Congé extraordinaire – congé ordinaire
Base légale
- Art. 257f al. 3 CO
- Art. 266a al. 2 CO
Nom du tribunal
Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève
Date
09.03.2009
Résumé
La thèse privilégiée par le Tribunal des baux et loyers, à savoir celle d’un congé ordinaire donné, par inadvertance, sans respecter le préavis contractuel de congé, ne peut être approuvée. A suivre la voie esquissée par les premiers juges, il suffirait au bailleur, qui entend résilier le bail de manière anticipée, de ne se référer à aucune disposition légale pour soutenir ensuite, en cas de contestation, qu’il s’agissait d’un congé ordinaire, néanmoins valable, et dont l’effet serait simplement reporté au prochain terme pertinent en application de l’art. 266a al. 2 CO. Pareille interprétation ouvre trop largement la porte à l’abus de droit pour être admise.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un contrat
de bail à loyer portant sur la location d’un appartement de trois pièces
et demie, dès le 1er novembre 1998. Courant 2002, les locataires ont
sous-loué leur appartement durant un séjour à l’étranger, en avisant la
régie.
Par la suite, les locataires ont envisagé un séjour à * dès le
1er avril 2004 pour trois ans. Les locataires ont informé la régie, le
20 septembre 2004, de leur intention de sous-louer à nouveau leur
appartement. La régie s’est étonnée de cette demande qui concernait le
même sous-locataire qu’en 2002. Elle a précisé qu’elle ne pouvait donner
une suite favorable à cette demande et a invité les locataires à lui
communiquer, dans les plus brefs délais, s’ils entendaient demeurer dans
l’appartement ou le restituer. Elle les prévint que s’il s’avérait, à
l’occasion d’un contrôle, qu’ils n’occupaient plus l’appartement, elle
serait contrainte de résilier le contrat « pour sa prochaine échéance
contractuelle ». Les locataires on effectivement sous-loué leur
appartement.
Par lettres recommandées du 6 septembre 2005, la régie a
informé les locataires que leur bail n’était pas « renouvelé ». Chaque
lettre était accompagnée de l’avis de résiliation pour la date du 31
octobre 2005 et comportait la remarque « pour sous-location non
autorisée ».
Par requête du 10 octobre 2005, les locataires ont
invité la Commission de conciliation en matière de baux et loyers
(CCMBL) à constater l’inefficacité du congé, qui ne respectait pas
l’art. 257 f al. 3 CO, et à prononcer son annulation. Non conciliée, la
cause fut portée devant le Tribunal des baux et loyers le 6 février
2006. Cette juridiction a renvoyé la cause à la CCMBL, considérant que
le congé donné était un congé ordinaire. Le 11 septembre 2007, la CCMBL a
constaté la validité du congé. Le 12 octobre 2007, les locataires ont
adressé un « recours » contre cette décision auprès du Tribunal des baux
et loyers, sollicitant à nouveau l’annulation du congé. Statuant par
jugement du 9 avril 2008, le Tribunal des baux et loyers a constaté la
validité du congé. Les locataires ont interjeté appel de ce jugement.
Considérations
2. Il incombe au locataire, qui veut contester le congé et/ou demander
une prolongation du bail, de saisir l’autorité de conciliation dans les
30 jours qui suivent la réception du congé (art. 273 al. 1 et 2 CO).
L’autorité
de conciliation s’efforce d’amener les parties à un accord. Si elle n’y
parvient pas, elle rend une décision sur les prétentions des parties
(art. 273 al. 4 CO).
Si la compétence décisionnelle de l’autorité de
conciliation ne concerne en principe que les annulations de congé au
sens des art. 271 et 271a CO et les prolongations de baux, elle doit
néanmoins statuer d’office, préjudiciellement, sur une éventuelle
nullité ou inefficacité du congé (LACHAT, Le bail à loyer, 2008, p. 253
n. 2.5.10 et p. 727 n. 29.2.2 et p. 729 n. 29.2.7 et réf. citées).
Dans
le cas d’espèce, la CCMBL, saisie d’une requête en contestation de
l’inefficacité d’un congé, subsidiairement en annulation d’un congé et
en prolongation du bail déposée par les locataires, aurait dû rendre une
décision (art. 273 al. 4 CO) au lieu de déclarer, comme elle l’a
d’abord fait, la cause non conciliée.
Saisi du litige et nanti de
conclusions du bailleur l’invitant à retourner la procédure pour
décision à la CCMBL en application de l’art 448 LPC, le Tribunal des
baux et loyers, par ordonnance du 6 juillet 2007, a renvoyé la cause à
cette fin à l’autorité de conciliation.
Cette décision de renvoi s’apparente à un jugement d’incompétence à raison de la matière.
Il
n’appartient pas ici à la Cour de statuer sur le bien-fondé de cette
décision à l’encontre de laquelle aucun recours immédiat n’avait été
formé par les locataires qui s’en étaient rapportés à justice.
Contrairement
à ce que laisse entendre l’intimé, l’absence de recours des locataires
ne signifiait pas qu’ils acquiesçaient au principe du renvoi et encore
moins à la motivation adoptée par les premiers juges pour le justifier, à
savoir que le congé litigieux était un congé ordinaire donné pour un
terme inexact et dont l’effet devait être simplement reporté à
l’échéance contractuelle selon l’art. 266a al. 2 CO.
La décision du
Tribunal du 6 juillet 2007 n’a pas force de chose jugée sur cette
question que les locataires pouvaient donc remettre en cause dans la
suite de la procédure.
Le Tribunal n’a en effet pas tranché le litige
mais s’est uniquement prononcé sur sa compétence et s’est dessaisi de
la cause en faveur de l’autorité de conciliation.
Celle-ci pouvait et devait statuer librement sur la contestation sans être liée par la décision du Tribunal, ce qu’elle a fait.
Or,
sa décision, qui a ensuite été portée devant le Tribunal, est de ce
seul fait tombée, ne subsistant plus, le Tribunal devant examiner non
pas son bien-fondé, comme le ferait une juridiction de recours, mais
instruire le litige ab ovo, comme juridiction de première instance.
Ainsi,
le juge n’est lié ni par les conclusions formulées par les parties
devant l’autorité de conciliation, ni par la décision de celle-ci, ni
par les motifs qui la fondent. Devant le juge, les parties peuvent
alléguer de nouveaux faits et invoquer des moyens de droit (ATF 117 II
504, consid. 2b; ATF 121 III 266, consid. 2b; LACHAT, op. cit., p. 156
n. 5.3.1.3).
Postérieurement à la décision rendue le 11 septembre
2007 par la CCMBL, les appelants n’ont plus conclu à ce que le Tribunal
des baux et loyers constate l’inefficacité du congé, se bornant à
solliciter l’annulation de celui-ci et, subsidiairement, la prolongation
du bail.
Ce n’est qu’à l’occasion de leur appel qu’ils sont revenus
sur l’ordonnance du 6 juillet 2007, dont ils affirment à nouveau
contester le bien-fondé, et qu’ils concluent à ce que la Cour constate
l’inefficacité du congé.
Bien qu’il s’agisse, stricto sensu, d’une
conclusion nouvelle par rapport à celles qu’ils ont soumises en dernier
lieu au Tribunal des baux et loyers, sa recevabilité en appel doit
cependant être admise car elle a déjà été formulée dans la requête
initiale; elle concerne une question que les tribunaux doivent examiner
d’office (ATF 121 III 156, consid. 1c) et elle ne représente en somme
qu’un moyen de droit nouveau destiné à contester la validité du congé.
Les
appelants soutiennent ainsi que le congé litigieux était un congé
extraordinaire, mais inefficace, faute de satisfaire aux exigences en la
matière.
S’agissant selon eux d’un congé extraordinaire, motivé par
une sous-location non autorisée, la validité de ce congé dépendait en
réalité du caractère autorisable ou non de la sous-location. Affirmant
que celle-ci ne pouvait être refusée par le bailleur, ce dernier ne
pouvait tirer argument du défaut d’autorisation de la sous-location pour
résilier le bail de manière anticipée.
Selon la jurisprudence, une
sous-location sans le consentement du bailleur peut justifier une
résiliation anticipée du bail selon l’art. 257f al. 3 CO. Cette
situation se présente lorsque le locataire passe outre un refus du
bailleur de consentir à la sous-location ou qu’il s’abstient de demander
l’autorisation de sous-louer (ATF n.p. 4A_516/2007 du 6 mars 2008,
consid. 3.1).
Le seul fait de ne pas requérir le consentement du
bailleur ne suffit toutefois pas à justifier un congé anticipé, sans
avertissement préalable.
Pour respecter la condition de la
protestation prescrite à l’art. 257f al. 3 CO, le bailleur qui apprend
que l’objet remis à bail es sous-loué sans son consentement, doit
inviter le locataire par écrit, à se conformer aux exigences légales, en
l’enjoignant à mettre un terme à la sous-location ou en protestant
contre l’absence de demande d’autorisation.
Si le bailleur choisit la
première injonction, le preneur a tout de même la possibilité de
requérir le consentement de son cocontractant, qui peut être donné après
coup. Si le locataire ne réagit pas à l’avertissement écrit du
bailleur, un congé anticipé sera fondé, en tout cas, lorsqu’un examen
rétrospectif des faits permet de conclure que le bailleur aurait disposé
d’un motif valable au sens de l’art. 262 al. 2 CO pour s’opposer à la
sous-location. Dans ce cas, l’exigence du caractère insupportable du
maintien du contrat pour le bailleur posée à l’art. 257f al. 3 CO n’a
pas de portée indépendante (ATF 4A_516/2007, consid. 3.1 et 3.2; ATF
n.p. 4A_181/2008 du 24 juin 2008, consid. 2.2).
En l’occurrence, les
appelants ont sollicité du bailleur l’autorisation de sous-louer une
seconde fois leur logement, par courrier du 20 septembre 2004, auquel
l’intimé a opposé un refus par pli du 1er octobre 2004 que les
locataires ont cependant contesté avoir reçu.
Il ressort de l’art.
262 CO que la sous-location est en principe autorisée sauf si le
bailleur peut faire valoir l’un des motifs de refus énoncés à l’art. 262
al. 2 CO.
Le consentement du bailleur n’est soumis à aucune forme et
peut résulter d’actes concluants: tel est le cas lorsque le bailleur,
informé de la sous-location, la tolère sans remarques, ni protestations,
ou lorsqu’il laisse sans réponse une demande du sous-locataire de
pouvoir sous-louer les locaux (LACHAT, op. cit., p. 571 et réf. citées
n. 23.2.2.2,).
La faculté de refuser son consentement est un avantage
consenti au bailleur. Conformément à la règle de l’art. 8 CC, il lui
appartient de démontrer l’existence de son refus s’il invoque le fait
que son locataire a passé outre celui-ci et a néanmoins sous-loué
l’objet et qu’il entend résilier le bail pour ce motif.
Or, cette
preuve n’a pas été rapportée ici, puisque l’intimé n’a produit que la
copie d’un courrier adressé par pli simple aux locataires, courrier que
ceux-ci contestent avoir reçu.
A cela s’ajoute le fait que l’intimé,
qui attendait des locataires une prompte réponse à sa question relative à
la restitution éventuelle de l’appartement par ceux-ci, n’a pas réagi
alors qu’il n’a recueilli en retour aucune détermination de la part des
preneurs.
Ces derniers, qui sont supposés par conséquent n’avoir pas
obtenu de réponse à leur demande de sous-location, étaient fondés à en
déduire que leur bailleur y avait consenti, ce d’autant plus qu’ils
avaient déjà bénéficié d’une première autorisation avec le même
sous-locataire et aux mêmes conditions de sous-location.
A titre
subsidiaire, il importe de relever que même si les appelants avaient eu
connaissance du refus du bailleur contenu dans son courrier du 1er
octobre 2004, le congé donné le 6 septembre 2005 n’aurait pas été
valable, faute pour le bailleur d’avoir adressé préalablement aux
locataires la protestation écrite requise par l’art. 257f al. 3 CO.
Selon
la jurisprudence, le locataire peut invoquer en tout temps la nullité
ou l’inefficacité de la résiliation du bail. Est inefficace, donc dénué
d’effets juridiques, le congé qui ne satisfait pas aux exigences légales
ou contractuelles auxquelles est subordonné son exercice. Est ainsi
inefficace le congé motivé par le défaut de paiement du loyer alors
qu’en réalité le loyer a été payé, le congé donné pour de justes motifs
qui ne sont pas réalisés, ou le congé donné en raison d’une violation
des devoirs de diligence qui se révélera inexistante (ATF n.p.
4C.116/2005 du 20 juin 2005, consid. 2.3; ATF 121 III 156, consid.
1c/aa).
Dans le cadre de l’art. 257f al. 3 CO, le congé qui n’est pas
précédé d’un avertissement écrit est un congé inefficace (LACHAT, op.
cit., n. 27.3.2.2 p. 682).
Or, une telle résiliation inefficace ne
peut pas être convertie en un congé ordinaire, l’art. 266a al. 2 CO ne
s’appliquant pas à de tels cas, ni en un congé pour justes motifs au
sens de l’art 266g CO (LACHAT, op. cit., n. 27.3.2.2 p. 682 et n. 26.4.7
p. 655 et 656).
Il s’ensuit que le congé litigieux n’a produit
d’effet ni pour la date indiquée du 31 octobre 2005, ni pour l’échéance
contractuelle ordinaire du 30 avril 2006.
Le Tribunal, suivant en
cela la thèse de l’intimé, a cependant qualifié de congé ordinaire, mais
donné pour une échéance inexacte, le congé du 6 septembre 2005. Il l’a
estimé valable et en a reporté l’effet à l’échéance contractuelle au 30
avril 2006 conformément à l’art 266a al. 2 CO.
Les appelants font
valoir, dans cette hypothèse, que le congé devait néanmoins être annulé
en application de l’art. 271a al. 1 lit. a CO.
La résiliation est une
déclaration unilatérale de volonté, soumise à réception. Il s’agit
aussi d’un acte formateur, comme tel non susceptible d’être révoqué ou
converti (TF, JT 1998 I 296 ss, 300, consid. 3d; ENGEL, Traité des
obligations en droit suisse, 1997, p. 141, 142, 33).
Toutefois, celui
qui, fondé sur un état de fait clairement délimité, signifie à l’autre
partie une résiliation extraordinaire du contrat, n’a pas à pâtir de ce
qu’il invoque une disposition légale inexacte comme fondement juridique à
sa déclaration, cela dans la mesure où une autre disposition peut être
invoquée en remplacement pour étayer sa prétention (TF, JT 1998 I 300,
consid. 3d).
Son interprétation doit être effectuée selon le principe
de la confiance (ENGEL, op. cit., p. 239; THEVENOZ, CR, n. 22 ad art.
107 CO; ATF 123 III 16).
L’interprétation objective, selon le
principe de la confiance, conduit le juge à dégager le sens que le
destinataire d’une déclaration peut et doit lui attribuer selon les
règles de la bonne foi, d’après le texte et le contexte, ainsi que les
circonstances qui l’ont précédée ou accompagnée (TF, JT 1998 I 2; TF, SJ
1996 549; WINIGER, CR, 2003, n. 134 ad art. 18 CO; ENGEL, op. cit., p.
239).
En l’espèce, l’avis de résiliation du bail ne se réfère à
aucune disposition légale de nature à préciser le caractère ordinaire ou
anticipé du congé. La lettre d’accompagnement n’est pas plus explicite,
même si elle évoque le nonrenouvellement du bail; cette expression est
toutefois démentie par la lettre de l’intimé du 21 septembre 2005,
répondant à la demande de motivation des locataires, qui mentionne bien
que le bail est résilié et cela, en réaction à la sous-location non
autorisée, motif qui était déjà avancé dans l’avis de résiliation. Tant
ce dernier que la lettre du 21 septembre 2005 spécifient en outre que la
résiliation est donnée pour le 31 octobre 2005. Or, cette date ne
respecte pas le préavis contractuel de trois mois prévu pour une
résiliation ordinaire, ce que le bailleur, représenté par un mandataire
professionnel qualifié ne pouvait ignorer.
Dans ces circonstances,
les locataires pouvaient raisonnablement et de bonne foi interpréter
cette résiliation comme étant un congé extraordinaire, mettant un terme
anticipé au bail en raison de la sous-location.
La thèse privilégiée
par le Tribunal des baux et loyers, à savoir celle d’un congé ordinaire
donné – par inadvertance – sans respecter le préavis contractuel de
congé, ne peut être approuvé. Elle va de surcroît à l’encontre de
l’esprit de la loi qui vise en cette matière à protéger le locataire,
considéré comme la partie faible au sein du rapport contractuel. A
suivre la voie esquissée par les premiers juges, il suffirait au
bailleur, qui entend résilier le bail de manière anticipée, de ne se
référer à aucune disposition légale pour soutenir ensuite, en cas de
contestation, qu’il s’agissait d’un congé ordinaire, néanmoins valable,
et dont l’effet serait simplement reporté au prochain terme pertinent en
application de l’art. 266a al. 2 CO. Pareille interprétation ouvre trop
largement la porte à l’abus de droit pour être admise.
La Cour
considère donc ici que le congé donné le 6 septembre 2005 pour le 31
octobre 2005 était un congé extraordinaire, mais inefficace pour la
raison évoquée supra. L’exception réservée par la jurisprudence fédérale
précitée (JT 1998 I 300) n’est pas réalisée.
Décision
46/4 - Congé extraordinaire – congé ordinaire