui s’en étaient rapportés à justice.
Contrairement à ce que laisse entendre l’intimé, l’absence de recours des locataires ne signifiait pas qu’ils acquiesçaient au principe du renvoi et encore moins à la motivation adoptée par les premiers juges pour le justifier, à savoir que le congé litigieux était un congé ordinaire donné pour un terme inexact et dont l’effet devait être simplement reporté à l’échéance contractuelle selon l’art. 266a al. 2 CO.
La décision du Tribunal du 6 juillet 2007 n’a pas force de chose jugée sur cette question que les locataires pouvaient donc remettre en cause dans la suite de la procédure.
Le Tribunal n’a en effet pas tranché le litige mais s’est uniquement prononcé sur sa compétence et s’est dessaisi de la cause en faveur de l’autorité de conciliation.
Celle-ci pouvait et devait statuer librement sur la contestation sans être liée par la décision du Tribunal, ce qu’elle a fait.
Or, sa décision, qui a ensuite été portée devant le Tribunal, est de ce seul fait tombée, ne subsistant plus, le Tribunal devant examiner non pas son bien-fondé, comme le ferait une juridiction de recours, mais instruire le litige ab ovo, comme juridiction de première instance.
Ainsi, le juge n’est lié ni par les conclusions formulées par les parties devant l’autorité de conciliation, ni par la décision de celle-ci, ni par les motifs qui la fondent. Devant le juge, les parties peuvent alléguer de nouveaux faits et invoquer des moyens de droit (ATF 117 II 504, consid. 2b; ATF 121 III 266, consid. 2b; LACHAT, op. cit., p. 156 n. 5.3.1.3).
Postérieurement à la décision rendue le 11 septembre 2007 par la CCMBL, les appelants n’ont plus conclu à ce que le Tribunal des baux et loyers constate l’inefficacité du congé, se bornant à solliciter l’annulation de celui-ci et, subsidiairement, la prolongation du bail.
Ce n’est qu’à l’occasion de leur appel qu’ils sont revenus sur l’ordonnance du 6 juillet 2007, dont ils affirment à nouveau contester le bien-fondé, et qu’ils concluent à ce que la Cour constate l’inefficacité du congé.
Bien qu’il s’agisse, stricto sensu, d’une conclusion nouvelle par rapport à celles qu’ils ont soumises en dernier lieu au Tribunal des baux et loyers, sa recevabilité en appel doit cependant être admise car elle a déjà été formulée dans la requête initiale; elle concerne une question que les tribunaux doivent examiner d’office (ATF 121 III 156, consid. 1c) et elle ne représente en somme qu’un moyen de droit nouveau destiné à contester la validité du congé.
Les appelants soutiennent ainsi que le congé litigieux était un congé extraordinaire, mais inefficace, faute de satisfaire aux exigences en la matière.
S’agissant selon eux d’un congé extraordinaire, motivé par une sous-location non autorisée, la validité de ce congé dépendait en réalité du caractère autorisable ou non de la sous-location. Affirmant que celle-ci ne pouvait être refusée par le bailleur, ce dernier ne pouvait tirer argument du défaut d’autorisation de la sous-location pour résilier le bail de manière anticipée.
Selon la jurisprudence, une sous-location sans le consentement du bailleur peut justifier une résiliation anticipée du bail selon l’art. 257f al. 3 CO. Cette situation se présente lorsque le locataire passe outre un refus du bailleur de consentir à la sous-location ou qu’il s’abstient de demander l’autorisation de sous-louer (ATF n.p. 4A_516/2007 du 6 mars 2008, consid. 3.1).
Le seul fait de ne pas requérir le consentement du bailleur ne suffit toutefois pas à justifier un congé anticipé, sans avertissement préalable.
Pour respecter la condition de la protestation prescrite à l’art. 257f al. 3 CO, le bailleur qui apprend que l’objet remis à bail es sous-loué sans son consentement, doit inviter le locataire par écrit, à se conformer aux exigences légales, en l’enjoignant à mettre un terme à la sous-location ou en protestant contre l’absence de demande d’autorisation.
Si le bailleur choisit la première injonction, le preneur a tout de même la possibilité de requérir le consentement de son cocontractant, qui peut être donné après coup. Si le locataire ne réagit pas à l’avertissement écrit du bailleur, un congé anticipé sera fondé, en tout cas, lorsqu’un examen rétrospectif des faits permet de conclure que le bailleur aurait disposé d’un motif valable au sens de l’art. 262 al. 2 CO pour s’opposer à la sous-location. Dans ce cas, l’exigence du caractère insupportable du maintien du contrat pour le bailleur posée à l’art. 257f al. 3 CO n’a pas de portée indépendante (ATF 4A_516/2007, consid. 3.1 et 3.2; ATF n.p. 4A_181/2008 du 24 juin 2008, consid. 2.2).
En l’occurrence, les appelants ont sollicité du bailleur l’autorisation de sous-louer une seconde fois leur logement, par courrier du 20 septembre 2004, auquel l’intimé a opposé un refus par pli du 1er octobre 2004 que les locataires ont cependant contesté avoir reçu.
Il ressort de l’art. 262 CO que la sous-location est en principe autorisée sauf si le bailleur peut faire valoir l’un des motifs de refus énoncés à l’art. 262 al. 2 CO.
Le consentement du bailleur n’est soumis à aucune forme et peut résulter d’actes concluants: tel est le cas lorsque le bailleur, informé de la sous-location, la tolère sans remarques, ni protestations, ou lorsqu’il laisse sans réponse une demande du sous-locataire de pouvoir sous-louer les locaux (LACHAT, op. cit., p. 571 et réf. citées n. 23.2.2.2,).
La faculté de refuser son consentement est un avantage consenti au bailleur. Conformément à la règle de l’art. 8 CC, il lui appartient de démontrer l’existence de son refus s’il invoque le fait que son locataire a passé outre celui-ci et a néanmoins sous-loué l’objet et qu’il entend résilier le bail pour ce motif.
Or, cette preuve n’a pas été rapportée ici, puisque l’intimé n’a produit que la copie d’un courrier adressé par pli simple aux locataires, courrier que ceux-ci contestent avoir reçu.
A cela s’ajoute le fait que l’intimé, qui attendait des locataires une prompte réponse à sa question relative à la restitution éventuelle de l’appartement par ceux-ci, n’a pas réagi alors qu’il n’a recueilli en retour aucune détermination de la part des preneurs.
Ces derniers, qui sont supposés par conséquent n’avoir pas obtenu de réponse à leur demande de sous-location, étaient fondés à en déduire que leur bailleur y avait consenti, ce d’autant plus qu’ils avaient déjà bénéficié d’une première autorisation avec le même sous-locataire et aux mêmes conditions de sous-location.
A titre subsidiaire, il importe de relever que même si les appelants avaient eu connaissance du refus du bailleur contenu dans son courrier du 1er octobre 2004, le congé donné le 6 septembre 2005 n’aurait pas été valable, faute pour le bailleur d’avoir adressé préalablement aux locataires la protestation écrite requise par l’art. 257f al. 3 CO.
Selon la jurisprudence, le locataire peut invoquer en tout temps la nullité ou l’inefficacité de la résiliation du bail. Est inefficace, donc dénué d’effets juridiques, le congé qui ne satisfait pas aux exigences légales ou contractuelles auxquelles est subordonné son exercice. Est ainsi inefficace le congé motivé par le défaut de paiement du loyer alors qu’en réalité le loyer a été payé, le congé donné pour de justes motifs qui ne sont pas réalisés, ou le congé donné en raison d’une violation des devoirs de diligence qui se révélera inexistante (ATF n.p. 4C.116/2005 du 20 juin 2005, consid. 2.3; ATF 121 III 156, consid. 1c/aa).
Dans le cadre de l’art. 257f al. 3 CO, le congé qui n’est pas précédé d’un avertissement écrit est un congé inefficace (LACHAT, op. cit., n. 27.3.2.2 p. 682).
Or, une telle résiliation inefficace ne peut pas être convertie en un congé ordinaire, l’art. 266a al. 2 CO ne s’appliquant pas à de tels cas, ni en un congé pour justes motifs au sens de l’art 266g CO (LACHAT, op. cit., n. 27.3.2.2 p. 682 et n. 26.4.7 p. 655 et 656).
Il s’ensuit que le congé litigieux n’a produit d’effet ni pour la date indiquée du 31 octobre 2005, ni pour l’échéance contractuelle ordinaire du 30 avril 2006.
Le Tribunal, suivant en cela la thèse de l’intimé, a cependant qualifié de congé ordinaire, mais donné pour une échéance inexacte, le congé du 6 septembre 2005. Il l’a estimé valable et en a reporté l’effet à l’échéance contractuelle au 30 avril 2006 conformément à l’art 266a al. 2 CO.
Les appelants font valoir, dans cette hypothèse, que le congé devait néanmoins être annulé en application de l’art. 271a al. 1 lit. a CO.
La résiliation est une déclaration unilatérale de volonté, soumise à réception. Il s’agit aussi d’un acte formateur, comme tel non susceptible d’être révoqué ou converti (TF, JT 1998 I 296 ss, 300, consid. 3d; ENGEL, Traité des obligations en droit suisse, 1997, p. 141, 142, 33).
Toutefois, celui qui, fondé sur un état de fait clairement délimité, signifie à l’autre partie une résiliation extraordinaire du contrat, n’a pas à pâtir de ce qu’il invoque une disposition légale inexacte comme fondement juridique à sa déclaration, cela dans la mesure où une autre disposition peut être invoquée en remplacement pour étayer sa prétention (TF, JT 1998 I 300, consid. 3d).
Son interprétation doit être effectuée selon le principe de la confiance (ENGEL, op. cit., p. 239; THEVENOZ, CR, n. 22 ad art. 107 CO; ATF 123 III 16).
L’interprétation objective, selon le principe de la confiance, conduit le juge à dégager le sens que le destinataire d’une déclaration peut et doit lui attribuer selon les règles de la bonne foi, d’après le texte et le contexte, ainsi que les circonstances qui l’ont précédée ou accompagnée (TF, JT 1998 I 2; TF, SJ 1996 549; WINIGER, CR, 2003, n. 134 ad art. 18 CO; ENGEL, op. cit., p. 239).
En l’espèce, l’avis de résiliation du bail ne se réfère à aucune disposition légale de nature à préciser le caractère ordinaire ou anticipé du congé. La lettre d’accompagnement n’est pas plus explicite, même si elle évoque le nonrenouvellement du bail; cette expression est toutefois démentie par la lettre de l’intimé du 21 septembre 2005, répondant à la demande de motivation des locataires, qui mentionne bien que le bail est résilié et cela, en réaction à la sous-location non autorisée, motif qui était déjà avancé dans l’avis de résiliation. Tant ce dernier que la lettre du 21 septembre 2005 spécifient en outre que la résiliation est donnée pour le 31 octobre 2005. Or, cette date ne respecte pas le préavis contractuel de trois mois prévu pour une résiliation ordinaire, ce que le bailleur, représenté par un mandataire professionnel qualifié ne pouvait ignorer.
Dans ces circonstances, les locataires pouvaient raisonnablement et de bonne foi interpréter cette résiliation comme étant un congé extraordinaire, mettant un terme anticipé au bail en raison de la sous-location.
La thèse privilégiée par le Tribunal des baux et loyers, à savoir celle d’un congé ordinaire donné – par inadvertance – sans respecter le préavis contractuel de congé, ne peut être approuvé. Elle va de surcroît à l’encontre de l’esprit de la loi qui vise en cette matière à protéger le locataire, considéré comme la partie faible au sein du rapport contractuel. A suivre la voie esquissée par les premiers juges, il suffirait au bailleur, qui entend résilier le bail de manière anticipée, de ne se référer à aucune disposition légale pour soutenir ensuite, en cas de contestation, qu’il s’agissait d’un congé ordinaire, néanmoins valable, et dont l’effet serait simplement reporté au prochain terme pertinent en application de l’art. 266a al. 2 CO. Pareille interprétation ouvre trop largement la porte à l’abus de droit pour être admise.
La Cour considère donc ici que le congé donné le 6 septembre 2005 pour le 31 octobre 2005 était un congé extraordinaire, mais inefficace pour la raison évoquée supra. L’exception réservée par la jurisprudence fédérale précitée (JT 1998 I 300) n’est pas réalisée.

Décision

46/4 - Congé extraordinaire – congé ordinaire

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